Jour 1 : Erwan
Je suis crevé.
Le trajet depuis Paris n'a pas été très reposant. Les vols de nuit, ce n'est clairement pas mon truc. Surtout que nous étions en classe éco. Enfin, éco prémium pour être exact. Certains candidats ont tiré une sale tronche. Habitués aux classes business, ils s'attendaient certainement à ce que la production leur offre un voyage de qualité.
Peut-être qu'ils veulent qu'on s'habitue directement au manque de confort.
Mouais, possible.
J'aurais quand même aimé pouvoir dormir un peu plus que quatre heures, histoire d'arriver aux Philippines en forme. Car je sais que les prochaines semaines ne seront pas de tout repos.
Je me demande d'ailleurs pourquoi est-ce que j'ai accepté de participer à cette émission.
C'est vrai que l'adrénaline des compétitions me manquent même si j'aime coacher les jeunes de mon club. Mais peut-être que mon quotidien est devenu un peu trop monotone. Peut-être qu'il me faut un truc pour me bousculer. Un nouveau grain de folie.
Dans ce cas, quelque chose me dit que je risque d'être servi...
Si je fais mine de somnoler par intermittence sur le bateau qui doit nous amener à Palawan, j'observe avec attention les autres candidats. Et j'ai déjà pu remarquer quelques tensions entre les plus âgés et les plus jeunes.
Visiblement Béatrice a du mal à comprendre le métier d'influenceur. Mais ce n'est pas étonnant. Elle est connue pour être anti-réseaux sociaux. Pourtant elle a une communauté de fans assez impressionnante sur internet. Je le sais parce que je me suis renseigné sur tous les participants dès que j'ai reçu les informations deux jours avant mon départ pour les Philippines.
J'ai même visionné ses dernières émissions. Et je dois dire qu'elle a un franc-parler assez déstabilisant. Elle dit tout ce qu'elle pense, sans prendre de gants. Elle aime aussi présenter des sujets polémiques. Rien d'étonnant à ce qu'elle soit la chroniqueuse télé la plus célèbre de France.
— Non, on dit créateur de contenu. Moi, je n'ai pas pour ambition d'influencer l'opinion et les décisions d'achat de mes abonnés.
J'ouvre les yeux et me redresse. J'observe avec attention Adrien qui vient de répondre assez sèchement. Avec ses vingt-trois ans, il pourrait être le fils de Béatrice. S'il la dépasse d'une bonne tête, j'ai l'impression qu'il va en baver avec elle.
— Ah vraiment ? Et tes posts sponsorisés, c'est juste pour décorer ?
Béatrice toise Adrien avec mépris. Non, ces deux-là ne partiront jamais en vacances ensemble. Tout le monde les fixe sans aucune discrétion à présent. Jefferson et Morgane, eux aussi influenceurs, se tiennent cependant en retrait. Ils n'ont sans doute pas envie de subir les foudres de Béatrice.
Un silence embarrassant envahit le bateau. Je me tourne pour contempler le paysage quand je vois Patrick s'approcher. Il a peut-être trois ans de plus que Béatrice et pourtant, je lui en donne bien dix ans de moins.
Certains le soupçonnent d'avoir eu recourt à la chirurgie esthétique pour tenter de contrer les ravages du temps.
Ce gars a un regard avenant mais je sais que c'est un leurre. C'est un puissant homme d'affaires qui fait la loi dans le domaine de l'informatique. Il est sans pitié pour ses concurrents et n'hésite pas à écarter de son chemin, en toute légalité, ceux qu'il considèrent comme des ennemis potentiels. Il est parti de rien et à présent c'est l'une des plus grosses fortunes mondiales.
Je le regarde s'approcher de Béatrice et Adrien. Patrick est aussi connu pour ses piques assassines. Et visiblement, il a l'intention de recadrer nos deux camarades.
Il s'intercale entre eux et les fusille du regard :
— Dites, on n'en a rien à cirer de vos questions de vocabulaire et de ce que vous pensez du boulot des autres. Nous sommes ici dans un but bien précis. Et je vous rappelle que vous représentez tous les deux une association. Je ne pense pas que ça va leur plaire de vous voir vous étriper comme des chiffonniers devant les caméras.
