L'araignée
Je suis resté là, tapi dans la pénombre. Les minutes passaient, le sang de mon père commençait à sécher et à gratter.
Je prends brusquement conscience que je viens de commettre un parricide, et que même si il n'a pas crié je ne peux pas courir le risque que quelqu'un se réveille et me voie dans cet état. Je dois agir vite, avec efficacité et méthode.
J'entre dans la salle de bain principale, je jette mes vêtements ensanglantés sur le sol, et je laisse couler l'eau sur mon corps tremblant. Elle est bouillante, tant mieux : je mérite de souffrir, je n'ai pas encore souffert assez...Je donne un grand coup de poing dans le mur carrelé, je réussis à me faire mal. La vue de mes phalanges rougies me fait à nouveau éclater en sanglots : je suis faible, tellement faible...incapable de protéger qui que ce soit, ou de faire régner la justice.
Je sors de la douche, pour me diriger vers sa salle de lecture de Père. Je sais qu'il a une cheminée dedans, il prétendait avoir jeté une sorcière dedans quand nous étions petits... J'allume, le feu part rapidement ; je jette mon tee shirt et mon caleçon dans le feu. La canicule est très forte cette année et le feu n'arrange rien : je transpire à grosses gouttes en regardant mes vêtements se noircir et s'enflammer brusquement, se tordant dans les flammes. Je prends soudain conscience que j'aurais pu le vaincre si j'avais réussi à prouver ses crimes pour le mettre en prison, mais que maintenant il ne me laissera plus jamais tranquille...
Je retourne dans sa chambre. L'odeur du sang me donne la nausée, mais il est hors de question de se laisser aller maintenant. Je trempe mon doigt dans son sang et je trace le symbole de la Congrégation de la Vérité sur le mur, puis j'écris en dessous :
On emmène le gamin aussi.
Puis je sors en courant de l'étage, et je prends l'ascenseur : il faut que je prépare mon sac...heureusement que tout le monde est endormi, je n'ose même pas imaginer la réaction d'Astan ou de Mère si ils me croisaient nu, en pleine nuit, dans cet ascenseur.
Une fois arrivé dans ma chambre, je m'habille rapidement et je fourre des vêtements, mon portable et un peu d'argent dans un sac à dos. Puis je renverse quelques meubles et je casse quelques objets pour faire croire à une lutte, avant de grimper dans l'ascenseur pour retourner au rez de chaussée. Je passe devant le bureau désert de la réceptionniste, devant la gigantesque salle d'attente dans laquelle Père faisait patienter ses actionnaires.
Avec un peu de chance, je ne reverrai jamais cet endroit.
C'est bon, je suis dehors. Même l'air lourd et étouffant de cette nuit d'été me fait du bien. Je réalise alors que je ne sais pas vraiment où aller : mes amis du Temple du Savoir me dénonceraient sans hésiter, idem pour les amis de mes parents...Je regarde mon téléphone.
Vous avez 31 nouveaux messages.
Je fais défiler les notifications.
Nira Adenauer :
T'aurais pas dû sécher, du coup c'est Lewis qui a eu la 1ère place au test aujourd'hui !
Alan Fontaine :
T'as loupé plein de cours, tu vas perdre des places de classement...Bonne chance pour le rattrapage !
Astrid Esperanzati :
T'es sérieux ? On avait un exposé, je te rappelle ! Je vais perdre ma place ! Rappelle moi dès que t'as ce message !
Quelques jours plus tôt, j'aurais trouvé cette situation parfaitement normale. Je me serai même senti coupable envers Astrid, ou j'en aurai voulu à Lewis de m'avoir volé la première place. Mais quelque chose a changé, et je me sens juste...En colère. Contre eux, mais aussi contre quelque chose de plus grand. Pour la première fois, je commence à comprendre les antisystèmes comme la Congrégation....Je souris, en pensant à la tête que feront Asphodèle et ses amis quand ils seront accusés de mon enlèvement, et du meurtre de mon père.
Je fais défiler les contacts, et j'appuie sur le numéro d'une des seules personnes capables de m'aider.
- Allô ?
- Allô, Reyke...Écoute, c'est Yeren, j'ai fait une énorme conner...
- Ah non, là je t'interromps tout de suite ! C'est Nell à l'appareil, on partage le même portable avec Reyke.
- Ah d'accord...Bah écoute c'est aussi bien, c'est même mieux. Je suis en galère là...Tu peux venir me chercher ?
