13- Dans les souterrains


    Alyn ne dormit pas bien cette nuit là. Son esprit ne pouvait s'empêcher de vagabonder à l'idée du trésor qu'ils allaient bientôt trouver. Du moins s'ils y parvenaient.

    Voilà, c'était ça le problème. Elle craignait qu'ils n'y arrivent pas, que tous ses espoirs soient vains. Et si il ne s'agissait que d'une immense farce ? Le pessimisme d'Egel l'avait contaminée.

    Elle se réveilla bien avant l'aube et ne réussit à se rendormir. Elle resta couchée sur le dos, les yeux ouverts, à contempler le vide. Plutôt que d'imaginer ce qui arriverait s'ils ne le trouvaient pas, elle choisit de penser au contraire. S'ils le trouvaient – quand ils le trouveraient ! – de quoi aurait-il l'air ? Aurait-il une forme matérielle ? Ou bien serait-ce un dieu qui lui murmurerait à l'oreille pour l'interroger sur son vœux le plus cher ? Serait-ce instantané ou la réalisation prendrait-elle du temps ? Combien ?

    La jeune femme soupira. Elle voulut se lever et attraper un bon livre pour se changer les idées seulement elle n'était pas chez elle. Le froid ambiant le lui rappelait bien, d'ailleurs.

    Soudainement, une idée la frappa. Et si Telmar profitait de la nuit pour s'enfuir et chercher seul le trésor ? Elle s'était redressée dans son lit. Non, se dit-elle, c'était impossible. Il lui fallait le médaillon et c'était elle qui l'avait. Elle voulu s'en saisir pour se conforter dans cette idée, seulement plus elle fouillait les tissus de sa robe de nuit et plus le temps passait sans qu'elle ne trouve le bijoux.

    Non ! Il n'avait tout de même pas pu lui prendre ! Elle avait le sommeil léger, elle l'aurait senti.

    Il ne lui fallut pas une seconde de plus pour sortir prestement du lit. Elle eut un doute en ouvrant la porte. « À droite » lui souffla son instinct. Elle courut comme si sa vie en dépendait et c'était d'ailleurs un peu le cas.

     Mais alors qu'elle était prête à défoncer la porte qui menait à Telmar, elle se rendit compte qu'elle avait sentit le médaillon battre contre sa peau.

    — Majesté, qu'y a-t-il ?

    C'était un garde, qui surveillait la chambre de Telmar. Il semblait inquiet. Avant de lui répondre, la reine s'assura que le médaillon était bien en place. Elle hocha la tête et se laissa glisser contre le mur pour s'asseoir.

    — Une fausse alerte, c'est tout.

    Un claquement résonna dans le couloir et la porte s'ouvrit en grand, laissait apparaître le visage de Telmar. Son regard passa du garde à Alyn assise par terre.

    — Eh bien jeune fille, on ne dort toujours pas à cette heure ci ?

    Malgré sa bravache, elle sentit qu'il n'était pas tout à fait assuré.

    — Un mauvais pressentiment m'a tirée du lit. Et vous ?

    — On dirait un avertissement de Lys, dit Egel.

    — Tiens, tu es éveillé aussi ? demanda-t-elle.

    — Il semblerait qu'aucun de nous ne puisse dormir. À vrai dire, le plus ensommeillé est le garde je pense.

    Ils pivotèrent tous les trois la tête vers celui-ci, qui s'empourpra. Le prince avait vu juste, se dit Alyn. Cependant aucun d'eux n'en fit la remarque.

    — Horace, veux-tu bien te rendre en cuisine pour les informer que nous allons prendre notre petit-déjeuner ?

    Il hocha la tête avec conviction et partit vite, probablement heureux de ne pas se retrouver plus longtemps au centre de l'attention.

    — Changeons-nous puis retrouvons nous dans la grande-salle. J'imagine que vous en connaissez toujours le chemin.

    Les deux Mirùniens hochèrent la tête et partirent chacun de leur côté.

    Quand ils se rejoignirent à nouveau, la salle était toujours éclairée par la lumière de la lune, en plus de quelques bougies aux flammes vacillantes. De cela résultait une drôle d'ambiance, assez pesante. De plus, ils étaient seuls, et les seuls bruits étaient ceux des couverts contre l'argenterie. 

    Ils ne parlèrent pas. Ne mangèrent pas grand-chose non plus. La reine passa son temps à titiller les baies du bout de sa fourchette, les déplacer d'un endroit de son assiette à un autre, mais jamais à les avaler. Son estomac était noué. Dans quelques heures tout au plus, ils sauraient. Ils sauraient s'ils vivraient ou mouraient. Comment avoir faim avec cette épée de Damoclès au dessus d'eux ?

    Elle se força tout de même à avaler quelques morceaux de pain. Partir à l'aventure sans rien dans le ventre n'était sûrement pas la meilleure idée qui soit.

    Enfin, Telmar poussa son assiette plus loin et se leva, signifiant ainsi la fin de ce repas interminable.

