⇝ Chapitre 65
Mike pousse un profond soupir, les yeux fixés sur la voûte céleste. La nuit n'est pas encore très avancée, on distingue encore les lumières du crépuscule au bord de la lointaine mer Egée.
— Ça craint, lâche-t-il. Ni toi ni moi, on est capable de bien se débrouiller quand il est question de sentiments.
Installés sur le balcon du dernier étage de la maison, où se trouvent les chambres de Mike et de Luke, nous profitons de la fraîcheur du soleil couché. Là où nous sommes, sur les hauteurs, une brise légère nous caresse perpétuellement la peau, tant et si bien que la chaleur ne paraît plus être si suffocante. Quelques étoiles percent déjà les nimbes rosées du ciel. La nuit promet d'être claire et pleine d'étoiles filantes, que j'irai probablement contempler au bord de la piscine.
— Si encore il n'y avait que nous ! déplore Caitlin en me jetant un coup d'œil.
Elle qui était venue se prélasser sur le salon de jardin (elle avait même sorti tous les coussins) ne semble plus détendue du tout, maintenant que moi et Mike l'avons rejointe pour profiter aussi de la température qui diminue un peu. Cela fait du bien de ne pas avoir une constante pellicule de sueur dès qu'on met le nez dehors.
— Ça fait longtemps que j'ai arrêté d'espérer qu'Emmy sache gérer ça, rétorque Mike en grimaçant.
— Hé ! protesté-je en me redressant. Je ne suis pas si nulle.
— C'est vrai, affirme Caitlin, tu es la seule ici qui peut au moins être fixée.
— Elle est juste tombée amoureuse du seul garçon qui a décidé de ne pas vouloir d'amour dans sa vie. Je ne vois pas ce qu'il y a de malchanceux là-dedans ! ironise Mike en levant les yeux au ciel.
— Arrête d'être bougon ! le taquiné-je. Tu es sûrement celui qui a le plus de chances de s'en sortir sans avoir le cœur brisé...
— C'est vrai, répète encore Caitlin. Je suis sûre que James serait ravi de recevoir un message de ta part !
— Il s'est montré très clair sur ses intentions la dernière fois qu'on s'est parlé, grommelle Mike.
— Qui était en décembre, rappelé-je. De l'eau a coulé sous les ponts.
— Vous ne comprenez pas... Vous n'étiez pas là. Moi, si. J'ai vu son visage, et j'ai lu dans son regard tout ce que j'avais besoin de savoir. Je suis le seul imbécile à être tombé amoureux dans cette histoire !
La colère et le désespoir qui percent sa voix me frappent autant qu'un couteau lancé avec une furieuse précision sur un tendon. Pauvre Mike ! Restera-t-il quelque chose de son cœur s'il continue à être malmené ainsi ? Pourquoi ne perçoit-il pas ce que j'ai clairement distingué lorsqu'il m'a confié toute l'histoire ?
— Mickey, lui dit gentiment Caitlin, on ne te conseillerait pas de le contacter si c'était une mauvaise idée.
— Désolée les filles, mais au vue de vos vies sentimentales respectives, je pense que je ne vais pas vous écouter, s'entête Mike en soupirant. Pardon, ajoute-t-il face à nos mines déconfites, mais c'est la vérité. Vous ne savez pas gérer ce qui vous arrive.
J'ouvre la bouche pour protester mais me ravise face au regard noir que me jette Mike.
— Ne t'avise pas de prétendre le contraire, Emmy ! Tu t'es pris je ne sais pas combien de râteaux de la part de Freddie et tu continues d'espérer. Rends-toi à l'évidence : s'il voulait vraiment de toi, il ne t'aurait pas repoussée.
— Ce n'est pas si simple !
— Mais il l'aime, proteste Caitlin au même moment. Comment réagirais-tu, à sa place ?
— Je pense que je m'enfuirais très loin d'ici et ferais en sorte de ne plus jamais le revoir, réplique sèchement Mike.
— C'est exactement ce que tu fais avec James, remarqué-je, d'un ton acerbe.
— Ça suffit, tous les deux ! intervient immédiatement Caitlin. Michael, Emmy et moi ne sommes en rien responsables de tes problèmes de cœur. On remplit juste notre rôle d'amis en te donnant des conseils. Libre à toi de les suivre ou pas.
— Je ne veux pas de conseils, marmonne-t-il en gardant ostensiblement le regard fixé sur les nuées d'oliviers, qui sont presque du même vert que ses yeux.
— Alors, que veux-tu ? interrogé-je en croisant les bras.
— Alice est la seule à avoir de la chance, poursuit Mike, morose.
— Étant donné ce qu'elle a traversé à cause d'Antoine, je pense qu'elle mérite tout à fait de vivre une belle histoire avec Kit, argué-je en haussant un sourcil.
