⇝ Chapitre 60 ~ Alice
Alice n'en peut plus. Personne ne le remarque, personne n'y prête attention. Personne n'a même remarqué son absence. Il faut dire qu'elle s'est éclipsée discrètement après le repas. Ça n'a pas été très difficile : la seule personne à qui elle n'aurait pas pu cacher sa douleur – Emmy, bien-sûr – s'était précipitée dans la salle de musique pour composer, talonnée par Luke et Ludovic, tandis que Caitlin, Mike et Mathieu mixaient et produisaient leur dernière création. Jay et Kit s'étaient empressés de les rejoindre, apparemment pour travailler, eux aussi, sur quelques chansons. Quant à Freddie, il était effacé depuis quelques jours, depuis qu'Emmy avait été droguée et qu'Alice et les autres l'avaient retrouvé avec elle, le visage aussi dévasté que s'il avait entendu la pire nouvelle de sa vie. Mais aujourd'hui, Emmy l'avait traîné avec elle, Luke et Ludo pour composer ce qu'elle avait en tête. Alice en avait profité pour partir : elle ne voulait absolument pas être dans cette pièce avec eux, à les voir inspirés, alors qu'elle ne parvenait plus à aligner plus de deux notes sur n'importe quel instrument. Elle n'avait pas la force de les regarder s'enfiévrer dans la musique d'un air avide, alors qu'elle était dévorée par l'absence de symphonies et qu'elle n'avait plus la force de faire semblant.
Elle qui avait toujours eu la certitude vouloir être artiste n'en était plus aussi certaine. Elle qui pensait en avoir la fibre n'en avait pas même l'ombre. Elle qui croyait savoir ce qu'elle voulait était aussi perdue qu'un animal effrayé abandonné dans un milieu qui n'était pas le sien, un peu comme un poisson qui chercherait à nager dans le désert. Tremblant malgré la chaleur écrasante et lourde, elle se demande si elle n'aurait pas dû faire autre chose, car il est maintenant trop tard : Sad Joy a besoin d'elle. Elle avait dit à Emmy qu'elle tenait absolument à le savoir, si elle se sentait mal d'une quelconque façon, en revanche, elle n'avait pas osé lui dire pourquoi elle passait toutes ses nuits à pleurer.
— Tu profites du paysage ? lui demande une voix masculine.
Alice sursaute. Quand s'est-elle arrêtée de courir ? Pourquoi se trouve-t-elle dans cette petite clairière ? Et surtout, depuis quand hurle-t-elle comme ça, comme si elle était Juliette tenant dans ses bras le cadavre de Roméo ? Elle ne s'est même pas aperçue que ses yeux humides, maculés de transpiration, se sont attachés sur un gigantesque pin, dont les épines s'agitent sous la légère brise brûlante. Elle n'aurait pas dû être là, et encore moins sortir sous cette chaleur.
— Je me promène, explique-t-elle en se tournant vers Kit.
Curieusement, sa voix ne trémule pas. Et bizarrement, elle n'est plus peinée du tout ou même courroucée face à la situation qu'elle traverse. Elle en est simplement exténuée.
— Tu t'es enfuie en courant, corrige le jeune homme en s'approchant. Je t'ai aperçue par la fenêtre du studio.
Alice remarque qu'il porte un lourd sac de frappe et un sac en tissu, et qu'il est essoufflé. Elle aimerait être touchée qu'il l'ait suivie, mais elle en est plutôt exaspérée.
— Et il ne t'est pas venu à l'esprit que je puisse vouloir être seule ? questionne-t-elle, les poings sur les hanches.
Kit dépose le sac en tissu au pied d'un arbre au tronc épais dont les larges branches charnues partent dans tous les sens, avec des noeuds d'aspect étrange.
— Tu avais surtout la tête de quelqu'un qui avaient besoin de se défouler, argue calmement le musicien en accrochant son sac de frappe à la branche la plus solide de l'arbre.
