l'appel de la mer

L'océan est beau, l'océan est grand. Et sur cette étendue d'eau profonde s'échoue la pluie qui chante sans cesse ces notes sévères qui font trembler la mer : plic, ploc, plic, ploc. Et les vagues dansent et le bateau tangue. Mon corps vacille et le sien tremble.

Cela fait des mois que nous nous sommes retrouvés là, à deux, dans cette folle aventure de tous les jours. Elle et moi.

Elle ne m'a jamais appris son nom alors tout naturellement elle est devenue "Elle". Ce n'est pas un prénom qui semble la déranger, pas non plus un surnom qui parait la ravir mais soit, elle non plus ne se commode pas de m'appeler par un nom quel qu'il soit. Pour elle je suis "tu" ou encore "toi" mais ça ne me dérange pas, après tout pourquoi pas ?

Avec elle déchirant l'océan, je me sens vivant. Dans les tempêtes et les déluges je me sens renaître. Proche de la mort je me sens en vie, bien plus que je ne l'ai jamais été. Idée critique, paradoxe subtile... Mais l'adrénaline et la peur qui me dévorent tout entier... Comment suis-je bien censé y résister ?

Les vagues qui nous narguent, la pluie qui assaille, le vent qui s'acharne... Puis quelques moments plus tard la brise marine qui nous chatouille, le sillage du navire qui trace l'eau à l'encre blanche. L'odeur de la mer, comme un souvenir qui vient titiller l'imaginaire... La liberté à l'état pur qui se gagne de la plus dur des manières. Isolé de tout, ignoré de tous. Aux yeux du monde nous cessons d'exister mais à mes yeux il n'a jamais plus existé.

Puisque tout ce que j'ai jamais chéri, tout ce que j'ai jamais voulu... C'est ici que je le retrouve, avec Elle. Déchirer les vagues, fuir un monde débordant de ce poison que peut se faire l'Humanité.

Mon seul antidote à ce mal dévorant : la mer, la fuite.

Moi qui pensais voyager seul à une époque, dans cette odyssée que je m'improvisais... J'avais plutôt bien réussi à vrai dire, du moins au début...

Étape numéro une, fuir le domicile familial. Un obstacle, et non pas des moindres, après tout, j'avais toujours vécu dans les jupons de ma mère, privé du monde en échange de toute la luxure dont je ne puisse jamais rêver. Nous n'étions pas riches pour autant, mais pour moi, c'était tout comme. Ma mère, avait longtemps était tout ce que j'avais connu.

Une jeune femme indépendante qui s'était retrouvé enchaînée à un enfant qu'elle avait aimé plus que tout. Je le sais, elle m'a aimé plus que tout, davantage même que sa propre vie, elle m'avait chéri. Mais son amour devenait toxique, étouffant, oppressant...

Cloîtré derrière les quatre murs de la maison, ne découvrant la nature que par le verre glacé de la fenêtre de ma chambre, je voyais ma liberté m'échappait, et ce, dès les premiers cris que je poussais dans cet univers intriguant. Je n'avais jamais rien connu du monde extérieur. J'avais d'ailleurs longtemps pensé qu'il n'existait pas, qu'il n'habitait en fait que ma mère et moi.

Mais j'étais si pressé de le découvrir, si heureux de pouvoir imaginer l'étendue de toutes ces choses qui se dessinaient derrière cette toute petite fenêtre. J'étais si curieux... Un défaut que ma mère me reprochait souvent, une qualité dont je me

félicite aujourd'hui.

Car grâce à cela, j'avais lutté. J'avais donné de ma chair, de mon sang pour m'en sortir, pour m'enfuir. À celle qui a donné sa vie pour la mienne, je l'ai trahi sans reproche, cent remords... Elle était ma seule et unique famille, ma guide dans la vie. Mon seul regret, le seul et unique accroc à dépasser. Ma mère.

Je l'ai abandonné il y a de cela des années pour satisfaire une curiosité dévorante que je n'arriverais sans doute jamais à satisfaire.

Mais que de déceptions une fois sa confiance entièrement bafouée...

