PARTIE 5 : MARS
« Là où est la musique, il n'y a pas de place pour le mal. » — Miguel de Cervantes
IL laisse son âme soupirer d'aise contre le piano. Il en effleure à peine les touches qu'il se sent déjà mieux. Les sons ont toujours été à la fois son poison et son remède. C'était effrayant, quand on y pensait, de posséder l'infini entre ses doigts, d'être en passe de se pulvériser soi-même tout en se rafistolant. Sans le vouloir, il s'affligeait les meilleurs châtiments et les pires fortunes. L'esprit est le plus vil des démons. Mais il avait besoin de ressentir, s'il voulait écrire.
Ce n'était pas la technique la plus optimale, il le savait. Mais elle fonctionnait, et évoluait en même temps que lui. Quoiqu'il fasse, il restait ainsi, un être en devenir, dont l'âme était encore parsemée de lacunes, trouée par endroit et en construction à d'autres.
Il a accepté cette condition. Être la somme de son passé et du futur qu'il modèle encore (et dont il connaît l'inévitable fin) ne lui est plus si intolérable. Il l'attend autant qu'il le redoute.
Ses longs doigts, usés par des années à se fondre dans les supplices et mélodies, parcourent les touches, au rythme de son âme. Ce qu'il s'était passé l'inquiétait, mais il ne pouvait pas, il ne devait pas, le montrer. Pas à elle, pas à eux, pas au monde. Elle était sa faiblesse, et personne ne devait le savoir. Surtout pas elle.
S'il la délaissait complètement, tout irait pour le mieux. Il s'en sortirait comme il l'a toujours fait. Elle ne saura rien, il saura tout. Là où elle ne distinguera que des rimes énigmatiques, lui y contemplera toute l'ampleur de la marque qu'elle aura laissée sur son cœur.
Le piano montre son désaccord en lui commandant une note déchirante. Qu'il est difficile d'écouter sa raison ! Pendant un instant, sa psyché lui désobéit et prend les commandes, engloutissant toutes ses conclusions pourtant correctes. Le piano gémit de bien-être, ravi d'être enfin en symbiose avec le musicien. Si nécessiter un interprète est déjà un lourd fardeau, le laisser désaccordé, disgracieux et s'entraver dans une harmonie qui n'est pas la sienne est un poids encore plus accablant.
Le pianiste pousse un profond soupir. Il peut bien se mentir à lui-même, il n'y a pas une seule vérité que la musique ignore et ne lui fasse pas affronter. Elle le trahissait souvent au profit de ses désirs les plus inavouables, et toujours il revenait vers elle. Parce qu'elle discernait tout, qu'elle exprimait tout, lui montrait l'éternité en lui attrapant le menton par la pulpe de ses doigts noueux, déposant toujours une traînée nitescente sur sa peau fragile. En tant qu'être pitoyable, il finissait invariablement par se ranger à son avis. La musique gouverne sa vie, pour le meilleur et pour le pire.
Elle ne se doutera de rien. Personne ne comprendra pourquoi il a publié une vidéo de lui sur le piano, interprétant cette chanson.
https://youtu.be/5dRRYsOtbyc
Il joue d'abord quelques notes, les yeux rivés à ses touches, le microphone penché vers ses mâchoires. Bien-sûr, sa version serait plus épurée, étant donné que ce serait uniquement lui et son piano. Ce qu'il aimait avec cette chanson, c'est que seulement le refrain faisait référence à ce qu'il souhaitait signaler. Noyé dans le reste de la chanson, son message demeurerait invisible, mais tout de même envoyé. Le jeune homme ne pouvait certainement pas se permettre plus de clarté. Cela signerait sa perte.
Mais il ne pouvait pas se taire. Et la seule façon dont il était capable de s'exprimer était la musique.
— If I were a king I'd probably dream
Of bringing peace into the world
Noble deeds, heroic things
Until I'd seen the shining pearls
And all of the greed stored underneath
Could go and leak at anytime
I want him dead, they bring his head
An impulse ruins all their lives, entonne doucement le chanteur, toujours accompagné par les délicates notes du piano.
Cette chanson, sortie il y a peu de temps, a d'ores et déjà une place importante dans son cœur, compte tenu de sa situation. Mais aujourd'hui, il ne l'interprétait pas pour lui, mais pour elle.
— I could be wise most of the time
But just one slip up makes them starve
And all this chaos makes its way
As I'm here feasting on their farms, continue-t-il, au rythme de la pluie qui s'abat contre ses carreaux.
