17- Un lourd fardeau à porter


    Ils allaient partir. Ils étaient une vingtaine et ils laissaient derrière eux tout ce qu'ils connaissaient pour aller de l'avant et tenter de sauver le monde. Amhuriens et Mirùniens. Nobles et membres du tiers-état. Hommes et femmes. Adultes et enfants.

    Quand Alyn avait annoncé son projet, elle ne s'était jamais attendue à recevoir autant d'aide. Les humains étaient des drôles de créatures qui voulaient tout pour eux sans jamais lever le petit doigt. Elle avait pensé que quelques personnes courageuses et intrépides l'accompagneraient, qu'il faudrait peut-être aller jusqu'à ordonner aux chevaliers de les accompagner. Mais non. Beaucoup s'étaient proposés et il avait fallu sélectionner ceux qui partiraient.

    Leur troupe d'aventuriers se composait d'elle-même, d'Egel et de Missor, il en allait de soi, ainsi que de chevaliers et soldats, d'un historien, d'une cartologue, de quelques soigneurs, d'un vieux menuisier et de son fils, d'intendants à la cuisine, d'un barde, d'une palefrenière et d'une botaniste. Des gens foncièrement bons prêts à se sacrifier pour la survie des autres.

    Ce qui ennuyait d'autant plus Alyn. En effet, ils se rendaient chez les Salvyries et il y avait peu de chance qu'ils s'en sortent tous vivants. Le poids de chaque mort pèserait à jamais sur les épaules de la reine, qui les avait entraînés dans cette aventure. Sans en être persuadée pour autant, elle se dit une énième fois que cela était nécessaire, que c'était un mal pour un bien.

    La reine donna une dernière poignée de bras à son oncle qui gouvernerait désormais sur Mirùn. Ils se contemplèrent comme deux soldats, deux hommes forts que rien ne pouvait faire flancher. C'était ce que le peuple voulait et c'était surtout ce dont avaient besoin les aventuriers avant de partir. Mais dans leur intimité, le roi souffla quelques mots au creux de l'oreille de sa nièce.

    — Je crois en toi. Fais pareil.

    Ils se sourirent et se lâchèrent.

    Alyn enfourcha son cheval et donna ainsi le départ de leur convois. Elle ne regarda pas en arrière. Elle emportait avec elle la seule famille proche qu'il lui restait et tous ses espoirs. Elle avait déjà quitté son royaume. Plus rien ne la retenait.

    Du coin de l'œil, elle vit qu'il n'en était pas de même pour Egel. Ses mains se faisaient hésitantes sur les rênes et il ne cessait de se retourner. Alyn n'était déjà pas totalement certaine que l'emmener fût la meilleure des idées, alors il fallait vraiment qu'il prenne cette décision de les accompagner sans qu'elle ne l'influence.

    Elle s'inquiétait pour lui. Tantôt il se portait comme un charme tantôt il sombrait dans une humeur obscure sans que rien ne puisse l'en sortir. Il tentait d'oublier la mort de son père mais les souvenirs continuaient de l'accabler. Il ne voulait pas en parler.

    Quand il rechutait ainsi, c'était comme si son âme quittait son corps. Soit il se traînait, amorphe et taciturne, soit il était pris de crises de violence. C'était pour cela qu'Alyn avait eu quelques doutes, qu'elle avait pensé à le laisser au château. Parce qu'il pouvait se révéler être une menace contre la réussite de leur mission.

    Finalement elle avait décidé qu'il ferait lui-même ce choix. Peut-être que l'aventure et le fait de changer d'air l'aideraient. Et peut-être aussi que ça lui ferait du bien à elle de savoir son frère à ses côtés. Ils n'avaient pas grandi ensemble, ils ne se côtoyaient que depuis quelques mois pourtant elle s'était beaucoup attachée à lui.

    Si elle ne le rejoignit pas, elle lui adressa quand même un sourire réconfortant. Il le lui rendit et avança d'un air plus sûr.

    Ils traversèrent d'abord avec difficulté toute la ville d'Ytto puis les hameaux autour et enfin la campagne. La nouvelle qu'ils partaient pour sauver le monde s'était répandue comme la peste. Même dans les petits villages les gens sortaient ou arrêtaient le travail aux champs pour voir passer la troupe et l'acclamer.

    La reine devinait bien que tous ceux qui l'accompagnaient se sentaient comme de valeureux héros et qu'ils étaient fiers de cette reconnaissance qu'on leur accordait. Cependant, elle-même se devait de garder son sens pratique et elle espérait que la nouvelle n'ait pas franchi la frontière du pays. Il n'aurait pas fallu que des ennemis se mettent en tête qu'ils pouvaient trouver le Trésor de Bargor. Qui savait ce qu'ils auraient demandé alors ?

    Quand le soleil commença à se coucher et qu'il fallut trouver un endroit pour dormir, Alyn s'approcha de leur cartologue, Lisa.

