Le travail inégal.

Il était une fois, dans le Mont-Enneigé, deux chiens appartenant à la race des Huskys qui se reposaient sur une large carpette couleur carmin. L'un avait un pelage immaculé rappelant la couleur de la neige à l'extérieur du chalet. Ses maîtres l'avaient nommé Snow et l'adoraient comme leur propre enfant. Le deuxième était noir comme la nuit. Ses propriétaires n'avaient pas cherché loin pour lui trouver un nom, Moka. Mais ce dernier n'était pas au mieux de sa forme. Il était exténué. Son travail quotidien consistait à tirer un traîneau pour faire visiter les environs aux touristes. Quant à son camarade, il était bien toiletté, l'air resplendissant, comme s'il venait de passer une agréable journée.

-C'est totalement injuste..., se plaignit Moka, lasse.

-Qu'y a-t-il? le questionna le chien blanc, l'esprit détaché des problèmes de son ami.

Moka soupira. Ne voyait-il donc vraiment pas le souci?

-Il se trouve que toi et moi, issus d'une même race, ayant le même âge et la même masse musculaire, nous connaissons une importante différence d'horaires de travail. J'ai traîné ces gens toute la matinée et quelques heures en début d'après-midi tandis que toi, on t'a demandé de tirer les rennes seulement deux heures dans la journée. Ne remarques-tu pas qu'il y a un sérieux problème? Je suis nettement plus fatigué que toi et pourtant, on m'utilise davantage. Pourquoi n'y a-t-il pas un partage équitable!?

Snow se tourna vers lui, le narguant du regard.

-La réponse est cependant évidente. N'as-tu donc pas encore compris? Tu m'es inférieur en tout point.

-Mais en quoi!? Rien ne nous différencie!

-Vraiment? Regarde-toi. Ton pelage se rapproche de la cendre. Tu n'es qu'un microbe aux yeux de nos maîtres. Je me rapproche de la beauté divine. Pour quelles raisons me feraient-ils travailler?

Indigné, Moka se sentit profondément blessé. Son camarade d'enfance lui faisant une remarque aussi humiliante ne l'aidait en aucun cas à surmonter son mal. Ses muscles tiraient, il avait des courbatures atroces. Mais il souffrait en silence pour ne pas recevoir les coups de bâton de la part de ses maîtres. En y réfléchissant, il ne se sentait pas très aimé dans cette famille. Elle l'utilisait dans un but économique. Gagner l'argent des touristes était leur seul objectif. Pourtant, elle s'acharnait principalement sur Moka qui n'avait rien fait de mauvais. Contrairement à Snow - qui était celui qu'on aimait le plus, le chien avec qui on jouait le plus,qu'on chouchoutait le plus - on le délaissait, et pour lui tenir compagnie, on lui apportait une gamelle à peine remplie et des vieux jouets. Mais il n'avait pas vraiment le temps de se reposer car à n'importe quel moment, on le forçait à rejoindre son poste.

-En quoi mon sombre pelage me rabaisse-t-il?

-C'est ainsi depuis la nuit des temps. Inutile de t'en dire davantage puisque tu n'es qu'une bête sans cervelle. Ceux qui ne savent pas penser n'ont d'autre choix que de se plier aux ordres de leurs supérieurs.

Moka se renfrogna. De quel droit osait-il l'insulter?

-En attendant, le plus idiot de nous deux est loin d'être moi. Tu n'arrives même pas à répondre à une simple question. J'arrive à raisonner comme n'importe quel être de mon espèce. Pourquoi devrais-je me soumettre à cette situation qui me consume?

Snow le regarda de haut. Il n'avait pas rêvé. Il venait de le traiter d'idiot. Un chien à la robe merveilleusement blanche venait de se faire rabaisser par un vulgaire insecte? Quel sacrilège!

-Vous êtes tout simplement répugnants. Comment des êtres de couleur noire peuvent être considérés comme des êtres vivants?

Des pas se rapprochèrent. Ils levèrent tous deux les yeux vers leur maître qui s'arrêta face à Moka.

