6- Le mystère du médaillon


    Mélanie entraîna le prince dans le dédale de couloir qu'était le palais de Mellior. Sa poigne était ferme mais pas douloureuse. Et puis heureusement qu'elle était là, car sinon, et malgré son sens inné de l'orientation, il se serait perdu. Ils montèrent plusieurs fois des escaliers et finirent par arriver devant une petite entrée, fermée d'un rideau.

    — Allez, vas-y.

    Elle le poussa un peu.

    — Vous ne pouvez pas venir avec moi ?

    Elle rit et lui chuchota :

    — Mon petit, je suis Amhurienne, à qui crois-tu que ma loyauté ira, entre toi et la reine ?

    Et elle l'expédia dans la salle. Il n'eut plus le choix cette fois, il se défit du rideau et entra.

    Dans la salle, seule une table rectangulaire. La reine était à une extrémité. Ils se dévisagèrent un moment, jusqu'à ce qu'il comprenne qu'elle attendait qu'il s'incline. Quand ce fut fait, elle invita Egel à s'asseoir à son opposé d'un geste de la main. Il la remercia et prit place.

    Le silence était pesant. Pendant quelques secondes qui semblèrent s'étirer, aucun d'eux ne dit mot. Heureusement, ils pouvaient entendre le piaillement des oiseaux à travers la fenêtre, sinon ça en aurait même été gênant.

    Alyn finit par saisir une petite clochette et la fit tinter. Ses gestes étaient emprunts d'une grâce qu'il ne pouvait qu'admirer. Des serviteurs se mirent à sortir d'un couloir de service et ils déposèrent une dizaine de cloches sur la table. L'un d'entre eux se posta à côté du prince, et, le regard dans le vide, énonça :

    — Mouton braisé ; accompagnement de riz gras ; mangue confite aux herbes ; poisson arc-en-ciel cuit à la broche ; friture d'ignames ; agneau nouveau ; patates-douces fourrées au fromage de chèvre ; chaussons fourrés d'un mélange de viandes et pour conclure, dos de watusi.

    Egel saliva à l'entente de ces noms, qui lui étaient étrangers pour la plupart. Cependant, ce n'était encore rien : son estomac se tordit de douleur quand les serviteurs soulevèrent les cloches et que les plats se dévoilèrent à sa vue, et il eut une seconde contraction quand leur fumet parvint à ses narines...

    — Vous avez l'air d'avoir faim, je vous en prie servez-vous, tout est là pour vous.

    Il ne sut se décider pour un seul, aussi piocha-t-il quelques morceaux dans tous les plats. Et encore là, il eut du mal à choisir par quoi commencer. Il opta pour des petits triangle de pâte-feuilletée dont il avait oublié le nom. Et ce fut un véritable régal. Le mélange du croquant de la pâte et de la douceur de la farce... Hum...

    En plus son dernier repas datait de la veille au soir, aussi avait-il vraiment faim. Il se fit la réflexion qu'attendre en avait valu la peine, et qu'ainsi il pouvait se régaler plus de ce festin.

    Alors qu'il allait mettre en bouche un nouveau légume, la reine l'interrompit.

    — Egel ?

    Il leva les yeux vers elle et cala son dos bien droit dans sa chaise, dans le vain espoir de rattraper son honneur perdu.

    — En fait... Je vous recommande de ne pas manger cela. C'est du piment. On le met dans nos plats, pour épicer, mais il faut le laisser sur le bord de l'assiette. À moins que vous ne souhaitiez connaître la désagréable sensation de vous brûler le palais et toute la gorge.

   Elle haussa délicatement ses épaules, comme si ce n'était rien. Il reposa le piment en lui jetant un coup d'œil soupçonneux. Il ne s'en était pas fallu de loin...

    — Y a-t-il d'autres pièges comme ça ?

    Il vit ses lèvres tressauter et devina qu'elle retenait un sourire, pourtant il n'avait pas voulu faire un trait d'humour, seulement s'inquiéter de son intégrité.

    — Non je ne pense pas, pas cette fois-ci en tout cas. Nous avons évité le poisson qui se révèle être hautement toxique s'il n'est pas bien préparé...

    Le charriait-elle ? Cela ne le faisait pourtant pas rire.

