18- Un mauvais pressentiment
Un craquement réveilla Egel en sursaut. Il se leva plus vite que si on lui avait jeté un saut d'eau sur la tête et se figea dans une position d'attaque pour repérer son potentiel ennemi. Sans quitter les arbres des yeux, il se baissa et prit son arc à tâtons. Il en profita pour donner un petit coup de pied au compagnon qu'on lui avait attribué, un soigneur du nom de Vladimir, qui dormait toujours comme une marmotte malgré le vacarme qu'avait fait le prince en se levant. Il ouvrit un œil paresseux et demanda :
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— J'ai entendu un bruit suspect.
— C'était un animal, rendors-toi, nous avons beaucoup à faire aujourd'hui et il ne faudrait pas être fatigué pour cela...
Egel grogna. Ils avaient affaire au plus redoutable de tous les peuples, ils ne pouvaient pas se permettre de faire preuve de désinvolture. Alors que l'autre enfouissait la tête dans ses couvertures, le prince plaça la corde de l'arc en position de tir. Il fallait la faire passer de l'autre côté de la poupée en courbant l'arme pour avoir plus facile. Autrefois il l'avait fait avec une fausse corde parce que le faire simplement contre un arbre comportait le risque de se prendre une branche dans les yeux. Maintenant, il pratiquait depuis si longtemps que les gestes étaient devenus automatisme et qu'il ne risquait pas grand-chose. Une fois que ce fut fait, il encocha une flèche et positionna ses doigts sur la corde pour un tir rapproché, à une distance d'environ deux doigts. Il ne banda pas l'arc puisqu'il n'était sûr de rien, mais un mauvais sentiment l'assaillait.
Tout un temps passa sans qu'il ne se passe rien mais Egel n'osait pas relâcher sa garde, ce serait à ce moment là que ses ennemis feraient surface. Le plus patient d'entre eux l'emporterai. A ses pieds, Vladimir se mit à ronfler.
Le prince hésita à s'éloigner un peu pour voir si la menace était réelle, mais il craignait qu'alors on les attaquât séparément. Il fit un petit tour en gardant de vue son compagnon et il soupira en repensant au choix des groupes. Ils avaient pris parti de faire des groupes plus ou moins équitables, mais ils avaient considéré que lui savait se battre. Erreur. Il savait tirer à l'arc – même plutôt bien – mais il ne savait pas se battre. Vladimir non plus.
Il était d'ailleurs du genre inverse, soigneur jusqu'au bout des ongles : Egel le suspectait de ne blesser personne même si sa propre intégrité était en jeu. Il poussa un nouveau soupir et regarda vers le ciel. La luminosité augmentait et ils pourraient bientôt repartir. Il revint près de Vladimir et le secoua comme un prunier pour le réveiller. Celui-ci poussa un grognement puis eut un petit sourire ironique en voyant que le prince avait toujours son arc en main.
— Alors, tu m'as sauvé la vie d'une horde de Salvyries qui nous ont attaqués ?
— Ne rigole pas trop, elles n'ont peut-être pas osé approcher justement parce que j'étais menaçant...
Le soigneur éclata d'un rire franc. Correction faite, songea le prince, Vladimir ne faisait pas de mal physique, mais il était très blessant.
— Bon, marmonna-t-il. Prends tes affaires, on y va.
— On va où ?
Encore une fois, il ne voulait pas mal faire mais c'était un sujet sensible qui déclencha un serrement de cœur chez Egel. C'était une bonne question. Ils ne savaient pas où ils allaient, et c'était limite s'ils savaient ce qu'ils cherchaient... Mais c'était ainsi et il était trop tard pour faire demi-tour.
Ils déjeunèrent d'un pain qu'ils avaient acheté à Purba, déjà rendu sec par le voyage ainsi que de quelques baies trouvées sur les buissons à leur portée. Vladimir avait assuré qu'elles étaient comestibles. Si Egel avait d'abord été septique à se sujet, une fois qu'il y eût goûté, il finit par en manger un nombre irraisonnable.
Ils empaquetèrent ensuite leurs affaires pour repartir à l'assaut de cette forêt hostile. Ils marchèrent en discutant de la pluie et du beau temps, comme s'ils avaient décidé d'un commun accord de ne pas aborder le sujet chatouilleux de leur présence à cet endroit.
