24- Le prix à payer

    Plus ils se rapprochaient, de la ville de Purba, leur point de rendez-vous, et plus Egel avait constaté une certaine nervosité chez sa sœur. Elle tirait sans cesse sur sa robe, sa démarche se faisait plus sèche, et elle avait perdu son sourire. Au début, il n'avait pas tout de suite compris ce changement d'attitude, mais il avait fini par en deviner la cause : le regard des autres. Tout autour d'eux, les gens les observaient, on chuchotait sur leur passage, on leur lançait parfois une insulte ou l'autre, et le pire : les hommes posaient des regards lubriques sur les cuisses de la reine.

    Cette réalisation avait empli Egel de colère et d'envie de protéger sa sœur. Pourtant loin d'être de nature violente, il ne se serait pas privé de décocher une flèche ou l'autre sur tous les gens qui regardaient Alyn de cette manière. Cependant, son arc était resté aux mains des Salvyries, et il était totalement impuissant face à la situation. Il se contentait donc de lancer des regards assassins à la ronde.

    Quand ils parvinrent devant les portes de Purba, Egel n'en pouvait plus. La souffrance était au moins aussi forte pour lui que pour la reine. Il retira sa tunique et fit signe à sa sœur de passer ses jambes dedans. Le tout fut maintenu par les manches, qui servirent de ceinture. Alyn ne protesta pas, ce qui était bien la preuve de son malaise. Elle lui adressa un sourire reconnaissant, bien qu'un peu triste et gêné à la fois. Le prince s'en voulut de ne pas avoir agi plus tôt. Évidemment, elle ne s'était pas plaint, elle avait continué de marcher la tête haute, comme si rien ne pouvait l'ébranler. Il lui pressa doucement la main.

    La traversée de la ville fut un enfer autant pour l'un que pour l'autre. On sifflait ces parias, l'un torse-nu et l'autre totalement dévergondée, on les injuriait et on leur lançait des cailloux.

    Ils finirent tout de même par arriver au ranch. Alyn accosta le garçon d'écurie et lui cria quelques mots avec véhémence.

    Egel lâcha un petit rire, plus nerveux que joyeux.

    — Je n'ai pas compris un traître mot de ce que tu as dit, mais je plains ce garçon !

    Elle secoua la tête avec une exaspération jouée.

    Du remue-ménage retentit dans la bâtisse, et trois jeunes hommes ainsi que leur père en sortirent. Ils tenaient leurs outils comme des armes. Le père leur cracha quelque chose à la figure, tout en faisant signe de déguerpir.

    Egel sentit que la patience de sa sœur était mise à rude épreuve, et avant qu'elle ne s'énerve, lui posa une main sur l'épaule. Ils se regardèrent un moment, et quand elle fut calmée, il retira sa main pour présenter ses deux paumes, ouvertes, aux citadins. Pas besoin de parler de langue pour comprendre ce geste universel. Alyn se raidit, puis finit par faire la même chose que lui.

    Les quatre hommes s'approchèrent. Ils étaient toujours méfiants mais moins menaçants. Le père finit par les reconnaître et ouvrit grand la bouche. Il dit quelque mots en Soudinite, auxquels Alyn répondit. Toute trace d'animosité avait disparu de leurs deux voix.

    Le père leur fit signe d'avancer vers l'écurie, et continua de discuter avec la reine. Egel, qui ne comprenait rien, finit par décrocher. Il avait bien essayé d'analyser le ton et les visages, mais ça ne menait pas à grand-chose de concret.

    Devant les chevaux, Alyn esquissa un pas de danse en voyant que le sien était toujours là. Elle ne l'avait choisi qu'en arrivant en Mirùn mais il avait constaté qu'elle s'y était beaucoup attachée. Lui n'eut pas cette chance.

    — Ils ne l'ont pas vendu, dit-elle, ce sont les autres du groupe qui sont passés, alors si on les retrouve tu le retrouveras aussi.

    Elle lui adressa un beau sourire et se permit même une petite tape dans le dos. Egel sourit lui-aussi : c'était la première fois que sa sœur avait ce genre de gestes affectueux envers lui. Décidément, il fallait absolument qu'il l'emmène plus souvent en forêt ! Ou peut-être était-ce simplement le temps qui passait. Il songea que son père n'avait jamais eu pour lui de telles attentions, puis il chassa cette sombre pensée en secouant la tête.