— Exactement ! s'écrie-t-elle avec hargne. Laisse-moi tranquille ! Si je voulais qu'on m'accompagne, je l'aurais dit !
Mais Kit ne se démonte pas et ne paraît même pas troublé par sa colère soudaine. Non, il se contente de la détailler avec calme et compassion, de ses grands yeux marrons où Alice adore se glisser, car c'est comme s'enrouler dans un édredon cotonneux, ce qui la hérisse encore plus.
— Je crois surtout que tu ne sais pas comment te décharger de tout ça, contrecarre-t-il en sortant des bandes de son sac, ainsi qu'un pot de magnésie.
Alice croise les bras sur sa poitrine, furieuse. Les mots qu'elle retient fusent avant même qu'elle ne puisse en mesurer les conséquences :
— Je n'arrive pas à composer quoi que ce soit ! Je n'ai même pas envie d'écrire quoi que ce soit et toutes les parties que je tente de jouer sont affreuses et ne vont pas avec le rythme de nos chansons ! Plus rien ne sort, on dirait que je n'ai plus aucune raison de jouer de la musique et que je n'ai plus rien à raconter ! Et tu veux que je te dise ? Je crois que je me suis trompée et que ce monde n'est pas fait pour moi !
Un silence s'installe tandis qu'Alice, horrifiée, prend conscience de la nature des pensées qui la traversent.
— C'est bon, tu as fini ? interroge Kit, toujours avec calme.
La jeune femme observe les gants qui dépassent de son sac.
— Non, dit-elle après un moment, je n'ai pas fini ! J'en ai assez de tout ça !
— De tout ça quoi ? poursuit le plus naturellement Kit, comme si elle n'était en train de passer ses nerfs sur lui sous les gazouillements des oiseaux de la forêt.
— D'être enfermée à composer encore et encore ! C'est fade et ennuyeux, je ne m'amuse plus ! Et tout le monde sera déçu parce que tout le monde attend que je trouve le rythme parfait, que je sois la bonne petite batteuse qui ne fait pas trop de bruit !
Elle s'arrête, essoufflée. Pense-t-elle vraiment cela de ses amis, ou bien est-elle complètement aveuglée par sa colère ?
— Personne n'attend ça de toi, Alice, objecte doucement Kit, comme s'il craignait de la froisser. On attend simplement que tu sois toi-même et que tu nous le dises, si tu ne te sens plus en phase avec nous.
— Je ne suis pas une poupée de chiffon ! grogne Alice. Tu peux me le dire si tu penses que je délire totalement !
— Je pense surtout que c'est plus facile pour toi de blâmer tout le monde plutôt que le blocage que tu n'arrives pas à surmonter. Que fais-tu pour avoir un bon équilibre ? Que fais-tu pour te dépenser, sortir de ce quotidien que tu trouves incolore ?
Si ces paroles devraient la pousser à réfléchir, elle fulmine encore plus.
— Je n'en ai pas besoin ! Normalement, c'est la musique qui me sort du quotidien !
— Mais plus maintenant, répond Kit. N'est-ce pas ? Tu es en train de découvrir la différence entre travail et passion. L'un ne va pas sans l'autre, mais trop pencher, d'un côté ou de l'autre, est dangereux.
— Je ne comprends pas un seul mot de ton charabia ! s'époumone Alice, son cœur cognant à toute allure dans sa poitrine.
— Je crois que tu comprends très bien ce que je veux te dire, rétorque Kit en fronçant les sourcils. D'où ma question : que fais-tu pour te dépenser ?
Entêtée, Alice ne répond pas et ne fait même pas mine de réfléchir. Non mais pour qui se prend-il ? D'accord, Alice est amoureuse de lui, d'accord, elle n'a pas encore osé lui parler, d'accord il a peut-être raison, mais son problème ne peut pas venir de là, si ?