Entendrait-on, à travers le vidéo, le plic-ploc régulier des gouttes ? Il se base en partie sur le rythme de la pluie pour chanter, telle une version automnale de la chanson.
— The problem ain't they're never good
The problem's power taints the mind
A heart of gold will turn to stone
The throne's where good men go to die !
Il force sa colère à refluer et chanta le refrain avec la douceur qu'on associe à une berceuse. Il pourrait se lâcher au refrain suivant, à mesure que la pression sur les touches du piano gagnerait en amplitude.
— Hold on to me, don't give up on me
If I start to sink would you reach for me?
I get so afraid, break down suffocate
Would you help me breathe?
Help me breathe !
A la fin du refrain, sa voix sonnait comme une supplication, une longue et lourde complainte à laquelle on ne pouvait pas résister. Et pourtant, personne ne l'avait écoutée. Cette seule pensée le hérisse et c'est avec bien plus d'intensité qu'il poursuit :
— If I were to gain all of this world
Don't let them take away my soul
Don't want the arrogance, the ignorance
This selfishness I hold
Instant access is a flame
That I don't think I can control
Don't let this ember enter in
If I'm not worthy of its load !
Finie, la douceur ! Il était temps de communiquer avec plus de clarté. C'était pourtant sans danger, car il pouvait se permettre toutes les émotions qu'il voulait, tout le monde étant désormais persuadé qu'il contrôlait tout. Mieux valait qu'il ne se mente pas à lui-même : s'il choisissait de réagir publiquement, c'était parce que personne ne recevrait son message. Sinon, il n'aurait pas pris un tel risque.
Elle était sa faiblesse.
— Don't wanna hurt the ones I love
Don't wanna let everyone down
I try so hard but I slip up
Lose my grip, fall on the ground !
Ses doigts s'aventurent sur la partie la plus à gauche du piano, la plus grave. Celle qui peut plonger droit dans le cœur et déterrer les chagrins enfouis.
— The problem ain't they're never good
The problem's power taints the mind
Don't let this heart turn into stone
Don't let these lights burn me alive !
Cette fois, le chanteur ferme les yeux et saute dans le refrain, que sa voix rauque sublime de ferveur.
— Hold on to me, don't give up on me
If I start to sink would you reach for me?
I get so afraid, break down suffocate
Would you help me breathe ? questionne-t-il, avec une ardeur de plus en plus forte.
Ses mains papillonnant toujours sur le piano, son dos s'arque en arrière lorsqu'il s'exclame, avec une force qui lui donne la chair de poule :
— Help me breathe ! Oh !
Au dernier moment, il change la dernière phrase de la chanson. Si le chanteur original chantait « Don't let me suffocate in luxury », lui ajoutera autre chose que luxury.
— Don't let me suffocate in front of you !
Plus tard, lorsqu'un de ses amis lui murmurera des mots douteux, il niera en bloc. Plus tard, il regardera tous ses amis dans les yeux et leur mentira.
— Je crois que cette histoire te touche bien plus que tu ne le voudrais, commentera son ami, un air songeur sur le visage.
— Pas du tout, c'est simplement une coïncidence remarquable.
Son ami le laissera tranquille après ça, sachant qu'insister ne le mènera à rien. Cependant, cet incident aura fait naître le doute en son ami. Un doute qui ne fera que croître.
🎶🎶🎶
Playlist :
Suffocate, Nathan Wagner
Lovely, ItsAMoney (violin cover de l'originale de Billie Eilish et Khalid)
Problems, Hey Violet
I Found, Amber Run
October passed me by, girl in red
Not in the same way, 5 SOS
i love you, Billie Eilish
/!\ playlist susceptible d'être mise à jour durant la publication de cette partie
🎶🍂🤎🧡🤎🍂🎶
Bonsoir ! Comment allez-vous ?
Merci d'avoir lu cette partie ! Qu'en pensez-vous ? Il y a un gros indice sur l'identité de la personne derrière ces parties... 👀
On se retrouve vendredi 6 octobre pour le chapitre 34, que j'ai plus que hâte que vous lisiez !!
Et sinon, on se retrouve demain pour le chapitre 1 de Un automne pour tout écrire, le projet sur Mike !
Si ça vous intéresse, un chapitre sera publié chaque samedi !
Je vous laisse avec la couverture :
Vous pouvez retrouver cette histoire sur mon profil ! 🤎
(PS : j'ai vraiment vraiment vraiment hâte de vous faire lire la suite ! 👀)
A très vite ! Et prenez bien soin de vous ! 🎶🍂🧡
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