    — Sais-tu où nous sommes ?

    — Bien-sûr, jusque maintenant c'est très facile, nous sommes toujours en Mirùn et c'est le pays le mieux cartographié de toutes les cartes que je possède.

    — Cela veut dire que dès que nous serons en dehors du pays nous aurons du mal à nous repérer.

    — Non, non, ne vous inquiétez pas, majesté. Je connais mon métier tout de même.

    Alyn hocha la tête sans trop de conviction.

    — Et sommes-nous à l'endroit qui a été estimé ? Avons-nous bien avancé selon les plans établis ? demanda-t-elle en pinçant les lèvres.

    — Aucun souci à se faire de ce point de vue là non plus.

    — Pas le moindre ? Nous sommes exactement là où nous devions l'être ?

    Lisa pointa du doigt un village.

    — Quand nous arriveront là bas pour dormir, oui.

    — Bien. Merci.

    La jeune femme inclina légèrement la tête puis battit en retraite.

    Quand ils arrivèrent aux portes du village, on les attendait déjà et ils furent accueilli comme il se devait. On les mena dans une petite auberge et ils se virent offrir un ragoût et du vin.

    Pour les Amhuriens, les plats Mirùniens étaient décidément bien fades. Ils déplorèrent cela en silence, en échangeant des regards lourds et des petites grimaces. Cependant, ils ne se plaignirent pas à leurs hôtes. Il fallait garder les épices qu'ils avaient soigneusement emportées pour plus tard, quand le trajet serait plus dur. Mis à part ce petit désagrément du côté des Hommes du désert, le repas se déroula bien, dans un brouhaha qui traduisait la bonne humeur générale.

    Quand vint l'heure de dormir, les femmes héritèrent d'une salle et les hommes d'une autre. La reine instaura des tours de garde pour être certaine qu'on ne leur volerait rien, ils auraient besoin de tout ce qu'ils avaient emporté.

    Ils se levèrent au lever du soleil le lendemain et repartirent dès qu'ils eurent mangé.

    Ils n'avançaient pas depuis une heure que les jérémiades de Missor se firent entendre. « J'ai mal aux pieds ! » disait-il une fois. « J'ai faim », « J'en peux plus », « Je veux faire une pause » suivaient ensuite, avant qu'il ne recommence le tout. Il semblait avoir une énergie infatigable pour se plaindre. Alyn finit par le rejoindre. Elle prit son ton le plus doucereux et dit :

    — Je comprends que tu souffres. Nous sommes partis depuis tellement de temps, nous ne pouvons même pas monter les bêtes sans arrêt et en plus, quand bien-même nous le faisons, ça fait mal aux jambes... Ça doit être encore plus dur pour toi qui n'a jamais expérimenté cela auparavant.

    Le petit dieu, qui ne comprenait pas encore toutes les subtilités de la langue et du non-dit, hocha la tête avec véhémence.

    — Tu voudrais t'arrêter un peu ? Retourner au château ?

    Ses yeux de chiens battus auraient presque donné des remords à la reine. Presque. Il ne fallait pas l'embêter. Elle reprit :

    — Dans ce cas pas de problème, tu peux rester ici.

    — Merci !

    Elle fit demi-tour et poursuivit sa route vers la forêt du Nord. Après un petit moment de flottement, les autres la suivirent. Elle vit que Missor avait compris : Il pouvait rester là et rentrer au château s'il le voulait mais il serait tout seul. Il ne fit pas pour autant le moindre geste signifiant qu'il se remettrait en route. Alyn jugea de l'œil tout l'équipement que portait le cheval du garçon et ordonna qu'on le lui reprenne.

    — Tu es devenue folle ma parole ! dit Egel mi-affirmatif mi-interrogatif.

    — Qu'est-ce qu'il y a ?

    — Mais il est le gardien du trésor voyons ! Nous avons besoin de lui, on ne peut pas l'abandonner sur le chemin comme ça !

    Elle haussa les épaules.

    — Tu peux rester avec lui si l'envie te dit. Moi je continue.

    Sur ces entrefaites, elle détourna la tête pour signifier la fin de la conversation. À sa grande satisfaction, son frère fit le choix de rester avec elle.

    Environ une demi-heure plus tard, ils entendirent des petits pas rapides claquer contre les pavés de la route et ils virent apparaître une tignasse brune entre les chevaux. Missor soufflait comme un bœuf. D'un geste de la tête, Alyn lui fit remettre son cheval.

    — Tu savais ! l'accusa Egel. Tu avais prévu !

    Elle lui fit un clin d'œil et rigola sous cape. Cependant Missor avait mis un peu plus de temps à réfléchir qu'elle ne l'avait estimé. C'était bizarre. Il n'aurait pas du hésiter tant. Elle avait encore une fois une drôle d'intuition avec lui...

