Le petit chaperon rouge

Il était une fois, dans un petit village de Dragomai au nom inconnu, une jeune fille qui était la plus belle de l'ensemble des chaumières qui formaient sa cité de naissance. Sa mère la chérissait, et sa grand-mère plus encore. D'ailleurs, celle-ci vint un jour à lui tricoter un joli vêtement rouge, qui lui valut de nombreux surnoms tels que la petite cerise. Mais celui qui fut finalement adopté par l'ensemble du village était moins original, frappant comme une évidence : le petit chaperon rouge. La jeune fille s'accommodait de ce surnom, qui lui rappelait sa grand-mère. Pourtant, il était si fréquemment utilisé que tout le monde avait oublié son nom de baptême.

Un jour, alors que la jeune fille rentrait chez elle après une dure journée de labeur aux champs, une bonne odeur de beurre remplissait la pièce. Le doux parfum éveilla ses sens, et la jeune fille galopa jusqu'à la cuisine, comme aimantée. Sa mère était aux fourneaux. Alors que celle-ci essuya d'un rapide geste la sueur sur son front, causée par la chaleur dégagée par le four, sa fille put apercevoir l'origine de cette charmante senteur qui embaumait la maisonnée. Un sourire se dessina sur ses lèvres couleur vermeille ; il s'agissait en effet de son dessert préféré : la galette préparée avec soins par sa mère adorée. Joyeuse, elle sautilla vers la pâtisserie qui refroidissait, pour admirer de plus près ce qui se rapprochait le plus du bonheur pour elle. Elle voulait que ses yeux dégustent avant ses papilles. Elle ne jouait pas : un profond sentiment de plénitude dégageait une douce chaleur dans son corps.

Sa mère arrêta alors son enthousiasme, en lui demandant de se rendre chez sa grand-mère, qui habitait le village voisin, pour lui apporter cette galette et un petit pot de confiture préparé au préalable. Déçue de ne pas déguster la pâtisserie, la jeune fille se consola : elle allait voir sa grand-mère ! De plus, elle s'y attendait et avait prévu quelque chose. Chose qui bouleverserait son existence.

Elle s'empara gaiement du panier d'osier, dans lequel elle mit les mets pour sa grand-mère et s'en alla. Elle traversa précipitamment la grande place du village puis se rendit dans la forêt. Elle chantonnait et marchait d'un rythme régulier sur le chemin caillouteux qui serpentait entre les grands arbres colorés. Soudain, un cri de douleur étouffé résonna. Le petit chaperon rouge s'arrêta de marcher un instant, ferma les yeux et serra la mâchoire. Son coeur tambourinait dans sa poitrine tandis qu'elle interdisait à son cerveau d'élaborer des théories. Un son menaçant derrière elle la remit en marche. Elle se mit à siffloter sans grand enthousiasme, car elle n'était plus joyeuse. L'atmosphère s'était tendue.

La jeune fille grinça des dents tout le long du chemin. Arrivée face à la chaumière, elle s'arrêta. Elle observa cet endroit paisible où elle adorait se rendre. La maison, en bois, était modeste mais pas petite. Le toit de chaume claire semblait avoir été saupoudré au-dessus du tas de troncs d'arbres formant les murs. Une fine fumée sortait par à-coup régulier de la délicate cheminée noire.

Le petit Chaperon rouge emplit ses poumons de l'air pur de la Forêt avant de s'avancer vers la légère porte, comme pour toquer. Pourtant, son poing resta en l'air. C'était le signal de départ. Son coeur tambourinait à mille à l'heure, ses mains devenaient moites d'appréhension.

Soudainement, un gigantesque loup noir jaillit des fourrés. La jeune fille fit brusquement volte-face et détailla son adversaire. Son pelage, couleur de la pénombre, étincelait sous le soleil d'été. Un claquement étonné et suspicieux résonna derrière eux, mais ils n'y prêtèrent aucune attention. Son coeur s'emballa : ils n'avaient plus que peu de temps.

L'animal s'avança vers elle, ses yeux jaunes de prédateur fixés sur elle. Ils semblaient luire. Elle fit un pas en arrière, de pure mise en scène, lorsque la bête retroussa les babines, menaçant. La jeune fille commença à trembler et elle n'entendait plus que son coeur à ses oreilles où le son lui parvenait étouffé.