— Freddie adore le théâtre, Emmy lit des romans, Jay va à l'escalade. Luke écrit des poèmes. Caitlin a repris le dessin et Mike danse. Moi, je fais de la boxe, détaille-t-il en désignant le sac qui pend mollement à l'arbre. Et toi, que fais-tu ?
La batteuse se contente de l'observer avec perplexité. La seule chose qu'elle a toujours faite est de la musique. Elle ne sait pas faire autre chose. Elle aurait aimé étudier le design ou le graphisme, créer des tatouages aux gens sur son temps libre, mais ses parents ne lui en avaient pas laissé l'occasion. A présent, elle se dit surtout qu'elle a eu de la chance qu'ils la laissent faire de la batterie.
— Je me dispute avec toi, finit-elle parle dire, vaincue.
Kit s'esclaffe.
— Ce n'est pas un hobby, ça !
— Je n'ai jamais eu d'autre loisir que la musique, confie Alice en se mordant la lèvre.
Le musicien hausse les épaules.
— Ça n'a jamais été un hobby, c'est une passion. Ce sont là deux choses différentes. Tu as surtout besoin d'évacuer la pression et de prendre du recul. Je sais bien qu'au fond de toi, tu préférais mourir que d'abandonner ton groupe et la musique.
Les larmes aux yeux, Alice opine de la tête. Comment a-t-elle plu, ne serait-ce qu'une seconde, imaginer sa vie loin de ce qui la rend si belle ?
— Il n'est jamais trop tard pour commencer une nouvelle activité, reprend Kit un sourire encourageant aux lèvres.
— Je ne sais pas quoi faire.
A sa grande surprise, il lui tend la main, ses yeux brillant d'une lueur d'espoir qu'elle n'a jamais remarquée.
— Viens, l'invite-t-il, je vais te montrer ce que je fais.
Sans hésiter, elle lui prend la main. Si elle avait déjà chaud à cause de la chaleur estivale, la température monte encore d'un cran supplémentaire quand sa peau touche celle de Kit. Cela lui paraît encore si irréel qu'il fasse partie de sa vie et qu'elle le connaisse pour de vrai. Ses joues rougissent davantage quand, après avoir étalé de la magnésie sur ses mains, Kit lui enroule les bandes autour des mains.
— Plie tes genoux et mets tes poings devant toi. Contracte les abdos, lui lance Kit en se plaçant derrière elle.
Puis, joignant le geste à la parole, il arque en avant le dos de la jeune femme et tapote son ventre. Alice se demande alors s'il peut sentir qu'il est rempli de milliers de papillons tout juste sortis de leur chrysalide.
— Là, dit-il d'une voix rauque. Contracte ici.
Le souffle chaud de Kit sur sa nuque lui fait complètement perdre la tête. « Si c'est à ça que ressemble la mort, je veux bien aller en enfer pour ça et être maudite » songe-t-elle, alors que ses jambes flagellent légèrement, ce qui n'a rien à voir avec la présence de Kit derrière elle. Ni avec ses mains sur ses hanches. Certainement pas. Ni le fait que si elle se penche un peu plus vers la gauche, sa bouche sera suffisamment proche de sa peau pour qu'il puisse l'effleurer.
— Maintenant, frappe.
Alice tourne son visage vers lui, d'abord interloquée, puis liquéfiée en voyant le regard exalté qu'il lui lance. S'il la regarde une seconde de plus comme ça, elle n'est pas sûre de pouvoir s'empêcher de l'embrasser. Comme s'il lisait dans ses pensées, il détourne les yeux, et avec le soleil qui illumine sa peau noire, Alice songe qu'elle est sans doute face à une réincarnation d'Apollon.
— Frappe le sac de toutes tes forces.
Cette fois, la jeune femme n'hésite plus. Son poings droit s'abat sur le sac, qui bouge à peine. Rageusement, elle envoie le deuxième dessus, puis recommence.
