5- La trêve
C'était une belle soirée d'été. Dans les villages, on s'était couché, on se reposait en vue des travaux à effectuer le lendemain. La campagne était calme et silencieuse.
La même atmosphère semblait peser sur la ville aussi. Cependant, si on faisait plus attention, si on s'approchait du château, on pouvait entendre jouer de la musique, voir des lumières par les fenêtres et des silhouettes se déplacer à l'intérieur. Si on entrait, on découvrait une véritable fourmilière en activité, des servantes s'agiter de toutes parts, s'énerver, crier parce que ceci ou cela n'était pas fait. Et si on continuait d'avancer dans les couloirs, pour finalement arriver devant deux grandes portes, qu'on les ouvrait...
Alors...
La salle était un arc-en-ciel scintillant de mille feux. Hommes et femmes rivalisaient de beauté, d'élégance et de formules de politesse. On riait à gorge déployée, derrière une chaste main ou dans sa barbe, mais les sourires étaient définitivement présents.
Il fallait dire que ce jour n'était pas anodin, et ce bal pas une énième lubie du roi. C'était la victoire qui était fêtée, la fin d'une guerre qui n'avait que trop duré. Ce jour serait retenu dans l'histoire, et pas seulement pour les raisons évoquées plus tôt. On s'en souviendrait aussi comme de celui où deux familles, deux rois, deux pays ennemis s'étaient réunis, sans qu'aucun ne songe à tuer l'autre de la plus vile des manières qui soit. Ils s'étaient alliés contre un ennemi commun et avaient triomphé ensemble ! Cette soirée était peut-être la fin des hostilités entre les deux grandes puissances qui n'avaient eu de cesse de se battre depuis des dizaines de générations.
Le jeune prince de Mirùn était présent au bal, il cherchait sa prochaine proie.
Les femmes gloussaient sur son passage, battaient des cils et faisaient tout ce qui était en leur pouvoir pour attirer son attention. Elles savaient qu'il était un des hommes de meilleure naissance présents, mais qu'en plus il était beau parleur et un grand charmeur.
De son côté, il était totalement conscient qu'il plaisait, si bien qu'il en allait même jusqu'à se considérer être le roi de la fête. Il fendait la foule en observant attentivement, sans oublier de lancer ses célèbres clins d'œil.
Ce qu'il cherchait, c'était une femme. Pas n'importe laquelle cependant. Il ne se contenterait pas de la première venue parmi cette plénitude. Non, il voulait un petit trésor. Une qui serait toujours belle une fois démaquillée et déshabillée. Une beauté à l'état pur. Cela devenait de plus en plus compliqué, car il avait une loi d'honneur que jamais il ne brisait : pas deux fois avec la même. Sinon elles commençaient à s'attacher trop, à croire qu'elles étaient uniques et irremplaçables, en bref, irritantes.
À l'opposé de la salle, un autre noble, venant de Manuk. Il observait le prince, bien que celui-ci n'en ait pas conscience. Il se demandait comment l'autre faisait pour que tout le monde l'aimât et pour avoir une telle confiance en lui. Était-ce son Don ? Ou bien y avait-il un moyen de changer cela et de s'améliorer ? Il soupira, se doutant bien que même s'il le lui demandait, le prince ne lui répondrait pas au mieux, se moquerait au pire. Et il avait probablement raison en pensant cela.
Le prince avait enfin trouvé ce qu'il cherchait. Elle était parfaite... Son teint ambré indiquait qu'elle provenait d'un des royaumes d'or, et il n'avait pas encore de femme du désert à son tableau de chasse, un exotisme qui devait l'attirer au moins autant que le physique avantageux de cette délicieuse créature.
Il se contenta de l'observer pendant un moment, c'était la partie qu'il nommait lui-même « l'analyse ». Il fallait connaître avant d'attaquer.