    — Tu as le médaillon ?

    Elle hocha la tête.

    — Bien, allons-y dans ce cas.

    Et sans plus de préambules, il les guida dans les couloirs du château pour finalement déboucher devant une statue de chevalier.

    Alyn souffla.

    — C'est ici ? Il s'agit d'une allée principale, quelle drôle d'idée pour une cachette !

    — Ce n'est pas moi qui ai choisi l'emplacement je te rappelle, dit Telmar.

    — C'est un excellent endroit, intervint Egel. Comme nous pensons qu'il ne peut s'agir du bon, ça en fait du coup un très bon ! Vous me suivez ?

    — Si tu le dis... Bon, que devons-nous faire maintenant ? demanda Alyn.

    — Je ne sais pas.

    Telmar s'était approché de la statue.

    — J'ai déjà essayé pas mal de choses, sans que rien ne marche. Elle est robuste cette statue.

    — Je vois...

    La reine avait avancé elle aussi, et pouvait distinguer des coups et des entailles dans le matériau, comme si on l'avait frappé à l'aide de divers objets, notamment une lame.

    Mue d'une soudaine inspiration, elle enleva le médaillon et le passa autour du cou du chevalier figé. Après quelques minutes où il ne se passait toujours rien, elle le reprit. Ce n'était donc pas aussi simple. N'y aurait-il pas une quelconque énigme à résoudre, un indice quelque part ?

    Ils se regardèrent en désespoir de cause, ne sachant ce qu'il fallait faire.

    Telmar commença à battre du pied, ce qui eut pour effet de les énerver tous plus qu'ils ne l'étaient déjà.

     Alyn leva les yeux vers la fenêtre. Le soleil était en train de se lever, ses premiers rayons apparaissaient à l'instant. Il fallait qu'ils fassent vite. Alors qu'elle allait à nouveau se pencher sur le problème qu'était la statue, elle remarqua quelque chose. Les premières lueurs de l'aube entraient par un vitrail, se répercutaient contre le chandelier puis filaient en un seul filet vers le sol... vers la statue en fait ! Ils convergeaient en un point, un peu au dessus de la garde de l'épée.

    — Oui là ! dit Egel qui devait avoir suivi son regard. Essaie le médaillon là !

    Elle s'exécuta en tremblant presque tellement elle avait peur. Mais quelques secondes seulement après qu'elle ait posé le bijoux, ils entendirent un grincement comme venu des profondeurs de l'enfer. Quelque chose changeait de place tout près d'eux.

    Alyn et Egel éclatèrent de rire, un rire hystérique sur les bords mais qu'importait, ils avaient réussi ! Telmar se fit plus contenu cependant on voyait qu'il était soulagé aussi.

    Leur petit moment d'euphorie passé, ils se rendirent-compte que rien n'avait changé dans leur champ de vision. Ils s'inquiétèrent. Le mécanisme avait-il échoué quelque part ?

    Telmar se rendit à l'intersection du couloir la plus proche mais rien n'avait bougé là bas non plus. Leurs sourires se fanèrent. Toute cette histoire ne pouvait se finir ainsi, alors qu'ils y avaient complètement cru pendant un instant !

    Egel s'avança et souleva le pan d'une tapisserie sur le mur opposé à la statue. Ainsi révéla-t-il un passage secret.

    — C'est ici, dit-il avec humilité bien qu'une touche d'excitation.

    Les deux autres se regardèrent avec des yeux ronds, qu'ils avaient été bêtes !

    Telmar s'enfonça le premier dans les ténèbres. Egel lui se fit plus prudent.

    — Aurons-nous assez de pierre de soleil pour tout le voyage.

    — Oui, répondit Alyn.

    Cependant il avait semé le doute dans son esprit, voilà qu'elle n'en était plus sûre. De toute manière ils n'auraient pas le temps d'aller en chercher d'autres, il faudrait que leur réserve soit suffisante. Elle reprit le médaillon et entra dans le passage à la suite des autres – de sa famille.

    Il semblait que personne n'ait plus mis les pieds dans ce tunnel depuis des décennies, voir des siècles. Le passage était totalement tapissé par des toiles d'araignée et de la poussière.

    Ils avancèrent un moment sans qu'il ne se passe rien. La reine s'ennuyait un peu mais elle n'entama pas de conversation avec Egel. Elle avait le sentiment que ça reviendrait à profaner quelque chose de sacré, à briser ce silence pesant qui avait mis tant de temps à s'installer. Les uniques bruits restèrent donc ceux de leur pas sur le sol ainsi que celui de leurs respirations, qu'on entendait résonner fort.

    Un peu plus tard, ils virent que Telmar s'était arrêté. Mais dès qu'il les jugea assez proche, il repartit et tourna à droite. Les choses se corsaient, songea Alyn. Jusque là, elle avait réussi à retenir l'itinéraire qu'ils avaient empruntés, il fallait que ça continue. Un gloussement mourut dans sa gorge quand elle se rendit compte de ses pensées. Évidemment qu'elle avait retenu le chemin, ils n'avaient fait qu'avancer tout droit depuis le début ! Décidément cet air devait être appauvri en oxygène, et cela lui montait à la tête.

