⇝ Chapitre 52
Pour la première fois depuis des mois, pas une seule mélodie ne coule dans mes veines. Pas une seule note, pas une seule émotion que je voudrais confier, pas une seule phrase que j'aurais aimé dire. Rien, mis à part une peur terrible qui s'est imposée à moi dès que l'absence d'inspiration est apparue.
Et si mes meilleurs textes étaient déjà derrière moi ? Et si, finalement, je ne suis pas faite pour cela ? Pourrais-je seulement y survivre ? Je secoue la tête pour m'éclaircir les idées. Il me faut un sujet, une impression, une image, quelque chose sur lequel me baser.
Je n'ai plus rien. Au moment de me coucher, hier soir, mon cerveau fourmillait d'idées, tant et si bien que je ne savais pas laquelle développer. Maintenant que je peux y travailler, les laisser grandir, elles se sont évaporées, ne laissant derrière elles qu'une brume épaisse de doutes et de lointains souvenirs dont l'image floue s'envole à chaque fois que l'on tente de s'en approcher.
Dépitée, je décide de quitter ma chambre pour le salon, où Jay, Caitlin et Kit sont en train de se préparer, sûrement pour aller faire de l'escalade. Luke et Freddie se sont enfermés depuis ce matin dans le studio, avec quelques idées et une profonde envie de s'entraîner mutuellement à atteindre des notes qu'ils ne parviennent habituellement pas à atteindre. Quant à Mike et Alice, ils sont dans la salle de musique, si je me réfère au martèlement de la batterie et aux notes basses, bien en rythme avec la batterie, qui s'échappent de la pièce.
Bref, je ne sais pas à qui parler de mes inquiétudes, et c'est sur cette pensée que je descends les marches, tombant sur Caitlin en train de se battre avec un baudrier.
— Emmy ! Tu viens avec nous ? questionne-t-elle, arrivant (enfin) à desserrer les sangles et à l'enlever.
— En réalité, je cherchais un peu de compagnie, avoué-je. Mais tout le monde a l'air occupé.
— Je croyais que tu écrivais des chansons dans ta chambre... tu as besoin d'avis ? interroge Kit en rangeant le baudrier de Caitlin.
Je me mords la lèvre, hésitante.
— Quelque chose ne va pas ? s'inquiète Caitlin.
— En fait, je n'arrive pas à écrire quoi que ce soit. Ou bien tout s'emmêle et il m'est impossible d'écrire le moindre air ou la moindre phrase, ou bien mon esprit est aussi vide que... que...
— Qu'un atome ? suggère Jay.
— Un coquillage ? propose Caitlin, en s'adossant à la porte.
— Tout ça à la fois, grimacé-je. Rien ne sort, c'est comme si j'avais perdu toute capacité de pouvoir créer quoi que ce soit. J'ai beau forcer, rien de bon n'en ressort. Vous croyez que c'est fini, que j'ai brûlé la chandelle par les deux bouts ?
— Tu sais, j'ai mis des années à comprendre ça, mais la créativité et l'inspiration sont comme des batteries. Ça se recharge, m'explique gentiment Kit, une lueur compréhensive dans le regard.
— Vraiment ? demandé-je, parce que c'est terrifiant qu'une aussi grosse part de moi ait disparu si vite. J'ai l'impression de ne pas être complète...
Il me manque quelque chose, je le sens à chacun de mes pas, tel un trou béant dans mon âme. La cavité est un cruel rappel de l'absence des portées et mélopées qui agitaient les flots de mon esprit.
— Tu bloques un peu, analyse Jay. Ce n'est pas grave, c'est même plutôt normal. Beaucoup d'attentes sont placées en toi.
— Tu crois que je me mets la pression ?
— J'en suis persuadé, confirme Jay. Tu devrais venir avec nous : ça t'aérera l'esprit.
— Je n'ai jamais fait d'escalade, avoué-je, plus pour la forme qu'autre chose.
