31- Cité fantôme
Ce n'était pas possible. De simples roues de métal ne pouvaient tout de même pas faire bouger une montagne... Pourtant c'était exactement ce qui venait de se passer sous leur nez. Là où il y avait eu une parois rocheuse auparavant, il n'y avait plus désormais qu'un grand gouffre lumineux. Ce n'était pas possible.
Cette pensée tournait en boucle dans l'esprit d'Alyn. Pour se rassurer, elle se répéta que la vie qu'elle menait depuis quelques mois ne faisait pas partie de sa conception du « possible ». Cependant, même en itérant ces belles paroles, il était bien difficile de ne pas être émerveillée par un tel phénomène.
Alyn s'avança avec hébétude vers la lumière éblouissante. A côté d'elle, Egel la laissait marcher seule mais s'assurait que tout allait bien.
— C'est peut-être un piège, prévint-il.
Cependant lui aussi, comme tous les autres, avançait inexorablement par là.
En approchant, et en s'habituant à la luminosité, Alyn s'aperçut que l'ouverture était bien moindre que ce qu'elle avait d'abord pensé. En fait, elle se découpait dans la grotte comme une grande porte. Elle devait faire environ quatre mètre sur trois. Alors qu'elle faisait un pas de plus, elle sentit son coeur s'arrêter, et recula vivement. Elle aurait dû le deviner, mais le passage n'ouvrait pas au creux d'une petite vallée.
Il débouchait sur le vide.
Elle recula jusqu'à la limite du possible pour être toujours capable d'observer. Au lieu d'une quelconque vallée verdoyante, son regard ne rencontra que du noir. Il y avait aussi des reliefs aux formes inhabituelles qu'elle n'arrivait pas à discerner.
— C'est un village ? demanda Egel.
Alyn plissa les yeux pour essayer d'en distinguer les contours précises. Maintenant que son frère l'avait dit, elle reconnaissait dans ses « formes » des toits et des bâtisses. Cependant tout semblait mort et abandonné depuis longtemps. Et ce noir... il donnait la chair de poule.
— Regardez-là, un escalier y mène ! dit Vladimir.
Un escalier taillé dans la pierre s'enroulait en effet autour du gouffre jusqu'à y mener à son fond. Il commençait après une plateforme en pierre qu'Alyn reconnut comme l'ouverture qu'ils avaient provoquée. Elle agissait comme un pont levis et permettait l'accès aux escaliers. Elle accrocha le regard de son frère puis haussa un sourcil. « On y va ? » lui demanda-t-elle en silence. Il hocha la tête en retour.
— On ne va pas faire demi-tour après tout ce chemin parcouru, lui répondit-il tout bas.
Les aventuriers, qui guettaient ce signal, se lancèrent dans la descente – certains, il fallait le dire, avec moins d'enthousiasme que d'autres. Alyn prit une grande inspiration et avança de quelques pas, puis s'arrêta. Egel lui sourit.
— Ne t'inquiète pas, la plateforme autant que les escaliers sont larges, tu ne risques pas de tomber. Tant que tu fais attention – les marches sont petites et courtes – tout ira bien.
Elle leva un regard incrédule vers lui. S'il croyait que c'était ça le problème... Tant qu'il n'y avait pas de barrières pour l'empêcher de tomber, elle ne se sentirait pas rassurée. Et encore. Il aurait fallut qu'elle soient assez haute pour l'empêcher de passer, quand bien même il aurait fallu le vouloir.
Un peu plus bas, elle vit Myranda se retourner et leur lancer un drôle de regard. Alyn serra des dents. L'épaule presque collée à la paroi, elle se lança. Ses yeux ne décollaient pas des marches sous ses pieds, et elle leur interdisait bien d'aller se balader vers la droite. Ce fut donc presque avec surprise qu'elle entendit Egel parler juste à côté d'elle.
— T'es complètement fou, ma parole ! Lança-t-elle.
Il haussa les épaules avec indifférence.
— Si je suis là, tu verras bien que tu ne tomberas pas.
— J'aurai surtout peur pour toi en plus de moi, oui !
Avec un petit rire, il vint se placer devant elle. Elle s'étonna :
— Tu crains les insectes comme la peste mais tu marches à côté du vide sans problème.
— Je ne suis jamais tombé dans le vide.