Ma liberté n'attendait plus que moi et pourtant...

Les villages étaient si ternes, les gens si laids...

Laids de l'intérieur, laids de l'extérieur. Lorsque je les avais rencontrés pour la première fois, je me souviens avoir été surpris. Ma mère était franchement plus jolie que toutes ces personnes réunis et ce, à bien des égards. Je pensais pourtant que la couleur de l'inconnu saurait me satisfaire et m'intriguer.

Que l'odeur de la nouveauté saurait combler ma curiosité.

Si seulement j'avais su...

Pour l'hypocrisie, l'abus, la malice... L'Homme.

À leurs yeux je n'étais rien de plus qu'un adolescent stupide et cupide. J'étais naïf et chétif, j'apprenais tout du monde, pour la première fois je le découvrais, goûter enfin à tout ce dont on m'avait privé toute une vie.

Mais j'ai découvert la faim, celle qui me rongeait, celle qui me rendait fou. Je découvrais malgré moi, la peur aussi, celle qui me mordait l'estomac, dévorait ma confiance en moi.

Les larmes avaient un goût amer ces temps-là, elles étaient cruellement réelles, car pour la première fois, elles avaient un sens. Je pleurais des faits, je pleurais un manque, un besoin viscéral qui me consumait et que je n'arrivais jamais à apaiser. J'étais livré à moi-même, totalement et entièrement dénué de tout. Je n'étais qu'un corps, une âme dont on s'amusait beaucoup.

Et ce fût ainsi que je dû accueillir tant de premières fois... La découverte du monde, de besoins que je ne pensais jamais avoir à combler : la faim, la peur, l'angoisse...

Et puis il y avait eu le mépris, la trahison aussi. Celle de ces gens que j'estimais pour seul fait d'avoir toujours habités ces terres dont ils semblaient connaitre absolument tout. Je les avais idolâtré de loin, et les avais admiré de trop près. Ils avaient perdu de leurs couleurs, de cet éclat qui faisait d'eux un mystère délicieux à mes yeux. Désormais, je les détestais.

Je vouais une haine profonde à ceux qui me scruter des yeux et qui me laissaient mourir dans ces rues qui m'avaient longtemps étaient inconnues. Ceux qui se raillaient mon sort, ceux qui me pointaient du doigts, ou encore ceux qui se contentaient de m'ignorer parce qu'ils avaient le précieux pouvoir de le faire volontiers. Tous, fermer les yeux sur ma condition, ma présence. Je ne faisais pas partie des leurs, pour eux je n'étais personne, pire encore, je n'avais jamais rien étais à leur yeux.

Alors, plus vite que je ne pus l'imaginer, je me retrouvais fatigué, épuisé. Si bien physiquement que mentalement. Je n'en pouvais plus de lutter sans cesse, j'étais à bout.

Jour après jour seul un désenchantement fou s'attachait à me guider dans mon périple tant rêvé.

Je déchantais totalement et rien ne pouvait m'apaiser ou bien seulement prétendre me calmer.

Et, comme pour ne jamais finir de m'achever, il y avait cette solitude... Brûlante. Celle qui me percer le cœur, celle qui imploser en moi, celle qui consumer tout de moi.

Il y avait être seul. Puis il y avait se sentir seul. Avec ma mère nous étions seuls dans notre monde. Sans elle je me sentais terriblement seul dans votre monde.

Et dire que toute cette aventure a été terrible à vivre serait un bien doux euphémisme. Je ne l'aurais jamais cru enfant cela dit...

Mais tout changea le jour où je compris que, d'autrui, il ne fallait jamais rien espérer.

C'était cette fois-là, lorsque je ne sais comment ni pourquoi, ma mère avait posé les pieds au village, et que, très vite -trop vite- tous ne tardèrent plus à me livrer à elle et à me pointer du doigt. Ils espéraient sans doute quelque chose de ce service rendu, je le savais désormais, ici tout se payer, tout s'acheter.

Alors voilà, ma première expérience de l'Homme et son avidité, ma première trahison de la part de ceux que j'avais tant hâte de rencontrer.

