« La musique commence là où s'arrête le pouvoir des mots. » — Richard Wagner

  Elle emplissait chaque interstice de la pièce. Elle. La musique. Elle provenait de la neige qui tombait en épais flocons au-dehors, devant les montagnes embrumées, du feu qui crépitait dans la cheminée et de l'enceinte qui diffusait une playlist aléatoire. Installée sur le canapé, enroulée dans un plaid, une tasse vide sur la petite table face à la cheminée, Emmy était plongée dans sa lecture. Mais lorsque la chanson se termina et qu'une nouvelle débuta, elle releva la tête vers lui, qui se laissait déjà bercer par les premières notes et entonnait les premières paroles, en rythme avec la voix du chanteur. Cette chanson portait la dure vérité qu'aucun d'eux ne voulait s'avouer, et l'inévitable fin qui les attendait.

— I don't wanna get older
Without your head on my shoulder
On the day that you leave me
I'll forever be bleeding, love

Le parquet bruissa sous les chaussettes de la jeune femme, alors qu'elle le rejoignit avec la délicatesse d'un ange. Au-dehors, les flocons épais tombaient en virevoltant, telles des plumes célestes. Les yeux fermés, il pouvait presque imaginer que deux longues ailes ornaient le dos de son aimée et que s'il tendait les mains, il en effleurerait la suavité. Il savait qu'elle était face à lui, qu'elle le contemplait comme si c'était la dernière fois, les yeux pleins de tendresse.

— As forever comes closer
Hope the world will spin slower

Il rouvrit les paupières. Il n'avait jamais été très doué avec les confessions. Alors il les chantait. Parfois avec les mots des autres, parfois avec les siens.

— I don't wanna get older.

Les yeux clairs d'Emilie se remplirent de larmes. Elle aussi, redoutait tout cela autant que lui. Ils devaient avoir l'éternité devant eux, mais ils n'auront que quelques années.

— I don't wanna get older, répéta-t-il, en adoucissant sa voix rauque autant qu'il le pouvait.

Elle essuya ses joues baignées d'amour.

Un sourire éclaira le visage du jeune homme, et il lui tendit une main, qu'elle accepta avec douceur. La prenant par la taille, il la ramena près de lui, près de son cœur, là où elle serait toujours. D'une voix douce, angélique, elle se joignit à lui, au même moment que la chanteuse originale.

— Stare at the photograph
Suddenly takes me back
The promises roll off your breath
In your cocaine-coloured wedding dress

Il guidait les pas d'Emmy au doux rythme de la chanson, bercé par l'habitude. C'était là le fruit de plusieurs années passées à apprendre à se connaître, à se rencontrer pour la première fois, encore et encore. À avancer ensemble main dans la main, toujours en regardant dans la même direction.

— Lost in the day-to-day
You kiss away the pain
Oh, every time you twist my lips
My dear devotеd delicate

Leurs regards étaient noyés l'un dans l'autre, comme s'il serait désormais impossible de démêler leurs couleurs, et que chacun vivrait encore dans les prunelles de l'autre si d'aventure la vie menait à les séparer. Il fit tourner la jeune femme sur elle-même et l'enlaça sitôt qu'elle fut contre lui.

— It's not worth it if I lose my onе-way ticket for two
Just me, just you

Emmy noua ses bras autour de son cou, et les joues du jeune homme chauffèrent, même si c'était elle. Même si ça avait toujours été elle. Même si il n'y avait eu qu'elle. Il ne s'en lasserait jamais.

Ils reprirent ensemble le refrain, évoluant sur les ballotements de la chanson, dont la mélodie résonnait dans leurs deux âmes étroitement liées. Plus rien autour d'eux n'existait. La neige, le brouillard épais, le bois crépitant, tout cela n'était plus réel. Dans leur univers, seule la délicatesse était de mise, et n'importe qui qui les observerait à ce moment partirait tant l'instant semblait intime, éternel, arrêté.

— I don't wanna get older
Without your head on my shoulder
On the day that you leave me
I'll forever be bleeding, love

Ils partagèrent un sourire tandis qu'ils se lançaient dans une valse en suspend, à quelques étages à peine des étoiles.

— As forever comes closer
Hope the world will spin slower
I don't wanna get older
I don't wanna get older

Une larme, petit perle d'émotion pure, roula sur la joue de la femme. Il s'empressa de l'essuyer du bout des doigts, l'effleurant comme on toucherait les pétales immaculés d'une fleur fragile. Il craignit soudainement qu'elle ne se brise sous la puissance de la tempête qui les secouait depuis le début. Cependant, elle se reprit et plongea un regard apaisé dans le sien. Elle était aussi solide que lui.

— Our love is tailor-made
But we let the edges fade
Your wicked smile, it says it all
Mixed with my sad and cynical, hmm

Le jeune homme la souleva pianissimo de terre, comme si elle n'était qu'une feuille voltigeant dans la légèreté du vent.

— No tragedy at the end
No, nothing Shakespearean
It all comes flooding back again
My dear devoted delicate

Derrière eux, le vent claqua les volets en bois contre le mur, mais aucun d'eux ne réagit. Aucun d'eux n'entendit. Ils n'écoutaient qu'eux, que l'écho de leurs mélopées respectives, des confidences qu'ils échangeaient sous les yeux de l'hiver.

— It's not worth it if I lose my one-way ticket for two
Just me, just you

Le sol avait disparu sous leurs pieds, remplacé par un amas de nuages blancs cotonneux et de plumes nacrées dont l'épaisseur et la douceur n'avaient d'égale que celles de l'alcyon.

— I don't wanna get older
Without your head on my shoulder
On the day that you leave me
I'll forever be bleeding, love
As forever comes closer
Hope the world will spin slower
I don't wanna get older
I don't wanna get older

Il se pencha et appuya son front contre le sien, les paupières closes. Alors que la musique faiblissait et qu'ils se balançaient à son flux, le temps gagna en intensité lorsque la jeune femme pressa sa bouche contre la sienne, scellant l'instant d'un baiser enchanteur. Puis, elle enfouit son visage dans sa nuque, leurs corps ondulant encore sous l'air de la chanson.

S'il avait pu capturer cet instant dans une boîte, il l'aurait gardée précieusement jusqu'à sa mort, et aurait demandé à être enterré avec, afin d'être sûr de l'emmener avec lui dans l'après. Cela n'aurait jamais dû s'arrêter, le temps aurait dû rester en suspend, mais il n'avait pu que leur offrir cet éclat d'éternité, ce rond de danse et de douceur qui n'avait de l'éternité que le goût d'un poème.

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Playlist

All Time Low – Jon Bellion (piano version)
Boulevard Of  Broken Dreams – Green Day
The Show Must Go On – Queen
Brûler les étoiles – Sad Joy
Je veux aller aux Enfers – Sad Joy
La Reine des Cendres – Sad Joy
Pompeï – Sad Joy

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Bonsoir ! Comment allez-vous ? :)

Merci d'avoir lu cette partie ! Qu'en pensez-vous ? Avez-vous trouvé de quel point de vue ces parties sont écrites ? Pour le moment, personne n'a trouvé 😏

On se retrouve vendredi prochain pour le chapitre suivant ! Prenez soin de vous 🤎

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