    — Où va-t-on maintenant ? demanda-t-il d'un ton plus sec qu'il ne l'avait escompté.

    — Bhor pense que les autres avaient pour projet de se rendre au palais royal.

    Il fronça les sourcils.

    — Au palais royal ?

    — Oui. C'est ce que j'aurais fait aussi, nous sommes en territoire allié, ici.

    — Parle pour toi...

    Elle rit et ils se mirent en route. Elle monta son cheval en Amazone et il se rendit compte que c'était la première fois qu'il la voyait ainsi. D'habitude, avec ses pantalons larges, elle montait comme un homme, mais ici...

    Ils gagnèrent le centre-ville ainsi que les quartiers nobles avec facilité, cependant là-bas on les arrêta. Les bourgeois, outragés par la vue de tels sauvageons avaient dû appeler les autorités.

    Alyn leur expliqua la situation en soupirant, mais les gardes ne voulurent rien entendre et les invectivèrent de faire demi-tour. Les deux partis commencèrent à s'énerver et la conversation se fit plus dure et plus sèche. Finalement, un garde attrapa la reine, descendue de son cheval pour parlementer, et il la força à avancer devant lui. Un autre prit la bride de la monture d'Egel tout en lançant à ce dernier un regard très clair sur le fait qu'il ne devait pas bouger.

    Ils avancèrent ainsi en direction du palais. Si c'était effectivement le but, le prince n'était cependant pas sûr que sa sœur ait réussi à négocier une escorte bienveillante jusque là. Ses lèvres se relevèrent en un sourire ironique – mieux valait en rire qu'en pleurer.

    Ils entrèrent dans le palais par une porte de service, et furent directement séparés de leurs chevaux et traînés jusqu'aux geôles. Alors que le garde refermait la porte sur eux, Alyn lui cracha ce qu'Egel devina être une insulte.

    — J'espère que ces gros pruneaux préviendront vite leur souverain, sinon ils vont voir ce qu'ils vont voir !

    — Tant de haine en toi, Alyn.

    Elle lui tira la langue.

***

    Près de deux heures plus tard, des pas se firent à nouveau entendre dans les escaliers par lesquels ils étaient venus. Alyn se redressa et fixa la porte qui s'ouvrait, les mains sur les hanches et tapant du pied. Toute son attitude criait un « Alors ? Je vous l'avais bien dit ! » Mais heureusement, elle se contenta de foudroyer les gardes des yeux, et n'ouvrit pas la bouche. Le soldat qui se tenait dans l'embrasure de la porte leur fit signe de le suivre, sans pour autant daigner de les libérer de leurs liens.

    Ils descendirent les escaliers de la tour du donjon et Egel ne put s'empêcher de retenir un sourire en voyant l'attitude de sa sœur. Elle se tenait la tête haute, comme si elle n'avait pas été la prisonnière ici, et qu'elle attendait de tout le monde qu'on lui obéisse au doigt et à l'œil. Quand ils vinrent à bout des marches, deux serviteurs se présentèrent à eux et les emmenèrent chacun d'un côté.

    Egel sentit une certaine appréhension à quitter sa sœur. C'était la première fois qu'ils se séparaient depuis qu'il avait cru la perdre aux mains des Salvyries. Il lui jeta un coup d'oeil, mais elle se lassait faire docilement, alors il soupira et l'imita.

    Le prince se retrouva dans une petite pièce pas très éclairée, et trop froide à son goût. Le serviteur lui tendit une pile de vêtements propres puis se contenta d'attendre. Si Egel avait déjà été gêné devant Mel, c'était encore pire ici, avec un autre homme qui le scrutait presque méchamment pendant qu'il se changeait. Il fut tout de même satisfait de sentir le savon plutôt que des quelconques odeurs sauvages de la forêt.

    Quand il fut prêt, on le guida jusqu'à une salle à manger. La table, énorme, trônait au centre de la pièce et était couverte de victuailles dont il n'avait plus osé rêver depuis le début de leur voyage. Cependant, ce n'était pas ce qui attira le plus son attention dans cette pièce : sa sœur. Sa sœur était méconnaissable. Alors qu'on le poussait à entrer dans la salle et s'asseoir à la place qui lui était destinée, – en bout de table, très loin d'Alyn qui occupait la place d'invité d'honneur auprès du roi – Egel ne pouvait pas détacher son regard d'elle.