- T'es sérieux ? J'ai pas que ça à foutre, pour moi c'est plusieurs heures de marche jusqu'aux quartiers riches...C'est vrai que ce serait pas de refus d'échapper aux clients, mais le patron me truciderait...Et je connais même pas la route !
- Et elle fait quoi, Reyke ? Elle connaît le chemin, non ?
- Elle sert à boire à des gens, au fond...écoute, on a vraiment du travail là. Et puis, je vois pas dans quelle "galère" tu t'es mis, mais ça doit pas être bien méchant...Les gosses de riches n'ont jamais de problème !
- J'ai tué mon père.
C'était sorti tout seul. Je ne comptais pas lui annoncer comme ça, mais je n'avais pas pu me contrôler. Au bout du fil, Nell gardait un silence choqué.
Quelques secondes plus tard, elle réussit enfin à articuler un mot.
- OK. Je préviens Reyke , on arrive.
Sur ce, elle raccroche.
-
Deux heures assis sur le métal glacé d'un banc public plus tard, j'entends le grincement d'un vélo rouillé, puis d'un deuxième, et je les vois sortir de la pénombre.
Reyke saute à terre et court vers moi.
- On discutera de tout ça plus tard ! Pour l'instant il faut se tirer de là, alors grimpe !
Elle remonte en selle, je me cale sur le porte bagage et je m'agrippe à sa taille. Nell roule à côté de nous, je sens son regard sur moi mais je préfère fermer les yeux et tourner la tête. Je ne me sens pas encore prêt pour leurs questions.
Nous finissons par arriver devant un immeuble assez louche, miteux et semblant sur le point de s'effondrer.
- C'est une des planques de mon frangin. Tu sais, celui qui bosse pour Esposito ?
- Je croyais que tu lui parlais plus ?
- Bah oui, mais je lui en voulais pas tant que ça...En fait, j'attendais une bonne occasion pour le recontacter, tu vois ? Donc vu qu'un ami avait besoin d'une planque...
- Oh. Cool...C'est vraiment gentil, merci.
C'est réconfortant de penser que cette fille me considère comme son ami, même si on se connaît à peine. Je souris.
- Il passera te voir dans une demi heure, normalement. Je te laisse les clés, nous on doit retourner bosser...Bonne nuit !
J'agite la main, et je la regarde s'éloigner. Puis je constate que Nell est restée à côté de moi.
- Tu ne la rejoins pas ?
- Si, je vais y aller...J'ai juste une question à te poser...Pourquoi tu as tué ton père ?
Je prends conscience qu'elle ne sait pas que je suis le fils de l'homme qui la persécutait. Pour elle, c'était juste une de mes connaissances...Je prends une grande inspiration.
- C'était une horrible personne. Il empoisonnait la vie de toute la famille...Et il faisait du mal à des filles comme toi.
Elle ouvre des grands yeux.
- Tu veux dire que...enfin, c'était ton...
- Exactement.
Elle reste un long moment silencieuse, puis me regarde droit dans les yeux.
- Merci, Yeren. T'es un mec courageux.
Puis elle tourne les talons.
Je rentre dans l'immeuble, et après avoir monté quelques marches moisies, je repère la bonne porte : c'est la seule qui a une serrure.
Je fais tourner la clé et une fois après avoir fermé la porte, je découvre une pièce bien plus confortable que ce que je m'étais imaginé en voyant l'immeuble. Bien évidemment c'est minuscule, il n'y a qu'un lit, une chaise et un lavabo, mais au moins c'est très propre. Le lit à l'air acceptable, la glace au dessus du lavabo n'est pas cassée et il y a une grande fenêtre à l'opposé de la porte, donc quand il fait jour ça doit être très lumineux.
Je jette mon sac sur le lit, et j'attends.
Mais je n'ai pas à attendre longtemps : une clé tourne dans la serrure, la porte s'ouvre et le frère de Reyke entre dans la chambre.
Comme sa soeur, il a les cheveux blonds et les yeux bleus très clairs, mais ses traits sont plus fins et plus harmonieux. Je repère immédiatement sa boucle d'oreille en forme d'araignée, symbole d'appartenance au cartel Esposito, et son costume luxueux : Reyke n'avais pas menti quand elle disait qu'il était assez haut dans la hiérarchie. Il attrape la chaise, et s'assoit en face de moi.
- Bon...Je te le dis tout de suite, t'es dans la merde. Mais on va pouvoir s'arranger...Je m'appelle Tristan.
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