LE TEXTE COMPLOTISTE ET EXTRÉMISTE QUE LES PRIVILÉGIÉS SERONT BIEN TROP INTELLIGENTS POUR S'ABAISSER À LIRE

Si nous vivions dans un monde idéal, où tous les êtres humains pencheraient naturellement vers l'ouverture d'esprit et la tolérance, où chacun serait capable de reconnaître la valeur de son prochain malgré sa nature, ses pratiques ou ses particularités innées ou acquises, des déchirures telles que nous en connaissons aujourd'hui n'auraient pas lieu d'être. Il n'y aurait pas de cancel culture, pas de controverse, pas besoin de politiquement correct.

Mais nous vivons dans un monde violent et pétri de dangereuses contradictions, non dans un monde idéal, et pour cette raison, je me dois d'annoncer à mes proches qu'ils sont chanceux que je ne sois pas assez courageux pour sauter le pas de me jeter par la fenêtre.

Car oui, à l'heure où notre société est à ce point gangrenée par la haine de l'autre et de ses différences, les deux solutions les plus probantes qui viennent à l'esprit de nombreuses personnes sont les suivantes : éradiquer l'ensemble de la race humaine, ou mettre fin à ses propres jours. Ce sont les seuls moyens qui surviennent, radicaux certes, mais efficaces en apparence, à notre esprit pour qu'enfin nos souffrances s'achèvent.

Alors, au lieu de me contenter de condamner les propos haineux que peuvent tenir certaines personnes, je vais m'adresser à elles : pourquoi tenez-vous ces propos ? Quels sont les arguments valables ou les certitudes individuelles et profondes qui vous poussent à penser que les femmes sont inférieures aux hommes, que l'ethnie blanche est supérieure aux autres, que les homosexuels sont des pécheurs, que les transgenres et les handicapés s'inventent des problèmes et n'existent pas ?

Qu'est-ce qui vous pousse à trouver ces propos pertinents ? Pourquoi les tenez-vous ? Comment pouvez-vous vous permettre, sans en ressentir un quelconque malaise ou une quelconque culpabilité, de parler de choses que vous ne connaissez pas ? Pourquoi jugez-vous plus juste de donner votre opinion avant d'écouter celle des premiers concernés ?

J'ai horreur de la théorie de la dictature des minorités. Je ne supporterais pas que nous nous abaissions au même niveau que nos oppresseurs. Néanmoins, si nous ne voulons pas en arriver là, ce n'est pas aux minorités de faire quelque chose mais, une fois encore, à la majorité.

Si la majorité ne veut pas être tenue sous le joug des minorités, chose que la plupart des privilégiés ne craignent, de toute évidence, pas véritablement et n'invoquent que lorsqu'ils ont l'impression de sentir que leur autorité individuelle est menacée ; alors la majorité devrait peut-être se résoudre à descendre de son piédestal et à écouter les minorités.

Les minorités peuvent devenir agressives et colériques à force de ne pas être écoutées, de ne jamais être prises au sérieux, d'être sans cesse tournées en ridicule et mises sur le même compte que des complotistes et des fanatiques extrémistes. La prise de parole des victimes de notre société patriarcale et raciste, de notre société malade, est purement légitime, et son but primaire est de parvenir à un équilibre juste entre tous les êtres humains.

Mais si la majorité s'obstine dans ses positions en refusant sans cesse d'écouter les minorités, alors peut-être en arriverons-nous à une dictature des minorités ; ou alors peut-être continuerons-nous de vivre dans un monde dirigé selon le bon vouloir des privilégiés. Je ne désire vivre ni dans l'un, ni dans l'autre de ces mondes.

Tout ce que je désire, comme une myriade d'autres personne, et qui semble chose impossible, si laborieuse et difficilement atteignable pour les privilégiés qui défendent leur domination bec et ongle, c'est vivre dans un monde juste.

Un monde certes pas parfait, mais un monde où chaque être humain serait reconnu à sa juste valeur et non ancré dans des stéréotypes. Ce monde ne serait pas parfait sans doute pour d'autres raisons, mais si nous étions tous égaux, nous pourrions nous entraider et essayer de nous pencher tous ensemble sur ces imperfections pour essayer de les corriger ou d'atténuer leurs conséquences.