L'ironie du sort fait que je ne peux désormais que rire cette triste destinée...

Ce monde auquel j'avais tout donner de moi seulement pour pouvoir en découvrir une infime partie de lui... Ce monde-là m'avait trahi et arraché à lui pour me renvoyer aux bras de mon bourreau, de celle qui m'avait toujours retirée du reste de la vie, de tout ce que je me destiner depuis petit.

Je me souviens encore aujourd'hui de ce regard froid qu'elle m'adressa ce jour-là, ma mère, glacée par le choque de revoir ce fils qu'elle croyait perdu à jamais. Mais aussi et surtout, je revois son visage dévoré par l'inquiétude. Il semblait que je lui avais manqué, mais ça, je le savais déjà. Elle aussi m'avait cruellement manqué.

Car j'avais appris qu'elle avait été la seule à m'avoir jamais aimé, que ces chaînes qui m'enserraient et m'étouffaient n'étaient rien à côté de celles qui la hanter.

À vrai dire, je ne m'étais jamais posé la question avant cela puisque je n'avais connu la composition originelle d'une famille, mais oui en effet, à moi, il me manquait bien un père, à elle il lui manquait un confident, un chéri, un amant. Son mari.

C'était ce que signifiait cette bague qui régnait sans partage sur son annulaire. Une alliance.

Avant même de débuter, ce voyage en mer m'avait déjà appris beaucoup sur moi et mes limites, sur ma famille et son passé.

Mais malgré la peur, la faim, les injures, le mépris, je n'étais pas prêt à abandonner.

Je ne sais toujours pas les raisons, le pourquoi du comment mais, face à ma mère j'avais retrouvé tout de cette détermination qui m'avait quitté toutes ces longues semaines passées à errer comme une ombre dans ce village de dégénéré.

Un peu comme une source où je puisais force et courage, j'observais les grands yeux de ma mère, je soutenais ce regard qui m'avait tant manqué. Et ma décision fût prise.

De nouveau, l'instinct avait délogé la raison, et l'espoir avait raviver les cendres de mon cœur brûlant. J'étais prêt à rester malgré tout. Quelque chose me poussait à le faire, une entité forte et profonde... Un besoin d'en connaitre plus, d'en savoir encore et davantage... De dévorer toute la connaissance du monde et d'abreuver cette curiosité laissée à sec depuis tant d'années, depuis trop longtemps.

Alors, tandis que ma mère pleurait le fait de m'avoir enfin retrouvé, je lui avouais que de nouveau, je m'en irais. Parce que j'avais besoin de savoir, de connaitre ce qui dépasser les murs de notre petite maison.

Elle avait crié, elle avait hurlé, elle avait beaucoup pleuré aussi ; elle ne s'y attendait sûrement pas.

Mais nous savions tous deux qu'elle ne pourrait plus jamais me retenir à ses côtés. Les années ne nous avaient pas épargnées, j'étais un peu plus fort, elle beaucoup plus frêle. Le temps nous avait bouffé, un cadeau dont je remerciais le Ciel, un poison qui amputa ma mère du seul membre qui lui restait ; moi, son fils indigne, son fils aimé.

Curieusement, elle m'avait laissé lui échapper ce jour-là, elle m'avait laisser partir. Le seul souvenir qu'elle me laissa d'elle fût cette bague dont j'avais toujours tout ignoré. Elle me la confia comme son seul trésor, un bijou dont elle ne s'était jamais séparée.

Puis, elle me souhaita de la chance et surtout plus que tout d'être heureux. Elle s'excusa sans raison et me serra fort dans ses bras si bien que je pus entendre son cœur gronder contre moi.

À cet instant j'étais convaincu qu'elle ne me lâcherait jamais plus mais, cette impression avait quelque chose de réconfortant... Mais aussi de terrifiant. Je ne voulais plus de cette vie confinée et écartée du reste de la civilisation. Et la prendre dans mes bras redonnait vie aux souvenirs que je m'étais attaché à enterrer dans les limbes de ma mémoire... Elle avait souillé ma paix mais, dans un sens, je lui avais fait subir les mêmes méfaits. Nous étions quittes.

