14- Un ours mal-léché


    Egel regarda Alyn partir en courant sans trop comprendre. Il lui fallut un temps de réaction durant lequel elle s'éloigna encore plus. Elle semblait presque voler au dessus du sol. Enfin, il se ressaisit, empoigna une pierre de soleil et se lança à sa poursuite. Il était guidé par le bruit de ses pas mais dut accélérer la cadence quand il se rendit compte que ceux-ci s'éloignaient considérablement.

    Bientôt, il se retrouva à une intersection. Seul, sans plus rien pour le guider. Il hésita puis opta pour tourner plutôt que de continuer tout droit. Un cri strident le confirma dans son choix. C'était Alyn ! La voix était féminine et il supposait autant qu'il l'espérait qu'elle était la seule femme dans ce labyrinthe souterrain. Il fonça dans cette direction.

    Un autre tournant se présenta à lui. Des bruits de lutte et des grognements parvinrent à ses oreilles. Il ralentit, reprit son souffle. Était-ce vraiment une bonne idée d'interférer dans le combat ? Il secoua la tête. Évidemment qu'il le devait, sa sœur était peut-être en danger.

    Il prit son arc pour y encocher une flèche. Egel n'avait jamais fait partie des combattants, n'avait jamais joué avec des épées de bois petit et aurait bien du mal à en soulever une véritable actuellement. Cependant, le tir à l'arc était son domaine. Il prit une inspiration, banda l'arc et franchit les derniers pas qui le séparaient de l'action.

    Une vue épouvantable se présenta à lui. S'il avait tenu un poignard plutôt que son arc, il l'aurait lâché de stupeur. Alyn était plaquée au sol par une bête, probablement un ours. Son arme était hors de portée.

    Le sang du prince ne fit qu'un tour dans ses veines. Non ! Il refusait qu'elle meure ! Surtout pas alors qu'ils avaient appris à se connaître et qu'il voyait de plus en plus une grande sœur en elle.

    Il visa, un peu plus haut qu'il ne l'aurait fait habituellement. Il ne fallait pas qu'il blesse Alyn si par accident son tir déviait. Ensuite il relâcha la pression. La flèche partit dans les airs et le temps sembla s'arrêter autour d'elle. Son sifflement se répercuta contre les murs du tunnel avant de finir dans un « Clang ». Raté. La vue d'Egel se brouilla.

    Il vit une immense griffe se poser contre la gorge d'Alyn. Il eut peur qu'il ne soit déjà trop tard, faillit tout abandonner. Cependant, son corps, mu par des années d'entraînement, prit le dessus et bientôt le prince se retrouva à nouveau dans l'angoissante attente entre le moment où la flèche partait et celui où elle arrivait.

    Dans le noir, il devina une poutre dans la trajectoire du projectile. Il jura. C'en était fini. Il n'y aurait pas de troisième essai. Il ferma les yeux. Tchack. Les rouvrit. La bête poussa un hurlement sauvage. Il s'autorisa un petit sourire, se précipita aux côtés de sa sœur. Elle était vivante ! Sa seule blessure n'en était pas une, il ne s'agissait que d'une égratignure. Il vit quelque chose tomber sur son visage et ce ne fut qu'à ce moment qu'il s'aperçut qu'il pleurait. Il pleurait de soulagement ! Il approcha son visage contre celui d'Alyn et frotta son nez contre le sien. Elle semblait on ne peut plus surprise mais ne se déroba pas. Un sourire reconnaissant finit par éclater sur ses lèvres aussi.

    Quelque chose remua près d'eux. Le prince se rappela qu'une unique flèche aurait probablement eut du mal à percer complètement la peau d'un ours jusqu'à réussir à le tuer. Il se leva.

    — Comment as-tu pu ?

    C'était une voix sifflante qui venait de parler. Elle semblait avoir de la difficulté à respirer et même à s'exprimer correctement. L'esprit d'Egel ne voulait pas enregistrer la réalité telle qu'elle était. Les ours ne parlaient pas, si ? Il s'approcha à petits pas, sachant déjà qu'il le regretterait.