Au fond, j'ai bien envie d'essayer et de sortir un peu de ma zone de confort.
— Moi non plus ! répond gaiement Caitlin. Mais ils vont nous apprendre, ne t'inquiète pas !
— Il faut juste que tu mettes un short ou un pantalon de sport, précise Kit en observant ma robe. Sauf si tu veux seulement te promener autour.
Ni une, ni deux, je remonte les deux étages quatre à quatre et saute dans un pantalon de marche, une brassière et un débardeur. Lorsque je redescends, Kit me tend un baudrier.
— C'est pour voir s'il est à ta taille. Ça se met comme un pantalon, précise-t-il, face à mon air ahuri.
Suivant son conseil, je règle les sangles, et songe avec excitation que je n'en ai jamais porté. Quelques minutes plus tard, après avoir essayé des chaussures d'escalade ayant appartenu à Jay quand il était enfant, nous sommes dans la voiture de ce dernier – garée à l'extérieur de la maison – et en route pour un rocher d'escalade « idéal » pour débuter, selon les dires de Jay.
Une fois arrivés sur un parking désert aux abords d'une forêt, nous nous aventurons dans les bois, avec chacun au moins un sac sur le dos et dans la main. Une dizaine de minutes plus tard, nous arrivons en vue d'un rocher d'une cinquantaine de mètres.
La première chose que nous apprend Jay, à Caitlin et moi, est à réaliser un noeud de huit. Si lorsqu'il donne ses instructions, le tout me parait simple, l'effectuer est une autre paire de manches... Je jette un regard à Caitlin, qui contemple son noeud d'un air dubitatif.
— Regarde, dit Kit en prenant ma main et en la guidant, tu fais une tête, tu l'étrangles, et pour être sûr qu'il est mort, tu lui crèves un œil.
J'éclate de rire.
— Sérieux ?
— Oui, regarde ! s'exclame le jeune homme en tirant la corde, qui forme bientôt un joli noeud.
— C'est un peu violent, comme technique, objecte Caitlin en essayant à son tour. Néanmoins... ça fonctionne !
Quelques minutes plus tard, et après nous avoir encore donné certains détails, j'observe Kit et Jay s'équiper, étant donner qu'ils doivent installer la corde avant que nous ne puissions essayer. Kit se place derrière Jay, les pieds bien ancrés dans le sol, et, équipé de dégaines qu'il va placer sur les ancrages de la voie, Jay s'engage dans son ascension. Son corps prend parfois des postures étranges pour atteindre des prises que je ne distingue pas d'où je suis, mais chacun de ses gestes est vif, et assuré. A quelques pas de nous, Kit assure le jeune homme, en nous expliquant qu'aujourd'hui, Caitlin et moi nous contenterions de grimper, et que l'assurage sera pour une autre fois, tout comme l'escalade en tête.
Soudain, le pied de Jay glisse sur la falaise, et le jeune homme semble un instant être sur le point de faire une terrible chute, mais il ne tombe que d'une dizaine de centimètres, restant suspendu en l'air.
— Vous voyez ? crie-t-il en repoussant la falaise de sa main, se balançant légèrement. On ne risque rien ! On vous apprendra aussi ça.
— C'est à ça que sert l'assureur, explique Kit. Plus je tire la corde, plus vous serez sèches, c'est-à-dire tirées par la corde. Si vous glissez ou loupez une prise ou jaugez mal votre force, vous ne bougerez même pas d'un centimètre. La chose que vous risquez le plus, c'est de vous égratigner, mais je crois que vous y survivrez, conclut le musicien, un léger sourire aux lèvres.
— Pas sûr, plaisante Caitlin en portant une main tragédienne au son visage. Mon grain de peau n'y survivrait pas !
Une dizaine de minutes plus tard, la voie est installée et Kit et Jay échangent leur rôle tandis que je continue de guetter leurs mouvements. Ça a l'air si simple, quand on les voit ! Évidemment, lorsque c'est mon tour et que je dois apprendre à m'asseoir dans le baudrier pour pouvoir descendre alors que je ne suis qu'à vingt centimètres du sol, c'est une toute autre histoire...
