30- Sous contrôle

    Quand Egel reprit ses esprits, sa sœur était déjà enfoncée trop loin dans le trou pour qu'il puisse y faire quelque chose.

    — Alyn !

    Des grognements lui répondirent.

    Egel prit une grande inspiration. Son premier réflexe était de s'en référer aux autres, pour voir si quelqu'un avait une idée miraculeuse. Cependant tous les visages étaient tournés vers lui et attendaient sa solution : en l'absence de la reine, c'était le prince qui régnait.

    Il se ressaisit.

    — Bon, donnez-moi une pierre de soleil.

    Lisa s'exécuta rapidement. Les autres restèrent dans une expectative silencieuse.

    Egel illumina le boyau avec la pierre. Les pieds d'Alyn étaient environ un mètre plus loin. Il jura en voyant que du sang perlait sur les pierres.

    — Alyn ! Si tu n'y parviens pas toute seule, j'aurais presque envie de te tuer pour ton inconscience !

    Une nouvelle fois, elle ne prit pas la peine de lui répondre. Egel se releva.

    — Alyn s'est coupée en passant...

    Il hésita.

    — J'ai vu des taches de sang. Pas question que n'importe qui d'autre passe dans ces conditions. De ce que j'ai pu voir, le problème vient principalement des pierres que nous avons brisées, même si j'imagine que la suite n'est pas non plus des plus confortables.

    A ces mots, Linaël sembla gêné, comme s'il s'en voulait pour ce qui était arrivé. Le prince lui adressa un signe de tête compatissant, pour lui signaler que ce n'était pas de sa faute, et puis il continua :

    — Je pense que si nous couvrons bien les éclats avec quelque chose d'épais, et que nous nous emballons éventuellement les bras dans des tissus, nous devrions pouvoir passer.

    Comme les autres restaient toujours sans rien faire d'autre que de hocher la tête avec vigueur, il prit la suite des opérations en main.

    — Artus, trouve une de nos bâches en cuir, et dispose-la de manière à ce qu'on puisse passer sans danger. Linaël, si c'est nécessaire, aide-le à la couper des morceaux. Essayez de ne rien gaspiller, mais s'il en faut plusieurs, il en faut plusieurs, pas d'économie sur des bouts de chandelle. Lisa et Vladimir, vous pouvez dépaqueter nos sacs, et mettre de côté tous les tissus que vous trouverez. Ensuite, il faudra faire un tri entre ce qui est indispensable pour la suite, et ce que nous pouvons utiliser.

    Myranda fit un pas vers lui avec de grands yeux. Il haussa les épaules. Ce n'était pas vraiment le moment de s'échiner à lui communiquer une tâche à faire.

    De son côté, il s'abaissa de nouveau et tendit le bras en avant avec la pierre de soleil. Il pouvait toujours voir Alyn s'agiter et continuer d'avancer. Il grimaça en entendant ses halètements. Il l'aimait, mais qu'est ce qu'elle pouvait le rendre fou, tout de même.

    Il laissa ensuite la place à ceux qui installaient le cuir par terre, et se rendit au « coin tissu ». Vladimir et Lisa l'aidèrent à enrouler autour de ses genoux et de ses coudes des bandes de tissu qu'ils venaient de découper dans des vêtements. Quand les deux autres eurent fini, il inspecta en tâtonnant leur travail, et, jugeant que ça suffirait, s'engouffra à la suite de sa sœur.

    De l'autre côté du trou, Linaël l'éclairait comme il pouvait, c'était à dire, pas de manière très concluante, et prenait soin, toutes les minutes, de lui demander si tout allait bien.

    — Pour le moment ça va.

    Egel grogna en se tractant à la force de ses bras : il n'avait pas la place pour se servir correctement de ses genoux. Contre ses vêtements, il sentit le sol rêche et froid, cependant il n'eut pas l'impression de se blesser.

    Il continua, encore et encore.

    Alors qu'il prenait une pause pour reprendre son souffle, il entendit Alyn sangloter. Cela lui donna un regain d'énergie instantané, et il parcourut les derniers mètres plus vite qu'il ne l'aurait cru possible.

