26- La roue tourne

    — Nous devons prendre la direction du soleil couchant, dit la reine avec conviction.

    Les membres de l'expédition échangèrent un regard perplexe.

    — Vous êtes certaine, altesse ? Parce que si c'est pour retourner dans un autre guet-apens, hein...

    — Notre quête est de sauver le monde ! Vous ne pouvez tout de même pas douter parce que nous avons croisé trois Salvyries en chemin...

    Egel étouffa un rire sous cape. Quand elle voulait Alyn avait un excellent pouvoir d'oratrice, mais parfois elle était un peu trop ferme dans ses idées et ne comprenait pas qu'on ne soit pas d'accord avec elle. Il regarda la foule. Les mines réjouies étaient peu nombreuses.

    — Faisons deux groupes alors, suggéra-t-il. Ceux qui retournent au pays, et ceux qui poursuivent l'aventure.

    Sa sœur lui jeta un regard méchant : elle n'imaginait pas une seule seconde que quelqu'un puisse se désister... elle allait être déçue. Sur la vingtaine d'individus dont était composée la troupe, quatre voulurent partir parce qu'ils ne se sentaient plus l'étoffe d'un héros, et trois autres furent ajoutés à leur groupe pour cause d'invalidité. Ces derniers étaient des femmes : se libérer des Salvyries sans aide s'était révélé ardu, et elles s'étaient blessées.

    Egel vit Alyn pincer des lèvres. Elle ne comprenait pas que certains quittent l'aventure alors que si personne ne partait en quête du trésor, ils mourraient tous. Il secoua la tête en souriant. Il faudrait qu'il lui explique une fois que « la fin du monde » n'était pas tangible pour tout le monde, et que l'aventure c'était parfois beaucoup.

    Au final, il restait dans leur groupe Alyn, Missor et Egel évidemment, mais aussi Vladimir, la cartologue Lisa, un historien Artus, un commis de cuisine, un barde et trois chevaliers. Prenaient le chemin du retour le vieillard qui voulait voir le monde, un chevalier et son fils, l'ami d'enfance d'Egel, ainsi que quelques autres.

    Le prince se sentait un peu abandonné par son ancien ami, mais il tenta de ne pas le montrer. De toute manière, se dit-il, ils s'étaient éloignés avec le temps : Egel avait grandi dans la perte de son royaume, dans la mort de son père et dans le voyage alors que Jafir était resté le même. Ils n'avaient plus grand-chose à se dire, et en fin de compte, c'était peut-être mieux qu'ils se séparent en bons termes.

    Ils se firent donc des adieux, qui, s'ils n'étaient pas larmoyants, étaient au moins souriants et sincères. Les Soudinites qui les accompagnaient, donnèrent de leur poche pour permettre aux autres de faire un bon voyage vers Mirùn. Egel les regarda faire en haussant un sourcil.

    Quand ceux qui retournaient se furent éloignés les aventuriers se concertèrent.

    — Le problème, c'est qu'on ne sait pas jusqu'où on doit aller, dit l'historien. Nous pourrions aussi bien arriver demain ou dans plusieurs années, qui sait ?

    — Et on n'est même pas sûrs que le trésor se trouvera là-bas, enchérit Lisa.

    — Si nous le sommes, dit Alyn avec agressivité. D'ailleurs, pourquoi serais-tu là si tu ne me croyais pas ?

    La cartologue haussa les épaules.

    — Pour l'aventure... mais ne nous énervons pas, ça ne mène à rien ! Voyons. Si on continue dans cette direction, nous traverserons le Soudin de part en part, et puis, à supposer qu'on n'ait pas dû s'arrêter, nous tomberons sur les monts infranchissables. Et là, j'espère que nous n'aurons pas à aller plus loin parce que ces montagnes portent bien leur nom.

    Quelque uns étouffèrent un rire, et l'historien, pragmatique, les fit taire par son discours.

    — Le plus ennuyant, ce n'est pas tant d'ignorer notre destination, c'est le fait que nous ne pouvons pas prévoir le nombre de provisions ainsi que l'équipement nécessaire...

    Alyn sourit franchement.

    — Le roi du Soudin tient absolument à tout nous offrir, et nous ne refuserons pas une telle occasion n'est ce pas ?

    À ce sujet, Egel se demanda si les gardes Soudinites qui les accompagnaient pouvaient parler le Mirùnien ou si lui-même n'allait jamais pouvoir communiquer avec eux. D'un autre côté, s'ils ne comprenaient pas ce qu'ils disaient, ils ne pourraient pas les espionner, c'était déjà ça.