— C'est bien, murmure Kit dans son cou. Continue.
Il s'éloigne, et Alice recommence à respirer, avant de frapper une fois, puis deux, puis trois, et de perdre le compte. Elle attaque le sac jusqu'à n'en plus pouvoir, en pensant à tout ce qui la rend furieuse et attristée, elle le brutalise comme si tout était de sa faute à lui, comme si elle pouvait malmener le noyau même de ses frustrations. Ignorant la transpiration et la chaleur accablante, poussant des cris de guerrière, elle continue jusqu'à ne plus avoir de force, jusqu'à ce que ses muscles tremblant sous l'effort la supplient d'arrêter.
Là, elle se recule et contemple le sac de frappe se balancer comme un pendule, essoufflée, la sueur coulant sur son visage et le reste de son corps. Elle se tourne vers Kit, qui l'observe tranquillement, à quelques pas d'elle. Alors, elle comprend. Elle comprend d'où émane l'apaisement qu'elle ressent en sa présence : frapper ce sac comme s'il recueillait toutes ses difficultés l'a détendue, d'une façon terriblement efficace.
— Ça va mieux ? questionne le jeune homme.
Toujours hors d'haleine, Alice hoche la tête.
— Merci, articule-t-elle en enlevant les gants puis les bandes désormais trempées.
— Il y a de l'eau dans le sac, réplique le musicien, après avoir hoché la tête.
Alice s'empresse de farfouiller dans le sac et de boire cul-sec la moitié de la gourde.
— C'est diablement efficient comme technique ! commente-t-elle en se tournant vers lui. Et éreintant : je ne suis pas sûre de pouvoir jouer demain.
— Et c'est tant mieux, appuie Kit, puisque tu as besoin de t'éloigner un peu de tout ça. Ça te forcera à faire autre chose.
— Pas sûr que Mathieu apprécie l'idée, grimace Alice.
— Je pense qu'il n'y verra pas d'inconvénients, surtout que lui et Freddie ont prévu de continuer les cours demain.
— Si tu le dis.
Maintenant que l'adrénaline est redescendue et qu'un calme imposant a pris la place de sa fureur, la batteuse songe qu'il est peut-être temps qu'elle ait cette discussion avec le musicien, qu'elle lui demande de quoi il en retourne vraiment, elle n'avait clairement pas rêvé la façon dont il l'avait regardée et touchée, si ? D'un autre côté, elle est mortifiée par la peur. Peut-être qu'elle est tellement obnubilée par lui qu'elle interprète tout de travers.
Elle jauge un instant le musicien, dont le visage scintille d'une lueur insondable. Elle s'aperçoit qu'il l'évalue autant qu'elle l'inspecte lui, comme si tous deux cherchait un indice sur le visage de l'autre. Kit est le premier à se lancer :
— Si tu ne sais pas quoi faire demain, ou même cette après-midi, on pourrait descendre en ville manger une glace et aller à la mer à Galaxidi.
Alice écarquille les yeux de surprise.
— Je... oui ! s'exclame-t-elle aussitôt.
Un énorme sourire éclaire les traits de Kit.
— Parfait !
Alice lui rend son sourire chaleureux et sent ses jambes recommencer à trembloter.
— On est d'accord que c'est un rancard ? questionne-t-elle, pour s'éviter des heures et des heures de tourmente.
Kit fronce les sourcils et elle se sent sur le point de défaillir de honte.
— Que veux-tu que ce soit d'autre ? réplique-t-il, à son plus grand soulagement.
Alice sourit de toutes ses dents et ne peut s'empêcher de sautiller sur place. Son celebrity crush l'a invité à un rendez-vous ! Et dire qu'il y a presque un an, elle pleurait Antoine et son affreuse tromperie... Elle avait bien mûri, depuis !
— Ça va être incroyable ! s'extasie-t-elle. Tu me laisseras goûter ta glace, hein, s'il-te-plaît ?