    Enfin, il sentit que le passage autour de lui s'élargissait, et puis il atterrit dans ce qui selon toute vraisemblance, formait une nouvelle « salle » comme celle qu'il venait de quitter. Il ne se perdit pas en conjonctures, et se dirigea aussi vite qu'il l'osait dans la direction des pleurs. Il lança un rapide « Je suis passé, je vous tiens au courant » à ceux qui l'attendaient de l'autre côté.

    Egel tâtonna un peu, le temps de trouver sa sœur, recroquevillée à terre. Il posa d'abord une main hésitante dans son dos. Alyn s'accrocha à lui comme à une bouée de sauvetage. Il la prit dans ses bras.

    — Je n'en peux plus, souffla-t-elle.

    Ne sachant que répondre, il la berça d'avant en arrière. Sa tête était enfouie contre son torse et il sentait l'odeur de ses cheveux. Elle murmura :

    — Les pierres me contrôlent, Egel. Je ne voulais pas faire ça... Ça me faisait tellement mal, et pourtant je n'arrivais pas à arrêter.

    Plus que la révélation en elle-même, Egel s'étonna de l'état de désespoir dans lequel devait se trouver sa sœur. Reconnaître qu'elle avait été manipulée, et en plus, oser avouer qu'elle souffrait, ce n'était absolument pas dans ses habitudes. Il la serra un peu plus fort contre lui. Ils restèrent l'un contre l'autre pendant un moment, jusqu'à ce que le reste de la troupe s'impatientât.

    — Tu sais te lever ? demanda-t-il.

    Il ne voulait pas la quitter, pas dans cet état.

    En s'appuyant sur lui, elle réussit à se mettre debout, et ensemble, ils regagnèrent l'entrée du tunnel en se guidant aux cris des autres.

    — Je suis avec Alyn, dit-il.

    — Elle va bien ?

    — ... Oui.

    Il avait hésité avant de dire ça. Non elle n'allait pas bien, elle était blessée, et potentiellement traumatisée par les pierres. Mais elle allait bien dans le sens qu'elle avait repris autorité sur ses pensées, et qu'elle se retrouvait enfin elle-même.

    — Qu'est-ce qu'on fait ? lui demanda-t-il doucement.

    Elle reposa la tête contre lui.

    — Je ne sais pas... J'ai envie de dire qu'il faut continuer. Mais j'ai peur que cette intuition me soit dictée par la pierre, tu vois ?

    Sa voix était montée dans les aigus sur la fin de la phrase, et il la sentit prête à se briser. Il lui frotta le dos.

    — Où sont ces fichus cailloux ?

    Elle pointa quelque part dans le noir et il devina qu'elle avait lancé le médaillon pour se débarrasser de son emprise maléfique.

    — Elles exercent toujours leur pouvoir sur toi, ou ce n'est que quand il y a un contact physique entre vous deux ?

    — Je ne sais pas...

    Elle enfuit son visage au creux de ses mains.

    — Hey, lui dit Egel. On va s'en sortir. Je t'aiderai.

    Elle lui offrit un maigre sourire.

    — Bon, et nous ? s'inquiéta Linaël de l'autre côté.

    — Je pense qu'il nous faut continuer. Nous ne sommes pas arrivés jusqu'ici pour rien, et la taille de la cave où nous nous trouvons me laisse à penser qu'il y a encore des coins à explorer. En vous enveloppant les coudes dans du tissus comme moi, vous devriez pouvoir vous faufiler aussi. Si vous ne savez pas faire passer les sacs, prenez au moins deux trois pierres de soleil.

    — Je vais chercher le médaillon, dit-il à l'attention de sa sœur.

    Elle frissonna.

    — Je reviens tout de suite. Et je ferai attention.

    Quand il le trouva finalement au sol, la taille de l'objet, si petite, le rendait presque inoffensif à ses yeux. Il tendit la main et le prit. Puis le laissa tomber aussitôt. Mieux valait ne pas jouer avec le feu. Il tira sa manche jusqu'à sa main pour le prendre, et le glissa dans la bourse qui pendait à ses hanches. Il espérait que les barrières cumulées du cuir et de ses vêtements seraient assez épaisses. Il frissonna en se rappelant qu'il l'avait pris en main nue. Avait-il vraiment été inconscient, ou est-ce que les pierres s'étaient joué de lui aussi ?

