Le Temps d'une Chute
La chute est si longue que ma vie a le temps de défiler devant mes yeux que je ne suis pas atterie. Alors, je prends le temps de penser à cette chute, qui a tout commencé. Comment tu m'as poussée, comment je n'ai pas su que c'était toi. Il faisait nuit, ma voiture était en panne, personne aux alentours. J'ai soufflé, et j'ai fait le tour de ma petite Twingo, achetée grâce à mon salaire d'intérimaire en hôpital. J'étais garée trop près du bord, alors j'ai essayé de décaler ma voiture en poussant de toutes mes forces mais rien n'a bougé. Je me suis assise, les jambes dans le vide, presque désespérée. La falaise était si haute, je ne m'en rendait même pas compte. Je voulais juste rentrer chez moi tu sais. Deux grandes mains sont apparues derrière moi, et j'ai basculé. Au début, je ne comprenais pas ce qui se passait, puis, lentement, la scène s'est rejouée dans ma tête. J'avais l'impression d'être au cinéma tant c'était réaliste. Un cinéma un peu comme le Mercazzio, en centre ville, celui où tu m'emmenais souvent. Je n'ai même pas eu le temps d'avoir peur tu sais, que j'étais déjà dans l'eau. Là, un détail a surgit dans mon esprit, vif comme l'éclair. Je ne sais pas nager. J'ai sombré, bien plus profond que tu ne peux l'imaginer. J'ai commencé à paniquer, et à me dire que c'était la fin, que je ne voulais pas mourir, pas maintenant! J'ai suffoqué, avalé de l'eau par litres, le sel bouchant mes voies respiratoires, je pleurais. Et là, j'ai vu des bulles apparaître à mes côtés. En fait, non, je n'ai rien vu, je pense que j'étais déjà dans les vapes à ce moment là. Je me suis réveillée quelques secondes, quelques minutes ou quelques heures plus tard je ne sais pas. Tu étais à mes côtés, j'étais allongée dans un lit, complètement trempée, les cheveux dégoulinant d'eau salée. Je ne comprends toujours pas pourquoi tu m'as sauvée. Peut-être pour le plaisir de détenir ma vie entre tes mains déjà pleines de sang. Tu étais là, tu prenais soin de moi, tu me demandais si ça allait, si j'arrivais à respirer correctement. Tu m'as dit tout ça avec une hypocrisie telle que je ne m'en suis même pas rendue compte. La naïveté dont j'ai fait preuve ce jour là était accablante. Depuis ce jour, on a commencé à se voir, un peu, une fois toutes les deux semaines. Et puis, toutes les semaines, tous les deux jours, puis quotidiennement. On avait une complicité si évidente que je n'ai même pas pensé à te demander ton nom. Toi non plus d'ailleurs, mais peut être le savais tu déjà. J'imagine que tu te renseignes sur tes victimes. Et puis, à un moment, peut être trois mois après l'accident comme tu aimes l'appeler, la question est tombée. Mais qui avait bien pu me pousser de cette falaise? On a cherché des heures durant, faisant la liste de toutes les personnes qui pouvaient avoir une raison de me tuer. Il y en avait un paquet, tu t'en souviens? J'étais si aveugle que je ne me suis même pas rendue compte que le meurtrier était à mes côtés, en train de se chercher lui-même. J'y ai cru, de toutes mes forces. J'y ai cru quand tu m'as emmené voir la police, histoire de leur montrer mes cicatrices, dues aux rochers. J'y ai cru quand, une fois, à trois heure du matin, tu m'as réveillée en me disant que tu avais retrouvé le criminel. J'y ai cru quand tu m'as rapporté ma voiture, avec sa carrosserie rouillée par le vent, la pluie, le sel. J'y ai cru jusqu'à la dernière seconde. Mais je n'aurais pas dû.
Presque un an après l'accident, j'ai décidé de retourner sur la falaise, là où tout à commencé. Je pense que j'ai compris à ce moment précis, lorsque j'ai garé ma Twingo, mais je ne voulais pas y croire. L'évidence s'étalait devant moi, aussi étendue que la marée bleue en dessous de moi, mais j'ai volontairement détourné les yeux. Mais quand tu es arrivé avec un cadavre dans les mains, j'ai eu comme l'impression de prendre une décharge électrique. Mon corps a fait un soubresaut, et je suis partie me cacher derrière ma voiture en me retenant de rendre mon repas. Tu as jeté le corps dans la mer et tu es reparti comme si de rien n'était. Je n'ai même pas senti les larmes dévaler mes joues quand je me suis approché de la falaise, pour faire mes adieux à quelqu'un que je ne connaissais pas. Tu m'as à peine surprise quand tu m'as poussée.
Le corps dans les mains, je sors de chez moi, et vais chercher ma voiture. Je ne prends pas la peine de couvrir le cadavre, dans moins d'une heure il sera en train de flotter dans l'eau de la mer. Je dépose mon passager dans le coffre et m'installe sur le siège conducteur. Pendant les 45 minutes de trajet, je réfléchis au meilleur moyen de la tuer. L'idéal serait, bien sûr, qu'elle retourne à la falaise, qu'elle ne me voie pas, ou qu'elle me voie en fait, peu importe. Là je la pousserai dans l'eau, mais cette fois, personne ne viendrait la secourir. D'ailleurs, il y a bien longtemps qu'elle devrait être morte, mais un couple de touristes qui passait par là a crié haut et fort, dans un français maladroit lorsqu'ils l'ont vue tomber.
Perdu dans mes pensées, je ne vois pas l'arbre qui se place en travers de mon chemin et ne l'évite que de justesse. Je souffle de soulagement avant de me concentrer sur ma route. Les dernières minutes du trajet défilent et je me retrouve garé à quelques mètres d'une Twingo bleue que je ne connais que trop bien. Je n'ai pas le temps d'hésiter, on m'a prévenu que la police est à mes trousses. Je m'avance, mon cadavre sur les bras, lentement. Je sais qu'elle ma vu, elle sursaute et court vers sa voiture. Je jette mon chargement dans l'eau, et je me sens libéré d'un poids conséquent. Cela dit, il me reste encore un problème à régler. Je repars, comme si de rien n'était. Je n'ai pas besoin de me cacher, elle n'ose pas regarder derrière elle. Je la vois pleurer, au dessus de la falaise. Elle ne m'entend pas approcher. Je pose mes deux mains dans son dos et je pousse.
Alors, voilà. Dans quelques secondes, mon corps déchirera la surface paisible en dessous de moi. Je résisterai peut être, un peu. Mais je vais mourir, c'est inévitable. Au loin, j'entends les sirènes de la police. Au fond, j'espère qu'ils t'attraperont.
Je n'ai même pas eu le temps de te dire que je t'aimais.
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