Jamais je n'oublierai le jour où son regard s'est éteint pour de bon. Les morts de Sad Joy et de Solange l'avaient déjà affectée, mais ce jour-là, j'ai compris que c'était la goutte de trop. Alice, la rayonnante Alice, n'avait plus rien d'exubérant. C'était terrible de l'avoir vue n'être qu'une ombre, jusqu'à ce que Dark Fate nous repère et nous donne un coup de pouce sur leurs réseaux. Sans le savoir, ils avaient redonné à Alice le goût de vivre, et rien que pour ça, je leur en serai toujours reconnaissante.
— Et puis, tout le monde n'est pas obligé de galérer, ajoute Caitlin avec douceur. Ça fait plaisir de voir quelqu'un à qui ça réussit complètement !
J'hoche vivement la tête pour appuyer ses dires.
Mike se tourne vers nous d'un air effaré.
— Vous êtes en train de me dire que je deviens aigri ?
— Un peu, admet Caitlin.
— Complètement, renchéris-je, en ne pouvant empêcher mes lèvres de s'étirer en un sourire moqueur.
La grimace de Mike s'étend davantage sur son visage.
— Super, maugrée-t-il en se levant. Je n'ai plus qu'à aller m'enfermer seul dans ma grotte et me plaindre que je ne vois personne.
J'échange un regard amusé avec Caitlin.
— Une belle perspective, commente-t-elle, d'un ton railleur.
Mike grimace encore plus.
— Moquez-vous si vous voulez, bougonne-t-il, mais au moins comme ça, je suis certain que plus personne ne me brisera le cœur. Vous me rejoindrez dans ma grotte, vous verrez !
Le regard sceptique que je lui jette me vaut un grognement accompagné d'un soupir. Puis, il nous souhaite une bonne soirée, décrétant qu'il serait mieux dans son lit à regarder un animé.
— Eh bien ! lancé-je, une fois qu'il est parti. Qu'est-ce qui lui arrive ?
Caitlin hausse les épaules.
— Je crois qu'il se sent malchanceux contrairement à nous. Le problème, c'est qu'il ne peut s'en prendre qu'à lui-même.
— Peut-être, mais ce n'est pas dans ses habitudes, objecté-je, les yeux rivés sur la mer mêlée au ciel orangé.
Si j'étais peintre, mes doigts me démangeraient et je ne pourrais probablement pas m'empêcher de tenter de rendre justice à ce spectacle. La ville en contrebas plonge dans la vallée et la rivière qui s'y épanouit est un chemin lisse et brillant qui nous mène jusqu'à la mer. Je suis presque sûre que la nuit, si on plisse un peu les yeux, on peut distinguer le reflet des étoiles dans l'eau.
— La journée a été longue, répond-elle en haussant les épaules. Il devait être un peu fatigué.
Je ne pense pas que la réponse soit si simple. Pourtant, je me garde de prononcer ces mots à haute voix. Après tout, si Mike décide de garder certains éléments pour lui, il n'y a pas grand chose que je puisse faire. A la place, je me contente de hocher la tête et de prendre le livre que j'ai monté avec moi, songeant à ce que Caitlin nous a confié, à Mike et moi, au sujet de Cecily. Je ne savais pas qu'elle lui avait donné son numéro !
Elle a présenté ça comme une mauvaise chose, mais je ne crois pas qu'elle soit malintentionnée. Elle est peut-être juste trop curieuse. Mais est-ce un mal pour future exploratrice ?
— J'en ai parlé avec Freddie, tu sais.
Je lève les yeux de mon roman. Caitlin m'observe avec hésitation.
— De Cecily ? interrogé-je.
Elle hoche la tête.
— Il ne voit pas ça d'un très bon œil.
Ce qui ne m'étonne pas.
— Pourquoi ? demandé-je.
— Jay est déjà sorti avec une fan, explique-t-elle.
— Je crois qu'Alice m'en a déjà parlé. Ça me rappelle vaguement quelque chose.
Quelque chose avec un scandale.
— Ça ne s'est pas bien passé du tout, continue Caitlin. Je pense qu'il n'a pas envie qu'une histoire du même genre se reproduise, surtout si ça nous touche nous.
Je me redresse et décroise mes jambes, réfléchissant à sa situation.
— Et toi, questionné-je, que veux-tu ?
Le visage de Caitlin, d'ordinaire si ouvert, se ferme aussi abruptement qu'une porte claquée par une rafale de vent.
— C'est tout le problème. Je ne sais pas.
Je hausse les épaules.
— Ce n'est pas grave. Tu n'as qu'à continuer à lui parler et tu finiras bien par y voir plus clair.
Mes paroles n'ont pas l'effet prévu : les épaules de la jeune femme s'affaissent davantage.
— J'ai bien peur de ne pas avoir complètement oublié Zoey, souffle-t-elle. Ça aurait été beaucoup plus simple, si elle n'était pas partie du jour au lendemain.