Enfin, il s'approcha d'elle. Elle se tenait de dos, vêtue d'une robe turquoise qui mettait parfaitement en valeur ses formes. Une dame du groupe, qui avait remarqué le regard insistant du prince, toussota pour prévenir son amie. Elle se retourna, l'observa de ses grands yeux presque noirs et le prince sut tout de suite qu'il avait bien choisi. Il se mit à genoux.
— Ma dame, me feriez vous l'honneur d'une danse ?
Elle hésita, mais poussée par les autres, céda et le rejoignit d'un pas incertain. Ce n'était pas grave, pensa le prince, il allait la guider et à aucun moment il ne la laisserait se sentir maladroite ou mal à l'aise. Il fut bien surpris quand il constata qu'elle avait un sens inné du rythme et que c'était elle qui menait véritablement la danse.
Il dévoila ses dents en un sourire charmeur, une arme qu'il savait fatale et demanda :
— À qui ai-je l'honneur ?
Elle se présenta rapidement. Son cavalier attendit une seconde qu'elle procure plus d'informations, cependant, elle s'arrêta là.
— La magnifique couleur de votre peau me laisse penser que vous venez du désert. Me le confirmez vous ?
— Oui.
— De quel royaume ?
— Amhura.
Il grinça des dents, ce petit bout de femme était bien loin d'être commode.
S'il avait été plus attentif, et moins confiant en lui même, il aurait pu voir que le regard de sa belle était fuyant et qu'elle tenait leurs corps à distance l'un de l'autre autant que c'était possible.
— Et quelle place occupez vous ? Dans la hiérarchie j'entends.
— Je suis la princesse.
— Pourtant j'ai entendu dire que vous n'aviez pas exactement le même système de monarchie que nous...
— Ça serait trop long à expliquer.
Le peu d'envie qu'avait la princesse à être là se refléta dans le reste de la conversation. Le prince posa quelques autres questions sans grand intérêt, et voyant que ça ne menait nulle-part, décida de profiter de la danse en silence. Il essaya de capter le regard de sa partenaire et de lui sourire, pour la faire se sentir plus confortable, mais elle évita adroitement tout contact. Dès que la chanson fut terminée, elle s'échappa de ses bras et disparut derrière un couple sans que le prince n'ait compris ce qui se passait. Le temps qu'il réagisse et commence à la suivre, son père était venu à lui, une dame au bras.
— Fils, voici Éléonore de Feryern. Je lui ai affirmé que tu ne refusais jamais d'occasion de danser.
S'il avait pu, le prince aurait haussé les épaules et répondu qu'il ne louperait aucune occasion de danser pour peu que sa cavalière fut la femme qui venait de le quitter.
À la place il sourit et fit un baise-main à Éléonore, avant de l'entraîner vers le centre de la pièce. Elle s'accrochait à lui comme si, sans son appui, elle risquait de tomber. Puis elle gloussait beaucoup trop souvent aussi et agissait en véritable pipelette. Dommage, car elle était pourtant assez agréable à regarder. Si elle n'avait pas été aussi casse-pieds le prince aurait pu s'y intéresser... un jour normal en tout cas.
Parce que pour le moment il s'était trouvé un nouveau défi et les femmes comme Éléonore ne l'intéressaient plus. Elles étaient déjà acquises, où était le mérite ? Ce qu'il ne savait pas, c'était que tout l'honneur allait à un homme qui séduisait encore et encore la même femme, qui réussissait à la surprendre plutôt qu'à celui qui les séduisaient toutes.
Bien vite le babillage de la dame commença à l'insupporter, et ce fut avec un certain soulagement qu'il la laissa à la fin de la danse.
Il passa le reste de la soirée poursuivi par le souvenir des yeux de sa belle et la mélodie de sa voix. C'était sûr qu'il ne la laisserait pas tomber. Il était tellement obnubilé par son objectif qu'il ne mangea presque rien. Pourtant il était de notoriété publique qu'après les femmes, c'était la nourriture que le prince aimait. Aussi partageait-il d'habitude son temps entre la piste de danse et le buffet. Un des chevaliers vint même lui demander s'il était malade, alors qu'il était posté à la fenêtre et contemplait les étoiles. Il répondit que non et la lueur folle de désir qui brillait dans ses yeux dissuada l'autre de pousser son interrogatoire plus loin.