La reine s'arrêta une seconde en fixant son dos. Lui, qui ne s'en était pas aperçu, continua son chemin et elle se remit en route pour ne pas le perdre. Qu'est-ce que ça voulait dire ? Elle retourna sa phrase dans tous les sens. Alors qu'elle allait poser la question, elle leva le regard à hauteur de sa tête, et aperçut par la même occasion la vallée qui se trouvait bien plus bas. Un vertige la saisit et elle eut l'impression que le monde oscillait autour d'elle. Elle avala sa salive, posa une main hésitante contre la paroi, et avança à pas précautionneux. Elle tenta même de fermer les yeux, mais cette technique lui donnait encore plus peur. Sa question était oubliée et enterrée, du moins pour le moment.
Le reste de la descente se poursuivit, relativement bien dans les faits, mais surtout de manière très stressante pour ceux qui avaient peur. Egel se retournait de temps en temps pour regarder si sa sœur allait bien. Elle l'avait senti une fois et lui avait exhorté de regarder devant lui.
— Tu crois qu'on avance vraiment en venant ici ? dit-il.
Elle prit son temps avant de répondre : elle avait peur que ses pensées fussent toujours influencées par le médaillon et les idées qu'il avait ancrées en elle.
— Oui je pense.
Et elle le pensait.
Cependant elle sentait autre chose aussi, une menace sur laquelle elle ne put mettre le doigt exactement et qu'elle supposa venir de ses visions. Depuis qu'elle n'était plus sous l'emprise du médaillon, elle les avait senties roder, à la lisière de son inconscience. Elles attendaient leur heure, elles attendaient que la reine s'endorme pour venir la tourmenter, mais elles étaient bien là.
— Et tes jambes, ça va ?
— J'ai rouvert les petites plaies aux genoux en entamant la descente, et je le sens toujours quand je les bouge, mais pour le reste, c'est comme s'il n'y avait rien.
Plus ils descendaient et plus le spectacle qui s'offrait à eux se révélait être surprenant. Ils avaient sous les yeux une ville entièrement peinte de noir. Alyn se demanda si ça avait été pour les habitants un moyen de se camoufler, mais perdus au milieu des montagnes qu'ils étaient, ils ne devaient pas en avoir besoin. En tout cas, une chose était certaine, il n'y avait plus âme qui vive là bas. C'en était à glacer le sang. Elle sentait un passé lourd se cachant derrière toute cette histoire.
— Je me demande ce qui a ainsi pu brûler un village en entier. Ça a dû s'arrêter très rapidement, parce que la plupart des bâtiments, même carbonisés, tiennent toujours debout. Et la nature n'a curieusement pas repris ses droits...
La bouche d'Alyn s'ouvrit dans un grand « O » en entendant les explications de son frère, puis elle sourit.
— Je n'avais pas compris que c'était brûlé.
Il lui jeta un regard de travers mais ne fit aucun commentaire.
— Du coup si c'est le peuple dont les Soudinites parlaient, il n'en reste pas grand-chose. Ce n'était pas la peine d'avoir peur, ils auraient pu venir.
— Tu les as abandonné, Alyn, dit-il avec un demi-sourire.
— Vraiment ? J'avais oublié.
Il secoua la tête avec une consternation mimée. La reine aurait continué avec plaisir mais leurs chamailleries furent interrompues par Missor.
— Je crois qu'on l'a échappé belle, là-haut. Quelques années auparavant et nous serions morts.
L'atmosphère entre eux joyeuse retomba tout de suite. Alyn et son frère échangèrent un coup d'œil, ils attendaient la suite des explications. Le petit dieu continuait de parler sans s'assurer qu'ils l'écoutent et il marmonnait des choses à propos de cadavres. Finalement il reprit tout haut.
— Un village enfermé dans les montagnes et protégé par un ingénieux mécanisme. Et les petites marches... Non je ne dois pas me trompe : il s'agit des Kirrl. Des nains si vous voulez. Les enfants d'Ekor.
— Et en plus clair, qu'est-ce que ça implique ? demanda Egel.
— Qu'on espère vraiment qu'ils soient tous morts.
Alyn regarda dans la direction du village — ils n'étaient plus très loin désormais — à la recherche du moindre signe de vie. Elle scruta les environs avec une attention redoublée. Tout à coup, il lui semblait voir des choses suspectes partout, elle se demandait si elle ne venait pas de voir un bout de cape du coin de l'œil, si elle n'avait pas entendu le glissement d'une lame contre son fourreau ou sentit un regard peser sur ses épaules.
Egel, lui, rejoignit les autres et les mit en garde :
— Sortez vos armes et restez vigilants. En silence autant que possible. Selon Missor, ce village appartenait à des nains assez dangereux.
Alyn sourit en le voyant faire ainsi. Il y a quelques mois encore, il ne parlait presque pas aux gens qu'il ne connaissait pas, et maintenant tous le respectaient et écoutaient ses ordres
— Pas de panique non plus, conclut-il, c'est juste pour être sûr.