    Bizarrement, son assiette ne lui parut plus aussi appétissante et il la repoussa.

    — Croyez-le ou non mais je n'ai plus faim. Et vous, vous ne mangez pas, ma reine ?

    — « Ma reine » ? Vous êtes bien plus commode que votre père, je vois.

    Le prince sentit sa nuque se réchauffer et il baissa la tête pour camoufler ses rougeurs aux yeux d'Alyn. Il faisait encore tout de travers... Si seulement le roi avait été là, il aurait pu le guider, l'empêcher de commettre des impairs.

    Elle reprit :

    — J'ai déjà mangé avant.

    De mieux en mieux, songea-t-il. Elle avait eut tout le luxe de l'observer pendant qu'il s'empiffrait... Il tenta de changer de sujet.

    — En parlant de lui, où est Telmar ? A-t-il eu une occasion de manger, lui ?

    — Dites-moi, vous vous entendez bien tous les deux ?

    Elle s'était penchée un peu plus vers lui, toute ouïe. Lui fronça les sourcils. Il opta pour la réponse la plus diplomatique et la plus vague qu'il pouvait trouver.

    — Eh bien, nous nous entendons comme un roi et son fils s'entendent, j'imagine.

    Ses yeux pétillèrent.

    — Savez-vous pourquoi vous êtes ici ?

    Le prince secoua la tête à la négative.

    — Pas la moindre idée ?

    — J'avais bien imaginé quelque chose mais vous l'avez démenti ce matin, en affirmant que la torture n'était pas votre but premier.

    La reine grimaça.

    — Nous ne sommes pas des barbares !

    — Vous avez aussi dit que ça viendrait plus tard...

    — Je ne vous ai pas fait venir dans ce but. Maintenant, il est vrai que puisque vous êtes là, autant en profiter...

    La désinvolture avec laquelle elle abordait cette possibilité le fit frisonner.

    Ils finirent le repas en abordant des sujets tous plus futiles les uns que les autres. Egel remarqua qu'elle était moins attentive et plus distante mais il se garda de lui en faire la remarque.

    Quand elle le chassa de la pièce, il hésita à s'emparer d'un couteau qui avait servi à découper la viande mais elle capta son regard et l'en dissuada d'un regard pénétrant.

    Il fit mine qu'il n'y avait jamais pensé et demanda plutôt :

    — Au fait, comment est-ce que votre père est mort ? Enfin c'est malheureux, j'en conviens, bafouilla-t-il en la voyant s'empourprer. C'est juste que je pensais...

    — Dehors !

    Il s'en alla à reculons, cogna un pied de table au passage et tomba presque dans l'ouverture. Quand il franchit le rideau, il réajusta ses jupes et s'assura qu'on ne l'avait pas vu. Heureusement les soldats étaient occupés à discuter et ils haussèrent juste les sourcils en se demandant ce qui venait d'arriver.

    Il ne leur fallut pas longtemps pour reprendre leur esprits et emmener le prince jusqu'à la chambre qu'il occupait. Et la bassine et Mélanie avaient disparu et la salle lui semblait tout de suite moins accueillante.

    Il était un peu triste que la gouvernante soit partie. Il l'aimait bien en fin de compte... Et surtout, elle semblait rester honnête quand il suspectait la reine de se cacher derrière un masque de courtoisie.

    Il se souvint de leur conversations et se demanda ce qu'elle leur voulait vraiment. Elle l'avait presque dit explicitement : il y avait quelque chose qu'ils avaient et qu'elle désirait. Cependant Egel ne savait deviner de quoi il s'agissait. Il fit tourner ses méninges. Il fallait quelque chose qui pourrait lui faire envie mais qu'elle ne pouvait s'approprier sans eux, sinon elle l'aurait déjà fait. Donc rien du château, pas leur immense bibliothèque ni les trésors ou les bêtes... Mais alors quoi ? Il présumait que Telmar savait, et qu'il n'avait pas mis au courant son fils.

    Il s'approcha de la fenêtre et passa la main entre les barreaux de fer. Il aurait aimé ressentir une petite brise, jouer avec le vent mais l'air était définitivement sec et statique. Il soupira. Son pays lui manquait, le temps de chez lui lui manquait et sa vie de prince inconscient lui manquait.