— Parce que ça tourne là ? glapit Adrien, affolé.
— Tu poses vraiment la question ? Tu n'as pas grand-chose dans le cerveau, on dirait, réplique Patrick d'un ton exaspéré.
Adrien le bouscule et parcourt le pont du bateau. Il finit par repérer un caméraman installé à une vingtaine de mètres, dissimulé derrière un large poteau.
Je ne comprends pas son étonnement, ni la colère qui s'affiche sur son visage. Dans l'avion, un membre de la production nous a briefé et nous a expliqué qu'il y aurait au minimum trois caméras en permanence autour de nous. Rien de plus de logique de toute façon, c'est le principe d'une émission de téléréalité d'être filmé en continu.
Béatrice se moque ouvertement d'Adrien avant de reprendre sa place à l'avant du bateau.
Je reprends ma contemplation de la mer. Je me demande pourquoi nous avons reçu les noms des autres candidats à l'avance. L'effet de surprise était évidemment gâché lorsque nous nous sommes tous retrouvés à l'aéroport à Paris.
Peut-être que la production voulait nous laisser une possibilité d'annuler notre participation en découvrant ceux et celles qui seraient de la partie.
Mais dans ce cas, ni Gilles ni Sandra ne devraient être là. Ils sont tous les deux chef d'un restaurant étoilé. Le premier a perdu une étoile l'année dernière. Un véritable coup de théâtre dans la profession. Tandis que Sandra est devenue la première personne en France il y a deux ans à obtenir la récompense ultime du premier coup. Ce qui n'a pas plu du tout à Gilles. Depuis, ils ne peuvent plus se voir.
— Eh bien...ça promet de sacrés joutes verbales...
Je me tourne vers celle qui vient de prendre place à mes côtés. Jody a un an de plus que moi. Elle joue dans les séries policières les plus connues aux États-Unis et a des millions de fans. Pourtant, depuis notre départ de Paris, elle n'a jamais cherché à se mettre en avant contrairement à d'autres. Elle fait profil bas et je crois que je vais bien m'entendre avec elle.
Je lui adresse un franc sourire :
— En même temps, avec des personnalités comme Béatrice...
— Elle risque de sauter dès le premier conseil, tu ne penses pas ? me demande Jody.
— Cela dépendra de ses performances sur les épreuves sportives. Qui sait, elle pourrait nous surprendre...
— Pas faux ! Mais à choisir, je préfère encore quelqu'un comme elle, qui est honnête, qu'un faux cul manipulateur comme Samuel. Bon sang, lui...je ne le sens pas du tout.
Je partage son avis. Samuel a connu le succès à l'âge de huit ans. Il animait, avec un adulte, une émission de divertissement pour les enfants. Il ne pouvait pas sortir de chez lui sans provoquer des émeutes. Tous les gosses de France, ou presque, l'adoraient. Il avait une bonne bouille, comme disait ma grand-mère. C'était le genre de gosse que tous les parents auraient aimé avoir chez eux. Poli, souriant, capable de lancer quelques petites blagues sympas, il avait toujours un mot gentil pour les enfants invités sur le plateau. Et puis il a grandi. À treize ans, sa voix a mué et il a connu de gros problèmes d'acné. La chaîne pour laquelle il « travaillait » l'a viré. Il n'était plus assez « mignon ». Personne, selon eux, n'avait envie de voir à l'écran un ado au visage ravagé de boutons.
Le retour à une vie normale ne s'est pas bien passé. Harcelé au collège, ses parents l'ont scolarisé à domicile. Puis, après son bac, il a touché l'argent gagné grâce à sa courte carrière d'enfant star et il l'a dilapidé en moins d'un an. Après avoir enchaîné les petits boulots sans grand succès, il s'est tourné vers la téléréalité. Et depuis quinze ans, on le voit partout. En célibataire entouré de vingt femmes prêtes à tout pour conquérir son cœur. En voyage à New York pour essayer de devenir mannequin ou chanteur. En Italie pour essayer de se rabibocher avec une de ses ex. En apprenti cuisinier, para commando ou jardinier.