    Elle était... belle. Pas qu'il eut jamais considéré sa sœur le contraire, mais il ne l'avait jamais vue apprêtée ainsi, avec une robe – une vraie – composée d'un corset et de jupes ainsi qu'avec du maquillage et tout le tralala. En fait, se corrigea-t-il, il n'était pas vraiment question de beauté, mais de différence. Il l'avait trouvée belle aussi la première fois où ils s'étaient rencontrés, puis il s'était habitué à son apparence. Toujours était-il que le rose pâle dont elle était vêtue et le maquillage à la dernière mode au Soudin la mettaient tout à fait en valeur.

    Le roi, de son côté, ne lui plaisait guère. Il avait un grand nez crochu comme un aigle – ou comme les sorcières, ce qui était moins flatteur ; – des yeux de fouines ; des lèvres au sourire carnassier, prêtes à dévorer ses invités tout cru ; un fin menton sur un long cou ; le tout monté sur un grand corps curieusement maigrichon, les épaules un peu voûtées vers l'avant. Egel lui aurait bien donné une soixantaine d'années, mais de ce qu'il en savait, le roi avait une dizaine d'années de moins que ça.

    Celui-ci reçut son dernier hôte avec un sourire qui sonnait faux, et quelques mots de bienvenue qu'Egel ne comprit évidemment pas. Il jeta un coup d'œil vers Alyn, pour qu'elle lui traduise l'échange, mais elle secoua doucement la tête. Elle était trop loin se dit-il à première vue. Mais alors qu'il s'asseyait, il devint persuadé qu'il y avait plus derrière cette histoire.

    Sa sœur, qui une heure auparavant, descendait les marches avec majesté, ne rayonnait plus du tout de la même manière. Déjà, elle portait une robe à la mode du Nord, alors qu'elle les appelait elle-même des « cages ». Il la connaissait assez pour avoir entendu un nombre incalculable de discours sur l'horreur que représentaient ces robes, en comparaison à la liberté procurée par celles qu'ils faisaient, en Amhura. Et puis comme si tout cela n'était pas déjà assez, elle ne baissait pas vraiment la tête, mais c'était tout comme. La fierté qui l'habitait en temps normal avait disparu.

    Le prince se servit de quelques succulents mets, tout en gardant son attention sur sa sœur et le roi. De toute manière, il ne comprenait pas les conversations autour de lui. Quand les desserts furent servis, il fut un peu déconcentré, mais repéra tout de même un rouleau de parchemin qui s'échangeait de mains en mains entre Alyn et le roi. Il fronça les sourcils. Peut-être que tout était normal. Peut-être que c'était l'usage entre ces deux souverains alliés. Mais peut-être pas...

    Quand le repas fut terminé, il sauta sur sa sœur dès la sortie. Ne sachant pas comment formuler ses interrogations, et surtout préférant éviter les oreilles indiscrètes, il opta pour un autre sujet de conversation.

    — Quelle est la prochaine étape ?

    — La première chose à faire, c'est de retrouver les autres. Ils sont venus ici, mais sans nous, tu penses bien qu'ils se sont fait renvoyés sans aucun scrupule.

    Elle baissa la voix :

    — Ensuite, direction Ferra, j'ai un bon contact là bas, un astrologue. Il nous aidera. J'espère.

    Il leva un sourcil et elle expliqua :

    — Nous n'avons aucune autre idée ! Et puis la pierre est divine, elle vient du ciel, c'est un astrologue, tu vois... Plus sérieusement, je ne sais pas ce que ça donnera à ce niveau là mais il pourra nous mettre sur une meilleure piste, il est très sage.

    — Je vois. Et pour retrouver les autres, on fait comment ? Ça pourrait nous prendre des mois !

    — Le roi a accepté de nous aider. Il s'excuse d'avoir renvoyé nos émissaires, et va donc charger ses hommes de les retrouver. Ils ne peuvent pas être bien loin. Et puis il financera aussi le reste de notre voyage.

    Cette déclaration laissa un goût amer dans la bouche d'Egel. Il se demandait quel avait été le prix à payer pour tout ces privilèges.


~~~NDA~~~

Alors, que pensez-vous qu'il s'est passé ? Moi je suis de l'avis d'Egel, c'est un peu louche tout ça...

Sinon, super heureuse de vous retrouver <3 N'hésitez pas à venir vous taper la papote avec moi aha

Votre déjantée rêveuse


Publié le 15/05/2020

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