    On toqua à la porte, de trois petits coups. Il ne répondit pas et resta tourné vers l'extérieur, vers les jardins qu'il pouvait apercevoir en contrebas ou la ville qui suivait son cours un peu plus loin.

    — Mon petit, la reine vous demande.

    — Pourquoi ? Je l'ai vue il y a à peine une heure.

    Une petite voix dans son esprit rajouta que quand ils s'étaient quittés elle n'avait plus du tout envie de le voir, du moins pas vivant et intact ...

    — Elle peut te demander sept fois le même jour puis plus pendant un mois si l'envie lui dit, elle est la reine et tu es un prisonnier. C'est ton père qui ne veut pas parler sans ta présence à ses côtés je crois.

    Il poussa un nouveau soupir et extirpa sa main de l'au-dehors. Son père avait une idée derrière la tête, c'était sûr. Sinon pourquoi le demander ? Egel avait plutôt tendance à être un boulet, une catastrophe ambulante plutôt que d'être d'une aide honorable... Et Telmar le savait parfaitement. Seulement il y avait un problème : comprendre et mettre en place les plans de son père n'était pas toujours facile. Et là il devait réfléchir comme lui pour l'inventer ? C'était mission impossible...

    Ils enfilèrent encore une fois un nombre incalculable de couloirs mais il reconnut tout de même certains repères. Ils arrivèrent enfin devant les deux grandes portes derrières lesquelles il avait vu Alyn pour la première fois. Quand Mel le laissa, deux gardes prirent le relais et l'encadrèrent étroitement pour entrer.

    — Voilà, dit la reine depuis son trône. J'ai accédé à votre requête, Telmar. Maintenant parlez.

    Il était dans un sale état. Ses vêtements étaient nouveaux mais déjà tout tâchés, et Egel eut un petit hoquet quand il s'aperçut qu'il s'agissait de sang séché. Le roi avait aussi du mal à se tenir debout et encore plus à rester droit.

    Le roi releva la tête.

    — Non !

    Des murmures retentirent dans toute la salle, brisant le silence pesant qui avait régné jusque-là. Telmar se tourna, et dit vite en Feryerne :

    — Don ; reine ; cherche ; médaillon.

    D'un degré sonore rarement égalé, la reine cria de se taire. Seulement il était trop tard, Telmar avait délivré son message et gisait désormais au sol, évanoui par un coup d'un soldat qui avait compris ce qu'il se passait. Alyn se leva et tapa du pied d'une manière qui ne seyait guère à une personne de son rang. Dans le bazar, on emmena le prince et le ramena brutalement à sa chambre.

    Il y passa le reste de la journée. Un plateau repas lui fut apporté au soir. Il eut donc tout le loisir de réfléchir aux paroles de son père. Une fois encore, force fut de constater qu'il était intelligent. Il avait parlé en Feryerne, une langue que leurs ennemis ne connaissaient pas, il s'était arrangé pour qu'on ne puisse pas l'entendre et en plus il avait codé son message.

    D'ailleurs il en avait peut-être même fait de trop... Egel n'était pas sûr de son interprétation. Il avait bien compris que la reine cherchait un médaillon. Cependant il restait un mot : Don. Que venait-il faire dans l'histoire ? Le médaillon était-il lié au Don de la reine ? Probablement...

    Un moment il se demanda si le médaillon que cherchait la reine n'était pas celui qu'il avait toujours autour du cou, qu'il portait depuis tout petit. Mais il secoua la tête, ça n'avait pas de sens. Ce bijou n'avait pas de véritable valeur, sinon sentimentale, et de toute manière il devait traîner quelque part au château en Mirùn, les Amhurien ne l'avaient pas laissé l'emporter.

    Il eut du mal à s'endormir cette nuit là, comme c'était toujours le cas quand il avait un problème mais pas de solutions.

***

    Il prit une grande goulée d'air vicié. La fumée envahissait son visage et ses voies respiratoires. Il lui semblait que, tel un serpent, elle s'enroulait autour de sa gorge pour restreindre le passage d'air. Air vital. Mais tueur. Son corps ne cessait d'inspirer alors qu'il sentait que plus il respirait plus il se sentait mal. Sa tête se fit cotonneuse et sa vision floue. Il toussa, cracha. Devant lui, un craquement sinistre. Une autre partie du bâtiment qui s'effondrait.