Je crois bien qu'il a tout essayé.
Son compte en banque n'est pas plus garni qu'avant car il dépense toujours autant sans compter. Mais il a dépassé le million d'abonnés sur Instagram. Et manifestement, il arrive à proposer régulièrement des posts sponsorisés.
Comme si Jody devinait mes pensées, elle désigne Samuel du regard :
— Comment ce guignol peut-il avoir autant d'abonnés et collaborer avec des marques de luxe ? Franchement ça me dépasse, soupire-t-elle.
— J'ai arrêté de me poser la question. Je pense que c'est mieux pour ma santé mentale, plaisanté-je.
— Qu'est-ce qu'ils ont dit déjà pour les logements ? Ce sont des chambres de quatre ?
— C'est ce que j'ai compris. Laisse-moi deviner. Tu ne veux pas de Samuel avec toi.
— Et comment !
J'observe rapidement à la dérobée les autres participants. Même si je ne suis pas du genre calculateur, il faut que j'élabore une stratégie pour ne pas sauter dès le premier conseil. Me rapprocher des personnes que j'estime les plus fiables, comme Jody, me semble la meilleure option. C'est pourquoi je lui dévoile le fond de ma pensée :
— On pourrait peut-être proposer à Sophie et Hakim devenir avec nous. J'ai le sentiment qu'on peut leur faire confiance.
— Oui, je suis d'accord. Il y a Alexandre aussi mais il a quand même une dizaine d'années de plus que nous. Et visiblement, il semble plus à l'aise avec les plus âgés du groupe.
Jody me montre Alexandre qui discute gaiement avec Eliane et Gilles. Ils ont tous la quarantaine. Rien de plus logique qu'ils restent ensemble. Reste à voir si Sophie répondra favorablement à notre demande puisqu'elle a quarante-trois ans.
Je regarde un bref instant le trio. J'aurais pu les rejoindre car j'ai toujours eu plus de facilités à nouer des amitiés avec des personnes plus âgées. Avec les gens de ma génération, bizarrement, cela a souvent été compliqué.
Au début de ma carrière professionnelle, je ne nageais pas avec les nageurs de mon âge. J'étais toujours avec des hommes et des femmes qui avaient dix à quinze ans de plus que moi. Cela avait beaucoup inquiété mes parents à l'époque. Je n'étais encore qu'un gosse à leurs yeux malgré mes quatorze ans et comme certains clubs avaient été éclaboussés par des scandales de harcèlement à caractère sexuel, ils se méfiaient de ceux que je fréquentais.
Avec le recul, je les comprends mieux à présent.
Un cri de surprise non loin de moi me fait sursauter et je reprends pied dans la réalité. Zoé, une mannequin de vingt-deux ans, ne cesse de sautiller en désignant quelque chose de la main.
Elle ne cesse de hurler « c'est trop beau, c'est trop beau ! »
Je remarque alors que le bateau s'approche des terres. À mon tour, je ne peux m'empêcher d'exprimer mon émerveillement face au paysage de carte postale que j'ai sous les yeux.
Des palmiers, une immense plage de sable fin et une eau turquoise qui incite à la baignade. L'endroit parfait pour des vacances de rêve.
Ce qui sera loin d'être le cas pour nous.
Le bateau jette l'ancre à plus d'une centaine de mètres de la plage. Nous voyons alors arriver de petites embarcations à moteur. Ouf, nous ne devrons pas nous jeter à l'eau. Une quinzaine de minutes plus tard, nous sommes tous alignés sur la plage face à Erick Bertignac, l'animateur vedette de GalaxyStars.
Je ressens un certain tourbillon d'émotions. Derrière la beauté de l'endroit où je me trouve se cache une réalité bien plus complexe. Mon cœur bat la chamade. Je suis à la fois excité et en même temps terriblement angoissé. Je savais que quitter mon quotidien confortable me ferait perdre mes repères. Et la chaleur écrasante du soleil me rappelle que je vais devoir affronter des défis physiques intenses.