    En fin de compte, la bête était peut-être un peu petite pour un ours. Il continua de se rapprocher, se baissa pour être à son niveau.

    — Tr...

    Elle s'interrompit pour tousser et cracher du sang.

    — Traître !

    C'était un humain, devina Egel. Encore une fois, son esprit n'assimilait pas ce qui était pourtant clair. Il jeta un coup d'oeil interrogateur à Alyn qui secoua la tête d'un air désolé. Le bras tremblant, le prince fit luire une pierre de soleil près de sa victime.

    Un haut le cœur le saisit. Son père. Mais ce n'était pas possible, il était parti en éclaireur, il devait être plus loin... Et puis Telmar n'était pas de ceux qui mouraient aussi facilement.

    Celui-ci poussa pourtant un dernier gargouilli incompréhensible et rendit l'âme.

    Egel ne chercha pas à le retenir de s'écraser au sol, il ne le prit pas dans ses bras dans le vain espoir de le ramener à la vie. Il ne fit rien de cela parce qu'il était complètement paralysé. Son cerveau dysfonctionnait. Une seule phrase venait à lui, tel un mantra, de plus en plus fort et de plus en plus vite. Il se mit même à la murmurer, et finit par la crier :

    — Je l'ai tué ! J'ai tué mon père !

    Quand Alyn s'approcha et l'enserra dans ses bras, ses paroles moururent dans sa gorge. Des insectes leur montaient dessus, mais il n'en avait cure. Quelle était l'importance des insectes quand on venait de tuer son père ? Il s'aperçut tout de même qu'Alyn les chassait de ses vêtements. S'il ne venait pas de tuer son père, il aurait apprécié. Les larmes recommencèrent à couler le long de son visage, sous forme d'un flot torrentiel. Cette fois ce n'était plus par joie. Il avait tué son père.

    — Allons-nous en, dit Alyn d'une voix hésitante. Tu ne veux plus voir son cadavre.

    Il se dégagea de ses bras, s'approcha encore de la dépouille et lui ferma les yeux. Il prononça quelques mots pour recommander son âme à Lys et il sécha ses propres larmes.

    Ils se levèrent et recommencèrent à marcher. Egel ne savait pas où il allait, ni si Alyn elle-même savait mais cela lui importait peu. Par contre la voir marcher ainsi, droite et fière... cette vue lui était insupportable. Il grogna et la plaque contre le mur.

    — Pourquoi tu as attaqué mon père ?

    — Egel...

    Elle ne se débattait pas. Il la relâcha, regardant ses mains avec horreur. Ce n'était pas elle qui avait fait le premier pas dans le combat, il le savait pertinemment. C'était peut-être encore pire ainsi, il ne pouvait pas la blâmer elle, il ne pouvait s'en prendre qu'à lui.

    — Pourquoi es-tu partie en courant ? demanda-t-il, la tête toujours baissée.

    — Te le dire reviendrait à bafouer la mémoire d'un mort.

    — Réponds, que je ne pense pas du mal de toi, vivante.

    Elle prit une inspiration.

    — J'ai pensé que comme le médaillon avait été utilisé, Telmar n'aurait plus besoin de nous pour accéder au trésor. J'ai eu peur qu'il ne nous mette hors-jeu.

    — C'est possible.

    Ils se regardèrent.

    — Et la suite ?

    — Tu as assisté à presque tout. Il avait dû m'entendre et quand j'ai déboulé après ce tournant il m'attendait de pied ferme. Il a eu l'avantage de la surprise. Je suis désolée, ajouta-t-elle après un silence.

    — Comment allons-nous accéder au trésor maintenant ?

    — Avec tout ce que nous avons déjà marché... nous ne devons plus être loin maintenant. Donc nous continuons dans la même direction que Telmar, en espérant que les dieux soient avec nous pour guider nos pas.

