Éclosion virtuelle
Tout avait commencé par le battement d'un cœur. Un unique cœur, flamboyant dans toute la splendeur de ses pixels rouges, qui avaient enseveli Archibald sous leur admiration. Puis, il y en avait eu un deuxième, un troisième, une dizaine, des centaines, des milliers. Dans cette avalanche d'adoration virtuelle, le Lys Rouge était né, toujours plus avide de reconnaissance, s'épanouissant un peu plus à chaque vue, à chaque commentaire.
Un masque de papier argenté, sur lequel perlaient deux belles larmes sanglantes, une longue cape cramoisie dont la capuche ne laissait échapper aucune mèche de cheveux du mystérieux personnage, une chemise noire légèrement déboutonné, révélant un torse fait d'acier étincelant sous les ring light, un pantalon large flottant au gré de la brise des ventilateurs et une paire de bottes à talons élevant leur propriétaire à dix centimètres du sol du petit studio de photographie. Le Lys Rouge posait, encore et encore, chaque angle révélant un peu plus sa beauté mystique, toujours récompensée par un déferlement de cœurs saignants.
Chaque jour, seul dans sa loge, Archibald s'abreuvait de leurs commentaires enflammés, traquant chaque compliment, chaque emoji aux yeux en coeur, se noyant avec extase dans cette foule en adoration, gravant chaque pixel admiratif au plus profond de son être.
Chaque jour, ils ne faisaient que lui prouver un peu plus sa propre existence, l'existence de cet être parfait et admiré, intouchable et intouché, cet être que tous désiraient égaler, que tous désiraient devenir.
Bien sûr, il y avait toujours quelques incapables pour critiquer, quelques langues de vipères pour répandre leur venin, quelques échecs tentant de gratter un peu d'affection sur la haine de sa célébrité. Cela aussi, il le regardait, le gravait au plus profond de son cerveau.
Dire que chacun de leurs mots pleins de fiel ne le heurtaient pas, ne l'ébranlaient pas, ne fissuraient pas une partie de son être aurait été mentir. Mais toujours, cette muraille infaillible d'admiration venait se heurter brutalement à ces flèches empoisonnées, le protégeant de leurs émanations viciées. Peu lui importait ceux qui ne pourraient jamais accepter son succès, ils mourraient misérables et oubliés de tous, tandis que lui continuerait à se complaire dans son immortalité bienheureuse, enduit de la tête au pied de cette exquise image de perfection et de l'adoration sans failles de ses admirateurs.
Jusqu'au jour où il était arrivé. Ce n'était d'abord qu'un commentaire parmi tant d'autres, posté sur une vidéo parmi tant d'autres. Un commentaire insignifiant, bien loin des monceaux d'immondices dont il avait l'habitude.
Ce n'était rien, quelques mots parmi des milliers d'autres. Mais derrière son masque flamboyant, baigné dans la lumière de la célébrité, Archibald avait douté, durant un instant. Un minuscule, inutile instant, qui avait pourtant suffit à le faire trembler de tout son être. Et s'il avait été démasqué ? Et si le monde connaissait sa véritable monstruosité ?
À partir de ce jour, sous chacun de ses posts, sous chacune de ses vidéos, ces mêmes caractères revenaient le tourmenter, lui renvoyant brutalement au visage cette part de son être qu'il refusait d'assumer.
Terrifié et plein de rage, il avait tout fait pour découvrir la véritable identité de son détracteur, de cette étrange menace qui planait au-dessus de sa tête, en vain.
Loin de s'avouer vaincu, il s'était alors décidé à le faire disparaître de ce monde virtuel, son monde. Mais peu importe le nombre de comptes qu'il signalait, lui et sa masse fanatique, il revenait toujours, postant inlassablement le même commentaire, qu'Archibald s'efforçait de supprimer à la seconde où il apparaissait sur son écran :
"Je sais ce que tu es”.
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