22- Petite plume
Les chants cérémonieux résonnaient dans leurs oreille depuis près d'une heure. Les aventuriers étaient exténué, aussi bien physiquement, avec le travail effectué, que mentalement, avec le poids de la défaite sur les épaules. Egel aurait bien aimé être capable de détester les voix unies des Salvyrie, cependant, au vu de son état, il y trouvait à vrai dire un certain réconfort.
Enfin, cela s'arrêta. Une grande agitation régnait dehors, contrastant de manière violente avec la quiétude de la prière précédente. Quelqu'un ouvrit à la volée la porte de leur cellule. Egel reconnut avec une certaine surprise Myranda, la Salvyrie qui l'avait giflé. Il n'eut cependant pas le temps de s'insurger. Elle porta un doigt sur sa bouche, dans le geste du silence.
Elle avança avec détermination vers le prince, sortit un poignard, et coupa les liens qui le retenaient, puis passa ensuite aux autres prisonniers. La première pensée d'Egel fut qu'il venait de se faire sauver par une femme, et il sentit sa nuque se réchauffer. Ensuite, il pensa que sa sœur était bien évidemment une femme aussi, et qu'il n'aurait pas été gêné s'il s'était agi d'elle. Il devait simplement accepter qu'elle n'était pas un cas isolé, et que d'autres femmes étaient fortes et courageuses.
La jeune Salvyrie prononça quelques mots qu'Iddo traduisit :
— Je crois que quelque chose a mal tourné pendant la cérémonie. Euh... Alyn était celle qui devait accueillir l'âme de leur déesse mais... Il y a eu un imprévu et maintenant la déesse a prévenu ses croyants qu'elle était fâchée contre la reine et qu'il fallait la rattraper. C'est le bordel parce qu'elle s'en sort plutôt pas mal comme guerrière.
Egel n'avait pas eu le temps de se réjouir que sa sœur fut en vie qu'il devait déjà s'inquiéter pour elle. Il soupira et se tourna vers Myranda pour attendre des explications. Pourquoi les libéraient-elle ? N'était-ce pas un piège ?
— Je pense qu'elle nous délivre en espérant qu'en retour nous l'emmenions avec nous, elle veut découvrir plus que sa petite forêt et fuir certaines obligations, si je comprends bien...
Le prince accepta sans même consulter les autres du regard. Pour l'heure, il y avait urgence, ils aviseraient plus tard s'il le fallait.
Ils sortirent et Egel fit un pas pour partir à la recherche des femmes de la troupe mais Myranda l'agrippa par le bras et l'en empêcha. Ils se regardèrent un moment dans les yeux, chacun essayant de convaincre l'autre d'aller dans son sens. Le prince lut dans le regard de la jeune fille une peur sans nom, ce qui n'était toujours pas assez pour le dissuader. En revanche, l'arrivée de guerrières derrière eux le convainquit.
Ils coururent de toutes leurs forces jusqu'à une petite masure où Myranda les fit entrer. Elle fit signe de bouger le lit. En dessous était cachée une trappe. Pas besoin d'Iddo pour comprendre qu'elle voulait qu'ils y entrent. Cependant, Egel était réticent. Premièrement il se voyait mal abandonner sa sœur, et ensuite les passages secrets lui rappelaient maintenant une double peur : celle des insectes et le souvenir du meurtre de son père.
Non, décidément il ne pouvait pas entrer là. Il fit passer les autres puis il referma la trappe sur la tête de la Salvyrie qui ouvrit grand les yeux quand elle comprit ce qu'il faisait. Il replaça comme il put le lit par dessus l'ouverture et les autres eurent beau cogner contre le bois, cela ne changea rien. Il entendit quelqu'un dire qu'ils devaient partir et tant pis pour le prince s'il avait choisi de mourir. Il eut un pincement au cœur en reconnaissant la voix de son ami d'enfance mais se dit que finalement il préférait ça plutôt que de le voir se sacrifier pour le sauver.
Il prit un arc et des flèches qu'il avait repérés en entrant puis il ressortit. Dehors, un véritable carnage avait lieu et il se demanda comment cela était possible alors que les Méroviennes n'avaient qu'une seule et unique ennemie. Sauf peut-être si leurs femmes à eux avaient aussi réussi à s'enfuir, mais même dans ce cas, il doutait que les résultats puissent être aussi importants.
Au centre du village, l'estrade qu'ils avaient construit à la sueur de leur corps était en train de brûler. Il se dirigea de ce côté en supposant que c'était sa sœur qui avait causé la pagaille, et que remonter à la source du problème serait le meilleur moyen pour la trouver. Effectivement, il avait raison, mais ce qu'il vit le laissa sans voix. Plusieurs dizaines de femmes lançaient des flèches, des lances et même des cailloux en direction d'Alyn mais rien ne l'atteignait. Elle était entourée d'une fine membrane mauve qui s'illuminait dès qu'un projectile la heurtait, et il devina que c'était ce qui arrêtait les tirs. Par contre, elle n'empêchait pas Alyn d'interagir avec l'extérieur, ce qui faisait d'elle une combattante imbattable puisqu'elle pouvait frapper mais pas l'être.