— Je vais tomber ! paniqué-je
— Mais non, répond patiemment Jay. Lâche la paroi. Laisse seulement tes pieds bien à plat dessus.
— Je vais glisser, gémis-je, le cœur cognant à toute allure dans ma poitrine.
— Non, les semelles des chaussures d'escalade adhèrent à la surface. Tu ne vas pas déraper, promet Jay, tandis que bon gré mal gré, je m'agrippe au mousqueton qui relie mon baudrier à la corde. Tu me fais confiance ? questionne-t-il, alors que je songe qu'il n'y a pas plus terrifiant que de ne pas pouvoir voir derrière soi.
— Ou... oui...
— Alors assieds-toi tranquillement dans le vide.
— Comme ça ?
— Parfait. Je te fais descendre, indique le musicien en desserrant la corde.
— Désolée, dis-je, une fois revenue au sol. Ça me fait plus peur que je ne le pensais.
Jay hausse les épaules tandis que je frotte la sangle du casque que je porte.
— Ce n'est pas grave. Il y faut aller pas à pas.
« Un pas après l'autre, même si j'avance les yeux bandés » songé-je, en déglutissant, les yeux rivés au sommet du rocher qui me paraît désormais inaccessible.
— Tu es prête ?
— Si tu l'es, je réponds, en fixant la roche d'un air décidé.
Je respire un grand coup et entame mon ascension en posant mon pied sur une entaille dans la roche qui me semble solide et suffisamment large pour accueillir ma plante de pied. Jay dit qu'en réalité seuls quelques millimètres suffisent et que je peux prendre appui sur n'importe quoi, mais comme c'est ma première montée, je n'y crois que très moyennement.
Si je parviens à trouver mon chemin sur les premiers mètres, je suis bientôt bloquée : je ne sais pas où appuyer mes mains pour avancer. Jay prétend qu'on peut monter sans utiliser les mains et les bras car l'essentiel de la force réside dans les jambes, néanmoins, je ne peux pas m'empêcher de me hisser à la force de mes bras.
— Il y a une bonne prise sur ta gauche, m'informe Jay. C'est une sorte de toute petite crevasse. Tu peux y mettre ton pied droite et le gauche ira dans de renflement du dessus.
Je tourne la tête vers lui et... Grosse erreur ! Il me semble si loin de moi ! Et j'ai l'air d'être si haut !
— Tout va bien, poursuit-il d'un apaisant. Continue ton ascension, ne t'occupe pas de moi. Tu sens comme la corde te tire ? (J'hoche la tête, et même si c'est rassurant d'être maintenue, je ne peux pas empêcher mes muscles de se crisper.) Alors vas-y. Un pas après l'autre, Emmy.
« Un pas après l'autre », me répété-je, en avançant à tâtons avec mes mains, qui finissent par trouver une prise solide. J'expire un grand coup lorsque je dépasse le renfoncement qui m'inquiétait tant. A une dizaine de mettre à côté de moi, Caitlin se fait aussi aider par Kit, qui lui prodigue des indications et des conseils.
— Ne t'accroche pas aux crochets sur la voie, si tu tombes tu risques de t'arracher un doigt, me crie Jay, depuis le bas, alors que je m'étais décidée à utiliser l'ancrage comme une prise.
Je grimace.
— Je ne sais pas comment continuer !
— Il y a une prise sur ta droite, ça fait un peu comme un escalier. Tu la vois ?
Ma grimace gagne en puissance. Pour l'atteindre, je dois lâcher une de mes mains et lever ma jambe assez haut.
— Je suis trop petite pour l'atteindre !
— Je pense que tu peux tout à fait exécuter ce mouvement. Tu en as élaboré des plus compliqués toute à l'heure ! Il faut juste que tu aies confiance en toi !