De son côté, la princesse d'Amhura avait rejoint le noble de Manuk. Ils parlèrent ensemble pendant un moment et leur conversation fut bien plus agréable pour elle que celle qu'elle avait eue avec le prince. Ce dernier restait après tout un ennemi de longue date et bien qu'ils aient signé une trêve elle n'était pas certaine de pouvoir leur faire confiance. Manuk était par contre un des royaumes d'or, un allié donc. Et le jeune homme avec qui elle discutait partageait le même sentiment d'insécurité qu'elle. Ils en discutèrent un peu puis passèrent à d'autres sujets et pour la première fois depuis qu'elle était là, la princesse rit de bon cœur.
Quand le bal fut achevé – Oh délivrance ! – ils allèrent dormir tous les deux l'esprit plus apaisé qu'à leur arrivée.
Le lendemain, on apporta une bassine que des servantes remplirent d'eau chaude pour que la princesse d'Amhura puisse se laver. Elle trouvait cela bizarre et peu économique, cependant elle ne fit pas de remarques, elle ne se sentait pas capable d'affronter une salle des thermes pleine d'inconnues, de femmes qui étaient ses ennemies encore quelques mois auparavant. En plus tout le monde semblait vouloir observer sa peau ici, ce qu'elle trouvait gênant.
Ses suivantes l'habillèrent d'une tenue de leur pays, beaucoup plus agréable que la robe qu'elle avait enfilée la veille. Ensuite, toutes ensemble elles se rendirent dans la salle du buffet, pour manger un de ces petits déjeuners qu'aucunes d'elles n'aimaient vraiment : au matin, les Mirùniens privilégiaient des plats sucrés, alors que les Amhuriens ne faisaient jamais ce genre de drôlerie.
Après le repas, la princesse s'éclipsa avec toute la discrétion dont elle était capable. Normalement, et surtout dans ces contrées, elle devait être suivie en tout temps par des gardes, mais eux mêmes étaient tellement inquiets et alertes qu'ils lui usaient les nerfs. Et puis elle pensait leur accorder un peu de repos ainsi, même si en réalité ils craignaient de l'avoir perdue et s'agitaient encore plus.
Elle gagna les écuries dans la cour du château, où elle passait une bonne partie de son temps. Les chevaux la fascinaient. Ils étaient bien plus beaux et nobles que les chameaux. Elle marcha jusqu'à une stalle et se mit sur la pointe des pieds pour pouvoir caresser le museau de la bête.
— Il s'appelle Bourrasque.
Avoir été ainsi surprise la fit sursauter.
— Excusez-moi, je ne vous avais pas vu.
— La faute est mienne, répondit le prince. Souhaiteriez vous monter ce cheval ? En gage de mon pardon.
Elle hésita un peu, cependant la tentation était trop grande pour qu'elle refuse. Elle hocha la tête avec timidité.
Pour le prince, c'était une occasion en or. Il était justement en train de se demander ce qu'il pourrait faire pour elle et voilà qu'il n'avait même plus à réfléchir. Pour sûr, c'était un signe des dieux. Il réprima un sourire de victoire pour en offrir un autre, plus adapté à la situation.
— Je propose que vous alliez vous changer puis que nous nous retrouvions ici dans une heure. Cela vous convient-il ?
— Je peux rester habillée ainsi. Pouvons nous commencer maintenant ?
Il leva un sourcil mais il était trop impatient pour attendre, aussi accepta-t-il. Il ordonna de faire sceller deux chevaux. Il n'était pas un grand observateur pourtant il remarqua quand même qu'elle se balançait d'un pied à l'autre, gênée.