Je détaille un instant le visage peiné de mon amie. Ses traits sont marqués par la fatigue, sans doute parce qu'elle a passé la dernière nuit à cogiter.
— J'ai passé des mois à me torturer aussi, lorsque Luke m'a quittée. J'ai tout ressassé, analysé et fouillé pour trouver le moindre signe, la moindre explication. Sans succès. Il y a des gens pour qui il est plus simple de partir. Et quand il est revenu dans ma vie, ça a été un électrochoc. Tout a été très flou, on a dérapé quelques fois et j'ai cru que je l'aimais encore, mais il n'en était rien. Je refusais juste d'avancer et de laisser le passé derrière moi, parce que c'était plus facile de rester sur place que de faire un pas en avant. Pourtant, si j'avais écarté un instant les œillères de mes yeux, j'aurais compris que je n'étais plus la même personne et que mon cœur ne battait plus au rythme du sien.
Les yeux de Caitlin brillent quand elle rebondit sur ma confession :
— Tu penses que je ne devrais pas regarder derrière moi ?
— Je pense que tu devrais te laisser surprendre par la vie. Elle a son lot de surprises. Tu retomberas amoureuse, et tu t'en rendras compte un peu tard ! conclus-je, en riant malgré moi.
— Comme toi, commente Caitlin.
J'ai fini par accepter l'idée que tout le monde soit au courant de la situation. Néanmoins, j'apprécie la délicatesse dont ils font preuve à mon égard : personne ne me pose de questions.
— Cette histoire m'aura au moins montré que je suis prête à aimer quelqu'un d'autre, déclaré-je, avec un sourire que j'espère être suffisamment convaincant.
— C'est une façon de voir les choses, admet Caitlin.
J'hausse les épaules. Il n'y a rien de plus à en dire. S'il a décidé d'être une énigme dépourvue d'indices, alors il ne me reste plus qu'à tourner la page. Pas vrai ?
Pas vrai ?
C'est en tout cas ce que je devrais faire, mais mon cœur s'y refuse. Cupidon a sans doute fait un peu trop bien son travail.
Caitlin n'ajoute rien et je me replonge dans ma lecture. Le silence, seulement perturbé par les cris de quelques oiseaux, est reposant, après la journée que nous avons passée au milieu des cris de nos instruments. Lorsque la nuit est trop tombée pour que je puisse continuer ma lecture, je laisse Caitlin seule avec ses pensées et gagne à mon tour le confort de ma chambre.
Je réponds à Simon et décide de le taquiner un peu en lui envoyant quelques secondes de la chanson sur laquelle nous avons travaillé aujourd'hui, et finis par en envoyer un extrait plus long à Lise, qui me dit qu'elle a le moral dans les chaussettes car son roman a encore été refusé – et pour avoir littéralement dû faire une nuit blanche pour connaître le dénouement, je ne comprends pas pourquoi cette histoire ne trouve pas chaussure à son pied.
Puis, je redescends au rez-de-chaussée et m'aventure silencieusement (ou presque, j'ai raté la dernière marche de l'escalier et manqué de peu de me tordre la cheville) sur la terrasse, qui, comme je m'y attendais, est complètement vide. En revanche, s'il y a une chose que je n'ai pas anticipée, c'est la beauté de la vue qui s'offre à mes yeux. Je me doutais de la clarté de la nuit, de l'éclat des étoiles et de la voie lactée, dont on aperçoit les nimbes, mais je ne pensais pas voir leur reflet sur l'eau de la piscine. Je ne pensais pas avoir le ciel à mes pieds.
Émerveillée et bouche bée, je laisse mes yeux s'habituer à l'obscurité. Les nuances n'en deviennent que plus vives, tant et si bien que le halo de la lune est presque éblouissant. Le silence est de mise : seuls les hululements des chouettes de la forêt avoisinante retentissent parfois, comme si les animaux eux-mêmes craignaient de briser le charme.
Je retire mes tongs et m'assois au bord de l'eau, trempant mes pieds dans l'eau étoilée. Si je m'y baignais, je nagerais littéralement au milieu des étoiles. Je respire profondément. Ici, en compagnie de la lune et des autres astres, tout me paraît d'un coup moins important : créer un album suffisamment proche de notre style pour qu'il soit reconnaissable, suffisamment innovant pour que les gens s'en souviennent, avoir des chansons dont les thèmes se rencontrent ou même les combats que traversent chacun de mes amis, même s'ils ne m'en parlent pas. Le seul poids qui continue de m'écraser est celui de mes sentiments pour Freddie.
Les mots de Mike tournent dans mon esprit. Ils m'ont bien plus blessée que je ne veux bien me l'avouer. Force est de constater qu'il n'a malheureusement pas tord. Seulement, je n'ai aucune envie de passer à autre chose, mon âme s'apaise trop en sa présence pour que ce soit anodin. Le ciel semble me donner raison : deux étoiles filantes le traversent au même moment. Leurs traînées lumineuses restent imprimées sur mes paupières quelques secondes.