— Et si je glisse ? demandé-je, d'une toute petite voix.
— Tu ne tomberas pas, je te rattraperai, affirme Jay, d'un ton assuré. Il faut juste que tu parviennes faire taire ton cerveau et tu y arriveras.
J'expulse encore une fois tout l'air de mes poumons en prenant bien soin de vider mon esprit, malgré la sueur qui dégouline le long de mon corps et la peur qui coule dans mes veines. Prenant mon courage à deux mains, je lâche la paroi et lance ma jambe en poussant un petit cri de guerrière (qui ressemble probablement au hurlement d'un poulet qu'on égorge, mais l'attention est là) et... dérape le long de la roche avant de me retrouver suspendu à deux centimètres à peine de l'endroit où j'étais il y a à peine quelques secondes.
— Ça va ? questionne mon assureur.
— En pleine forme ! lui crié-je en avisant mon bras égratigné. J'ai trouvé une autre façon d'arriver au sommet !
Sans lui laisser le temps de répondre, je reprend ma position initiale et m'engage dans la voie, les yeux rivés aux prises que j'ai distinguées en chutant légèrement. Désormais, l'adrénaline a pris le dessus et plus rien d'autre ne compte que la sensation d'aller toujours plus haut, au-delà de moi-même et de mes appréhensions. Plus rien ne me semble impossible ou insurmontable.
Au détour d'une interstice, j'aperçois le mousqueton qui signe la fin de la voie.
— J'ai réussi ! m'écrié-je, n'y croyant pas mes oreilles.
Je me retourne et observe la vue à couper le souffle qui s'offre à moi. De là où je suis, Delphes n'est qu'un tout petit amas de bâtisses, mais le bleu de la mer et du ciel entremêlés ne perd pas de sa superbe. Le vert des oliviers étincèle comme des émeraudes, et même si la rivière ne semble être qu'un mince fil d'argent, je l'aperçois tout de même.
En bas, Caitlin m'applaudit à tout rompre.
— Bravo, Emmy !
La fierté efface les quelques craintes qui persistent, et même si je suis encore effrayée à l'idée de glisser et de tomber, je parviens tant bien que mal à m'asseoir dans mon baudrier et à marcher sur la paroi pour descendre, tout en évitant d'imaginer que la corde neuve pourrait très bien se rompre. (Qui a dit que la peur était rationnelle ?)
Lorsque mes pieds touchent le sol, il me semble revenir d'une visite du ciel en personne.
— Je veux recommencer ! m'exclamé-je, enthousiaste.
— Moi aussi !
Caitlin m'offre un sourire plein d'excitation et elle et moi échangeons de voies, et d'assureur aussi.
— Prête ? me demande Kit, alors que je m'apprête à poser le pied sur ma première prise. Vas-y à ton rythme, moi je m'adapte.
J'hoche la tête. Un pas après l'autre. Une étape après l'autre. Une note après l'autre. Concentrée sur la voie, les prises et les multiples chemins que je peux choisir, j'oublie tout de la musique, de Sad Joy, du tourbillon de pensées qui m'assaillait, de la peur de ne plus jamais réussir à produire la moindre mélodie.
Quelques dérapages et égratignures plus tard, je suis à nouveau en haut de la voie et profite de la vue. Je respire profondément, ancrant dans ma tête ce paysage, ce moment, le rire de Caitlin que j'entends d'ici, le sourire de Kit et l'air satisfait de Jay. A cet instant, je me sens bien, en harmonie avec moi-même. Et quand on y pense, j'ai réussi tout ce que j'ai entrepris, alors j'ai bien le droit à cette parenthèse enchantée.
Mon sourire béat est encore sur mon visage lorsqu'il nous faut rentrer.
— Tu en fais depuis longtemps ? questionné-je, à l'attention de Jay.
— Depuis mes cinq ans, affirme le musicien. C'est une de mes façons de me changer les idées et d'évacuer. Ça m'aide à gérer la pression et la peur de ne pas être capable d'écrire un nouvel album ou une nouvelle chanson.