    Il hocha la tête et il se remit en route. Alyn marchait devant. Un silence pesant régnait. Pas le genre de silence révérenciel qu'ils avaient connu en entrant dans les souterrains, non celui-là était plutôt de l'ordre du gênant. Ils étaient désormais bien loin de la brève fusion qu'ils avaient connu à un moment. Il ne savait plus trop s'il considérait encore Alyn comme sa sœur. Mais s'il ne le faisait pas il ne lui restait plus personne sur qui compter. Il décida qu'elle l'était toujours. Elle ne l'avait pas abandonné, elle.

    Le prince marchait en traînant les pieds, il s'agissait plus d'un automatisme que d'un acte conscient. Il ne sut pas combien de temps il avança ainsi. Son esprit était absent, il s'était retiré dans un réflexe de survie, laissant le contrôle au corps pour ne pas qu'il devienne fou à ressasser ce qu'il s'était passé. Le noir régnait autour d'eux, de plus en plus sombre et froid lui semblait-il.

    Alyn grogna.

    — Les pierres de soleil se déchargent petit à petit. Et pour l'amour des dieux, j'ai l'impression que c'est la troisième fois que nous passons par ici !

    Le prince cligna des yeux quelques fois et releva la tête vers elle.

    — Tu n'en es pas sûre ?

    — Non, tout se ressemble. Et je pensais que nous aurions laissé des traces sur notre passage, mais c'est comme si elles avaient disparu depuis que nous en avons besoin.

    — Un labyrinthe infernal...

    — Que dis-tu ?

    — Rien, je pensais tout haut.

    Il avait déjà lu des légendes à ce propos. Par un quelconque sortilège, il était impossible de sortir du dédale, à moins que celui-ci ne l'aie décidé. Il n'y avait jamais cru. Cependant, désormais qu'il se retrouvait lui-même coincé dedans, il commençait à revoir sa vision des choses. Il ferma les yeux, écouta. Tout ce qu'il perçut fut leur respiration à tous les deux ainsi que le tapotement énervé du pied d'Alyn. Les murs ne bougeaient pas. Cela était d'ailleurs impossible en toute logique, avec le château qui se tenait au dessus d'eux.

    Par contre, peut-être étaient-ils influencés pour emprunter une direction plutôt qu'une autre. Alyn faisait de son mieux pour les guider mais en vérité elle ne savait pas ce qu'elle faisait. Lui-même avait un bon sens de l'orientation, pourtant il se suspectait d'être défaillant à ce niveau, privé du soleil et des repères habituels.

    Il fit rouler une pierre entre ses doigts. Dans les contes qu'il connaissait, les héros laissaient derrière eux des cailloux ou une bobine de fil qu'ils déroulaient au fur et à mesure de leur avancée. L'idée était de marquer leur chemin pour ne pas emprunter plusieurs fois les mêmes passages. Alors, l'illumination se présenta à lui ! Il s'abaissa.

    — Qu'est-ce que tu fais ?

    Il ne répondit pas et approcha du mur la pierre de soleil qu'il avait en main. Il gratta, d'abord avec hésitation puis avec de plus en plus d'ardeur. Alyn s'abaissa à sa hauteur et le regarda faire. Ils virent apparaître une fine trace d'abord, puis une marque et enfin une fine ligne gravée.

    La reine se releva et tapota l'épaule d'Egel avec une certaine maladresse.

    — Nous pleurerons la mort de ton père comme il se doit une fois sortis de cet enfer. En attendant, je suis contente que tu te sois repris !

    Il sourit faiblement, probablement pas assez pour qu'elle puisse le voir.

    — Comme ça même si les pierres s'éteignent complètement nous pourrons toujours sentir les marques. Il faudra juste veiller à les faire toujours au même endroit.

    Elle hocha la tête.

    Ils se remirent en route avec un regain de vitalité qui se perdit bien trop vite à leur goût. La nouvelle technique leur demandait un temps certain et tout ce qu'ils avaient gagné était le fait de savoir le nombre de fois qu'ils avaient déjà emprunter tel ou tel couloir – nombre important et donc décourageant.

    Alyn pesta.