Derrière moi, la baie vitrée s'ouvre. Je sursaute et me retourne, reconnaissant la seule silhouette capable de mettre mon cœur sens dessus-dessous.
— Baignade nocturne ? interroge Freddie en observant ma tenue d'un air moqueur.
— Je regarde les étoiles, corrigé-je. Et ma robe est très bien.
— Je m'en doute, répond-il en s'approchant, ignorant mon commentaire sur ma robe. Je ne pensais pas te trouver là, précise-t-il en s'asseyant à côté de moi. A vrai dire, je ne pensais pas trouver quelqu'un du tout.
Je lui jette un coup d'œil. Le teeshirt qu'il porte, noir et troué au niveau de la clavicule, suggère qu'il s'apprêtait à aller se coucher. Mon cœur se pince quand je remarque qu'il a laissé une distance plus que respectable entre nous.
— La vue est impressionnante, je reprends en contemplant d'abord la ville en contrebas puis le ciel maculé d'étoiles. Je crois que je n'ai jamais vu un ciel aussi clair, ou autant de nuances dans la Voie Lactée.
— L'obscurité recèle de joyaux, pourvu que l'on s'habitue à elle, étudie le parolier.
C'est la première fois que nous sommes seuls depuis que j'ai failli l'embrasser, et il agit comme si ce n'était pas le cas, comme si il ne s'était pas mis à trembler quand je lui ai ouvert mon cœur. Je n'ose ni me tourner vers lui ni lui en reparler. Mike a raison sur un point : je devrais jeter l'éponge.
— La nuit te rend philosophe, commenté-je, simplement.
— Et la nuit te rend pensive, rétorque-t-il, aussitôt. Quelque chose ne va pas ?
J'hausse les épaules et mes joues chauffent quand je m'aperçois qu'il s'est rapproché et que la distance entre nous est tout sauf respectable. Je n'ai qu'à bouger mon bras pour effleurer le sien. Ce seul constat rougit ma peau. Heureusement, les ténèbres camouflent mon visage cramoisi. Du moins, je l'espère.
— Il n'y a rien d'inhabituel, j'explique. J'ai juste songé à tout un tas de choses différentes.
— Comme quoi ? questionne le chanteur, dont le parfum citronné emplit la nuit.
— J'ai repensé à tous ces mots horribles qu'on m'a adressés, et... Tout me paraît tellement ridicule ! Je ne suis qu'une étoile parmi tant d'autres, dont l'éclat de certaines ne nous parvient même pas. Si Sad Joy n'avait pas décollé, personne n'aurait jamais entendu de moi et on m'aurait laissée tranquille.
« Et tu serais resté un visage sur un poster dans la chambre d'Alice », ajouté-je, dans ma tête. Quelqu'un que je n'aurais jamais connu pour de vrai. Il aurait simplement été le chanteur d'un des groupes que j'écoutais, dont la voix aurait été un refuge parmi tant d'autres. Lui n'aurait jamais entendu ne serait-ce que mon nom et n'aurait jamais vu mon visage, ou entendu ma voix. Cela aurait peut-être épargné quelques souffrances à mon cœur.
— Mais tu ne pourrais pas faire ce que tu aimes vraiment au quotidien, argue le parolier, d'une voix un peu rauque. Tu ne pourrais pas passer tes journées en studio.
— Ce que je connaîtrais pas ne me manquerait pas, soupiré-je, même si il a raison.
— Je crois que si. Ça t'aurait manqué. Ça t'a manqué toute ta vie, objecte-t-il.
— Peut-être, mais si je me réfère à tout ce que j'ai entendu à mon sujet, j'aurais mieux fait de rester dans l'anonymat. Je n'aurais manqué à personne.
A côté de moi, Freddie se raidit.
— Ce n'est pas vrai, murmure-t-il.
Il se racle la gorge.
— A moi, dit-il, d'une voix plus claire, plus assumée. Tu m'aurais manqué.
Je me tourne vers lui, oubliant momentanément la beauté étoilée de la nuit. Je plonge mon regard dans le sien, qui est insondable, hésitant, presque timide.
— Ce n'est pas vrai, répété-je en soutenant ses prunelles. Tu ne m'aurais pas connue. Je ne t'aurais pas manqué car tu n'aurais même pas su que j'existais.
Il m'observe un instant, comme s'il n'était pas sûr de ce qu'il allait répondre, comme s'il savait très bien que les mots qui étaient sur le point de sortir de sa bouche signeraient notre perte à tous les deux.