— Je vois. Ça m'a fait beaucoup de bien en tout cas. Merci, lui dis-je, alors que nous arrivons en vue de la villa.
— Pas de problèmes. Tu sembles plus apaisée que lorsque tu es venue nous trouver, c'est donc une mission accomplie pour moi.
Je grimace et sort de la voiture.
— J'avais l'air si anxieuse que ça ? questionné-je en récupérant un sac du coffre.
— Tu as un visage très expressif, affirme Jay en haussant les épaules.
— Tu avais l'air tourmentée, ajoute Caitlin en prenant son sac à dos. Je suis contente que tu sois venue avec nous !
— Je suis contente d'avoir vécu ça avec toi !
Je lui emboîte le pas vers la porte, me souvenant de certains des mouvements qu'elle avait faits.
— Je ne sais pas si tu as déjà fait de la danse, mais tu as fait un pas de bourrée parfait ! lui annoncé-je, alors qu'elle pousse la porte.
— Je n'ai jamais pris de cours ! s'esclaffe-t-elle, tandis que nous retirons nos chaussures. Toi, tu sautais de prises en prise comme un faon ! C'était plutôt amusant à voir, je dois dire...
J'éclate de rire au moment où Jay et Kit rentrent à leur tour. Les autres ont dû nous entendre puisque Luke et Freddie apparaissent à l'embrasure de la cuisine.
Luke se précipite vers moi.
— Emmy ! On t'a cherchée partout !
— Luke t'a cherchée partout, rectifie Freddie.
— Ah, désolée, m'excusé-je, un peu platement. Ça s'est fait un peu comme ça.
— Et c'était vraiment une superbe expérience ! renchérit Caitlin, les yeux encore pleins de la fierté éprouvée une fois le sommet du rocher atteint.
— Les meilleures expériences sont souvent les imprévus, philosophe Jay en me jetant un regard étrange.
— Je ne savais pas que tu voulais aussi essayer, poursuit Luke une pointe de reproche dans la voix, je croyais que tu voulais composer et rester seule-...
— Ça t'a plu ? le coupe Freddie, un sourire aux lèvres.
— J'ai adoré ! Et en même temps j'étais terrifiée... J'ai hâte de recommencer !
Freddie se tourne vers Jay, son sourire s'élargissant de plus bel.
— Une convertie de plus !
— Tu en fais aussi ? m'étonné-je, tachant de l'imaginer attaché à une corde en train d'escalader une voie.
— Impossible d'être ami avec Jay sans avoir au moins essayé une fois, affirme le chanteur. Et puis, c'est plutôt chouette pour se vider la tête.
— C'est efficace, j'admets. On est obligé de se concentrer sur l'ascension, sinon on risque de... euh... tomber. Ou glisser. C'est effrayant, de ne pas avoir le contrôle sur tout ce qu'il se passe.
— Mais formateur, s'immisce Caitlin, ravie. En tout cas, c'était vraiment chouette, merci !
— On y retournera, répond Jay, en guise de remerciements. Mais avant ça, je vais prendre une douche bien froide !
Une cacophonie retentit soudainement depuis la salle de musique. Alice doit encore se défouler, et au vu des cris de protestation de Mike, il doit avoir du mal à la suivre avec sa basse.
— Je vais aller les voir, déclare Kit, les yeux rivés à la porte de la salle. Ils ont bien mérité une pause, et puis ce pauvre Mike a l'air d'être en souffrance !
Je m'esclaffe après avoir échangé un regard complice avec Caitlin. A mon avis, ce n'est pas seulement pour la musique...
La jeune femme m'adresse un grand sourire encore émerveillé par l'après-midi que nous avons passée avant d'emboîter à Freddie, qui se dirige vers la terrasse. Je m'apprête à les suivre quand Luke m'attrape le bras.