Elle croisa le regard de son frère et hocha la tête gravement. Elle leva alors les mains au ciel et un rayon de lumière mauve jaillit et retomba par petites gouttes sur les attaquantes qui s'écrasèrent au sol, inconscientes. Seul Egel avait été épargné. Même Alyn s'était affalée. Effrayé, il s'élança vers elle en faisant fi des corps qu'il écrasait sur son chemin. Il tomba à genoux à ses côtés et tenta avec fébrilité de sentir son pouls. Ses mains tremblaient et il dut s'y reprendre plusieurs fois. Un soulagement énorme l'envahit quand il constata qu'elle respirait encore.
Il s'autorisa un moment de bonheur, puis se reprit. Toutes les guerrières étaient à terre et inoffensives, c'était le moment ou jamais pour chercher les femmes. Cependant, les flammes de l'estrade gagnaient du terrain parmi toutes les maisons de bois et il dut abandonner ses investigations pour s'occuper d'Alyn.
En grognant, il la souleva et la plaça en travers de ses épaules pour la porter. C'est qu'elle pesait son poids, songea-t-il.
Il tenta de gagner la maison qui menait au passage secret mais l'incendie lui barrait la route. La panique l'envahit à la vue de toutes ces flammes et de la fumée qui commençait à s'agglomérer près de sa tête. Il espéra aussi qu'en refermant la trappe il n'avait pas condamné ses amis à être enfumés, mais il ne voyait pas comment la laisser ouverte aurait pu améliorer la chose.
Il jeta un regard de consternation à toutes les Salvyries qui allaient mourir là, si ce n'était pas déjà le cas. Tant pis, se dit-il en se dirigeant vers la partie de la forêt qui n'était pas envahie par les flammes.
Il toussa quelques fois et pensa que son heure était venue, cependant la pensée de condamner sa sœur le poussa à avancer, un pas laborieux après l'autre. Il parvint finalement à mettre assez de distance entre eux et l'incendie pour pouvoir respirer normalement. Sachant très bien que s'il s'arrêtait il ne redémarrerait jamais, il continua de marcher.
Le soleil se couchait, les ombres s'allongeaient, avancer devenait de plus en plus difficile pour Egel, il avait les pieds traînants, les épaules douloureuses et le souffle court. Découragé de ne toujours pas apercevoir le moindre changement dans la composition des bois qui aurait annoncé qu'ils approchaient de la fin, il posa sa sœur au sol et s'assit. Son estomac le rappela à l'ordre, lui intimant d'aller chercher de quoi se nourrir.
Il se leva et chercha à reconnaître les fruits que Vladimir avait catégorisés de comestibles, mais la tâche était ardue. Il se souvenait que deux plants de baies se ressemblaient énormément, que la seule différence se trouvait sur leur feuille, l'un avait comme un duvet, l'autre pas, mais il ne savait plus laquelle des deux était un poison pour les humains. Il dut donc passer son chemin et continua de fouiller.
Finalement, il trouva quelques fruits mais il était content que les Salvyris leur aient donné de la nourriture bien consistante lorsqu'ils avaient construit l'estrade. Il mangea en silence, les seuls bruits autour de lui étant sa mastication, le souffle régulier d'Alyn et le bruissement du vent dans les feuilles.
Soudain, des bruits de branches écrasées se firent entendre. S'il crut d'abord à un animal, il dut désenchanter bien vite en entendant des voix. Et il ne s'agissait malheureusement pas de celles de ses compagnons... Il se coucha au sol près de sa sœur en espérant qu'ils passeraient inaperçus dans la pénombre. Son champ de vision limité lui permit de voir passer à quelque mètres seulement une dizaine de paires de jambes qui se dirigeaient vers là où ils étaient venu. Curieux, il bougea un peu pour tenter d'apercevoir leur visage. Il se figea quand il perçut quelqu'un se tourner dans leur direction. Il jura mentalement, s'invectivant pour son inconscience.
Il resta dans cette position inconfortable qui sollicita fortement ses abdomens pendant une minute et ce temps lui parut extrêmement long. Finalement un Salvyri donna une légère claque dans le dos de la femme qui scrutait les ombres et ils repartirent.
Le prince attendit un moment avant de vraiment pousser un soupir de soulagement. Il l'avait échappée belle ! S'il n'avait pas eu la bonne idée de déposer Alyn dans les fourrées, s'il n'avait pas pu tenir tout ce temps sans bouger ou si l'autre avait fait une étude plus approfondie, ils se seraient faits repérer à coup sûr. C'était une chance, songea-t-il, que les gens ne voyaient pas ce qu'ils ne s'attendaient pas à voir.