L'animal franchit d'un bond la distance qui les séparait et s'empara du Petit Chaperon Rouge par sa capuche. Son coeur loupa un battement de surprise, mais elle n'eut pas le réflexe de crier, et heureusement. Fermement tenue, la jeune fille se balançait violemment au rythme saccadé et rapide de la course du Loup. Il ne relâcha pas sa prise, comme convenu.

Il fallait que les autorités qui les observaient y croient le plus longtemps possible.

Après un certain temps, l'animal s'arrêta et déposa délicatement la jeune fille au sol, sur ses frêles jambes. Elle avait mal partout ; son dos l'élançait, ses mucles étaient tendus et crispés tandis qu'elle ne sentait plus sa gorge, comme anesthésiée par le vêtement qui l'enserrait quelques minutes plus tôt. Elle souffla puis se mit à rire, une main dans l'épaisse fourrure de l'épaule de sa monture.

— Bravo, Loup, tu es un très bon comédien ! lança-t-elle, un grand sourire aux lèvres, à son compagnon de toujours.

Celui-ci releva les babines dans une grimace ironique, qui n'avait pour point commun avec le sourire que les dents découvertes. Pourtant, la jeune fille ne s'y trompa pas : elle reconnut le rictus de son ami.

— On les a bien eus, en effet, répondit l'animal, d'une voix si grave qu'elle trouvait une étrange résonance dans le corps de la jeune fille.

Elle hocha la tête, un sourire dans les yeux. Le loup se pencha alors, les pattes antérieurs à terre, afin de réduire la distance entre son garrot et le sol. La jeune fille l'enfourcha, d'un geste souple et avec l'efficacité et la rapidité que conférait l'habitude. Le prédateur se mit enfin en marche, d'une démarche gauche et lente. Il prêtait attention à la sécurité de sa cavalière, de part la vitesse de son pas et également par de discrets coups d'oeil vers elle.

Ils étaient partis. Ils avaient finalement réussi, après des mois de planification, à s'enfuir. La joie et l'espoir s'insinuaient en eux, réchauffant leur corps. Ce maudit espoir. Celui qui vous dit que vous avez gagné, alors qu'il n'en est rien.

En effet, soudainement, un dragon bleu à l'air féroce se posa face à eux. Le découragement coula dans leurs veines, comme un poison. La bouche et la gorge de la jeune fille s'asséchèrent tandis que l'allégresse quittait son corps. L'Autorité Suprême les avaient retrouvés. Ils furent balayés par la rafale de vent créée par les deux gigantesques ailes qui accompagnaient l'animal mythique. Le loup s'accrocha autant qu'il le put dans la terre meuble, en vain.

Ils savaient ce qui les attendait. L'Autorité Suprême leur laverait la mémoire grâce à leur nouvelle invention : la Brise-Résistance. Un nom plein d'imagination pour un peuple doux, qui écoutait tous les mots de son Maître avec avidité. Un peuple composé de personnes dociles. Qui jouaient leur rôle comme elles le devaient. Qui détestaient leurs ennemis, qui aimaient leur famille et leurs amis. Qui appréciaient leurs alliés en général.

Loup et Chaperon Rouge avaient eu le tort d'être différents ; le tort de s'aimer, de devenir amis, dans un monde qui n'acceptait pas ce genre de transgressions. Ils allaient être punis, perdre la mémoire et disparaître l'un pour l'autre.

Cependant, ils recommenceront, inlassablement, à créer un lien qui n'est pas celui qu'on attend entre un loup et une jeune fille, surtout de ce loup et de cette jeune fille, qui sont nés pour se détester, et avoir peur l'un de l'autre. Ils recommenceront, car ils ne pourront comptabiliser leurs échecs, et que ce même espoir, qui les trahit chaque fois, renaîtra.
Ils ne sauront pas que c'est impossible de s'échapper de cette comédie infernale, impossible de fuir le Maître qui les a créés, tous, de l'encre de sa plume, et qui s'est improvisé maître de leur existence.

Ils ne sauront pas c'est impossible, alors ils réessayeront, et courront inexorablement vers la même peine, la même fin. Cependant, à force d'y croire et d'essayer, ils y arriveront peut-être un jour.

Seul le temps nous le dira. Ils ne savent pas que c'est impossible, alors un jour ils réussiront.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top