— Préviens-nous, la prochaine fois que tu quittes la maison sans prévenir.
— Désolée... Je n'ai pas trop réfléchi. Je... je n'arrivais pas à écrire quoi que ce soit et je ne me sentais pas très bien. Je crois que j'avais besoin de compagnie.
— Tu pouvais nous rejoindre, objecte Luke d'un ton froid.
Je secoue la tête.
— Vous aviez l'air très contents de pouvoir passer du temps tous les deux. Je ne voulais pas gâcher ça en vous racontant mon blocage.
— Tu ne nous aurais pas dérangés, tu es mon... notre, se corrige-t-il en fronçant les sourcils, amie.
Je lui souris piteusement.
— Excuse-moi.
— Ce n'est pas grave. Néanmoins, j'avoue que je me suis inquiété. Imagine, si quelque chose t'était arrivé !
C'est vrai que je suis partie sans un mot, sans même penser que mon absence serait remarquée.
— Je...
— Quelqu'un aurait pu s'en prendre à toi, ou tu aurais même pu te blesser, ou-...
Il s'interrompt au milieu de sa phrase, alors que je me décompose de plus en plus, songeant au sang d'encre qu'il a dû se faire alors que je passais du bon temps avec Kit, Jay et Caitlin !
— Pardon, murmuré-je, embarrassée. Je n'ai pas anticipé le fait que vous ne sauriez pas où je suis.
— Penses-y, la prochaine fois.
J'hoche la tête, les joues rouges de honte et me détourne à grand pas vers la terrasse, où la chaleur ne me choque pas, tant mon visage est déjà brûlant.
Freddie est assis au bord de la piscine, trempant ses pieds dans l'eau, le regard fixé sur la jolie vue de Delphes plongée dans les oliviers, dont la mer lointaine semble caresser la silhouette floue.
Je me mords la lèvre et m'avance vers lui, avant de regretter ma décision. Derrière nous, Caitlin se prélasse sur un transat, détendue.
— Je suis désolée, lui dis-je en m'asseyant à côté de lui, plongeant moi aussi mes jambes dans l'eau tiède de la piscine.
Mais le chanteur me jette un regard interrogatif.
— Pourquoi ?
— Pour être partie comme ça de la maison.
— Je ne suis pas sûr de te suivre...
— Luke a l'air de s'être pas mal inquiété, expliqué-je. Pas toi ?
— Pas du tout. Non pas que je me fiche qu'il t'arrive un truc horrible, précise-t-il, mais je te crois tout à fait à même d'aller où tu veux avec qui tu veux au moment où tu le souhaites.
— Bon, alors désolée de m'être excusée pour ça, soupiré-je, désormais préoccupée par l'inquiétude irrationnelle de Luke.
Un sourire moqueur peint les traits de Freddie.
— Tu ne dois de comptes à personne, tu sais. Ni à moi, ni à Luke.
Il reporte son regard sur la ville en contrebas, et cette rivière – oh, cette scintillante rivière ! – qui rampe jusqu'à la mer, sans se départir de son sourire.
— Qu'est-ce qu'il y a ? demandé-je.
— Rien, élude le chanteur, son sourire s'élargissant encore. C'est juste que tu t'es excusée deux fois pour rien en moins d'une minute. Pas besoin de prendre autant de précautions avec moi, je ne suis pas un pou qui se vexe pour un oui ou pour un non !
— Pas comme Luke, c'est ça ?
Freddie hausse les épaules.
— Je ne pense pas qu'il soit vexé. Je pense simplement qu'il s'inquiète un peu trop pour les personnes qui lui sont chères. Souviens-toi qu'à ces yeux, sa sœur est morte à cause de son manque de vigilance.
— Mais c'est faux ! protesté-je.
— Bien-sûr, affirme doucement le chanteur. Mais c'est sa vérité à lui, alors consciemment ou pas, il ne pourra pas s'empêcher d'agir ainsi.