    Ils tournèrent à la deuxième à gauche, ensuite encore à gauche puis à la troisième à droite et Alyn perdit le compte plus ou moins à ce moment là. De toute manière à quoi bon, les traces qu'ils laissaient leur permettraient bien de retourner d'où ils étaient venus, non ?

    Comme l'ennui n'était toujours pas passé, elle décida de se créer un jeu. Grâce à la lueur mouvante des pierres de soleil, aux fissures lézardant les murs et aux toiles d'araignée, il était possible de s'imaginer des formes en tous genres. Elle vit une couronne, un chat, un flambeau et une fleurs des montagnes. C'était futile, elle s'en rendait bien compte, mais mieux valait cela que de sombrer dans la folie totale.

    Elle se rappela que certaines personnes avaient le Don de voir l'avenir dans ces symboles incongrus. De nature joueuse, elle prit parti de s'essayer à cet art. Un chat deviendrait roi ! Cependant il serait brûlé et le seul remède pour le sauver serait une fleur des montagnes lointaines, apportée par ses plus fidèles amis. Elle rit intérieurement. Ses visions n'étaient pas toujours très claires mais sûrement était-ce encore mieux que ces pratiques divinatoires aléatoires.

    — Halte, chuchota Egel. S'il vous plaît. Je... je n'en peux plus.

    La reine s'approcha et posa avec incertitude une main sur son bras. Qu'est-ce qui n'allait pas ?

    Telmar, qui avait entendu, revint sur ses pas.

    — Et moi qui croyais que tu t'étais enfin débarrassé de cette peur stupide, cracha-t-il.

    — Une peur ? Que crains-tu, Egel ?

    Il se recroquevilla sans répondre.

    — Les insectes ! dit son père.

    Il ne manquait plus que cela, songea Alyn. Pourquoi venir dans ce cas ? Il aurait pu se douter qu'ils en croiseraient sur leur chemin.

    Egel releva un peu la tête.

    — Je suis désolé. Je pensais que je pourrais avec le Trésor de Bargor à la clé mais...

    Alyn et Telmar se regardèrent.

    — Je m'en vais faire l'éclaireur pour le chemin, dit-il. Essaye de le résonner pendant ce temps là. Je reviens.

    La reine le regarda partir, avancer dans ce sombre couloir sans se retourner, en abandonnant son fils alors que celui-ci avait besoin d'aide. Elle ne le quitta pas des yeux et darda sur lui un regard assassin. Comment pouvait-il faire cela ?

    À côté d'elle, Egel s'était assis. Ses cheveux blonds étaient plaqués sur son front par la sueur. Il se balança d'avant en arrière, les yeux résolument fermés. Alyn soupira et disposa des pierres de soleil en cercle autour d'eux, en espérant que la lumière éloignerait les insectes. Elle ne savait pas quoi faire d'autre, se demandait si elle devait lui parler ou le laisser seul.

    Finalement, elle opta pour le chant. Elle entama la berceuse que Mel lui chantait quand elle se réveillait d'un cauchemar. Sa voix ne fut d'abord qu'un faible murmure avant d'enfler jusqu'à être parfaitement audible. Il ne pouvait pas comprendre cette chanson en Amhurien cependant elle espérait que cela saurait l'apaiser. En tout cas, elle-même se sentait plus sereine après.

    Egel n'ouvrit pas la bouche pour la remercier une fois qu'elle eut fini. Mais ses yeux brillants traduisaient de sa gratitude.

    — Je suis désolé, dit-il. De tout faire capoter comme ça.

    — Rien n'est encore perdu. Tu penses que tu sauras te lever et continuer ? Je ne suis pas sûre qu'on puisse faire demi-tour aussi facilement avec... Suka ! jura-t-elle.

    Elle se leva et abandonna à son tour Egel. Vite ! pensa-t-elle. Elle courait de toutes ses forces, c'était à peine si ses pieds touchaient le sol. Il fallait qu'elle rattrape Telmar ! Une idée venait de la saisir et cette fois elle était convaincue jusqu'au plus profond de ses tripes que son instinct ne la trompait pas. Ses foulées s'allongèrent encore. Telmar ! Il allait au trésor sans eux, le chien ! Il n'avait plus besoin du médaillon. La peur d'Egel avait été le prétexte parfait pour les abandonner. Vite !



~~~NDA~~~

Hiiii le trésor est là, à deux doigts d'eux ! Mais Alyn et Egel y parviendront-ils ?  Est-ce que la reine a raison d'avoir peur ? Ou est-ce encore une crise de paranoïa qui ne fait pas de sens ? L'avenir nous le dira...

Votre déjantée rêveuse


Publié le 21 mai 2018

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