Après un moment, elle m'embrassa tendrement le front puis la joue, un adieu affectueux qui faisait écho à mon enfance à ses côtés. Elle planta encore une fois son regard dans le mien et le scruta longtemps, comme prête à se raviser à chaque battement de cils effectué. Mais je ne décolérais pas et soutenais le regard de ma génitrice. Et finalement, elle souffla quelque chose que je ne compris pas. Elle m'avoua qu'elle aurait aimé vivre à jamais à mes côtés et mourir en paix. Elle m'avoua que j'étais quelqu'un d'exceptionnel, que c'était une chose que je devais savoir absolument. Et enfin, elle finit par me livrer une idée étrange et singulière, elle me confia que je devais faire attention à moi et aux dangers qui me guetteraient puisqu'elle ne serait plus capable de me protéger. Elle insista sur le fait que je devais être protégé et que surtout, je devais me méfier d'autrui.

De ma vie, je n'avais jamais été aussi confus, jamais étais moins sûr non plus des mots que je venais d'entendre...

Mais elle faisait fi des questions qui se disputer mes lèvres et, avant de tourner les talons pour la dernière fois, elle me sourit. Ce sourire chaleureux qu'elle m'accordait rarement, celui-là même qu'elle n'avait révéler qu'à toutes mes premières fois... Lorsque j'avais appris à lire, à plier mes draps, à résoudre ces équations qui me paraissaient trop compliqués... Elle l'avait affiché et quelque chose de beau, de grand, s'en dégager et rayonner au tréfond de ses pupilles... Quelque chose comme...

De la fierté ? Étais ce vraiment cela ?

Ma mère était fière de moi ?

Ce fût-ce que, depuis ce jour, j'aimais à penser mais, jamais je ne sus réellement ce que ce regard avait à me communiquer.

Pourtant ce fût comme ça que, pour la dernière fois, nous nous étions séparés.

Ces adieux avaient un goût amer, je crois que j'aurais mille fois préféré la détester plutôt que la voir accepter si commodément mes choix de vie. Car il était bien plus facile de quitter quelqu'un que l'on haïssait qu'une personne que l'on chérissait, que l'on aimer trop fort pour se soustraire à toute forme d'adieux.

Et puis, il y avait aussi cet arrière-goût, le regret qui me brûler la gorge et me piquer les yeux, ce devoir qui me coller à la peau, celui de justifier cette fierté que j'avais lu un jour dans ses yeux. Il fallait que je lui rende hommage.

Alors à partir de ce jour je décidais de ne jamais plus me laisser abattre par quoi ou qui que ce soit.

Après tout, toutes ces années j'avais un espoir, une envie mordante qui me maintenait plus en vie et moins mort dans cette bâtisse toute serrée, ce rêve de gosse que je me devais de réaliser. Rejoindre la mer et la soumettre à mon beau et grand navire. J'avais tant lu à ce sujet, petit... Pirate et équipage, matelots et compagnons... Je devais être heureux. Pour moi, pour elle, ma mère.

Je rêvais d'aventures, de ces choses qui me feraient oublier ma vie et ses désillusions.

Alors pour cela j'ai travaillé. Dur et longtemps pour récolter assez d'argent afin de pouvoir enfin me payer mon propre bateau. C'était en effet la deuxième étape du plan. Sans doute la plus éprouvante de toutes puisque je savais déjà à l'époque tout ce qu'il y avait à savoir sur les navires et l'océan ; merci à ces longues années passées chez ma mère à dévorer des livres le jour, pour les retrouver en songes la nuit...

Ainsi, languir de longues années pour amasser assez et faire de ce rêve une réalité était... Une véritable torture. Mais tout cela en avait valu la peine, j'aurais été fier de le confier au petit moi qui trimait, au mini moi qui rêver aussi, fourré dans ses livres à se demander si un jour il saurait s'échapper de sa maison trop petite pour ses rêves et ses idées...

