⇝ Chapitre 8
J'appuie enfin ma tête contre l'oreiller. J'ai attendu ce moment toute la journée, et maintenant que ma journée est enfin terminée, je peux me coucher. Du moins, c'est ce que j'espère jusqu'à ce que mes doigts commencent à me démanger. La fébrilité prend bientôt possession de mon corps, si bien qu'il m'est impossible d'espérer fermer l'œil avant de m'être épanchée.
Je rallume la lumière et attrape ma guitare ainsi qu'un carnet et un stylo. Voilà quelques jours que j'ai des mots dans la tête, qui vont et viennent comme le ressac et que je les griffonne sur une feuille de brouillon pour ne pas les oublier. Ils sont désormais gravés dans mon esprit, condamnés à s'envoler dès que la plume effleurera le papier.
J'ai la mélodie, aussi. Elle est même venue avant les mots. Elle est bercée par tout ce que j'éprouve et que je n'arrive pas à nommer. Il me semble que seuls les sons sont assez précis pour exprimer mes pensées. Je ferme les yeux et gratte doucement les cordes de ma plus vieille confidente.
J'autorise mon âme à se relâcher, à se laisser imprégner par les vibrations, à s'élever et à se libérer des entraves que j'ai moi-même nouées. J'ai peur qu'un jour, à force de me retenir, je ne sois plus capable de laisser la fièvre de la musique m'habiter. L'être humain est son propre ennemi.
La suite du refrain me vient enfin et je le fredonne à haute voix. Je me fiche du nombre de minutes, d'heures qui s'écoulent avant d'y parvenir. J'en ai besoin, c'est dans mes veines, ça pulse, comme oiseau qui grifferait sa cage jusqu'à la briser.
Quelqu'un m'a dit que tu étais dans les étoiles,
Que je n'avais qu'à lever les yeux pour t'apercevoir.
Mais le ciel ne fait que m'aspirer dans son trou noir.
Je n'y éprouve rien d'autre qu'un vide sidéral.
Quand les mots me sont venus, je pensais à Solange et Luke. Si je plisse un peu les yeux, je peux distinguer le fil argenté – étoilé –, qui les relie. Ils sont mon passé que je ne veux pas abandonner. Le problème, c'est que j'en ai oublié d'avancer.
Le passé était si ravissant, un mélange d'espoir et de candeur galvanisants.
J'étais les pointes, tu étais l'étoile.
J'étais la lune, tu étais la lumière.
Tu as dû mettre les voiles.
Qu'est-ce qu'une étoile loin de son ossuaire ?
Tu ne m'as laissé que de la poussière stellaire.
Oh, tu es comète, je suis tempête.
Une étoile est destinée à mourir là où elle naît. Et Solange est partie là où je ne pourrai pas la rejoindre. En abaissant les paupières, je l'aperçois près des lacs où toutes les grandes âmes se baignent. Elle me sourit, elle sait que je viendrai. Mais pas tout de suite.
Le temps a glissé, n'a laissé qu'une empreinte amère.
Si je ferme les yeux, tu es soleil.
Si je te laisse partir, je suis étoile.
Tu n'es plus que constellation,
Un souvenir que je dois chérir, un passé vermeil.
La lumière que tu affiches n'est déjà plus.
Oh, la lune s'accroche à son attraction lacunaire.
Cette fois, c'est à Luke que je pense. Je ne comprends pas pourquoi je m'accroche comme cela. Il n'est plus celui que j'aimais, et je ne suis plus non plus celle qu'il aimait. Alors, pourquoi ? Quelle leçon n'ai-je pas encore retenue ? Qu'est-ce qui m'empêche de passer complètement à autre chose ? J'ai compris que je tiendrai toujours à lui, d'une manière ou d'une autre.
Comme les étoiles qui brillent dans le ciel, c'est dans sa clarté passée que mes yeux se noient. J'aimerais être en mesure de me complaire dans sa lueur actuelle, mais je ne crois pas pouvoir m'y résoudre.
Les larmes coulent sur mes joues quand je finis par trouver une conclusion pour ma chanson.
Les satellites sont des pépites, pour peu qu'on les accrédite.
Des étoiles tombées trop tôt, mais une fois libérées,
Elle en deviendront Arcturus.
Je ne sais pas comment nommer cette chanson. Étoile oubliée ? Comète effacée ? Je n'ai jamais été douée pour les titres. (Je pourrais demander à Lise de m'aider, c'est son truc de donner des noms. Le problème est l'heure tardive : il est un peu plus de trois heures du matin et j'ai cru comprendre qu'elle avait un examen demain, et même si elle stresse et ne dois pas être capable de dormir, je ne veux pas la déranger. Je sais qu'elle a besoin d'être seule dans ces moments-là.)
J'essuie mon visage trempé de larmes. C'est comme ça depuis deux ans maintenant. Dès que la pression diminue et que je me détends, je fonds en larmes. C'est épuisant. (Savez-vous que pleurer sollicite une quantité étonnamment élevée de muscles ? Pas autant qu'après une séance de musculation, mais tout de même.)
Je repousse la persistante impression de me battre en vain. Insidieuse, elle se glisse chaque jour un peu plus entre mes interstices. Elle fragilise ma structure, cherche à m'effriter. Dans la bataille, je perds quelques fragments, mais je me promets de tout réparer quand tout ira mieux. Je ne dois pas céder, pas maintenant. Je sais exactement ce que je ne veux pas.
Et si je laisse le doute et le désespoir gagner, je vivrai sur les ruines de mon rêve ad vitam æternam. Et il en est hors de question. Hors de question. Je ponctue ces mots d'une profonde respiration, gagnant le combat du jour.
Dans quelques semaines, nous jouerons au show de Noël. Cela me fait un objectif, un point à atteindre. Une fois cela accompli, nous aviserons. Nous continuerons les covers, et l'été prochain, nous avons déjà prévu de retourner à New-York écrire un deuxième EP. Caitlin a déjà commencé à chercher des petites salles de concert où nous pourrons jouer et son père s'est porté garant pour nous. Grâce à Caitlin, nous pourrons nous faire connaître un peu plus et peut-être même gagner en reconnaissance (même si Dark Fate nous a déjà bien aidés).
Alice espère pouvoir aller les voir en concert quand ils repasseront en France et les rencontrer. Elle souhaite les remercier personnellement pour leurs chansons. Je dois admettre qu'elles m'aident aussi à appréhender mon quotidien.
Je ferme les yeux et m'autorise à m'élever au pays des rêves, là où je distingue clairement mon avenir idéal. Chaque nuit, il s'invite dans mon esprit, m'exalte et me rappelle ce pourquoi je me bats. J'imagine que je suis épanouie, mes pétales évasés comme ceux d'une fleur, mes couleurs aussi vives que celles d'un papillon, et c'est sur cette image nette que je me laisse emporter dans les flots de la nuit.
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Bonsoir ! Comment allez-vous ?
Merci d'avoir lu ce chapitre ! N'hésitez pas à me donner votre avis 💜🎶
On se retrouve samedi prochain pour le chapitre suivant !
Prenez bien soin de vous ! 💜🎶
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