— Pourtant, je n'ai cessé d'être attiré vers toi. Je t'aurais cherchée sans même savoir que c'était toi que je cherchais. Tu m'aurais manqué alors même que je ne te connaîtrais pas. J'aurais erré de ville en ville, sans savoir que c'était vers toi que je devais aller.
— Freddie, commencé-je en me penchant vers lui.
— Alors ne dis pas des choses comme ça, poursuit-il en détournant les yeux vers les étoiles. J'aurais fini par te trouver.
Je l'observe un instant, son air de poète maudit entremêlé à la nuit. La brise soulève ses cheveux noirs et les étoiles se reflètent dans ses prunelles, comme si elles cherchaient à s'y engloutir, comme si la nuit était sur le point de le submerger.
N'y tenant plus, je l'attrape par le col de son teeshirt et presse mes lèvres sur les siennes. Il se fige, mais ne fait pas mine de me rendre le baiser que je viens de laisser sur sa bouche. Pourtant, son cœur cogne désormais à vive allure, comme l'atteste le pouls sur sa gorge.
— Tu ne peux pas dire ça, lancé-je, à bout de souffle, et t'attendre à ce que je ne réagisse pas.
Il m'observe, sonné. La nuit est tout d'un coup bien loin d'être sur le point de l'emporter.
— C'est pourtant ce que la logique voudrait que tu fasses, objecte-t-il, les yeux luisants pourtant de désir. A quoi devrais-je donc m'attendre ? me provoque-t-il.
— A ça.
Sans ajouter un seul détail, je glisse ma main sur nuque, mes doigts caressant ses cheveux, et l'embrasse avec toute la fièvre que j'éprouve. Il ne lui faut qu'une fraction de seconde pour m'enlacer en retour et me rendre chacun de mes baisers avec une passion dévorante. La teinte de désespoir qui y transparaît provoque de nouvelles vagues de magma dans mon corps, tant et si bien que je presse mon corps parcouru de frissons contre le sien. Lorsque nous nous séparons, essoufflés, son regard hanté semble me supplier de continuer.
— Emmy, dit-il pourtant d'une voix rauque, nous n'aurions pas dû-...
— Je ne regrette pas de t'avoir embrassé, Frederick MacSaturn, le coupé-je d'une voix assurée. Et je m'apprête à recommencer, l'informé-je, sur un ton sans appel.
Alors que je me rapproche encore, il s'écarte légèrement, la mine assombrie.
— Pourquoi ne me laisses-tu pas t'aimer ? lui demandé-je, le cœur battant.
— Je ne le mérite pas, dit-il dans un souffle.
— Pourquoi ? insisté-je, mon cœur cognant si vite que je songe avec horreur qu'il doit entendre ses pulsations.
Un silence, aussi éloquent qu'un discours, aussi pesant que du plomb, me répond. Mais, que tous les dieux grec m'en soient témoins, je ne bougerai pas d'un iota tant qu'il ne m'aura pas répondu. Le ciel pourrait très bien se déchirer, la foudre impitoyable me frapper et la mort quitter les enfers, je resterai là, avec lui, à contempler la fin.
— Dis-moi, le supplié-je, ma voix brisant la nuit noire.
Il ferme les yeux. Chez n'importe qui d'autre, cela serait un signe de lassitude, mais chez lui, c'était un signe de défaite.
Il rouvre les yeux, vaincu. Je déglutis, prenant conscience que je n'ai aucune idée de la nature du mal qui le hante.
— Laisse-moi un peu de temps, d'accord ?
— D'accord, accepté-je, à mi-voix aussi.
Puis, j'appuie ma tête sur son épaule, et le parfum de sa peau et de ses cheveux m'ennivre à nouveau.
— Je devrais te repousser, murmure-t-il, sans s'écarter pour autant.
— Mais tu ne le fais pas.
— Parce que je n'en ai pas eu la force et que je suis faible.
Ses mots foncent
droit sur mon cœur
et me percutent,
comme une flèche
lancée par un archer impitoyable.
Mon cœur vole en éclats.
— C'est donc si horrible que ça, de vouloir de moi ? Suis-je si répugnante pour que tu tiennes de tels propos ? Est-ce que je te dégoûte ?
Freddie tressaille et je me redresse, cherchant des réponses sur son visage effrayé.
Effrayé par quoi : moi ou mes mots ? Moi ou ce qu'il ne parvient pas à m'avouer ?
A peine une étoile plus tard, les coutures de son masque sont à nouveau bien en place, tant et si bien que je me demande si je n'ai pas rêvé la peur sur son visage. Il se cache derrière la nuit étoilée qui habite ses yeux envoûtants.
— Non, Em, murmure-t-il. Tout, mais pas ça. Tu peux me haïr, me repousser, m'insulter, crier au monde entier que je suis un bourreau, mais ne te déteste pas à cause de moi. Rien de tout ça n'est de ta faute, et tu le comprendras bientôt. Je te promets de tout te dire, quand j'en serai capable.