Dès ma première naviguée j'avais tout de même dû subir la nervosité de mon équipage. Certains me pensaient trop jeune, d'autre trop inexpérimenté pour prétendre à un tel navire. D'autres encore se contentaient de pointer du doigt mon absence d'identité. C'était plutôt justifié, j'étais un inconnu à leurs yeux, je l'avais toujours été aux yeux de tous. Ma mère semblait avoir été seule et unique témoin de mon existence sur cette planète. C'était rageant, c'était frustrant.

Alors très vite, l'image de l'équipage soudé et dévoué que je m'étais imaginé se débrida et ce fût ainsi que nos chemins se séparèrent à tout jamais dès notre arrivée au port. Je ne supportais plus ni leurs messes basses à mon sujet, ni leur extravagance bien trop poussée.

Alors je leur fis mes adieux et comme dernier souvenir de moi, je leur hurlais que je vivrais tant plus et tant mieux qu'eux, qu'ils ne pourraient dès lors que se contenter de conter mes aventures et pleurer mon souvenir. Je ne sais toujours pas aujourd'hui ce qui m'a poussé à leur crier pareille idée...

Mais voilà, désormais j'étais seul, terriblement seul. Mais ça me convenait.

J'étais comblé dès ma première traversée en solitaire puis, après quelques semaines passées à errer en mer dénué de toute

lucidité, je l'ai vu. Pour la première fois, je l'ai rencontré, Elle.

Elle, perdue entre les vagues ne semblait pas se noyer mais plutôt échanger une longue étreinte avec ce flot d'H2O échoué. Je pensais l'avoir sauvée ce jour-là, mais elle n'avait pas vraiment l'air d'avoir été sauvé. De ses yeux ronds, elle m'avait regardée la dépêtrer de l'eau. Elle avait semblé surprise et se contenta de m'observer. Puis, elle me sourit tendrement. Un sourire chaud, un sourire froid... Un rictus qui ne s'expliquait pas.

Je m'étais cru fou, je pensais avoir perdu la raison... Que pouvait bien faire une telle femme au milieu de l'océan ?

Et alors seul ses pieds posés sur mon navire m'avaient convaincue qu'Elle n'était pas une entité ou, que sais-je, une créature des mers.

Mais la portée de sa voix sût me persuader du contraire. Chaque fois qu'elle se plaçait là, postée tout près du mât, elle rayonnait et cette mélodie particulière qui lui échappait et qui, toujours, apaiser mon âme toute entière... Moi qui l'avais détesté dès nos prémices pour son manque de tact et de franc parler... Elle se terrait dans un mutisme que j'avais en horreur et apprécier la moindre chose d'elle me révulser. Si bien que, bientôt, je commençais à me dire que je m'en débarrasserais bien un jour, dans un port non loin, que l'occasion viendrait bien. À l'image de cet équipage mauvais qui avait trahi mes espoirs et mes envies.

Mais, seuls en mer, le temps passé à ses côtés se faisait doux lorsqu'elle brillait de cet éclat particulier qui se dégageait de sa voix, comme... Enchantée ?

Un quelque chose de mystique, une pincée de magique... Un son si pur qu'il me semblât presque interdis. Pourtant mes oreilles bénies par pareil mélodie ne crachèrent jamais sur ces instants de répits, oh ça non !

C'était l'un de ses rituels à vrai dire, ancrer ses deux puits de vies, ses yeux clairs et bienveillants, dans cet océan majestueux. Puis, doucement, laisser découvrir sa voix couler sur l'eau, calme et douce, délier les sons, griser les âmes, tromper l'esprit et apaiser les cœurs...

Chanter, tout simplement.

Chanter une mélodie, une mélopée qui enveloppe, qui ceint l'âme, qui rassure la mer pour qui elle dédie toutes ses chansons...

À ses côtés l'air est bon, la mer est calme et les vagues sont dociles... Chaque fois qu'elle chante, elle chante pour l'océan, j'en suis convaincu. Car lorsqu'elle s'arrête, tout s'arrête, comme cet instant d'après-guerre où le temps semble suspendu dans l'air...