    — Tu sais, le trésor se trouvera dans tous les cas au bout du dernier couloir que nous emprunterons, dit son frère.

    Sans même la voir, il devina le regard farouche qu'elle lui lança en guise de réponse. Il sourit, il avait découvert que contrairement à ce qu'elle tentait de faire croire, la patience d'Alyn avait ses limites, et qu'il ne fallait pas longtemps pour que celles-ci soient atteintes. Elle n'aimait pas ne pas avoir le plein contrôle sur tout. Attendre à ne presque rien faire la dérangeait, elle aurait voulu tout avoir en un claquement de doigt. Pour autant, il ne pensait pas qu'elle fut fainéante, au contraire, elle aurait sûrement fait beaucoup si seulement elle savait quoi faire exactement.

    Pour sa part, lui n'avait aucun problème à patienter et à se contenter de répéter toujours les mêmes gestes. Il s'estimait assez pragmatique. Ils finiraient bien par arriver donc il n'y avait pas de raison de râler.

    Les deux aventuriers déambulèrent ainsi dans le souterrain, faisant demi-tour au gré des culs-de-sac et marquant de plus en plus de pierres.

    — Bon, dit Alyn. Ça fait un moment que nous marchons sans tourner maintenant, peut-être sommes-nous proches !

    Le prince secoua la tête.

    — Ne t'emballe pas trop vite, ça ne serait pas la première fois qu'on vit cette situation.

    — Quel pessimiste, bon sang !

    Pourtant, il se prit à marcher d'une cadence accélérée. Il n'osait pas l'avouer mais l'espoir le gagnait lui aussi. Plus ils progressaient dans ce tunnel rectiligne, plus il osait y croire et plus il avançait vite encore. Ils finirent tous les deux par courir. Alyn était plus rapide et elle le devança. Quand il la rattrapa, le souffle court, elle était arrêtée.

    Devant eux ne se dressait pas un autre cul-de-sac mais un mur différent. Egel le sentit plus qu'il ne le vit. Une puissance certaine se dégageait de cette paroi. Ils étaient au bon endroit ! Il tendit leur dernière pierre de soleil allumée à bout de bras pour découvrir un chef d'œuvre. C'était une porte de fer sculpté qui leur barrait la route.

    Le forgeron ayant réalisé ce travail devait être un véritable maître ! Des rubans de fer s'enchevêtraient les uns dans les autres pour former une barrière impénétrable mais totalement élégante. Après avoir observé autant de détails qu'il le pouvait, Egel s'éloigna un peu pour avoir une vue d'ensemble. Cela lui coupa le souffle. Le motif formé par les rubans était un « B » calligraphié et entouré de roses.

    Le Trésor de Bargor. Plus de doute, ils y étaient.

    Au centre de la porte, il découvrit une petite cavité. À ses côtés, Alyn remua. Elle empoigna le médaillon et ils contemplèrent tous deux sa lumière verte avant qu'elle ne l'enchâsse dans le trou prévu à cet effet. Elle recula.

    Alors, sous leurs yeux, les rubans commencèrent à frémir, à bouger, à se démêler pour s'enrouler aux extrémités. Le « B » et ses roses se déformèrent pour finalement disparaître et laisser derrière eux une simple porte en métal, poignée découverte.

    Egel et Alyn échangèrent un regard, leurs yeux grands ouverts par la stupéfaction. Elle hocha la tête, se rapprocha de la porte, agrippa la poignée à pleine main et l'abaissa d'un geste déterminé.


~~~NDA~~~

C'est pas très cool tout ça. Non seulement son papa est mort mais en plus c'est Egel lui-même qui l'a tué. Franchement, les auteurs sont sadiques ! Si ça ne tenait qu'à moi... Oups c'est de ma faute aha ! Bon alors, disons qu'après l'effort vient le réconfort, le prochain chapitre c'est le Trésor de Bargor, je ne vous ferai pas languir plus !!! (Quoique...)

Votre déjantée rêveuse


Publié le 2 juillet 2018

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