    Bientôt, ils entendirent des marmonnements en provenance du tunnel, et Egel s'y rendit pour aider Lisa à s'en extirper. Le suivant fut Linaël, qui poussait péniblement plusieurs sacs devant lui. Toute la troupe finit par arriver peu à peu. Plusieurs se rassemblèrent devant la reine pour l'inspecter, lui parler et exprimer leur soutien. Egel les chassa pour ne laisser près d'elle que Vladimir.

    A la lumière des pierres de soleil, ils purent voir que sa peau étaient écorchée. On ne la voyait d'ailleurs plus très bien, entre le sang et les gravillons.

    Un peu plus loin, Lisa s'était complètement désintéressée de la reine, elle longeait les parois de la concavité, en y promenant sa main. Parfois, elle s'arrêtait, revenait en arrière, montait sa main de bas en haut ou s'abaissait au niveau du sol.

    — Qu'est-ce que tu fais ? demanda Egel.

    Elle marmonna dans ses dents avant de continuer son manège. Finalement, elle cria, comme si elle venait de résoudre l'énigme du siècle:

    — Cette grotte n'est pas naturelle ! C'est le travail de la main de l'homme !

    Ensuite elle baissa à nouveau la tête vers le sol et reprit ses marmonnements. Egel la regarda faire avec un air circonspect. Il laissa Lisa à ses divagations pour se concentrer à nouveau sur l'état de sa sœur.

    — Alors ? demanda-t-il à l'intention de Vladimir.

    Celui-ci avait rincé les plaies et les inspectait maintenant avec minutie.

    — Plus de sang que de dommages. Les blessures sont négligeables, cependant si la plaie est infectée cela pourrait vite dégénérer.

    Il baissa la voix.

    — Si tu remarques quoi que ce soit qui puisse être un signe avant-coureur, dis-le moi.

    Egel hocha la tête en espérant que la situation n'empirerait pas à ce point. Il donna la main à Alyn puis l'aida à se relever quand le soigneur eut fini.

    — Lisa ! appela le prince en remarquant son absence. Personne ne l'a surveillée ?

    — Il y a de la lumière là-bas, dit-elle depuis le lointain.

    — On n'a pas besoin d'autres blessés ! Reviens ici.

    Il attendit, essayant d'entendre le bruit de ses pas qui revenaient, mais ce ne fut pas le cas. Alors, à la lueur des pierres de soleil, il consulta les autres du regard.

    — Qu'est-ce qu'on fait ?

    — Ben on y va, on a déjà fait une pause il n'y a pas si longtemps, répondit l'historien.

    Certains affichèrent une moue mais personne ne le contredit tout haut. La troupe repartit donc, Alyn en s'appuyant lourdement sur son frère. Linaël avait proposé de prendre ce rôle, mais Egel avait refusé. En avançant, ils finirent par distinguer eux aussi la lumière dont la cartologue avait parlé. Elle était chaude, d'un ton jaune-orange qu'ils n'avaient plus vu depuis un moment et qui leur manquait plus que ce qu'on aurait pu le croire.

    Ils pressèrent le pas et rejoignirent Lisa. Elle contemplait une roue de métal d'une envergure de bras humains ouverts.

    — Qu'est-ce que c'est ? demanda Egel, suspicieux.

    — La preuve que j'avais raison : d'autres sont bien venus ici avant nous.

    Linaël prit la parole :

    — Merci on n'avait pas vu. Et de manière un peu plus concrète. Ça sert à quoi ? Tu l'as essayée ?

    — Non, j'ai déjà eu ma dose de destruction pour aujourd'hui avec les stalagmites...

    Il leva les mains en l'air pour l'apaiser. Quand ils s'approchèrent pour observer la roue, elle se plaça devant comme pour la préserver.

    — C'est bon, on n'y touchera pas, la rassura Egel. On veut juste regarder.

    A ses côtés, Alyn acquiesça doucement, tout en continuant de garder le silence.

    Lisa s'écarta en lui lançant un regard d'avertissement. La roue était complètement rouillée, cependant il sentait qu'on pouvait en faire quelque chose : elle n'avait pas été placée là par hasard et elle devait toujours pouvoir servir. Egel observa la pierre autour et constata que le socle de la roue était profondément enfoncé dans la pierre. Cela lui rappelait le mécanisme d'ouverture des herses au château, mais en version plus petite. Alors qu'il approchait sa main de la roue, Lisa tapa du pied derrière lui, et il se releva. Sans pouvoir la toucher ni la tester, il serait difficile d'en apprendre plus. Il demanda à Missor:

    — Toi qui as vécu si longtemps, tu ne saurais pas à quoi cette roue sert ?