Le vent souffle moins fort, les mouettes s'effacent et la mer se terre dans un silence qui fait honneur à ses lèvres.

Elle reprend ses esprits, le monde recouvre son souffle.

Et dans les tempêtes de la vie, elle continue encore à chanter, elle offre sa voix et calme chaque émoi. La peine, la tristesse, la haine, la rudesse.

Elle parle peu mais fredonne beaucoup. Elle est la voix de la mer et à ses côtés je sais qu'il m'est impossible de me lasser de cet océan froid et glacé.

Avec Elle, je navigue et reprend goût à la vie. Alors avec Elle je veux mourir dévoré par l'océan et englouti par les vagues...

C'est peut-être à cela que renvoient les dernières paroles de ma mère ? Mourir en paix, mourir pour quelqu'un que l'on désir protéger au péril de sa vie... Mourir pour quelqu'un que l'on aime ?

Je ne saurais dire. Si c'est à cela que faisait allusion ma mère. Ou simplement si je l'aime, elle.

Mais, d'une certaine manière lorsque je la regarde, je revois défiler un conte que ma mère me récitait avec dévouement étant enfant... La petite sirène. Ariel, pour les intimes.

C'est en effet à cela que je l'associe. Tirée de l'océan, maladroite comme Ariel et muette lorsqu'il n'est plus question de chant.

Elle me fait beaucoup penser à elle, cette princesse aux cheveux écarlate qui a longtemps langui que son prince la remarque. Cette sirène qui a su trouver le courage de quitter tout ce qu'elle connaissait de chez elle pour rejoindre l'autre bout de la surface. Pour assouvir une curiosité qui lui brûlait le cœur et que personne ne comprenait. Elle a osé, parce que c'est une personne exceptionnelle, quelqu'un qui mérite d'être protégé. Quelqu'un dont l'on doit être fier.

C'est ce que notre rencontre a suscité en moi. Mais, aujourd'hui je vois en elle plus que ça. Je découvre l'étendu de ce qu'elle est, de ce qu'elle pourrait être. Lorsque je l'aperçois, je lui imagine une histoire et un passé.

J'échafaude tout un conte à partir d'elle et sa gestuelle.

Tous les soirs, elle m'écoute lui révéler une partie de ma vie, des bribes de souvenirs, des détails sur mon passé et les vestiges de ce qui me reste de compassion pour l'Humanité. Toutefois, qu'elle soit d'accord ou pas avec ce que je lui dévoile, elle n'en montre jamais rien mais n'en pense sans doute pas moins.

C'est un trait que j'admire chez elle. Elle se contente simplement d'écouter, rien de plus. Et parfois, elle me gratifie d'un sourire, ou d'une main sur l'épaule. Pas de jugement, pas de mépris. Une créature qui, d'apparence, semble parfaite.

Pourtant plus je m'attache, et plus elle s'épuise en larmes. Pour des causes que j'ignore, elle se déchire le cœur et en réponse, je sens le miens percer mes côtes.

Face à la détresse qui la défigure je suis impuissant. Un sentiment qui me secoue et qui m'écorche. J'aimerais l'aider mais, j'ignore tous des choses qui la torture.

Alors dans mes songes j'aime à imaginer sa peine. Je la vois, elle, sœur ainée d'Ariel, sa sœur aimée, sa sœur de cœur. Celle dont, tous les jours elle pleure la vie qui lui a été arraché. Par amour, cette folle femme de l'océan a étouffé la sienne, sa vie. Derrière elle, Ariel n'a laissé que l'écume, un amas qui vient s'écraser sur les plages, un souvenir suffocant qui englouti sa famille qui vit de ses restes.

Je me convaincs que, cette créature que j'ai fini par apprécier a tenté de comprendre la destinée de sa sœur, celle de la belle, la grande Ariel. Alors, en hommage à sa cadette, ma sirène a rejoint les vagues et l'oxygène. Elle m'a rencontré par hasard et ne s'attendait plus à me trouver. Moi ou un autre, j'imagine qu'elle voulait comprendre les raisons qui avaient poussées sa sœur au trépas.