— J'aurais peut-être dû le prévenir, soupiré-je.
— Il ne pourra pas toujours savoir ce que vous faites tous à chaque moment de la journée, objecte Freddie. D'ailleurs, il ne vaudrait mieux pas l'y habituer. Et puis, te concernant, il me semble qu'il y a un an, vous ne vous étiez même pas encore retrouvés, alors je pense qu'il pourra se débrouiller.
Un silence accueille son explication. Il n'y a rien que je puisse faire pour l'aider, de toute façon.
— Il était si inquiet que ça ? questionné-je.
Le parolier ouvre la bouche pour répondre puis se ravise après m'avoir jaugé d'un œil prudent.
— Sois honnête, insisté-je. D'habitude, ça ne te pose pas de problème.
Je me mords aussitôt la lèvre, regrettant mes mots qui dans ma bouche sonnent presque comme une accusation. Y a-t-il seulement quelque chose que je réussis, aujourd'hui, à part me mettre des gens à dos ?
— Désolée ! m'exclamé-je, horrifiée. Ce n'était pas ce que je voulais dire !
Le chanteur éclate de rire.
— Bien-sûr que si ! Je sais que je manque de tact. Seulement, j'essaie d'apprendre de mes erreurs, alors parfois, je tourne sept fois ma langue dans ma bouche avant de parler.
Il marque une pause tandis que je le détaille toujours avec effroi sans savoir ce que je redoute le plus : l'avoir blessé ou sa réponse à ma question.
— Il s'est... mhm... imaginé le pire des scénarios. J'avais beau la rassurer, rien n'y faisait. Et cette tête de mule ne voulait pas envoyer un message à Kit ou Jay ou Cait ou même toi pour poser directement la question. J'étais à deux doigts de t'écrire quand vous êtes rentrés.
— Tu n'as même pas mon numéro, dis-je un peu bêtement.
— Jay me l'a donné il y a des mois.
— Et tu ne m'as même pas envoyé un seul message ? m'étonné-je. O Dieu ! Je pourrais être enfermé dans une coquille de noix, et me regarder comme le roi d'un espace infini, si je n'avais pas de mauvais rêves !
Le sourire de Freddie éclaire son visage tel un projecteur sur le visage d'un acteur en plein monologue fiévreux. Pas de doute, il a saisi ma référence à Hamlet.
— Tout vient à point qui sait attendre, rétorque-t-il, dans un français avec un fort accent britannique.
Je toussote pour masquer mon hilarité. Il va falloir que je lui enseigne la prononciation.
— J'ai donné tout ce que j'avais ! proteste le chanteur, faussement affligé, alors que j'éclate encore plus de rire.
Un silence s'installe, seulement interrompu par le clapotis de l'eau de la piscine, puisque je m'amuse à agiter mes pieds en détaillant la vue. Si je pouvais la graver derrière mes paupières pour ne jamais l'oublier, je m'endormirais tous les soirs avec le paradis devant les yeux. Une idée, aussi fugace qu'un éclair dans le ciel, traverse mon esprit apaisé.
— Je sais exactement sur quoi écrire, murmuré-je, un sourire soulagé sur le visage.
— Tu vois ? C'était une excellente idée d'aller se changer les idées ! s'exclame Caitlin.
Je me tourne vers elle. Elle s'est redressée et m'adresse un regard pétillant.
— Ça m'a vraiment rafraîchi la tête ! J'espère seulement que ça ne sera pas à chaque fois au détriment de quelqu'un...
— Luke n'est pas en sucre, rétorque Caitlin en haussant les épaules. Il s'en remettra ! Et puis, ce n'est pas tous les jours qu'on est en Grèce pour écrire notre premier album !
— Entourés du meilleur groupe de tous les temps, ajoute Freddie d'une voix traînante.
Je me penche au-dessus de l'eau pour inspecter les jambes du chanteur.
— Qu'est-ce que tu regardes ?
— Tes chevilles. Je m'inquiète pour elles, je crois qu'elles ont encore gonflé.