    Il ne savait pas où il était. Entre des murs, il le devinait. Mais où ? Les flammes le rendaient aveugle. La seule chose qu'il vit était qu'elles continuaient leur inexorable chemin vers lui. Elles l'encerclaient. Se rapprochaient encore... S'il en évitait d'un côté, c'était pour se faire lécher par d'autres.

    Son esprit brumeux lui rappela qu'il ne s'agissait pas seulement d'un rêve, qu'il avait choisi de venir, du moins son inconscient, et que par conséquent, rien n'indiquait que la mort s'arrêterait là. Elle viendrait peut-être le cueillir dans la réalité aussi...

    Alors il décida de faire quelque chose qu'il n'avait jamais fait. Il se mit à genoux, aspirant à un peu d'oxygène encore. Il ferma les yeux. Se concentra. Son bras gauche le lancina et il hurla de douleur. Des cris résonnèrent autour de lui. On appelait quelqu'un, on agonisait, on brûlait. Il frissonna. Se concentra à nouveau.

    Quand il ouvrit les yeux, il n'était plus dans cet enfer. Il lui fallut un moment pour se situer et il poussa un soupir en voyant qu'il était dans la grande bibliothèque de Ytto. Chez lui.

    Alors il la vit. La reine. D'une robe de chambre blanche. Elle ne faisait pas attention à lui. Dans ses mains, un médaillon. Le médaillon, devina-t-il. Elle le regardait fixement. Il lui sembla qu'une lumière verte émanait du bijou. Il fit un pas, suivi d'un autre. Il voulut s'arrêter à une distance raisonnable cependant son corps ne le laissa pas faire. Il avança encore. Prit peur. Avança. Tendit le bras pour toucher...

    Il ouvrit une nouvelle fois les yeux, dans un autre endroit inconnu. Ses muscles étaient douloureux, comme s'il les avait bandés pendant trop longtemps, ses cheveux plaquaient à son front, il haletait et avait froid, l'air commençant à rafraîchir sa sueur. Après un moment il comprit qu'il ne rêvait plus, qu'il se trouvait seulement dans sa chambre en Amhura. Il poussa un soupir de soulagement.

    Ensuite il se leva et gagna la fenêtre, en tremblant un peu. Que d'émotions...

    Il se demanda ce que tout cela voulait dire. Il avait utilisé son Don, l'effraction de rêve, pour voir ceux de la reine et peut-être saisir ses intentions. Il ne s'attendait pas à ça. Que signifiait l'incendie ? Était-ce une peur, un cauchemar récurrent, souvenir du passé peut-être ou bien encore un drôle de hasard ?

    Et le médaillon ? Pour quitter l'incendie, il avait changé le lieu du rêve, il l'avait contrôlé. Avait-il fait apparaître lui-même le bijou parce qu'il y avait pensé avant de s'endormir ou bien faisait-il partie du rêve de la reine ?

    À cette pensée une idée lui vint. Et si la reine avait déjà le médaillon... Alors c'était lui qui devait chercher où il était... Grâce à son Don !

    Cela le fit se sentir important. Il avait décodé le message de Telmar et pouvait l'aider, faire ses preuves ! C'était son nouveau but. Il voulait découvrir le mystère derrière ce médaillon.

    Mais pas tout de suite... Même s'il l'aurait bien aimé, il n'en était physiquement pas capable. Quand il pratiquait l'effraction de rêve, son corps ne récupérait pas, c'était comme s'il était resté éveillé toute la nuit, voire pire. Et en plus il n'avait pas envie de répéter l'expérience de l'incendie de si tôt.

    Il bailla, et murmura, pour lui même :

    — Fini la passivité...

    Puis sa tête se fit lourde et il s'endormit.


~~~NDA~~~

Notre prince se réveille ! (Et ici je ne peux pas dire dans les deux sens du terme puisqu'en fait il s'endort^^) Enfin !

Je suis désolée de ne vous poster ce chapitre qu'aujourd'hui, en fait je suis en vacances et dans ma tête c'est samedi-samedi-samedi-.......-dimanche et comme je devais poster lundi... Pour ne pas prendre de retard, je vais donc poster deux chapitres aujourd'hui !

Publié le 15/02/2018, corrigé la dernière fois le 27/04/2020

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