⇝ Chapitre 50 ~ Kit
— Cette phrase n'était pas nécessaire, lance Kit, une fois que la porte s'est refermée sur Emmy.
Mais Freddie ne répond pas, occupé à fixer la porte comme si elle venait de l'insulter.
— Et aussi... qu'est-ce qui t'a pris !?
Le chanteur soupire et appuie son front contre le chambranle de porte.
— Je ne sais pas, murmure-t-il, les paupières closes.
— Moi, je sais, rétorque Jay. Et ce n'est pas grave, Freddie. C'est une des meilleures choses qui pouvait t'arriver.
Il secoue la tête, le visage contre le bois de la porte.
— Au contraire, c'est une catastrophe.
Kit retient avec grande peine un soupir de frustration.
— Suis-je le seul à ne rien comprendre ? De quoi vous parlez ?
— De rien, marmonne Freddie, ses traits gracieux défigurés par le désespoir. Rien d'important en tout cas.
— Tu observeras mieux la prochaine fois, répond Jay tandis que le chanteur se retourne et se laisse tomber sur le sol, ses longues jambes étendues devant lui.
Tout d'un coup, Kit lui trouve l'air morose. Encore plus que d'habitude. La flamme qu'il avait distinguée en son ami il y a quelques jours semble s'être éteinte. Qu'est-ce qui peut bien le mettre dans cet état ? Certainement pas le fait d'être ami avec Sad Joy. Kit voit bien que cette idée au premier abord déplaisante le séduit beaucoup aujourd'hui.
— Est-ce que vous m'aiderez à gérer... ? interroge Freddie, les yeux fixés sur un point que Kit ne distingue pas.
Le chanteur ne termine pas sa phrase, abattu. Il n'ose même plus prononcer les mots à haute voix tellement ces derniers temps lui ont fait oublier cet aspect-là.
— Vous savez de quoi je parle.
— Évidemment, affirme Kit. On ne te laissera jamais tomber, tu le sais bien.
Un pâle sourire éclaire les traits fatigués du chanteur. Le masque est tombé, et contrairement à d'habitude, Kit n'est pas certain que ce soit une bonne chose. En face de lui, Jay fait les cent pas dans la pièce, qui paraît tout d'un coup bien vide sans la présence de Sad Joy.
— En tout cas, tu as bien fait de réagir, reprend Jay. Par contre, tu manques toujours autant de tact.
Freddie hausse les épaules, un léger sourire aux lèvres.
— Que veux-tu que je te dise ? Les mots sortent avant même que je ne les pense.
Il se redresse, ragaillardi.
— Et puis, il fallait bien que quelqu'un le lui dise et la secoue un peu. Et comme personne ne semblait disposé à s'en charger, j'ai songé que l'on était jamais mieux servi que par soi-même.
Kit grimace. Emmy et Alice ont bien failli se disputer, et sans son intervention, ce serait probablement arrivé. Cela fait partie du processus : Kit se souvient que leurs premiers jours en tant que groupe avaient reposé sur un équilibre fragile.
— Elles apprendront, Kit. Tu te souviens de comment on était, au début ? interroge Freddie, à nouveau caché derrière son masque de rationalité.
Un petit sourire éclaire son visage : tous trois n'arrivaient tout simplement plus à s'entendre. Dès l'instant où Noirs Phœnix était sortie et avait cartonné, ils étaient devenus le groupe à suivre, ceux dont les moindres faits et gestes étaient des plus importants, mais aussi la cible de rumeurs infondées et de conclusions hâtives, à tel point qu'ils avait finis par être montés les uns contre les autres, avant que Gemma ne leur fasse remarquer que beaucoup avaient à gagner si leur groupe venait à être dissout. Ils avaient donc fini par être honnêtes les uns envers les autres, se refaire confiance et se déconnecter des réseaux sociaux, qui étaient plus un poison qu'une aide.
— Mais tu as entendu Mathieu, argue Kit. Ce qui se murmure au sujet d'Emmy a un fond de vérité, puisque ça vient de quelqu'un qui la connaissait.
Freddie hausse les épaules.
— Seul un idiot croirait ces histoires. Tout le monde sait d'où elle vient et ce qu'elle a traversé. Les gens finiront par s'en rendre compte et ils se lasseront de son manque de réaction.
— Surtout qu'elle risque d'être bien occupée, avec l'album qu'ils doivent préparer, ajoute Jay. Tu leur as exactement proposé ce que Gemma nous a sommés de faire, il y a quelques années.
— Ça nous a bien aidés, objecte le chanteur en haussant les épaules. Mathieu m'a confié que c'était ça qui avait ruiné son groupe et qu'il se sentait désemparé, il y a quelques temps. Tu te souviens de la tragique ascension des Deathly Arrows ?
Kit hoche la tête. Comment oublier ce cas d'école ? Leur groupe n'avait tout simplement pas supporté la pression, si bien qu'il avait fini par imploser, laissant le guitariste Mathieu Wiener seul dans le groupe, le chanteur principal ayant fait une grave overdose l'ayant conduit aux portes de la mort. Quant aux deux autres membres, l'un avait été faire une cure de désintoxication pour soigner son alcoolisme et le second avait tout simplement disparu des radars. On racontait qu'il était désormais agriculteur, bien caché des tapis rouges et des flash des photographes. Lui et Mathieu semblaient être les deux seuls à s'être relevés.
— Bien-sûr, même s'il n'en parle jamais, affirme Jay. J'imagine que tu l'as questionné à ce sujet dès que tu as pu. Je me trompe ?