Alyn aussi sorti ses deux poignards, livrés par l'armurerie du roi du Soudin. Enfin, ils entrèrent dans la cité fantôme. Il n'y avait pas de vent, ce qui donnait une impression très calme, presque irréelle. Ils explorèrent le village et ses cachettes pendant une bonne heure, puis comme le soleil se couchait, ils décidèrent d'installer le camp.
Un peu plus tard dans la soirée, ils virent apparaître des nuages menaçants dans le lointain. Comme il était de toute manière presque l'heure de dormir, ils décidèrent de se séparer et d'investir les petites bâtisses.
Alyn frissonna à cette idée, même si c'était forcément la meilleure chose à faire. Elle avait l'impression qu'ils allaient briser quelque chose de sacré en faisant cela. Comme si les Kirrls se tapissaient dans l'ombre, à l'affût du moindre signe hostile de leur part. Cependant, quand elle sentit les premières grosses gouttes lui tomber dessus avec force, elle dut bien se résigner. Elle se retrouva avec son frère et l'historien.
La maison de laquelle ils avaient écopé était assez minimaliste. Il y avait là le strict nécessaire à la vie quotidienne : une table de bois, trois chaises, une cheminée, une marmite et quelques ustensiles, des lits de paille, ainsi qu'un coffre. Le toit était assez bas, si bien qu'Egel et Artus ne pouvaient pas se tenir debout sans se plier. Alyn, elle, y parvenait de justesse, mais devait veiller aux montants de porte.
Avec l'obscurité amenée par la pluie, tout semblait aussi noir et aussi brûlé que de l'extérieur, ce qui était à glacer le sang, et confirmait la mauvaise intuition d'Alyn.
— Regardez, dit Artus. Ces gens sont partis dans la précipitation, leur voyage n'était pas préparé. Il y a ici des traces de la vie quotidienne. Il y a une drôle de substance au fond de la marmite, ils sont partis sans même la retirer du feu et ça aura cramé.
— Qu'est ce que cela veut dire? demanda-t-elle. Ont-ils eu peur de quelque chose ? Qu'est-ce qu'un peuple comme eux, surtout reculé au fond des montagnes peut bien avoir à craindre ?
— En tout cas, ça a un lien l'état de leur village, dit Egel. Ce n'est clairement pas un incident naturel.
Alyn écoutait tout en regardant des gouttes d'eau s'infiltrer et tomber du toit. Elles allaient ensuite s'écraser contre le sol de terre battue avec un bruit qui ressemblait de plus en plus à un "splouch" agaçant. Elle finit par placer la marmite en dessous mais le bruit métallique que cela engendra n'était pas beaucoup mieux. Les yeux dans le vide, elle marmonna :
— Tout cela ne me dit rien qui vaille. Il nous faudrait trouver la cause de l'incendie, et vite, avant que quelque chose nous arrive aussi.
— Je ne suis pas sûr que nous risquions le même sort, dit son frère. Mais c'est vrai que comprendre ce mystère pourrait nous aider dans notre quête. Par contre, on est rentré parce qu'il flottait, donc tu risques d'avoir un peu du mal à enquêter.
Elle lui tira la langue et cela le fit rire. Artus les observait en haussant un sourcil. Il avait rarement vu sa reine aussi complice d'une personne qui ne se nommait pas Mel.
Artus tenta ensuite d'ouvrir le coffre, mais à l'odeur pestilentielle qui en sortit, il laissa retomber le couvercle aussitôt. Les deux autres le taquinèrent en l'accusant de rendre irrespirable l'air dans un endroit confiné.
Finalement, l'heure de se coucher vint. Ils inspectèrent les lits présents, mais ne sachant pas depuis combien de temps ils traînaient là, ils trouvèrent ça indécent, même dérangeant de les utiliser. Et puis de toute manière, ils étaient trop petits. Ce fut donc pour eux une autre nuit à même la terre.
Dans la nuit, la montagne cria. Le bruit semblait plus fort et plus proche d'eux que d'habitude. Personne ne dormit bien cette nuit-là.
~~~NDA~~~
J'espère que ça allait l'orthographe dans cette partie, il est un peu tard pour mon petit cerveau aha.
Sinon, des théories sur les Kirrls ? Nos héros sont-ils trop inconscients ? La suite samedi pour les réponses ! (on espère un peu plus tôt qu'aujourd'hui ahaha)
Votre déjantée rêveuse
Publié le 8 juillet 2020
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top