J'acquiesce, de plus en plus alarmée par ce qu'il tait, et baisse les yeux vers notre reflet sur l'eau étoilée. Il est aussi sombre que s'il faisait déjà partie de l'obscurité. Ses poings, posés sur ses genoux, sont serrés.
Alors, je lui prends la main, émerveillée par l'élégance de ses longs doigts usés par des années passées à courir sur les touches d'un piano. Son regard se fige sur nos mains entrelacées, et il m'est alors évident que c'est lui que mon âme attendait depuis tout ce temps. Pas Thomas, pas Luke, pas Ludo. Lui.
De mon pouce, je trace des étoiles sur le dos de sa main, comme le vent soulève et caresse les grains de sable du désert.
— Tu t'en vas demain, soufflé-je.
— Seulement pour deux semaines. Ce n'est pas tous les jours que ma parolière préférée quitte Los Angeles pour Londres.
— Qui est ? questionné-je, le cœur battant.
Est-ce que cette femme a un lien avec ce qu'il n'ose pas me dire ? La façon dont il a prononcé ces mots montre qu'il tient à elle. Mon cœur se serre de...jalousie ?
— Zoey Graybird, répond Freddie. Elle était à Saint-Matthew.
— Je la connais, murmuré-je. Enfin, je l'ai rencontrée lorsque j'étais en seconde. Elle...
Les souvenirs que Caitlin m'a confiés me reviennent à l'esprit. Je me fige. Pas besoin d'être jalouse : cette femme a déjà bien trop souffert par la mort de sa petite sœur, comme Luke. La mort a toujours tissé sa toile autour de nous. J'espère qu'elle ne reviendra pas avant longtemps, car la dernière fois, elle m'a pris Solange. Je me racle la gorge pour reprendre.
— Elle connaît bien Caitlin. Luke et Mike aussi.
— Je sais, affirme Freddie, avec délicatesse.
— Que sais-tu exactement ? interrogé-je, le cœur battant.
— Tout, laisse-t-il échapper, d'une voix aussi douce qu'une caresse au clair de lune. J'ai écrit beaucoup de chansons avec elle. A commencer par la version longue de Noirs Phœnix. Le couplet qu'on a rajouté, elle et moi, parle de Caitlin et de Gaël MacLood. En réalité, cela fait des années que je connais Luke, Mike, Caitlin et le reste à travers elle.
Je me remémore les paroles du couplet en question. Et maintenant que je sais qu'elles sont un écho d'un morceau du passé de Caitlin, elles me touchent encore plus.
— Et là, je profite de sa venue pour qu'elle m'aide à écrire quelques textes. Je suis apparemment incapable d'écrire un album sans son aide.
— Tu la connais bien ? demandé-je, par curiosité.
— C'est une amie. Une des seules que je me sois fait dans ce milieu.
— A part nous, murmuré-je, en levant les yeux vers les constellations.
Je n'en reconnais pas une seule, et maintenant que je suis au-dessus de Delphes et que toute la mythologie grecque revient me hanter, j'aimerais bien en identifier certaines. Où sont Pégase, Cassiopée et Orion ?
— A part vous, répète le chanteur. Même si je ne pense pas pouvoir te considérer comme une amie.
Je délaisse les étoiles pour tourner mes yeux vers lui. Il me contemple avec hésitation. L'écho des mots qu'il a prononcés, il y a quelques mois, lorsque nous avons écrit Brûler les étoiles, résonnent dans les parois de mon esprit. « Je ne pensais pas trouver des amis en vous. »
— Pourquoi ? questionné-je.
N'est-ce pas ce que nous sommes, puisqu'il ne veut pas d'une relation ?
— Parce que j'ai tout le temps envie de t'embrasser, de m'assurer que tu vas bien et de rester auprès de toi. C'est une torture de devoir constamment ignorer ce que je ressens, ce que nous ressentons.
« Tu n'as que quelques mots à prononcer pour que ça soit le cas. » Mais je n'énonce pas cette phrase à haute voix, car elle serait aussi blessante et tranchante qu'une lame aiguisée fichée dans nos deux cœurs.
— Il ne faut pas t'étonner que je t'embrasse encore une fois, si tu dis des choses comme ça, déclaré-je à la place, le cœur au bord des oreilles.
Ses yeux descendent sur mes lèvres.
— Je t'en prie, murmure-t-il. Ne te retiens pas.
Il relève les yeux vers moi, suppliant. Après tout, qu'avons-nous à perdre ? Il s'en va demain, et à son retour il sera à nouveau distant.
Par peur de briser l'instant, je ne réponds rien et me contente de prendre son visage entre mes mains. Il ferme les paupières tandis que je caresse sa joue et que mon pouce effleure sa bouche. Lorsqu'il rouvre les yeux, il prend ma main et presse ses lèvres contre ma peau, le regard submergé par la passion et l'admiration, comme s'il peinait à réaliser ce qui est en train d'arriver.