Un sourire moqueur teinté de tendresse se dessine sur le visage de Kit et le cœur d'Alice fond aussi vite qu'une boule de glace tombée sur un lit de flammes.
— Ai-je vraiment le choix ?
Les joues brûlantes, Alice réfute de la tête. Cette fois, c'était comme si une traînée de braises avaient élu domicile dans sa poitrine. S'il ne faisait pas si chaud et si elle ne sentait pas la transpiration, elle aurait probablement serré Kit dans ses bras.
— Alors, c'est arrangé, conclut Kit, toujours en lui souriant.
« Ce sourire parfait, songe Alice, c'est vraiment pour me faire perdre la tête ! »
Elle s'approche du jeune homme, toujours en lui souriant, et un peu hésitante.
— Je transpire affreusement, la prévient-il en reculant d'un pas. Je préférerais que ça arrive plus tard.
Alice fronce les sourcils.
— Je ne comptais pas t'embrasser, je comptais te proposer de l'eau.
D'accord, elle avait envisagé cette possibilité et venait d'inventer cette histoire d'eau. Mais il avait raison : elle aussi, dégoulinait de transpiration et ça ne serait certainement pas agréable. Elle lui tend la gourde et se tourne vers l'arbre sur lequel le sac de frappe pend encore. Dire qu'il y a quelques minutes, elle était en train de le malmener.
Alice soupire de bien-être, puis ses pensées se tournent vers Emmy. Le cœur battant, elle songe qu'elle peut peut-être l'aider, puisque Kit est là, loin des autres et de la maison.
— Tu ne trouves pas que l'atmosphère est étrange, en ce moment ? questionne-t-elle.
Kit referme négligemment le bouchon de la gourde comme s'il ne voyait pas de quoi elle parlait, comme s'il ne voyait pas qu'Emmy et son meilleur ami s'évitaient, suscitant l'incompréhension générale, alors qu'usuellement, lorsqu'ils se parlaient, le monde entier semblait disparaître, comme s'il ne restait qu'eux deux. (Même Luke lui a demandé si il avait raté une information importante, tant il trouvait cela bizarre !)
— Tu m'as dit que Ludo était amoureux d'Emmy et qu'elle ne l'était pas, alors j'imagine que c'est comme une casserole qu'on aurait oubliée sur le feu.
— Je ne parlais pas de ça, conteste Alice. Ludo n'est pas aveugle et il a très bien compris ce qu'il se passe ici. En plus, il a toujours été ami avec elle. Ça n'a pas duré longtemps entre eux.
— A cause de Solange, répond Kit en fronçant ses beaux sourcils.
— Entre autre, atteste Alice, se souvenant que les voir ensemble avait été plus étrange qu'autre chose, comme une guitare désaccordée, ou un danseur en décalage avec le tempo. Je crois que leur relation était vouée à ne pas fonctionner, ajoute-t-elle. Ça arrive. Ils le savent tous deux, même si il a gardé une petite attirance pour elle.
Le jeune homme hoche la tête, songeur. « L'après-midi a dû être compliquée, je plains Luke qui s'est retrouvé entre Emmy, Freddie et Ludovic ! » se dit-elle, presque soulagée d'avoir échappé à ça. Elle aurait forcément fini par commettre une erreur qui aurait empiré les choses.
— Et Mike n'a pas l'air dans son assiette, reprend pensivement Kit. Caitlin se fait discrète, mais elle semble se porter comme une fleur : elle respire tellement le calme que sa seule présence suffit à m'empêcher de crouler sous la pression.
— Elle a toujours eu une aura bienveillante, confirme Alice, le cœur rempli d'amour pour son amie. Et Mike a le cœur brisé. Il n'a rien voulu me dire, mais je suis sûre que ça a un rapport avec James.
— Tout le monde a ses secrets, observe-t-il, les yeux perdus sur les arbres. C'est sûrement ce que tu perçois.