    Au moment de se remettre à avancer, Egel remarqua avec bonheur que son cheval perdu était de la troupe. C'était un des chevaliers qui le montait, et il avait bien évalué la valeur de la bête : il ne voulait plus s'en séparer. Il fallait évidemment que le prince soit tombé sur un Amhurien, et qu'ils ne se comprennent pas très bien... C'était à un point tel qu'Egel le suspectait de jouer la comédie pour garder Mistral. Du coin de l'oeil, il vit sa sœur se retourner, incommodée par le bruit de la dispute. Il ne lui fallut que deux-trois mots et son regard autoritaire pour que le chevalier se plie à sa décision. Egel sourit d'un air déconcerté. Quel prestance, tout de même ! Il flatta ensuite l'encolure de son cheval blanc et celui-ci hennit joyeusement : il reconnaissait son maître.

    Un peu plus tard, Vladimir vint à sa hauteur.

    — Comment est-ce que vous avez fait pour obtenir l'aide du roi ? Un chevalier l'avait déjà rencontré en mission politique et il est certain qu'il a été reconnu, pourtant ils nous a traité plus mal que si nous avions été ses vieilles chaussettes puantes.

    Egel haussa les épaules, pas très sûr quant à la réponse à apporter.

    — C'est le charisme d'Alyn, je suppose...

    Le soigneur hocha la tête. Il n'était pas dupe, et devait bien deviner qu'il y avait anguille sous roche, mais il ne persista pas et Egel lui en fut reconnaissant.

***

    Quand ils firent une pause pour laisser les chevaux s'abreuver et se reposer un peu, Egel marchait presque comme un pingouin tant il souffrait. Il faisait certes des ballades à cheval de temps à autres, mais jamais aussi longtemps sans mettre le pied à terre. Si ça continuait ainsi, songea-t-il, il finirait par mourir avec les jambes arquées – et il savait que c'était possible. Il se remit péniblement en selle sous le regard amusé des cavaliers émérites.

    Alors que le soleil se couchait à l'horizon, ils entrèrent dans une cité marchande. Lisa avait donné son nom à Egel, mais c'était trop particulier et trop long pour qu'il le retînt. Ils s'y enfoncèrent sans trop de difficulté et parvinrent jusqu'à un petit baraquement. Là, d'autres soldats Soudinites veillaient. Ils lurent avec beaucoup d'attention un document que leur comparses leur remirent, puis ils acceptèrent de loger et de nourrir la troupe. Egel sourit. Il était trop fatigué pour s'interroger une nouvelle fois sur l'origine de cette bonne fortune. Tout ce qui comptait, c'était que désormais, l'aventure serait beaucoup plus agréable !

    Attablé devant un bon bol de ragoût chaud, Egel était assis en face de Myranda, la Salvyrie. Il lui adressa un petit hochement de tête, qu'elle lui rendit. Ils ne parlaient pas de langue commune, mais se comprenaient plus ou moins. Il lui était reconnaissant de les avoir sauvés, et elle le remerciait en retour de l'avoir acceptée parmi eux.

    Il constata que ses peintures sur le visage ne partaient pas et il se demanda si elle avait pris avec elle de quoi les changer. Étant donné qu'elle avait semblé tant vouloir quitter les autres Salvyries, il lui semblait curieux de porter ainsi un souvenir d'elles. Était-ce lié à leur religion ? Ses questions resteraient sans réponses.

    À côté de lui, Missor lui donna un coup de coude, déviant son attention de la jeune femme.

    — Aie ! dit-il en fronçant les sourcils. Qu'est-ce que tu me veux ?

    — Je peux te dire pourquoi Emyldalia n'a pas tué Alyn, si tu veux.

    C'en était assez pour complètement oublier la Salvyrie.

    — Je t'écoute, dit-il.

    La reine, soit mue d'une ouïe aussi bonne que celle d'un chien, soit inspirée par son intuition, fit bouger les autres pour s'asseoir près d'eux.

    — Je devais vous le dire à un moment où les autres dieux n'étaient pas attentifs, sinon j'aurais encore pris cher.

    Les frères et sœurs échangèrent un regard lourd de sens.

    — Parce que parfois ils sont « attentifs » ? demanda Egel. Ça vaut dire quoi ? Qu'ils nous espionnent ?

    — C'est un peu ça...

    Missor se tordit les mains nerveusement et prit une grande inspiration. Il débita alors une flopée d'information à une vitesse si grande que ses interlocuteurs ne comprirent que quelques mots, et encore.

    — Woaw on se calme ! dit Alyn. Là c'est sûr que même si les dieux étaient attentifs, ils n'ont rien compris, le problème c'est que nous non plus. Alors tu vas reprendre ça, et plus lentement.

    Le petit dieu la regarda avec des yeux de chien battu, et secoua la tête.

    — Je ne devrais pas vous le dire...

