11- Une poignée de sable
La reine hocha doucement la tête. Son nouveau lien de parenté avec Egel n'était pas moins perturbant que pour lui, elle devait juste faire en sorte qu'il ne le remarque pas.
Ils se regardèrent et elle devina que lui aussi tentait de voir une quelconque ressemblance entre eux. C'était compliqué, elle petite, il était grand, elle avait la peau ambrée, il l'avait blanche, ses cheveux à elle, très volumineux, tiraient sur le noir et ondulaient, ceux du prince étaient on ne peut plus blonds, fins et lisses, elle possédait des yeux aux couleurs changeantes, tantôt gris, tantôt verts, tantôt bruns clair, lui ne les avaient que couleur noisette.
Alyn soupira, elle préféra s'arrêter là et pouvoir croire qu'ils n'étaient pas vraiment frère et sœur, que sa vision n'avait pour but que de l'aider dans sa quête, pas de lui apprendre la vérité. Elle ne voulait pas voir ces similitudes entre eux, bien qu'elle ne puisse s'empêcher de les chercher. Elle se força à penser à autre chose.
— Nous partirons demain dès l'aube, tâche de ne pas trop te torturer l'esprit et de dormir correctement cette nuit.
— Demain ? Mais enfin pourquoi ? La précipitation n'est jamais une mauvaise chose vous savez.
— Peut-être mais nous n'avons pas le choix. Telmar et moi-même avons rassemblé les informations que nous gardions et il s'est avéré que la porte ne s'ouvre que deux jours par année, et seulement une année sur quatre. La bonne année est entamée. L'équinoxe d'hiver est passé. Il ne reste que celui de printemps. Quatre années de plus à attendre seraient quatre années de trop, je le sens.
— Je vois... Dans combien de temps aura lieu l'équinoxe de printemps dans ce cas ?
— Quatre-vingt-quatre jours.
Du coin de l'oeil, elle vit Egel se redresser et attendit qu'il formule sa pensée plutôt que de lui couper l'herbe sous le pied. Comme il ne le faisait pas, ou du moins pas assez vite, elle s'approcha de la fenêtre et souleva le rideau.
— Ou plus précisément quatre-vingt-trois jours et quelques heures, dit elle.
— Si peu ? Nous n'y arriverons jamais, c'est moins que le temps que vos soldats ont mis pour nous emmener de notre capitale à la vôtre !
— C'est pourquoi nous devrons faire vite.
Elle laissa retomber les tissus et resta encore quelques instants le dos tourné.
— Avez-vous au moins connaissance de l'endroit où nous devons nous rendre, précisément ?
La reine sourit, ainsi Egel était-il un peu moins naïf qu'il n'en avait l'air.
— Tutoyons-nous, autant s'y faire le plus vite possible non ?
— Oui j'imagine.
Silence dans la salle. Il attendait la réponse à sa question, sûrement.
— Nous voyagerons d'abord jusqu'à Ytto et de là le roi nous guidera.
Alyn avait légèrement grimacé en disant cela. Ils avaient fait alliance mais Telmar refusait quand même de lui donner plus de renseignements.
— Vous... tu es amère. Vous ne vous faites pas confiance ?
— Me fais-tu confiance toi ?
Il détourna du regard, ce qui amusa la reine. Dans un autre contexte, elle aurait pu attendre jusqu'à ce qu'il réponde mais là elle avait d'autres idées en tête. Il fallait qu'elle organise son départ.
— Tu n'es pas obligé de le dire à voix-haute, pour peu que tu le saches. Maintenant que c'est fait, dis-toi que c'est la même chose entre le roi et moi. Voire même pire.
— Il est pourtant votre père autant que le mien.
— Non ! Tu ne comprends rien...
Elle soupira.
— Tu peux regagner, tes appartements. Repose-toi bien.
Il inclina la tête et se leva.
Alyn attendit que le bruit de ses pas se tarisse dans le couloir, ensuite elle sortit et tourna à l'opposé, vers la droite, s'éloignant à grandes enjambées.
— Majesté !
Elle souffla et fit un demi-tour sec sur ses talons pour tomber nez-à-nez avec un jeunot haletant.
— On vous demande à la salle du Conseil.
— Viens avec moi.
Elle l'attrapa par la manche et le tira dans son sillage.
Quand ils parvinrent enfin devant les portes menant à l'extérieur, le petit messager protesta :
— Majesté...
Elle lui lança un regard noir qui coupa court à tout autre intervention.
