PARTIE 9 : NEPTUNE
« La musique seule peut parler de la mort. » – André Malraux.
IL l'avait confié dans l'une de ses chansons. Une des chansons phares du groupe. Tout le monde l'avait entendu, personne ne l'avait écouté. Je suis malade. Dans un moment de faiblesse, il avait composé cette chanson. Il se souvient du ton sans appel, compatissant du médecin ce jour-là. « Vous êtes malade. »
« Et pourtant, j'ai la vie dans les veines. » avait-il songé. Elle bouillonnait, tremblait et ne demandait qu'à s'exprimer. C'était la musique qui parcourait son sang. Il n'était pas un être fait de chair et de sang, non, il était fait de sons, de sanglots automnaux, de rires estivaux, de berceuses hivernales et d'espoirs vernaux.
J'ai la vie dans les veines. Il a la fureur de vivre, de tout tenter, tant que cela ne met pas en danger les personnes qu'il aime le plus au monde. Savoir qu'il les blessera toutes, d'un coup brutal, le même jour, lui est déjà pénible au quotidien, alors il essaie de ne pas en rajouter. Et elle était arrivée. Elle était arrivée, et pour elle, il a essayé.
Un été. C'était l'unique condition. Il le savait, elle le savait. Alors pourquoi avait-il eu l'impression de piétiner son propre cœur, au moment des adieux ? Pourquoi avait-il eu autant de douleur à la pousser à partir ? Pourquoi ne voyait-elle pas qu'il avait déjà un pied dans la tombe, que l'étreinte glacée de l'ange de la mort avait déjà laissé une empreinte trop visible sur lui ?
Accroche-toi bien et prépare-toi pour le voyage.
Je rêve d'une vie où ta main reste dans la mienne,
Où tu ne pleures pas l'océan tout entier,
Où la nuit scintille de promesses radieuses,
Mais ma main est déjà froide et la tienne brûle.
Mon amour, tu voulais mon coeur, mais il t'appartient depuis toujours.
Je ne t'avoue pas que je t'attends et que la chandelle faiblit.
Je t'aime un peu plus chaque seconde et je savoure chaque jour
Tous les mots précieux que tu m'as murmurés au gré des nuits.
Il sourit tristement aux étoiles. Émilie verra-t-elle qu'à travers cette chanson, il lui offre une réponse à Larmes dans la nuit ? Pleurera-t-elle en l'écoutant, de la même façon qu'il a tissé sa souffrance entre les paroles et la composition de la chanson ? Égoïstement, il ose espérer que oui, tout comme il espère aussi qu'elle est déjà en train de l'effacer de sa mémoire.
Les mots s'agitent et il ne contrôle plus vraiment ses mouvements. Cette fois, il parle de cette magnifique journée que lui, Kit, Em et Alice ont passé sur l'Elysée, un bateau qu'ils ont loué pour une journée, au large de la côte grecque. Tout avait été parfait. Des photos prises par Alice aux plongeons de Kit en passant le rire d'Em, qui surpassait de loin toutes ses chansons préférées. Il l'avait embrassée tant de fois ce jour-là qu'ils en avaient eu les lèvres gercées. Mais il n'avait pu se contenir, tant elle transpirait le bonheur.
La journée avait été parfaite, immortalisée par les soins d'Alice. Il n'avait même pas remarqué qu'elle les avait photographiés, lui et Em. Alice n'a rien dit quand elle a fait imprimer les photos et qu'elle les lui a données dès que lui, Kit et Jay sont arrivés à Londres. Elle n'a rien dit non plus quand il l'a remerciée avec émotion. Et il imagine qu'elle ne piperait mot non plus si elle savait qu'il les regardait tout le temps et pleurait souvent. Ces instants volés sont tout ce qu'il lui reste de ce moment d'éternité.
Elle a donné à mon été un goût d'éternité
Ramenez-moi sur l'Elysée
Je voulais tellement t'embrasser
Que j'en oubliais de respirer
Ramenez-moi sur l'Elysée
Ramenez-moi sur l'Elysée
Quitte à mettre son cœur à nu, autant y aller jusqu'au bout. De toute façon, il n'en verra pas les conséquences. Cet album sera son dernier. La seule chose qu'il espère désormais, c'est qu'elle lui pardonnera.
Accroche-toi bien et prépare-toi pour le voyage.
Il songe alors à un virage à 180° dans la chanson, à quelque chose qu'il n'a pas encore tenté, que Sad Joy n'a pas hésité à tenter : toucher à un autre genre musical en plein milieu d'une chanson. Sa main se fait frénétique, son piano moins triste et plus rythmé à mesure qu'il murmure des mots qui d'abord ne veulent rien dire, puis finissent par s'assembler pour former des phrases.