Mais elle est tombée sur moi. Un pauvre garçon reculé, qui de près ou de loin, n'a rien à prétendre d'un prince à qui l'on donnerait sa vie.

En imaginant les raisons qui la poussaient aux sanglots, je pensais pouvoir la comprendre et la réconforter ; mais perdu entre rêve et réalité je commence à me demander si ce n'est pas moi le traître à l'origine de ses pleurs et ses cris.

Peut-être cette sirène se sent-elle désolée du sort de sa sœur lorsque son regard s'attarde sur moi... L'ai-je déçu de mon peuple ? Est-ce que de ma race j'ai su la dégouter?

Cette pensée me détruit. Et face à elle je ne sais plus quelles sont mes droits, quelle est mon devoir ?

J'aimerais la rendre heureuse, elle qui aboli tous des frontières du bonheur et de la joie. Elle dont je suis lié par l'habitude, je la vois, ce soir encore, pleurer. Son corps est pris de violents soubresauts, elle tremble et sa voix est ébranlé par les sanglots.

En écho à sa peine, le ciel est outrageux, le tonnerre rugi son chagrin et la pluie dévore son visage baigné de larmes. Elle est défigurée par une détresse qui la consume et que je connais, très -sans doute trop- bien.

Ses cris déchirent l'air et, la main sur le cœur, elle me lance un dernier regard. Larmoyant, dévoré par la crainte, elle me regarde. La désolation la dévore, la pitié la bouscule. Des sentiments qu'elle m'adresse à chaque fois que nos âmes se croisent.

Et comme le reflet d'un miroir, je sens sa peine couler en moi. Elle me brûle, elle m'incendie. Mais je ne peux rien faire, alors je la regarde longtemps et tente de glaner dans son regard quelque poussières de vérité.

Quand soudain, sans que je n'aie le temps de comprendre les mouvements amorcés, elle s'éloigne de moi et se rue sur le pont où s'acharne vents et torrents. Elle grimpe avec agilité et, sans se retourner, tente l'impardonnable... Elle veut se jeter dans l'eau froide et mortelle. Elle veut m'arracher à elle, elle veut donner sa vie à la mer qui lui a tout pris.

Alors, elle le fait. Parce qu'elle le peut, elle m'échappe, elle s'enfuit.

Comme je l'ai fait avec ma mère elle se prépare à tomber dans l'eau et à disparaitre à tout jamais dans l'écume qui languit ses gestes.

Et dans sa chute elle m'adresse un dernier sourire, désolant, pétillant. Un sourire terrible qui me fracasse le cœur. Elle semble heureuse... Elle semble triste ?

Je ne sais plus ce que mon cœur use en filtre pour me pousser à la rattraper mais je le fais. Je lui saute dessus et, pour la première fois, je la serre fort contre moi. L'espace d'un instant, j'entends gronder mon cœur dans mes tympans puisque je

réalise enfin. Je suis peut-être entrain de la priver de cette paix dont elle avait rêvé. Seule, la voix de l'océan qui s'éteint et renaît en écho. Mais moi alors, que fais-je ? Que suis-je ?

Cette question s'éteint dans ses yeux lorsque je distingue le choc et l'effroi qui l'anime. Elle tente de me repousser mais, trop tard. Le bateau est déjà trop loin pour nous sauver. Les vagues se préparent à nous dévorer et, comme un naufragé qui n'a plus que son rondin pour s'accrocher, je l'étreins fort et sans mesure.

Elle reste sans voix et ses larmes s'écrasent dans l'écume. Elle me regarde et pour la première fois elle parle, elle me demande simplement, une chose qui m'échappe et me laisse pantois : pourquoi ? La question est claire, la réponse l'est aussi.

Pourquoi me suivre dans ma chute, ma mort ?

Parce que je t'apprécie, parce que je n'admettrais jamais que quiconque abuse de toi de quelque façon que ce soit. Même pas toi.

