⇝ Chapitre 6

Ce vendredi 29 novembre 2019, lorsque j'ouvre les yeux sous les cris de mon réveil, je suis morose. Il y a longtemps que l'idée d'entamer une nouvelle journée me déprime et que cela ne sonne plus comme une nouvelle chance.

Je me frotte les yeux avant d'allumer immédiatement ma lampe de chevet. (Si je ne le fais pas, je me rendors et ensuite, je suis en retard.) Maussade, je ne prends même pas la peine de vérifier mon téléphone et m'extirpe bon gré mal gré des couvertures.

Une vingtaine de minutes plus tard, je suis installée devant une tasse de thé au lait, avec une madeleine à grignoter. Il faudra qu'Alice et Mike me révèlent leur secret pour manger autant au petit-déjeuner.

Puis, toujours mal réveillée, je me traîne jusqu'à la salle de bains où je me lave les dents et me donne un air moins fatigué. Sans grand succès. Mes écouteurs, une épaisse écharpe, un bonnet et des gants plus tard, je pousse la porte de l'appartement silencieux.

Je rentre mon nez dans mon écharpe et marche tête baissée dans la brume matinale. Ce matin, je n'ai pas cours avec Luke et c'est tant mieux car je ne suis pas d'humeur à faire la conversation. Je me suis réveillée en sursaut, comme après un terrible cauchemar (sauf que je n'en ai aucun souvenir.) Bref, encore une journée morne.

Je pousse les portes de l'université, ravie de me trouver à l'intérieur. Il y fait bien meilleur qu'à l'extérieur. Je m'achète un thé à la menthe et étouffe un bâillement en rentrant dans l'amphithéâtre à moitié vide.

Je tressaille et pile net en étendant distinctement mon prénom prononcé à plusieurs reprises. Je lève la tête et aperçois un groupe d'étudiants en pleine conversation, et la seule chose que j'entends distinctement, c'est mon prénom. Mes doigts se resserrent autour de mon gobelet.

Je me racle la gorge. Dans l'amphithéâtre, cela résonne comme dans une cathédrale. Tant mieux.

Les étudiants (ils sont dans ma promotion mais je ne les connais que de vue, comment connaissent-ils mon nom ?) se taisent et me jettent une note de musique perplexe. Je soutiens leur regard et m'assois à ma place habituelle, au troisième rang.

Les murmures reprennent et je grimace. J'hésite à leur demander quel est leur problème mais je ne suis pas sûre d'avoir envie de le savoir, ni même d'avoir la force d'aller leur parler.

Je prends mon téléphone et entreprend de me connecter à Twitter, comme je le fais d'habitude. Mais ce matin, c'est la douche froide. J'ai une avalanche de notifications et je ne comprends pas pourquoi. Je commence à les passer en revue, sans vraiment comprendre l'origine de ces « queen i love you » et « you inspire me ». Je passe sur le compte du groupe, et tout s'éclaire.

Un bruit sourd à ma gauche m'empêche de me concentrer et de comprendre ce que je vois.

— Mon Dieu, Emmy ! Pourquoi tu ne m'as pas dit que tu jouais dans un groupe ? s'exclame Lydia.

— Quoi ?

Elle secoue ses cheveux cuivrés avec exaspération.

— Ne joue pas l'innocente, surtout avec ce qu'il vient de se passer.

Son ton est froid.

Les battements de mon cœur s'accélèrent. Je regarde l'écran de mon téléphone en veille puis elle, sans comprendre. Ma gorge est si sèche que je bois une gorgée de thé d'une main tremblante avant de parler.

— Je suis dans un groupe, oui. Qu'est-ce qu'il vient de se passer ?

Lydia écarquille les yeux de surprise.

— Tu n'es pas au courant ?

Je secoue la tête. Mes dents claquent tellement que je ne peux pas articuler quoi que ce soit.

— Regarde ! s'exclame-t-elle en me tendant son téléphone. Ton groupe s'est fait repérer ! Et pas par n'importe qui !

Sur l'écran de son téléphone, est affiché un tweet de Kit Gentleson.