Est-ce que je suis prêt ?
Est-ce que je vais réussir à me dépasser ?
Je l'espère.
Tandis qu'Erick Bertignac nous dévisage un par un, l'adrénaline commence à monter. Chaque candidat scrute discrètement son voisin, sans doute pour se demander qui deviendra son allié et qui au contraire sera son ennemi.
L'animateur nous explique rapidement que nous allons pouvoir déposer nos sacs dans nos logements et qu'ensuite nous disputerons une épreuve déjà très importante pour la suite de l'aventure. Instinctivement, je me crispe. Je ne m'attendais pas à être plongé directement dans le bain. Après un voyage long et fatiguant, je pensais vraiment que nous aurions droit à nous installer tranquillement et ensuite profiter d'une bonne nuit de repos.
Je me suis trompé.
Je ne suis pas le seul à grimacer. C'est la douche froide pour tout le monde. J'en vois certains fermer les yeux, comme s'ils réfléchissaient déjà à une stratégie.
En découvrant les explications fournies avec le contrat, j'ai tout de suite compris que notre aventure allait ressembler en partie à Koh Lanta. Je suppose donc que cette épreuve octroiera à son vainqueur un avantage certain pour le premier conseil. Ce qui signifie que nous allons devoir nous battre dès maintenant et que cela risque de créer des conflits par la suite.
Une nouvelle fois, je m'interroge sur les raisons de ma présence ici. Je croise alors le regard d'Alexandre et de Hakim. Et j'ai le sentiment qu'à cet instant, ils partagent la même réflexion que moi.
Nous suivons ensuite Erick vers l'intérieur des terres. À une cinquantaine de mètres de la plage nous découvrons plusieurs constructions traditionnelles philippines sur pilotis. Elles forment un demi-cercle et sont reliées entre elles par des pontons de bois. Elles entourent une maison nettement plus grande que toutes les autres. Jody s'approche de moi, accompagnée de Sophie et de Hakim. Ils ont accepté notre proposition.
Lorsque Erick nous informe que nous pouvons aller déposer nos sacs dans l'une des bâtisses, nous sommes les premiers à nous décider. Très vite suivis par les autres, de notre nouveau logement, nous entendons certains râler, mécontents de la « répartition » des chambres.
Je ressors très vite, suivi de Jody, Hakim et Sophie. Une fois que nous sommes tous à nouveau rassemblés sur la plage face à Erick, Sandra lui demande si elle ne peut pas changer de maison. Elle la partage apparemment avec Marius, Xavier et Chloé. Et c'est cette dernière qui lui pose problème.
Je comprends rapidement pourquoi. Sandra est chef d'un restaurant étoilé. Chloé est ce qu'on appelle une fit-mum.
Elle s'est improvisée coach de sport il y a huit ans lorsqu'elle était enceinte de son premier enfant. Sur son compte Instagram, elle publie une multitude de photos où on voyait son corps tonique, svelte et musclé. On lui a très vite reproché de montrer une image idéalisée de la grossesse et de faire culpabiliser les femmes qui n'avaient pas le même corps qu'elle. La minceur est rapidement devenue une obsession maladive chez Chloé. Malgré les dizaines d'articles qui alertent sur les dangers que ses messages et ses publications représentent, elle est suivi par des milliers de personnes.
— Non, je regrette Sandra. Il n'y aura aucun changement autorisé, déclare Erick d'une voix tranchante.
Les épaules de la chef s'affaissent. Il va y avoir de l'ambiance ce soir de leur côté...
Puis, l'animateur nous demande de le suivre. Nous marchons une bonne dizaine de minutes et nous découvrons ce qui ressemble fortement à un parcours du combattant. Je repense alors aux entraînements que j'ai réalisé pour me préparer. Ainsi que les encouragements de ma famille.
Je suis déterminé à réussir. Je ne peux pas les décevoir.
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Bien bien, il y aura donc des chapitres du pdv de Erwan.
Qui sera le deuxième à votre avis ?
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