Ils prirent la direction de la ville. L'autre geignit mais ne dit rien. Il avait probablement espéré qu'ils n'iraient pas plus loin que les jardins royaux. Dommage pour lui, songea Alyn, elle était la reine et faisait ce que bon lui semblait.
Enfin, elle s'arrêta et se baissa. Elle passa sa main dans le sable qui jonchait le sol puis en prit une poignée dont elle retira les impuretés.
— Tiens, tu amèneras ça au prince Egel.
Il la regarda avec des yeux ronds.
— Mais Majesté...
— « Majesté, Majesté, Majesté », n'as tu donc que ce mot à la bouche ? Et le pire est que tu ne sembles même pas en comprendre la signification ! Tu dois m'obéir et non contester ce que je t'ordonne !
— Vous voulez vraiment lui assurer la protection des dieux ? Je veux bien que c'est la tradition pour les invités mais lui est un prisonnier.
Elle ne répondit pas, se contentant de le fixer jusqu'à ce qu'il baisse les yeux et s'excuse.
— J'implore votre pardon pour cette offense, Majesté. Vous me direz que ce n'est pas mon rôle mais je pensais que de toute manière il ne connaîtrait pas la signification de cette poignée de sable.
— Eh bien tu le lui expliqueras. Quel est ton nom ?
Il eut un mouvement de recul.
— Pôht, Majesté.
La reine s'approcha pour lui parler dans le creux de l'oreille.
— N'aie pas peur Pôht. Et surtout continue de penser par toi-même et d'exprimer ton opinion, peu-importe qui se tient en face de toi.
Elle se redressa.
— Mais profites-en bien tant que je ne suis pas là !
Le garçon éclata de rire et repartit à l'intérieur. Alyn le regarda sautiller avec un sourire. Elle aimait voir les jeunes du château prendre des initiatives et avoir de l'esprit critique. Ils devaient avoir conscience du pouvoir l'autorité au dessus d'eux mais pas tenir pour sainte vérité tout ce qui sortait de sa bouche.
Elle soupira. Il lui fallait maintenant retourner au travail.
Elle termina la journée ainsi qu'une partie de la nuit dans la salle du Conseil. Ensemble, ils prévirent entre-autres la troupe qui ferait le chemin avec eux, les denrées qui leur seraient nécessaires et la gouvernance d'Amhura en attendant le retour de la reine. Ils passèrent en revue les différentes accusations de ses sujets envers d'autres sujets et n'ayant pas vraiment le temps de les examiner toutes à la loupe, elle ne fit qu'apposer son sceau pour la solution que le Conseil avait proposée.
Quand enfin elle gagna le confort de son lit, elle était éreintée.Pourtant, elle ne réussit pas à dormir tout de suite. Un amas de pensées l'assaillait. Il fonctionnait comme un gouffre sans fin : elle ne touchait jamais le fond, toujours une autre inquiétude venait à elle une fois que la précédente était dissipée.
Elle n'avait pas confié la gestion du royaume à un quelconque membre éloigné de sa famille, pas plus qu'à un noble influant. Elle avait pris un gros risque en décidant cela mais elle avait désigné le Conseil comme seul successeur. Elle ne doutait pas qu'ils feraient leur travail à merveille cependant elle ne pouvait s'empêcher de penser que peut-être ils le feraient justement trop bien. Que ferait-elle de sa vie si quand elle revenait le peuple ne voulait plus d'une unique personne à sa tête ? Elle avait été élevée pour être reine et même si elle possédait d'autres aptitudes, elle ne pensait pas être capable de redescendre au rang de simple ouvrière. En plus, le conseil marcherait sûrement très bien dans l'Empire des Royaumes d'Or, avec un représentant de chaque nation. Elle pinça des lèvres. Arrête, s'ordonna-t-elle, n'aie pas de si mauvaises pensées. Tu préfères vivre dans la misère plutôt que de mourir au trône.
Et pour cela, il fallait qu'elle trouve le Trésor de Bargor.
Elle le ferait.
Quoi qu'il advienne. Et peu importait qui se mettrait en travers de son chemin.
Telmar... lui souffla une petite voix, alors qu'elle n'était déjà plus qu'à moitié consciente.
~~~NDA~~~
Et voilà qui conclut ce chapitre très court ! Pas beaucoup d'action je vous le concède mais c'est pour amener celle qui viendra bientôt !
Votre rêveuse déjantée
Publié le 28 mars 2018
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