    Le gamin haussa les épaules.

    — Je n'ai pas tout vu non plus. Et puis je n'y peux rien si vous n'êtes pas capables de consigner vos savoirs pour les garder.

    Le prince se retint de lui rire à la figure, mais d'autres ne s'en privèrent pas.

    — Il y en a une autre ici ! cria Vladimir qui s'était éloigné sans qu'on le remarque.

    Il ressemblait à un enfant à qui on annonçait qu'il allait avoir une sucrerie. Cependant quelques instants plus tard, toute la troupe d'aventuriers aurait pu être décrite de cette manière, tant ils s'extasiaient devant les roues.

    — Il y en probablement d'autres, pensa tout haut Egel.

    — Trouvons-les dans ce cas, suggéra Vladimir.

    Alyn prit la parole dans ce qui ressemblait plus à un murmure qu'autre chose :

    — Faites attention à ne pas vous perdre, les dimensions de la grotte me semblent énormes.

    Personne ne l'entendit à part Egel. Ils restèrent tous les deux près de la première roue pendant que les autres se défaisaient de leur bagages et s'en allaient avec fébrilité à la recherche d'autres roues.

    — Ne les touchez pas, on ne sait pas ce que ça fait, cria Artus.

    Lisa aussi était de cet avis, et à eux deux, ils ne savaient plus où se donner de la tête pour empêcher les autres de faire une bêtise. Ils eurent bien du mal à surveiller tout le monde.

    Après plusieurs minutes, il s'avéra qu'il y avait en tout sept roues, toutes placées dans ce qui ressemblait à un immense cercle. Tout le monde revint au centre pour discuter de la marche à suivre. Les négociations furent rudes, mais ils décidèrent finalement de tourner les roues en même temps. Artus continuait de penser que c'était une mauvaise idée, il ne voulait pas participer à cette mascarade. Cependant Lisa s'était rangée à l'avis de la majorité, et s'était vue confier aussi une roue à tourner. Alyn, encore trop faible que pour fournir un tel effort, se trouvait au centre et donna le signal.

    Au début il ne se passa rien. C'était bien simple, ils n'arrivaient pas à faire bouger les roues d'un poil. Ils crurent presque devoir abandonner quand on entendit un crissement.

    — La mienne bouge ! s'exclama Linaël.

    Alors ils y mirent plus d'efforts, ils changèrent de position, ils se pendirent à la roue pour essayer de la faire tourner. Peu à peu, on entendit résonner dans la grotte des grincements pénibles à l'oreille mais qui annonçaient leur réussite. Egel parvint lui aussi à amorcer la rotation de la roue. Plus ils avançaient et plus cela devenait facile.

    Toute la montagne semblait être perturbée, comme si on en changeait la disposition. Ils entendirent des craquements, des grondements en tout genre et une panoplie d'autres bruits qui faisaient froid dans le dos. Cela fut finalement remplacé par des exclamations quand les aventuriers virent ce qui les attendaient.




~~~NDA~~~

Eh bien ! Je sais pas vous, mais moi je suis contente de voir qu'Alyn va enfin pouvoir redevenir elle-même... Si vous voulez la petite histoire, de base, ce n'était pas tout à fait prévu (en même temps, est-ce que je prévois parfois ce que j'écris ? mdr). Et puis j'ai vu qu'elle était de plus en plus obnubilée avec ça, et que même avec la pierre verte de son médaillon, c'était déjà bizarre de base. Du coup je me suis dit Why not aha

Sinon en corrigeant je me suis rendue compte que je n'ai pas DU TOUT parlé d'un aventurier qui prendra pourtant de la place par la suite. J'imagine que c'est encore un autre truc pour la réécriture, tss

Et aussi, je suis en retard sur mon planning des corrections, qui l'eut cru ? Moi aha ? Au moins j'arrive quand même à garder les publications pour le moment, d'ailleurs la prochaine est pour mercredi

Bref, je blablate

Votre déjantée rêveuse


Posté le 4 juin 2020

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