« En ce moment, je n'arrête pas d'écouter Nyx de @SadJoy. Vous connaissez ? »

Je balaie l'écran pour lire les réponses. La première est de Jay Del Bosque.

« QUI TE LES A FAITS DÉCOUVRIR, DÉJÀ ? AH OUI, MOI 😎 »

Et la deuxième aussi :

« Je vous conseille leur titre phare Les violons continuent de chanter. Et si vous voulez vous souvenir de votre adolescence, vous allez adorer Un été pour tout écrire. Bravo ! @SadJoy »

Quant à la troisième, elle est de Freddie McSaturn.

« je préfère Elle a un sourire :) »

La tête bourdonnante, je rends son téléphone à Lydia. Ça explique les notifications. Et les murmures de mes camarades.

Pendant un instant, je suis figée, comme une statue, incapable d'exécuter le moindre mouvement. Le temps s'arrête, ma vision se brouille, les coins s'obscurcissent. Mes doigts serrent la table pour m'ancrer dans la réalité. Ma bouche s'assèche encore et lorsque je veux bouger, je m'effondre dans un trou noir.

🎶🎶🎶

Quand mes paupières s'ouvre enfin, c'est comme si j'émergeais après une longue apnée. Je prends toutes les goulées d'air que je peux, le cœur cognant dans ma poitrine. Je suis allongée sur le sol de l'amphithéâtre, Lydia est au téléphone à côté de moi et les autres étudiants sont regroupés à l'autre bout de la pièce (Lydia a du leur dire de me laisser de l'espace).

— Rallonge-toi ! m'ordonne-t-elle. Elle est réveillée, oui, ajoute-t-elle à l'attention de la personne au bout du combiné.

— A qui tu parles ? demandé-je, les idées à présent très claires.

Sans me répondre, elle plaque le combiné contre mon oreille.

— C'est un médecin, m'informe-t-elle.

Elle lève mes jambes à la verticale, tandis que j'entreprends d'expliquer au médecin ce qui vient de m'arriver. Je n'ai perdu connaissance que quelques minutes (deux maximum d'après Lydia, qui a très vite réagi). Je me sens vidée, mais apaisée. Le soignant conclut à un malaise vagal et me recommande de me reposer, boire une tisane avec un sucre, et d'aller chez le médecin rapidement.

Je plaide avoir cours, mais il me convainc de rentrer chez moi. Lydia insiste pour m'accompagner et c'est comme ça que je me retrouve dans la salle d'attente d'un médecin généraliste avec elle. (Elle a bien compris que sans elle, je n'irai pas.) Elle m'a pris mon téléphone pour ne pas que je sois tentée d'y jeter un coup d'œil et a prévenu Luke.

Au final, le médecin conclut que tout va bien pour moi et que j'ai simplement été secouée. J'étais fatiguée et voir cet élan de popularité a provoqué une émotion forte, si forte que ma tension et mon afflux sanguin ont baissé.

Puis, Lydia me raccompagne chez moi et ne me quitte qu'après m'avoir forcée à aller au lit avec une tisane sucrée et avoir envoyé à ma place mon arrêt de travail pour aujourd'hui et demain.

— Repose-toi, dit-elle, assise au bord de mon lit. Je vois bien que tu te surmènes. Je suis ravie que ça porte ses fruits, mais ne te ruine pas la santé pour autant, Emmy. On n'en a qu'une.

J'hoche la tête, un peu penaude. Je n'ai pas remarqué que j'étais autant à bout.

— Désolée de ne pas t'en avoir parlé.

Elle fronce les sourcils, sans comprendre.

— De Sad Joy, précisé-je. C'est un peu mon jardin secret. Et le groupe a déjà explosé une fois alors je préférais ne pas trop en parler.

Un sourire rehausse son visage et des paillettes bienveillantes illuminent ses yeux châtaignes.

— Ne t'occupe plus de ça. J'ai cru comprendre que tu as un passé compliqué.