Eh bien, oui, j'ai du feu dans les veines, en plus de la vie qui brûle, brûle, brûle
Ce jour-là nous avons été aveuglés par un futur irréaliste, une chimère ridicule
Qui de ses rayons nimbés de bonheur nous a bercés d'illusions crédules
Et il ne nous reste que des conversations vides et stériles
Oh mon ange, pardonne-moi ton péril, j'ai été bien vil,
Car tu ne peux pas crier au monde notre amour subtil !
Et maintenant j'ai besoin de te voir une dernière fois,
Avant que la vie ne me rappelle encore notre contrat.
Oh, tes yeux portent encore tous nos espoirs.
Il répète ensuite le refrain, songeant immédiatement à la tête que fera Kit lorsqu'il entendra la démo de la chanson. Mais il tiendrait bon, car il sentait que Ramenez-moi sur l'Elysée serait un succès, que c'était la chanson qui manquait à leur album presque terminé, la prise de risque que personne n'attendait.
Oh, une minute entière de félicité !
C'est plus que ce dont j'étais autorisé à rêver.
Il soupire et ignore les gouttes d'eau salée qui maculent le papier. Elles lui rappellent trop la mer bleue et auréolée de lumière, le sel sur ses lèvres lorsqu'ils étaient sur l'Elysée, et le rire et la légèreté d'Emilie ce jour-là, et la façon qu'elle avait eue de lui sourire lorsque sa tête avait émergé hors de l'eau.
Elle avait lu Les Nuits blanches ce jour-là. Il s'était penché par-dessus son épaule pour essayer de comprendre, mais les lettres étaient assemblées d'une façon impossible à déchiffrer pour lui. Il avait tout de même essayé de lire à haute voix les mots, et elle avait ri de son accent anglais. Lui s'était pris d'affection pour la pointe d'accent français qui transparaissait lorsqu'elle parlait anglais, et surtout, surtout, il aimait la façon dont elle prononçait son prénom en français.
Bref, il a pensé que peut-être, s'il citait l'excipit du livre qu'elle avait lu ce jour-là, elle comprendrait qu'il devait maintenant vivre avec un morceau d'âme en moins depuis son départ, elle éprouverait ce qu'il voudrait bien lui confier mais n'ose pas s'autoriser de peur de la briser encore davantage.
Toujours est-il qu'il était reconnaissant d'avoir pu expérimenter un tel amour, même si ce n'était que pour quelques semaines. Grâce à elle, il avait pu goûter au fruit défendu, toucher du doigt la divine ataraxie et il murmurait maintenant à la Lune qu'il savait désormais à quoi devait ressembler une belle histoire, et que s'il pouvait il en ferait un manuscrit pleins de mots précieux qu'elle lirait chaque soir à ses étoiles pour leur rappeler que même un chanteur à la voix déclinante avait eu droit à son rossignol.
Une quinte de toux interrompt sa litanie. Il voudrait bien lui rendre encore hommage en écrivant un bridge digne d'elle, mais il lui faudra attendre le lendemain. Déjà, il sent ses poumons s'encrasser, ses bronches s'entraver. C'est le signe qu'il lui faut remettre son tube d'oxygène s'il ne veut pas en manquer d'ici peu.
Les minutes suivantes sont de celles qui recèlent le destin. Funestes, creuses et vides telles des nymphes de la mort cherchant lentement leur dû. Les nuages noirs de la solitude ne lui renvoient que l'écho de ses propres pensées, les draps froids ne sont qu'un cruel rappel de ce qu'il a jadis possédé et la terrible odeur des instruments stériles lui évoque seulement les rayures nacrées du linceul beige qu'il a déjà dû choisir.
Dans la nuit, il éclate en sanglots. Il est seul, et personne ne viendra. Il a évincé la seule personne qui aurait pu venir, et il se demande ce qu'il ferait si elle était là, il en vient même à se demander s'il ne devrait pas se mettre à genoux sous les rayons de la lune, la supplier de changer son destin, et même toutes les prophéties du monde s'il le fallait. Mais avait-il le droit de sacrifier toute la joie du monde simplement pour son bonheur à lui ? L'éphémérité de ce qu'il a vécu à ses côtés vaut bien mille vies et est largement suffisante dans la vie d'un homme.
🎶🎶🎶🎶🎶🎶🎶
Bonsoir ! Comment allez-vous ?
Cette partie n'est pas très joyeuse... et la suite... eh bien je ne dirai rien ...
Quoiqu'il en soit n'hésitez pas à me laisser un commentaire, ça est toujours un plaisir de vous répondre !! 🖤
Prenez bien soin de vous 🖤
A la semaine prochaine ! 🖤
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top