Freddie secoue la tête.
— J'ai une oreille attentive, et Mathieu brûlait de se confier à quelqu'un. Je ne lui ai rien demandé : c'est lui qui s'est ouvert à moi.
Kit est pris d'un élan d'affection pour son ami, dont l'esprit apaisant et l'âme dépourvue de jugement encouragent tout le monde à se confier à lui. Il a si bon cœur qu'il porte les fardeaux des autres en plus du sien, dont le monde entier ignore l'existence. Pourtant, si l'on tend l'oreille, si l'on se concentre vraiment, si on lit attentivement les paroles qu'il écrit, on devine l'écho d'un cri.
Un éclair mélancolique travers le visage de Jay : il a sûrement pensé la même chose que Kit.
— Tu n'es pas obligé d'aider le monde entier, Freddie, lui dit-il avec douceur.
Le chanteur hausse les épaules.
— Pourquoi suis-je sur Terre, sinon ?
Même si sa réponse agace Kit (Freddie a trop tendance à vouloir jouer les sauveurs à son goût), il opte pour l'indulgence :
— N'oublie pas que si c'est trop pour toi, tu peux te confier à nous.
Freddie hoche la tête, et même si Kit sait qu'il n'en fera rien, il songe que la graine est au moins plantée dans son esprit.
— Vous croyez qu'ils vont vraiment faire venir Ludo Taylor ? interroge Jay, un air conspirateur sur le visage.
Kit et lui échangent un regard ravi : cette perspective les enchante beaucoup. Freddie se contente de lever les yeux au ciel.
— Voilà donc la seule information que vous avez retenue aujourd'hui, commente-t-il, à moitié amusé. J'avoue que je ne suis même plus étonné.
— Avoue que cette idée est alléchante ! Ça sera forcément amusant, argumente Kit, songeant qu'il pourrait sûrement glaner quelques informations croustillantes du côté d'Alice.
Son cœur bondit lorsqu'il prend conscience du fait qu'il va partager la même maison que la jeune femme durant les prochaines semaines. Son sourire attendri n'échappe pas à Freddie, qui ne peut s'empêcher de le taquiner gentiment :
— Je suis sûr que tu te feras un plaisir de questionner Alice à ce sujet et d'être aux premières loges avec elle s'il devait venir. Après tout, c'est une bonne excuse pour encore te rapprocher un peu d'elle.
Le visage de Kit s'échauffe d'un coup, comme s'il venait de sauter dans une fournaise. Il aurait bien rétorqué avec un tacle sur la vie sentimentale de son ami, mais au vue de sa situation malheureuse, il préfère s'abstenir, même si Freddie préférait mourir que d'admettre que cette situation ne lui convenait plus. D'ailleurs, il a probablement sa petite idée sur la raison de ce changement.
— Tu pourras même l'inviter à aller se promener avec toi, à l'abri des regards, ajoute Jay, en échangeant un sourire complice avec Freddie. Elle mourra de fangirling et tu seras obligé de lui faire du bouche à bouche.
— Ça suffit ! s'exclame Kit, en s'embrasant de plus bel sous les rires de ses amis.
— Oh, allez, tu sais bien qu'on aime plaisanter, continue Freddie, jovial. En plus, si tu voyais ta tête...
— Ha ! Ha ! Hilarant, ironise Kit en croisant les bras. Tout ça parce que je vous ai dit que je l'aimais bien.
Jay hausse si exagérément les sourcils que Kit hésite à s'énerver encore plus, avant de se rendre à l'évidence : cela amusera encore plus ses amis.
— En tout cas, moi, c'est plutôt cette histoire que je suivrai avec le plus grand intérêt, conclut Freddie en lui jetant un autre regard moqueur. J'espère avoir rapidement quelque chose à me mettre sous la dent.
Kit secoue la tête.
— Je crois que Jay et moi déteignons un peu trop sur toi, Fred. Voilà que tu deviens aussi commère que nous ! déplore-t-il, avec une moue boudeuse.
— Je pense au contraire que c'est une excellente chose ! allègue Jay en lui souriant tranquillement.
Les trois amis échangent un regard avant d'éclater de rire. « Oui, songe Kit, les prochaines semaines seront sûrement intéressantes, car nous apprendrons beaucoup de nous-mêmes et d'eux. Nous en ressortirons grandis. » Ce n'est qu'au bout de quelques instants qu'il prend conscience que Freddie n'a pas hésité à mettre sa carrière de côté pour les aider. « Il doit vraiment les apprécier. » pense-t-il en détaillant le visage détendu du chanteur. « Et je comprends pourquoi. » Lui aussi, s'est retrouvé à ne songer qu'à eux.
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Bonsoir ! Comment allez-vous ?
Merci d'avoir lu ce chapitre (un peu) plus léger ! Que pensez-vous de tout ça ? A votre avis, à quoi Freddie faisait-il référence quand il a demandé à ses amis de l'aider à gérer son... hum... problème ? 😇
Lorsqu'Emmy était lycéenne, on apprend que Mathieu Wiener a été guitariste dans un groupe qui a été dissout. Vous attendiez-vous à une telle histoire ? Qu'en pensez-vous ?
On se retrouve vendredi prochain pour le début de la partie suivante. D'ailleurs, personne n'a encore trouvé de quel point de vue ces parties (et le prologue) sont écrites... 👀
Quoiqu'il en soit, la réponse arrive bientôt !
A très vite ! ❤️❤️
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