Ils s'enfonçaient comme ils pouvaient vers ce qu'ils supposaient être le centre des bois, où en toute logique ils trouveraient les villages des Salvyries. Le curieux sentiment de peur que le prince avait éprouvé au matin ne l'avait pas lâché depuis le temps et il se baladait toujours avec son arc, chose pour laquelle Vladimir n'arrêtait pas de se moquer.
Après environ une heure de marche, un bruit retentit un peu derrière eux, sur leur droite et les cheveux d'Egel se hérissèrent sur sa nuque. Il se retourna avec précipitation, tenta d'encocher une flèche qui tomba au sol avant d'enfin réussir. Heureusement leurs ennemis n'étaient pas très réactifs sinon ils seraient morts. Il se tut et écouta les bruits. Les seules respirations qu'il percevait était la sienne, calme, comme toujours quand il s'apprêtait à tirer, et celle de Vladimir, qui était saccadée. Il lui jeta un coup d'œil pour voir s'il tout allait bien ou s'il avait vu quelque chose et la vision qui s'offrit à lui le déstabilisa.
Le soigneur n'avait pas le souffle coupé par la peur mais bien par le rire et quand Egel se fut retourné, il avait explosé et se tapait maintenant la cuisse comme une forcené. Il n'arrivait pas à s'en remettre et repartait en éclat dès qu'on le pensait calmé.
Egel sentit le coup fourré à plein nez mais il ne dit rien, attendant qu'il se calme. Après trente secondes, il commença à expliquer.
— J'ai... c'est...
Son rire l'empêcha d'aller plus loin dans son développement mais le prince avait compris grâce à ses gestes. C'était lui qui avait lancé quelque chose dans les fourrées afin de l'effrayer. Il soupira d'aise avant de secouer la tête.
— T'es vraiment un gamin.
— Je redeviendrais volontiers un gamin si je pouvais encore voir ta tête ne serait-ce qu'une seule fois ! T'étais excellent, l'ami.
Egel pinça des lèvres, une habitude qu'il avait empruntée à Alyn. Il ne prit pas la peine de répondre et continua d'avancer.
— Rho, ça va, si on ne peut même plus rigoler ici...
— Figures-toi, que précisément ici, dans cette forêt froide et potentiellement pleine d'ennemis, je n'ai pas trop l'esprit à la rigolade.
Vladimir se rembrunit et Egel eut quelques remords à briser ainsi sa bonne humeur. Cependant il n'était pas sûr que le soigneur comprenne l'ampleur de son geste et il valait mieux prévenir que guérir.
Ils crapahutèrent sur des sentiers inexistants pendant plusieurs heures, toujours avec ce sentiment bizarre... Egel finit d'ailleurs par mettre le doigt dessus. C'était la même sensation que quand les professeurs regardaient ses écrits par dessus ses épaules. Ils étaient observés. Il jeta un coup d'œil derrière lui mais ne distingua rien de particulier. Il avança de quelques pas puis fit un demi tour si brutal que Vladimir lui fonça dedans. Mais rien. Toujours rien, alors qu'il sentait, qu'il savait qu'il y avait quelque chose.
A partir de ce moment, sa marche se fit encore plus stressée, il variait son rythme, se retournait aux moments les plus inattendus, faisait semblant d'avancer à nouveau avant de se retourner en vitesse. Le soigneur regardait Egel faire son cirque avec une certaine perplexité. Il en venait à se demander si on ne l'avait pas jumelé avec un fou.
Heureusement, Egel dut s'épuiser car il finit par arrêter. Il était aux alentours de midi et ils en profitèrent pour manger. Encore ce vieux pain, ainsi que de la viande séchée et salée à outrance, une croûte de fromage et de nouveau quelque fruits exotiques. Ceux-là apparurent cependant moins savoureux au prince qui n'en mangea que pour stopper sa faim, guère plus par plaisir.
Egel se proposa pour remplir leur gourde et il fit quelques pas en direction de la source près de laquelle ils s'étaient installés. Comme il était là, il forma une coupe de ses mains et bu l'eau directement ainsi, meilleure que dans les gourdes où à force de macérer elle prenait le goût du cuir. Le filet d'eau fraîche abreuva sa gorge comme aucune autre boisson ne pouvait le faire et il poussa un petit soupir de contentement.
— Egel !