J'écarte délicatement ma main et la pose dans sa nuque avant d'enfin poser ma bouche sur la sienne. Contrairement à il y a quelques minutes, sa réaction est immédiate : il entrouvre les lèvres et laisse la fièvre nous brûler. Sous la nuit d'été, ses baisers ont la saveur de l'interdit ignoré, des étoiles mourantes et du désespoir qui suit leur course effrénée dans le ciel. C'est la douleur que je perçois dans son âme qui me pousse à l'embrasser de plus bel, comme si je pouvais guérir chacune de ses blessures, lui transmettre l'intensité de mes sentiments pour lui, lui donner tout l'amour qu'il mérite.
Le contact de ses doigts dans mes cheveux m'électrifie, tant et si bien que je perds mon souffle quand il frôle ma clavicule de la pulpe de ses doigts, aussi léger qu'une plume. Il s'écarte doucement et m'embrasse juste en dessous de l'oreille. Des frissons courent sur mes veines, et ma respiration est encore plus tremblante.
— Tu pourrais avoir n'importe qui, dit-il dans mon cou, sans oser affronter mon regard encore échauffé par nos baisers. Pourquoi moi ?
— Je te retourne la question, chuchoté-je, en sentant mon corps trembler plus encore. Tu pourrais être avec n'importe quel mannequin, acteur ou actrice, ou même chanteur et pourtant...
Je ne finis pas ma phrase. Lui comme moi savons ce que je tais. Et pourtant tu ne veux de personne. Il se fige contre moi, son souffle chaud sur mon cou. Par tous les dieux, s'il ne s'éloigne pas, je ne sais pas comment je vais réagir, mais une chose est certaine : il ne vaudrait mieux pas être dehors au bord de la piscine. La voix moqueuse de Mike retentit dans mon esprit. « Tu n'as qu'à le faire monter dans ta chambre et le pousser sur ton lit ! » m'aurait-il conseillé.
— Et pourtant, je reprends, le visage brûlant à cause des pensées qui viennent de me traverser, tu persistes à vouloir être seul.
Il s'écarte pour planter son regard dans le mien. Ma respiration retrouve un rythme normal.
— Je te l'ai déjà dit : je ne peux pas être avec toi. Ni avec personne d'autre.
Son visage est atrocement neutre. Les seules choses qui attestent de ce qu'il vient de se passer sont ses lèvres gonflées et ses cheveux en bataille.
— C'est à toi que je pose la question, ajoute-t-il avec plus de douceur. Pourquoi moi ?
Je tente d'assembler mes pensées, de formuler une réponse qui représenterait avec suffisamment de justice sa façon d'être et qui rendrait compte de sa gentillesse et de sa bienveillance, mais je n'y parviens pas. Les seuls mots qui sortent ne sont pas assez élogieux.
— Ce genre de choses ne se décide pas, affirmé-je, mais si tu y tiens tant, je te dirai que ce sont ta vision et ta compréhension du monde, ta bonté, car tu prends tellement soin des gens autour de toi que je me demande parfois si tu arrives à t'occuper de toi. C'est d'une telle beauté que c'en est triste. Tu sembles distant et tourmenté sur tes albums, tes clips et dans tes concerts, mais tu as surtout l'air brisé.
Mon ton est vacillant sur la fin. Je n'avais pas prévu de lui dévoiler les conclusions que j'avais tirées à son sujet. J'avais prévu de lui dire tout ce que je ressentais, mais il me semble que j'en resterai incapable tant que je ne saurai pas de quoi il en retourne.
Lui se contente de me dévisager comme s'il avait vu un fantôme. Le masque est tellement fissuré que je n'ai aucun mal à voir que j'ai visé juste. Un peu trop.
Je lui prends la main.
Il ne réagit pas.
Mon cœur se serre.
— Pardon, soufflé-je en baissant la tête. Ce n'était pas ce que je voulais vraiment dire. Je ne sais pas pourquoi mon cœur t'a choisi, mais quand je suis avec toi, j'ai l'impression de toucher le ciel à chaque fois.
Il retire sa main de la mienne et se relève, dans un silence terriblement pesant. Mon cœur est aussi insistant que le tic-tac inlassable d'une horloge. Ses yeux sont dans le vague, les lumières de la ville brillant encore sous les oliviers. Dans la nuit, la mer et le ciel sont entremêlés, tant et si bien qu'il est impossible de les distinguer. Alors qu'il y a peine quelques secondes il était si proche de moi que son âme était palpable, il est désormais aussi loin que s'il était déjà retourné en Angleterre. Ma poitrine se compresse de douleur. J'aurais au moins pu l'embrasser une fois.
— Je n'ai pas beaucoup de temps, finit-il par dire, tout à trac, les yeux toujours lointains.