Elle lit en moi comme dans un livre ouvert et me serre davantage contre elle. Elle m'enlace et ses larmes dévorent mon cou où elle trouve refuge.

Tu n'aurais jamais dû croiser ma route, tu n'aurais jamais dû me voir. C'est une phrase qu'elle me murmure en boucle au

creux de l'oreille.

Puis, elle s'élance dans l'eau et tente de nous sauver. Sa course est folle, elle en dit long sur sa condition. Elle fend la mer et déchire les vagues, elle est forte et donne raison à ma théorie : elle n'est pas humaine. Elle ne l'a jamais été.

Entre deux souffles, elle m'explique que je suis le premier à l'avoir accueillie dans mon navire, que jamais avant moi, homme n'avait pu saisir sa présence. Elle ne sait ni comment, ni pourquoi mais je la vois, je la sens. Je sais qu'elle existe.

C'est une chose qu'elle qualifie d'exceptionnelle. Mais c'est ce qui devait causer ma perte. Car sa place est dans cette étendue d'eau qu'elle ne peut se permettre de quitter. Et partager tant de moments à mes côtés étaient une chose qu'elle découvrait avec envie. Quelque chose qui pourtant devait me coûter la vie.

Depuis le début, elle savait que nous n'étions pas destinés à vivre ensemble. Et dans son regard je vois le regret la consumer, elle sait que notre rencontre a été fortuite et que, plus que tout, nous ne nous sommes jamais rencontrés pour nous aimer.

Mais désormais, il est trop tard. La mer reprend ses droits, les vagues sont furieuses, l'océan réclame la reine que je leur ai dérobé.

Alors le monde s'acharne sur nous et malgré toute la puissance dont elle est dotée, nous savons tous deux que lutter est inutile. Le bateau est déjà loin, la mer trop agitée pour pouvoir me sauver. Je suis condamné.

Comme Ariel, j'ai rêvé de découvrir le monde. Je l'ai fait en tournant le dos à ma famille, à la seule personne qui avait tout donné de sa vie pour permettre la longévité de la mienne, ma chère maman. Et puis, j'ai sauvé cette fille à l'image d'Ariel et son prince j'imagine... Elle est restée à mes côtés et le jour où je lui avais enfin tendu la main, je l'avais belle et bien sauvé, de la solitude et ses angoisses, de toutes ces choses qui m'avaient moi-même bouffées pour en arriver jusqu'ici. Mais je n'avais pas mesuré que le prix à payer serait ma vie.

Ariel et moi étions deux idiots. Deux idiots heureux, peut-être trop sensibles, trop épris. Ariel et moi étions condamnés par l'amour, c'est une chose que je découvre, comme une évidence dans mes derniers instants de vie.

Mais lorsque je retrace les courbes de mon existence, je crois que cette mort me convient. Les larmes qui sillonnent mon visage ne sont pas les miennes. Mais celles de quelqu'un qui me chéri, qui m'aime.

Alors, peut-être que ma curiosité ne connaîtra jamais l'inappétence, mais mon cœur et mon esprit ont trouvé ce qu'ils cherchaient. Cette chose que j'ignorais désirer avant de la rencontrer mais qui aujourd'hui me semble vitale. Le besoin de se savoir aimé par quelqu'un. Quelqu'un qui, un jour, avait été un inconnu. Quelqu'un que j'aimais, que j'aime.

Comme une amie ? Une amante ? Je ne sais pas, la seule chose qui fait sens à ce moment, c'est la joie qui m'enivre, la peur qui m'enlise.

Je ne veux pas mourir alors que je viens de me découvrir un nouveau but, un nouveau sens qui m'habite.

Un nouveau rêve que je dois réaliser.

Je veux vivre, pour découvrir le monde, pour rendre fière ma mère, pour en savoir davantage sur elle... Pour expérimenter plus de ce sentiment qui prend source dans son cœur.

Des désirs qui meurent à l'aube que je ne verrais jamais. L'espoir s'épuise, ma vie s'éteint et mon souvenir s'échoue sur les plages et sur sa peau qui m'étreint...


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