— Tu veux les voir de plus près ?
— Ça m'aiderait à poser mon diagnostic, affirmé-je en me penchant un peu plus vers l'eau.
Le chanteur pense sûrement m'aider en plaquant sa main au milieu de mon dos pour me pousser dans l'eau... Dans un plongeon aussi disgracieux que possible, l'eau fraîche m'assaille. Après avoir tâté le fond de la piscine avec mes pieds, je remonte en toussant sous les rires du chanteur.
— Désolé, mais c'était trop tentant ! s'exclame-t-il en avisant mes cheveux trempés avant d'à nouveau rire aux éclats.
Bien décidée à me venger, j'attrape une de ses chevilles et le tire vers moi. Sans grand succès puisqu'il ne bouge pas d'un cil.
— Qu'est-ce que tu essaies de faire ? me taquine-t-il. Me tirer dans l'eau à mon tour ? Ça me semble très mal parti !
— Ne jamais tourner le dos à l'ennemi ! s'écrie Caitlin en s'élevant de son transat et en poussant Freddie sans ménagement dans l'eau.
J'éclate de rire et une vague m'éclabousse tandis qu'elle me jette un regard hilare.
— Je savais que je pouvais compter sur toi, lancé-je, alors que le chanteur secoue ses cheveux trempés en observant la jeune femme d'un œil désapprobateur.
— Tu as déclenché une guerre que tu ne peux pas gagner ! déclame Freddie, d'un ton que Sauron aurait sans doute pu employer pour s'adresser à Frodon s'il avait pu.
Sur ce, il se hisse sur le bord de la piscine et poursuit Caitlin, qui en riant, se cache derrière Luke qui vient d'arriver sur la terrasse.
— Mais qu'est-ce qu'il se passe, ici ? s'étonne-t-il, tandis que je m'extirpe à mon tour de l'eau et cours dans leur direction.
— Ça te va, une alliance ? lancé-je, à Freddie.
Sans attendre sa réponse, j'attrape le bras de Caitlin et la tire vers la piscine sous ses protestations. Elle s'accroche tant et si bien à Luke qu'il ne comprend ce qui lui arrive que quand Freddie le pousse dans la piscine. Lui et moi effectuons un tope là sous les grommellements de Luke concernant ses cheveux.
— Tu n'étais même pas coiffé ! se récrie Caitlin en écartant les siens de son front.
— Peu importe ! La guerre est déclarée ! déclare solennellement Luke, les yeux rivés sur mon visage moqueur.
J'imagine que l'écriture de ma chanson attendra la soirée...
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Bonsoir ! Comment allez-vous ?
Merci d'avoir lu ce chapitre ! Que pensez-vous des problèmes qu'Emmy rencontrent au début de ce chapitre ? Ça vous est déjà arrivé, de ne plus avoir d'inspiration et d'être complètement bloqué ? En tout cas, la méthode proposée par Jay semble être efficace ! Qu'en pensez-vous ? Avez-vous déjà fait de l'escalade ?
Personnellement, j'adore ça et j'adore en faire avec mes amis, même si je n'ai pas le temps cette année :(
Et puis, que pensez-vous de la réaction de Luke vis-à-vis du départ soudain d'Emmy pour l'escalade ? Comprenez-vous sa réaction ?
N'hésitez pas à commenter, ça me ferait très plaisir ! ❤️
Mercredi et Jeudi prochains, je passe mes écrits d'agrégation, et avec tout le stress et le travail que ça a occasionné depuis janvier, je n'ai pas eu le temps d'écrire, si bien que le chapitre de la semaine prochaine n'est pas encore écrit... Je vais essayer de le terminer ce week-end, étant donné que je vais prendre une pause loin des maths. Donc si tout va bien, on se retrouve vendredi prochain pour le chapitre suivant ! (Je vous tiendrai au courant sur mon profil !)
Prenez bien soin de vous ❤️
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