Quand il fut sûr et certain que toute menace était écartée, il se leva pour chercher un renfoncement où ils pourraient dormir. Il parcourut la forêt dans un rayon d'une vingtaine de mètres, n'osant pas trop s'éloigner d'Alyn et la laisser à la merci de n'importe qui alors qu'elle était évanouie, mais il ne trouva rien. Comme il ne se sentait pas le courage de porter sa sœur à nouveau pour trouver un endroit plus confortable, il décida qu'ils passeraient la nuit là.
Ce fut avec consternation qu'il contempla les jambes nues de sa sœur. Elle était seulement habillée de ce qui ressemblait de loin à une robe blanche. Il hésita un instant, car il ne fallait pas que lui-même meure de froid pendant la nuit... Il enleva sa veste, prit Alyn dans ses bras, puis les couvrit tous deux du vêtement et de quelques feuilles qui traînaient. Ce n'était pas grand-chose, mais c'était tout ce qu'ils avaient.
La nuit se déroula heureusement sans encombre, excepté le fait qu'au matin la rosée leur fit attraper froid. Alyn se leva en frissonnant, ce qui réveilla son frère. Elle le regarda avec de grands yeux pendant un moment avant de s'en écarter.
— Où sommes-nous ?
Elle se massa les tempes et Egel attendit qu'elle le regarde à nouveau pour lui répondre mais il apparut que relever la tête ne devait pas être dans ses intentions.
— Dans la forêt...
— Merci, je n'avais pas deviné !
Egel eut un sourire ironique : elle était déjà rétablie.
— Je n'en sais pas plus que toi en fait, l'incendie que tu as déclaré s'est propagé et je n'ai pas pu suivre les autres, j'ai du prendre une direction au hasard. Nous devons tenter de gagner Purba, qui était le point de rendez-vous en cas de séparation, si tu te souviens bien, mais je ne sais pas dans quelle direction c'est.
Alyn pinça des lèvres.
— J'ai faim, dit-elle.
Il lui désigna le tas de fruit récoltés la veille et haussa un sourcil : elle ne semblait pas dérangée plus que ça par le fait qu'ils fussent perdu au milieu de nul-part.
Il la contempla engloutir les fruits comme si elle n'avait pas eu à manger depuis qu'ils étaient partis, sans plus aucune trace de sa distinction royale. Cela le fit rire de la voir dans pareil était mais il se retint en imaginant le regard noir qu'elle lui décocherait s'il se moquait d'elle.
— Qu'est ce qu'on fait maintenant ? demanda-t-elle.
— Eh bien à moins que tu aies le Don de l'orientation, je suggère que nous continuions à marcher dans cette direction, la forêt n'est quand même pas indéfinie, nous finirons bien par en sortir...
La reine grogna.
— Une chouette journée en perspective...
Egel ouvrit la bouche pour demander ce qui s'était passé et si elle avait le trésor, mais finalement en voyant la mine renfrognée de sa sœur, il s'abstint. Ça pourrait attendre. Du moins un peu, car il était tout de même curieux !
~~~NDA~~~
(Préparez-vous à une longue NDA aha)
Hello ! J'espère que ce chapitre vous a plu ! Des théories sur ce qu'il s'est passé avec la déesse au juste ?
Sinon, comme vous savez, ce que vous lisez ici est le premier jet. Et dans le premier jet, les Salvyries étaient un genre d'Amazones. Sauf que maintenant dans ma tête, elles sont plus comme un peuple de vikings... Du coup, comme le chapitre a été retravaillé, il y a peut-être des incohérences entre les deux (genre les fruits en hiver aha), j'espère que ce n'était pas trop bizarre :/
Sinon, pour la petite histoire, de base j'avais prévu que les Salvyries soient des Amazones dans la vision qu'ont les autres peuples d'elles (avec les infos de la bibliothèque et tout^^) . Ça aurait représenté la vision qu'avaient les romains des « Amazones ». Sauf que selon certaines théories historiques, les « Amazones » n'auraient pas existé comme on les décrit. Elles seraient en fait de simples guerrières perses, chez qui c'est normal pour les femmes de combattre. Et les romains, qui n'avaient pas la même culture, aurait trouvé ça complètement dingue, et les auraient décrites comme un peuple matriarcal et sanguinaire !
Mais au final je n'ai pas insisté sur ça (voire plutôt le contraire, oupsi) et ça me semblait être beaucoup de changements, que je garderai donc pour la réécriture plutôt que pour cette correction :) Mais je vous le dis quand même aha
(Autre petite histoire ahaha, avant, on assumait le genre des squelettes en fonction de ce qu'il y avait avec eux, mais on a découvert plus tard que certains assumés hommes (parce qu'enterrés avec des armes etc.) étaient en fait des femmes ! C'est possible que plein soient passés à la trappe comme ça, et donc si ça se trouve, on a vu une grande partie de l'histoire de notre point de vue patriarcal à nous alors que ce n'était pas du tout le cas pour de nombreux peuples ! )
Voilà voilà, j'espère que ces petites infos vous auront plu aha !
Bisous,
Votre déjantée rêveuse
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