Alice grimace et décide d'opter pour la transparence :
— Non, je voulais surtout parler des sentiments de Freddie pour Emmy.
Kit écarquille les yeux de stupeur.
— Quoi ? Freddie est amoureux d'Emmy ?
« Oh mon Dieu, je ne suis pas aidée ! » songe la jeune femme en se frappant le front.
— Je croyais..., commence Kit en secouant la tête comme s'il peinait à y croire. Je croyais que c'était de Luke ! Ils ont passé tellement de temps ensemble à composer que je me suis dit... Enfin, voilà, quoi.
Alice croise les bras sur sa poitrine en faisant la moue. Il est vraiment aveugle !
— Regarde la façon qu'il a de la contempler, la prochaine fois !
Un sourire coupable étire les traits de Kit.
— Je ne suis pas très doué pour ça, Alice. La seule chose que j'ai remarquée, c'est que Luke et Emmy ont tous les deux l'air en paix, bien plus que quand on les a rencontrés. L'odeur des non-dits n'est plus qu'un lointain souvenir.
Alice hoche la tête. Cette histoire lui paraît aussi lointaine qu'un roman qu'elle n'aurait pas lu depuis des années. Néanmoins, l'ombre d'une peur persiste dans un coin de sa tête :
— Qu'est-ce qui te pousse à penser Luke plaisait à Freddie ?
Kit hausse les épaules.
— Il a admis qu'il l'aimait bien, ce qui veut dire beaucoup. Et puis, ils s'entraînent pas mal ensemble et ont déjà écrit plusieurs fois tous les deux, alors que d'habitude, Freddie refuse d'écrire avec qui que ce soit à part moi ou Jay.
— Il a aussi écrit avec Emmy, rappelle Alice, en réfléchissant.
Elle est certaine de ce qu'elle a aperçu dans ses iris. C'est bien le seul élément qu'il ne peut cacher : la façon dont ses yeux s'éclairent lorsqu'il l'aperçoit, tout comme le l'adoucissement dans sa voix.
— Ce que je ne m'expliquais pas, admet Kit. Mais si tu as raison, alors tout s'éclaire.
— Bien-sûr que j'ai raison ! Tu n'as pas remarqué que sa voix change quand il lui parle ?
Kit secoue la tête.
— Je n'y ai pas prêté attention. A la soirée, j'ai même cru qu'il était encore amoureux de Yannis. Je n'ai jamais réussi à comprendre sa façon de fonctionner en amour. Mais ça explique pour Jay tenait tellement à ce que je ferme ma bouche ce soir-là... ce que je n'ai évidemment pas fait.
Alice se repasse le film de ces derniers mois. Elle ne se souvient pas de chaque parole, mais de chaque acte tourné vers Emmy. En revanche, elle ne se remémore que de l'amitié du côté de Luke.
— S'éprendre de Luke n'aurait pas été très malin, déclare alors la jeune femme. Aux dernières nouvelles, Luke n'est pas attiré par les hommes.
— Freddie a une fâcheuse tendance à tomber amoureux des gens qu'il ne peut pas avoir, objecte Kit. C'est d'ailleurs ce qui le pousse à s'attacher, en général. Donc, au contraire, ça me semblait bien plus plausible.
Alice soupire.
— Je pensais que tu pourrais m'aider à mieux comprendre la situation, ronchonne-t-elle. Résultat, je ne vais pas pouvoir aider Emmy.
Kit se gratte la nuque d'un air gêné.
— Tu veux dire qu'elle l'aime aussi ? Pour de vrai ?
Alice soupire si fort qu'une tempête semble sur le point de surgir hors de son corps.
— Bien-sûr ! Ne me dis pas que ça aussi, tu ne l'as pas remarqué !
Kit se mord la lèvre d'un air coupable.