Je souris simplement, et elle s'en va. Comme ça, sans un mot de plus. La journée défile sous mes yeux sans que je ne bouge. J'écris un message à Alice (qui m'a bombardée dès qu'elle a su) et j'ai du mal à la convaincre de rester à la fac. Je finis par plaider une envie de dormir et elle capitule.

D'ailleurs, je m'endors vraiment. Pendant trois heures. Je suis réveillée par Thomas qui rentre des cours, les mains pleines de pâtisseries et de viennoiseries. Nous nous blottissons sous des plaids et regardons des films en mangeant les victuailles. Je fais tout pour ne pas repenser à Dark Fate et à ce que leur mots ont provoqué chez moi.

Puis, sous les ordres de mon cousin, je retourne m'allonger. Même s'il est 21 heures. Après tout, une nuit d'au moins douze heures ne peut pas me faire de mal.

Mon téléphone vibre sur la table de nuit. C'est Caitlin.

— Allô, Emmy ? C'est moi. J'ai appris que tu as fait un malaise en voyant la nouvelle. Comment tu te sens ?

Sa voix est inquiète.

— Je vais bien. J'étais épuisée, et euh... c'était l'émotion de trop.

— C'est vrai que ça fait beaucoup d'un coup, approuve Caitlin. Notre nombre de lectures a déjà été multiplié par cinq sur Spotify, et ça ne fait qu'augmenter ! Et je ne te parle pas du nombre de vues sur YouTube...

La tête me tourne légèrement.

— Wow... Ça a l'air irréel, avoué-je, à nouveau sonnée.

Je pose ma tête contre l'oreiller, ébahie.

— C'est un pas de géant, tu veux dire !

Prise de vertige, je ferme les yeux.

— Ça va un peu vite pour moi...

— Respire doucement, Emmy. Tout va bien, murmure Caitlin avec gentillesse. Je t'assure que tout va plus que bien. Fondamentalement, ça ne change rien pour toi.

— On m'a reconnue à la fac aujourd'hui, lui avoué-je.

— Il faudra t'y faire, s'enthousiasme la jeune femme. C'est une bonne chose, Emmy. Les gens parlent de nous. Commencent à savoir qu'on existe. Et un groupe talentueux nous a remarqués. Si ce n'est pas un signe qu'on est sur la bonne voie, je n'y comprends rien !

— Vu sous cet angle...

— Ça ne change rien pour toi, reprend Caitlin. Tu es la même personne qu'hier, et demain ta vie reprendra son cours. Lundi, tu retourneras à l'université, tu travailleras. Bref, rien n'aura changé, ne t'en fais pas.

J'opine de la tête. 

— Il faut qu'on fasse une nouvelle cover, lancé-je alors.

— Très bonne idée ! Prends une chanson que tu as en tête en ce moment, conseille-t-elle. Comme ça, tu pourras entièrement t'y absorber. Ensuite, on pourra reprendre nos entraînements en ligne pour le show, et dans quelques semaines, Mike et moi serons là ! Tu verras, ça sera merveilleux !

— Je sais. J'ai si hâte ! Caitlin, tu me manques, tu sais. Ta bienveillance. Tes conseils. Tes anecdotes sur les ratons-laveurs.

— Je reviens bientôt, c'est promis.

Nous échangeons encore quelques mots plein d'espoir, à propos de l'avenir et du fait qu'un jour, nous vivrons tous dans la même ville, et que la distance ne sera plus qu'un lointain cauchemar. Si loin qu'il faudra se forcer pour se rappeler qu'elle a un jour existé.

🎶

Bonsoir ! Comment allez-vous ? :)

J'avais hâte de vous faire lire ce chapitre car... c'est le début de beaucoup de choses pour Sad Joy ! 😌
Doooonnnnc...
Que pensez-vous de ce chapitre, du coup de pub offert par Dark Fate ? Et surtout, comment analysez-vous la façon dont Emmy a vécu cette journée ?

J'espère que ce chapitre vous a plu et a pu vous égayer 💜

Je vous souhaite une excellente soirée et un bon dimanche !
A samedi prochain ! 🎶

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