    Et il se prit la tête dans les mains. Egel remarqua que ses gestes, au début faux et surjoués, devenaient de plus en plus porteurs de sens et humains.

    — Je ne crois pas qu'un dieu devrait dire ça aux mortels... marmonna-t-il. Mais je ne suis plus vraiment un dieu n'est-ce pas ?

    Personne ne répondit, il était clair qu'il ne leur posait pas la question, mais plutôt qu'il essayait de se convaincre lui-même.

    — Elle ne pouvait pas te tuer, dit-il.

    Il avait l'air décidé à leur dire la vérité désormais.

    — Elle l'a voulu mais elle n'a pas pu. J'ai toujours cru qu'il s'agissait d'un mythe. Mais non. Il n'y a pas d'autres explications.

    — Eh bien, accouche ! tonna la reine.

    Egel lui lança un un regard interdit : elle n'avait pas une once de patience.

    — Les bruits courent, dit Missor, que notre pouvoir dépend un peu de vous... Un peu hein ! Mais genre que nous pouvons interférer seulement sur la vie des mortels qui croient en nous, pas des autres.

    Dans le brouhaha de la salle à manger, un silence sourd se fit dans les oreilles d'Egel. Les dieux – déjà qu'il avait dû accepter l'idée qu'ils étaient plusieurs – n'étaient pas tout-puissants ? Il lui fallut un moment pour accepter cette idée, puis les mécanismes de son cerveau se mirent à tourner. Est-ce que ... ?

    — Vous n'existez que dans notre inconscient collectif, du coup ?

    Pendant un moment, il y eut un manque de réaction tel que le prince crut qu'on ne l'avait pas entendu. Ensuite, Missor se leva et admonesta une gifle à Egel, qui n'avait pas vu le coup venir du tout.

    — Ça sortait de ton inconscient, ça, tu crois ? demanda le petit dieu avec aigreur.

    Egel secoua la tête pour se remettre les idées en places. Le coup, comme il émanait du corps d'un enfant, n'avait pas été porté avec beaucoup de force. Cependant, il l'avait effectivement sentit de manière concrète.

    Il vit qu'Alyn débattait silencieusement sur le fait de rendre ou non sa politesse à Missor. Heureusement, elle ne le opta pour la seconde option.

    Puisque la conversation semblait ne plus mener nulle-part, le prince s'écarta et se remit à manger tout en songeant aux propos qui venaient de lui tomber dans les oreilles. Il sentit un regard peser sur lui et il leva la tête pour voir un garde Soudinite baisser les yeux et s'intéresser soudainement au curage de ses ongles. Bizarre, songea le prince. Il fallait espérer qu'il ne comprît pas le Mirùnien, ni qu'il eût un Don qui lui permettait de les espionner... De ces gardes émanait sans aucun doute quelque chose de louche, aussi bien dans leur présence pour cette expédition que dans leur manière d'agir.

***

    Alors qu'il était allongé sur une paillasse inconfortable, Egel vit du coin de l'œil sa sœur en discussion avec un garde. Il avait un air mauvais et était selon tous critères beaucoup trop proche de la reine. Elle, elle souriait en apparence mais il voyait bien que son corps était sous tension, et même l'autre abruti ne devait pas être dupe à ce sujet. Il se mit sur les coudes pour mieux voir, sans toutefois être capable d'entendre. Finalement, le garde éclata d'un rire gras et Alyn s'en alla le rouge aux roues, il devait l'avoir mise en colère.

    Pas que ce fut très compliqué, mais ce qui étonnait plus Egel, c'était qu'elle ne réagissait pas avec sa fougue habituelle. A croire qu'ils étaient tous les deux maître et esclave, chat et souris à la fois. Alyn pouvait exiger d'eux tout ce qu'elle voulait au niveau matériel mais en contrepartie elle semblait se laisser marcher sur les pieds.

    Bizarre... Ce mot lui revenait bien trop souvent à la bouche, et il espéra que la nuit porterait conseil. Il fallait vraiment qu'il dorme après cette énième journée épuisante, de toute manière.

    La tête dans l'oreiller et l'esprit déjà ensommeillé, il se fit la remarque que désormais, ce n'était plus Missor qui leur cachait des choses, mais sa sœur. 




~~~NDA~~~

Oooh noooon, c'est un peu pas une très bonne idée de s'éloigner maintenant alors qu'il y a plus de tension et tout :/ J'espère qu'Alyn et Egel sauront régler ce petit différent !

(En vrai, vous devez me prendre pour une folle avec mes NDA, non ? Je sais ce qui va arriver, et vous savez que je sais, ça sert à rien de faire la comédie ahaha X) disons que c'est juste pour ouvrir la conversation et vous rappeler que si vous voulez papoter, c'est avec plaisir aha !)

Votre déjantée rêveuse

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