— Y a-t-il quelque chose ma dame ? De quelle manière puis-je vous aider ?
— Eh bien c'est-à-dire que je n'ai jamais monté vos bêtes...
— Ne vous inquiétez pas, je vous apprendrai.
Il commença la leçon en lui montrant comment il faisait, et il y mit toute la grâce et la splendeur dont il était capable.
Quand il revint vers elle, un écuyer lui avait déjà apporté un tabouret pour qu'elle puisse monter plus facilement et à la surprise générale, elle s'assit comme un homme.
— J'ai fait quelque chose de mal ? demanda-t-elle en rougissant.
— Non non, vous êtes parfaite ainsi.
Il lui apprit comment tenir les reines et diriger la bête. Ils passèrent toute la matinée ensemble dans la cour et ses gardes finirent d'ailleurs par l'y retrouver.
À la fin de la séance, la princesse appréciait beaucoup plus le prince et commençait à espérer qu'une entente définitive entre leur deux peuples fût possible. Elle lui proposa de se revoir le lendemain pour le faire monter à dos de chameau, ce qu'il accepta sans trop savoir s'il faisait bien...
Il s'avéra qu'effectivement, il souffrait de courbatures horribles après et qu'il avait presque envie de vomir à cause des ascensions et descentes brusques de la bête. La princesse elle, riait beaucoup, si bien qu'il la suspecta de l'avoir fait intentionnellement. Cependant son sourire valait tous les sacrifices du monde, et il était très fier qu'ils aient réussi à se rapprocher.
***
Une bonne entente régnait, mais au bout d'un mois la princesse devrait repartir chez elle. Il ne restait déjà plus beaucoup de temps et toujours rien de concret ne s'était passé entre eux. Le prince prit le parti d'accélérer les choses.
Le soir avant son départ, il la convainquit de se dérober aux gardes, comme elle savait si bien le faire. Ensuite, il l'emmena marcher dans les jardins royaux. Il se fit la réflexion qu'elle était une fleur parmi d'autres, qu'elle était aussi délicate et belle qu'elles.
Le soleil se coucha et ils s'assirent sur un banc pour le contempler. Ensuite, les étoiles apparurent dans le ciel et ils parlèrent d'astronomie. Ils se racontèrent leurs légendes respectives liées à telle ou telle constellation.
Quand la princesse baissa le regard à nouveau, elle constata avec surprise que le visage du prince était tout proche du sien. Il ne lui laissa pas le temps de s'interroger qu'il l'embrassa, la souleva et la posa sur ses genoux.
— Que faites vous ? chuchota-t-elle.
— Je vous aime...
Elle ne savait pas comment réagir. Devait-elle le repousser ? De toute manière il la serrait trop fort pour qu'elle puisse se dégager, aussi se laissa-t-elle emporter par l'instinct que les baisers du prince réveillaient dans son corps.
Après un moment, il la repoussa délicatement.
— Allons dans ma chambre. On pourrait nous voir ici, ma douce.
— Je ne suis pas sûre de vouloir...
Il lui sourit et la prit fermement par la main.
— Allons-y, dit il.
~~~NDA~~~
Alors, comment avez-vous trouvé ce chapitre ? Des théories sur pourquoi l'italique, et sur l'identité de ces personnages inconnus ? Je veux tout savoir !
Sinon ! Nouvelle importante ! Depuis le début de l'écriture, j'appelle ce roman "Déchu" du coup je ne m'étais pas posé de question quand je l'ai publié. Sauf qu'en y repensant ce titre me dérange un peu... (parce qu'on le confond trop avec les anges déchus par exemple, mais pas que) Et du coup je risque de bientôt changer, ne soyez pas surpris ! Je ne suis pas encore certaine à 100% mais "Le trésor de Bargor" me semble être la solution la plus probable. Vous pouvez toujours me donner votre avis avant que je me lance ! Voilà voilà^^
Corrigé la dernière fois le 27/04/20
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