Au lieu de quoi nous continuons de nous voler dans les plumes pour savoir qui a raison. Au lieu de quoi certains préfèrent continuer de croire que des événements immondes et bien réels comme la Shoah n'ont jamais eu lieu. Au lieu de quoi certains se délectent d'avancer des arguments sophistes et pseudo-scientifiques pour tenter de prouver que les personnes transgenres et autistes n'existent pas.

Au lieu de quoi certains adorent violenter, physiquement et moralement, des personnes en leur rappelant les stéréotypes turpides et infondés sur leur ethnie, sur leur genre ou leurs préférences sexuelles. Au lieu de quoi certains s'obstinent dans une cécité artificielle et préfèrent continuer de croire que les enfants et les animaux sont des objets dont on peut disposer à sa guise ou dont on peut se débarrasser lorsque l'on n'en veut plus.

Aucun de vous autres, privilégiés qui défendent leur domination bec et ongle, n'aurait envie de vivre ce que certains d'entre nous ont vécu, les insultes, le dédain, les coups, les viols, les meurtres, le rejet, la moquerie ; et, pour l'intégralité d'entre nous, l'oppression systémique et systématique de notre nature, nos origines et nos particularités, cette sensation de n'être pas légitimes et de ne pas avoir de place dans la société alors même que, viscéralement, nous savons que nous valons autant que n'importe qui et devrions être traités en conséquence.

Je regrette profondément et sincèrement que vous autres, privilégiés qui défendent leur domination bec et ongle, refusiez à ce point d'écouter la souffrance et les appels à l'aide des oppressés et, par conséquent, de vous mettre à leur place. Je regrette profondément, sincèrement et plus amèrement encore que vous soyez si peu pourvus d'empathie, tout cela parce que vous avez la chance de posséder un grand nombre, voire tous les privilèges de notre société. C'est faire preuve d'un égoïsme, d'un égotisme et d'un égocentrisme pur, digne des comportements toxiques des pervers narcissiques et des sociopathes les plus détestables qui soient.

Et je ne parle pas là des fous qui souffrent par la faute du poids de culpabilités inacceptable que la société leur a rejeté sur les épaules, mais bien des individus, si aigris et imbus de leur minuscule et mesquine personne, qui imposent précisément aux autres cette culpabilité et cette souffrance.

Au même titre que je regrette profondément, sincèrement et encore plus amèrement le fait que vous ne seriez certainement pas assez dignes et humbles pour lire ce manifeste jusqu'au bout ou que vous vous presseriez d'en extraire, d'en sortir de leur contexte et d'en déformer les propos avec pour seule visée de retourner une fois encore la situation à votre avantage – comme si vous ne possédiez pas déjà tous les avantages possibles et imaginables et qu'il fallait en plus de cela vous en rajouter !

Étouffant au sein d'une humanité à l'agonie, noyée dans ses propres contradictions et dans la haine de ses propres diversités, qui font pourtant d'elle ce qu'elle est, je regrette profondément, sincèrement et encore, encore plus amèrement que, maintenant que les minorités et les victimes se sont toutes exprimées, l'on soit incapables de parvenir à ce noble objectif d'égalité, tout cela parce que les privilégiés qui défendent leur domination bec et ongle sont trop égoïstes, idiots, avides et bornés pour les écouter.

Et j'adresse encore une fois mes plus sincères félicitations à mes proches, qui ont bien de la chance que je ne sois pas assez courageux pour sauter le pas de me jeter par la fenêtre. Comment, en tant que minorité, ne pas se laisser gagner par la haine et la rancune quand, otage des privilégiés, on a étudié à si bonne école ?

D'un oppressé à l'élite d'oppresseurs, je vous salue, Bien à vous. Et n'oubliez surtout pas de me taxer de complotiste-fanatique-extrémiste, de bien déformer mes propos et de sortir le moindre d'entre eux de leur contexte, ça fait toujours plaisir.