-Allez, tu as encore du travail.

Il siffla en tapant sur sa cuisse, lui faisant signe de le suivre. Moka lança un dernier regard à Snow, très peu reconnaissant. Plus jamais il ne pourrait le supporter.

Moka se retrouva attaché à un traîneau avec trois autres chiens tachetés. Le même sang coulait dans leur veine et le husky noir s'était lié d'amitié avec eux au fil des années. Ils faisaient souvent ce sale boulot ensemble. Au moins, ils s'entendaient bien. Ils avaient de la chance de ce côté. Cinq personnes étaient installées sur le traîneau en comptant le maître qui dirigerait les chiens à sa guise. Ils avançaient tranquillement dans la neige, faisant le tour du Mont-Enneigé, sous les yeux ébahis des touristes. Le paysage faisait son effet avec la splendide vue qu'offrait l'altitude. On pouvait voir à des kilomètres à la ronde. De plus, la neige apportait un côté apaisant avec les épais conifères qui envahissaient les sols.

Mais comme on dit, après le calme vient la tempête. Sans raison apparente, le poids du traîneau bascula sur le côté et ce fut l'accident. Le véhicule fut renversé, coinçant les gens. Des plaintes et des gémissements de douleur résonnèrent en écho. Les chiens commencèrent à s'inquiéter. Que s'était-il passé? Comment en étaient-ils arrivés là? Ils se rapprochèrent des blessés, aboyant comme pour demander si tout allait bien. Malheureusement, ce n'était probablement pas le cas. Moka chercha le bras de son maître à l'aide de sa truffe, et attrapa sa manche avec ses crocs. Mais il était si lourd qu'il lui était impossible de lui venir en aide. Il lança un regard inquiet à ses amis.

-Comment faire pour les secourir? Si on ne fait rien, ce sera la catastrophe!

Ils se concertèrent en silence, cherchant une solution efficace.

-Nous ne pouvons rien faire mais les autres humains pourraient peut-être. Il faudrait que l'on aille les retrouver pour les faire venir jusqu'ici.

-Mais comment!? Nous sommes attachés!

-Ce serait trop long de tous nous évader. Nous libérerons l'un de nous en rongeant son harnais et il partira à la recherche de quelqu'un.

Ils se regardèrent tour à tour puis, l'attention des frères se posa sur Moka.

-Tu es le plus rapide d'entre nous. Ce sera toi qui ira chercher de l'aide.

Ils se rapprochèrent de la laisse du chien entièrement noir et commencèrent à la rogner. En peu de temps, Moka fut libre et ne perdit pas de temps pour rejoindre le chalet. Malgré la fatigue, il courait aussi vite que lui permettaient ses jambes engourdies. Il arriva finalement chez lui où il trouva un humain. Il se mit à aboyer pour lui faire comprendre qu'il y avait un problème.

-Qu'est-ce que tu fais ici? Et où sont les autres?

Moka se mit à ses pieds et attrapa son pantalon à l'aide de sa mâchoire, tentant désespérément de l'inciter à le suivre.

-Il doit y avoir un problème.

Il fit signe au chien de ne plus bouger et partit demander de l'aide à ses camarades. Une fois tout le monde prêt, ils suivirent Moka qui leur indiqua le chemin à emprunter. Ils arrivèrent à destination et les hommes se coordonnèrent pour libérer ces pauvres gens.

Cette histoire se termina sans trop de dégâts. Mis à part l'un des touristes qui s'était tordu le poignet, tout le monde en était sorti indemne.

Moka eut droit à de bonnes caresses et des acclamations pour son acte héroïque. Ses maîtres étaient très fiers de lui.

De retour chez eux, tout le monde fit la fête pour célébrer le courage de leur fidèle animal.

Avec vaillance, Moka se tourna vers Snow qui resta assis sur son tapis, une aura menaçante émanant de son corps. Il lui avait volé la vedette et ça l'agaçait profondément. Sûr de lui, Moka déclara:

-Avoir du cœur n'est pas une question de couleur de peau.

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