— J'espérais que Jay se trompe, avoue-t-il. J'ai vu qu'elle avait ce regard que j'ai déjà vu tant de fois chez des gens qui ont essayé de le faire flancher. J'ai vu qu'elle le détaillait comme toi tu me détaillais.
Les joues d'Alice rougissent aussitôt et il lui semble alors qu'un arbre lui traverse soudainement la poitrine. Comme s'il se rendait compte de la signification de ses mots, Kit se tortille, embarrassé.
— Ce n'est pas ce que je voulais dire, je...
Il souffle bruyamment alors qu'Alice est ballottée par des vagues d'émotions fiévreuses qu'elle ne pensait pas traverser à nouveau.
— En fait, si, admet le jeune homme. C'était exactement ce que je voulais dire.
Sentant la situation être sur le point de lui échapper, elle décide de prendre les choses avec humour :
— Tu veux dire qu'elle et moi sommes aussi discrètes l'une que l'autre ? Rho, quand je pense que j'ai dit à Emmy qu'elle agissait comme un dinosaure dans un jardin !
Kit s'esclaffe, à nouveau détendu et pousse un profond soupir de lassitude, tandis qu'Alice attend qu'il poursuivre, le cœur au bord des lèvres.
— Il va lui briser le cœur, finit-il par dire. Il n'hésitera pas, encore plus si, comme tu le prétends, il l'aime.
— C'est déjà fait, rétorque Alice, d'un ton sec. J'espérais que tu puisses m'éclairer, mais je pense que je vais aller lui dire deux mots !
La terreur scie le visage de Kit.
— Non, Alice ! la supplie-t-il. Ne fais pas ça. Tu ne sais pas tout. Il ne l'a certainement pas fait de gaieté de cœur.
— Je ne comprends pas !
— Ce n'est pas à moi de te parler de ça, répond doucement le jeune homme. Mais sache qu'il ne s'amuse pas avec elle et qu'à ses yeux, c'est pour son bien futur qu'il a agi comme ça. Un jour, tu comprendras.
— Mais-, commence à protester Alice. Je ne vois pas ce qui pourrait justifier-...
— Je te l'ai dit, la coupe Kit. Il y a quelque chose que tu ignores.
— Je sais qu'il l'aime et qu'elle l'aime ! N'est-ce pas suffisant ?
La tristesse peint les traits de Kit quand il murmure, avec la douceur de la brise estivale :
— Pas toujours, Alice. Pas toujours.
Comprenant qu'il ne lui en révèlerait pas plus, elle soupire encore une fois et se tourne vers la magnifique vue offerte par les montagnes.
— Alors dans ce cas, j'imagine qu'elle aura besoin de moi.
Le sourire chagriné de Kit lui serre le cœur. « C'est injuste, pense-t-elle en appuyant sa tête sur son épaule, que j'ai droit à une belle fin et pas Emmy ! »
— Le temps la guérira, affirme-t-il, avec une certitude si grande, qu'Alice est perforée par l'horreur.
Il ne croyait pas une seule seconde qu'il puisse y avoir une issue heureuse.
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Bonsoir ! Comment allez-vous ?
Merci d'avoir lu ce chapitre ! Que pensez-vous de tout ça ? Pauvre Alice, heureusement que Kit a remarqué sa détresse et a pu l'aider ! D'ailleurs, cette scène vous a-t-elle plue ? 🤭😏
En tout cas, il semble qu'Alice soit actuellement le seul personnage qui aura droit à son happy end 😅
Que pensez-vous de ce que Kit a dit à Alice au sujet de Freddie ? Comment voyez-vous la suite ?
Le prochain chapitre est du point de vue de Luke ! J'ai hâte que vous le lisiez aussi ☺️
N'hésitez pas à me laisser un commentaire, j'adore vous répondre et lire vos réactions/théories ! ❤️
On se retrouve vendredi prochain pour le chapitre 61 !
Prenez bien soin de vous ❤️
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