    Le reste de la marche se déroula sans autres incidents. Ils parcoururent la campagne Mirùnienne, dormirent dans des auberges, dans les maisons où on voulait bien les accueillir ainsi qu'à la belle étoile. Bien que ce fut nettement plus agréable que la traversée du désert, c'était tout de même un voyage harassant, et surtout c'était long. Tous les jours se déroulaient de la même manière : on se levait à l'aurore, on déjeunait de fruits ou de fruits-secs ramassés sur le chemin ainsi que d'une bouillie d'avoine, on se mettait en route en alternant le trot et le pas, ainsi que le cheval et la marche et on avançait jusqu'au soir. Les paysages défilaient : tantôt cultures et champs, tantôt les montagnes à l'horizon, tantôt forêt, tantôt rivière dont il fallait trouver un guet pour traverser. Malgré cela, ils avaient l'impression de ne pas progresser, de marcher sans jamais arriver nulle-part.

    Heureusement, ils finirent par arriver à la frontière avec le Soudin et de là il ne leur fallut plus que quelques jours pour rejoindre Purba, la dernière étape majeure qu'ils faisaient avant de prendre d'assaut la Forêt du Nord et donc le peuple des Salvyries. Ils se rendirent au ranch et y laissèrent leur chevaux pour une grasse somme d'argent : ceux-ci seraient plus un fardeau qu'autre chose dans les bois épais. Au grand dam d'Alyn, ils durent aussi échanger leur vêtements contre d'autres, mieux adaptés au froid. L'hiver était censé se retirer, pourtant c'était comme si le fait de monter vers le nord enrayait ce principe naturel. Il faisait toujours au moins aussi froid que quand ils étaient partis et on les avait prévenu que ça serait encore pire dans la forêt. Elle en grinçait déjà des dents.

    Ils logèrent à Purba puis repartirent aussi vite qu'ils étaient arrivés. À partir de ce moment, une tension commença à se créer dans la troupe. Les gens qui avaient appris à se connaître et à rigoler ensembles se taisaient désormais.

    Les villages se faisaient très rares et les paysans avaient les traits tirés et des manières hostiles. L'influence des Salvyries se sentait quand bien même ils n'étaient pas encore sur leur territoire.

    Alyn commença à craindre que la stratégie qu'ils avaient mis au point ne soit plus la bonne. En discutant avec d'autres, elle se rendit compte que beaucoup partageaient cette peur.

    — On devrait faire bloc et entrer tous ensemble pour les battre. Séparés comme c'est prévu, nous serions plus vulnérables. L'union fait la force, dit Lisa.

    Quelqu'un émit une objection :

    — Non, elles nous entendraient plus facilement et en plus, si nous sommes pris nous sommes tous pris, pas d'autre espoir.

    — Et si nous les attaquions par derrière ? proposa Aymeric. D'ici, elles contrôlent tout jusque la mer. À mon avis, une offensive par là ne doit pas arriver souvent et elles ne seraient pas prêts à se défendre correctement.

    — Ça prendrait trop de temps de gagner un port, de trouver un bateau, un équipage et de prendre la mer. Par contre, nous pourrions en envoyer quelques uns d'entre nous faire une diversion d'un côté de la forêt pendant que les autres prendront d'assaut l'autre.

    Plus personne n'avait d'objection alors ils levèrent la tête vers la reine pour guetter son assentiment.

    — Non. Cela serait une mission suicide et je ne l'accepterais pas.

    — Je veux bien me sacrifier, dit le vieux menuisier.

    — J'ai dit non.

    Ils discutèrent encore un moment et la conclusion fut que les conseillers qui s'étaient penché sur l'affaire avaient probablement choisi la meilleure option possible. Le lendemain, ils se répartiraient donc par groupe de deux pour pénétrer dans les bois à divers endroits stratégiques.

    Alyn leva les yeux au ciel et adressa une longue prière aux dieux qui lui semblaient les plus appropriés. À Elyes elle demanda la victoire, à Mishu et à toutes ses filles elle implora l'aide de la nature, à Shasta la sagesse militaire, à Vernouth la bonne fortune et enfin, elle chargea Lonn de veiller sur eux en tant qu'équipe et en tant qu'héros. Quand elle eut fini, elle avait dépassé le cercle du raisonnable, mais il leur faudrait bien toute cette aide pour trouver le Trésor de Bargor. Trésor dont ils ne connaissaient même pas l'apparence. Elle grinça des dents et lança un regard assassin à Missor qui venait de les prévenir. Au moindre prochain faux pas elle se ferait une joie de l'éjecter de la troupe avec un grand coup-de-pied aux fesses.


~~~NDA~~~

Si j'étais lectrice, je me dirais assurément qu'il y a quelqu'un de louche dans cette histoire... Mais qui ? Plutôt Alyn ou Missor ? L'avenir nous le dira !

Votre déjantée rêveuse


Publié le 7 octobre 2018

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top