Soudainement, quelque chose fit pression sur sa tête et il alla s'affaler dans le ruisseau de la source. Il n'eut pas le temps de remettre ses idées à place qu'on l'empoignait par le col de la tunique pour le balancer une deuxième fois à terre, dans la boue cette fois ci. Il traîna frénétiquement ses mains sur le sol dans l'espoir de retrouver son arc mais il l'avait en fait laissé près de Vladimir... Il n'eut pas le temps de s'en lamenter plus puisqu'un coup bien porté aux tempes l'assomma et le mit hors jeu pour le reste du combat, tout ça sans qu'il ait pu apercevoir ses agresseurs à un quelque moment.
***
Quand il se réveilla, il se trouvait assis et ligoté par terre. Il n'ouvrit pas les yeux tout de suite et tenta de se remémorer les événements qui avaient précédé sa capture. Du coin de l'œil, il avait parfois vu des silhouettes se mouvoir aussi vite que le vent. S'étaient-ils faits attaqués par des esprits de la nature ? Non, bien-sûr, il devait s'agir des Salvyries, qui d'autre ? Et Vladimir, comment allait-il ? Il était censé le protéger, et n'avait réussi qu'à ne pas suivre son avertissement, en croyant encore à une blague de sa part.
Maintenant, ils paieraient tout deux le prix de sa désinvolture, et encore, seulement si Vladimir n'avait pas déjà succombé. Il ouvrit les yeux pour s'assurer de la présence de son compagnon à côté de lui mais il ne vit rien. Il faisait trop sombre pour distinguer quoi que se soit. Alors, il se fia à ses sens. Sous ses culottes mouillées, il devinait de la terre battue. Ses mains, liées dans son dos, étaient contre du bois, et ils étaient probablement dans une pièce puisqu'il ne percevait pas le couvert des étoiles. Ou bien auraient-ils atteint une partie de la forêt qui fut si impénétrable ? Non, probablement pas... Il se concentra aussi sur les sons autour de lui, et après quelques secondes il fut capable de distinguer autre chose que les battements de son propre cœur. Il entendait aussi des respirations. Certaines étaient calmes et régulières mais d'autres étaient plus saccadées.
Il en conclut qu'il n'y avait pas que lui et Vladimir mais il ne savait pas s'ils étaient tous des prisonniers ou si des gardes se cachaient parmi eux. Il s'éclaircit tout de même la voix pour signaler sa présence. Il entendit plus qu'il ne vit les têtes se tourner vers lui. Bien. Au moins on ne le réprimandait pas tout de suite.
— Qui êtes-vous ? chuchota-t-il.
Des murmures se firent entendre jusqu'à ce que quelqu'un d'autre prit la parole.
— Egel ? C'est toi ?
Le prince reconnut la voix de son ami d'enfance qui était venu avec lui pour cette expédition. Cependant elle n'était pas tout à fait comme d'habitude, la douleur y avait trouvé sa place et la modifiait pour la rendre plus grave et plus sérieuse.
— C'est moi.
Une certaine agitation se fit ressentir. Ils discutèrent un peu et il s'avéra et que malgré leur stratégie, ils s'étaient quand même faits arrêter.
Egel pensa à quelque chose.
— Où est Alyn ?
Un silence pesant lui répondit.
— Elle est peut-être encore dans les vapes, dit une voix.
— Ou alors... Vous pensez qu'elle aurait pu leur échapper ? Elle sait se battre, peut-être mieux que moi, dit le prince.
Ce n'était pas vrai. Le « peut-être » n'avait pas lieu d'être, mais ce n'était qu'un demi mensonge, il espérait que les autres ne le savaient pas.
— Non. Elle était avec moi et c'est vrai qu'elle s'est défendue comme une harpie mais nous étions encerclés, pas moyen de s'échapper, même en étant le meilleur des guerriers. J'espère seulement qu'elle a fini par se rendre et non qu'elle se sera battue jusqu'à la mort, dit le vieux menuisier.
Le cœur d'Egel loupa un battement à cette pensée. Vite, songea-t-il. Faites qu'elle se réveille...
~~~NDA~~~
Mais non rassurez vous, elle ne peut pas mourir, c'est un personnage principal de l'histoire... Tout comme Telmar, voyez ! Ah mince, c'était la chose à ne pas dire X)
Sinon je suis super heureuse de vous retrouver ! J'espère que ce chapitre vous aura plu et que vous êtes prêts pour accueillir les suivants parce que les publications reprennent !!
Votre déjantée rêveuse
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