— Quoi ? laissé-je échapper, en français.
Il me contemple avec perplexité.
— Pour avoir quelques heures de sommeil avant de partir, précise-t-il.
Mais son regard semble vouloir m'en confier davantage, bien que les mots n'atteignent pas ses lèvres.
— Oh, dis-je en me relevant à mon tour. Je comprends.
Je comprends que la parenthèse se ferme, que nous ne revivrons plus jamais ce genre de moment et qu'il s'éloignera de moi. J'imagine que mon chagrin doit se lire sur mon visage puisqu'il s'approche de moi d'un air peiné. Puis il s'arrête net, alors que ses bras allaient entourer ma taille. Une nouvelle fissure déchire ma poitrine quand ses bras retombent le long de son corps.
— Quand je reviendrai, commence-t-il d'une voix très rauque, je-...
Il se racle la gorge.
— Je te raconterai tout.
Il a la tête de quelqu'un à qui on vient d'annoncer sa condamnation à mort. Mon cœur chute sur le sol, juste à côté du sien.
— Tu n'es pas obligé, articulé-je. Je peux comprendre que tu veuilles garder certains aspects de ta vie pour toi.
Il secoue la tête, et le désespoir perce sa voix quand il s'exclame :
— Si, Emilie ! Je te dois bien ça. C'est le minimum que je puisse t'offrir.
Comme s'il voyait dans mon esprit la pensée qui vient d'apparaître, il ajoute aussitôt :
— Cela ne changera pas ma position, prévient-il. La seule différence par rapport à maintenant : tu comprendras pourquoi je te repousse. Et tu me remercieras.
La dureté avec laquelle il prononce ces mots me cloue sur place. Il se détourne vers sa maison.
— Freddie...
Mais c'est d'un ton doux qu'il s'exprime lorsqu'il tourne sa tête vers moi et m'adresse ces quelques mots, la main posée sur la poignée de la fenêtre, sa silhouette élancée se détachant dans l'obscurité, ombre rassurante dont il ne restera bientôt que des vestiges :
— Ne te tracasse pas, tout ira bien. Bonne nuit, Emmy. A bientôt.
Sans me laisser le temps de répondre, il rentre, et la seule chose qu'il me reste de lui est un goût d'inachevé. Je me tourne vers le ciel parsemé d'étoiles, seul témoin de nos baisers éperdus. Bientôt, il ne restera de cette histoire qu'un souvenir enfiévré.
FIN DE LA PARTIE 7.
🎶🎶🎹🤍🎻🤍🎹🎶🎶
Bonsoir ! Comment allez-vous ?
Alors, vous l'avez aimé, ce chapitre ? J'avoue que j'ai adoré l'écrire, même si j'ai bien cru que je ne le finirai jamais à temps !
Que pensez-vous de tout ça ? Trouvez-vous aussi que Mike avait l'air un peu aigri au début de ce chapitre ? Et que pensez-vous de l'échange entre Caitlin et Emmy ? Espérons qu'Emmy ait pu aider Caitlin à y voir plus clair 😅
Oh, et bien sûr, que pensez-vous de la seconde partie de ce chapitre ? 🤭 J'avoue ne pas être mécontente que Freddie et Emmy se soient enfin embrassés, même si ça ne va sans doute pas changer grand chose, si on se réfère aux mots de notre parolier préféré 😅 D'ailleurs, qu'avez-vous pensé de leurs échanges ? A votre avis, que va-t-il avouer à Emmy ?
J'ai hâte que vous lisiez la suite ! ❤️
D'ailleurs à ce sujet 🥺 : je ne serai pas en mesure de publier la suite les semaines qui viennent. 🥺 Mais je peux déjà vous donner une date de publication de la suite !! Je publierai la partie 8 (officiellement du point de vue de Freddie) le vendredi 28 juin à 18h !
Cette journée sera ma dernière journée d'oral alors je serai en vacances et à nouveau présente à partir de ce moment-là !
Voilà, je suis vraiment désolée, mais j'ai trop de travail (et de fatigue), et entre mes oraux blancs d'agreg, mes oraux de capes le 15/16 juin et ceux d'agreg du 26-27-28 juin, je sais déjà que je ne pourrai pas écrire comme je le veux 😅
Encore désolée !
Mais promis, la partie 8 sera longue et donnera quelques indices supplémentaires sur ce que traverse Freddie. Et puis, la révélation arrive bientôt 😏❤️ (spoiler pour vous : vous allez me détester 🤐)
Ce n'est que partie remise héhé
Je vous embêterai tout l'été avec mes chapitres ! 🤭
Bref, prenez bien bien soin de vous ! Et si vous êtes déjà en vacances, profitez-en en bien ! Et si vous avez encore des examens, oraux, etc, bon courage ! ❤️❤️
A très très vite ❤️
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top