⇝ Chapitre 46 ~ Kit
Kit pousse un cri de stupeur. Il n'en revient pas ! En à peine une semaine, Freddie a composé deux chansons pour Sad Joy. Deux chansons. Freddie a aidé Emilie et Luke à écrire deux chansons. Où était donc passé le jeune homme grognon qui y mettait de la mauvaise volonté, qui ne voulait pas d'eux dans sa vie et qui s'agaçait dès que quelque chose qui ne lui plaisait pas arrivait ?
Le concerné le fusille du regard et Jay lui fait les gros yeux. D'accord, il aurait pu cacher sa surprise, mais y parvenir deux fois en deux jours était bien trop difficile pour lui.
— Vous charbonnez, s'explique Kit en gardant contenance, fuyant les prunelles un peu trop inquisitrices d'Alice. Deux jours, deux chansons abouties, avouez que c'est plutôt surprenant, non ?
Le jeune homme se tait avant de s'enfoncer encore plus. Freddie a toujours été très productif, et pour ce qu'il a découvert au sujet de Luke, il lui ressemble sur ce point.
— C'est parce que tu ne connais pas Luke, répond Mike en secouant la tête d'un air faussement désapprobateur. Il a toujours une idée ! A l'internat, il composait presque tous les soirs.
Le concerné se contente de mordiller son piercing d'un air préoccupé, les yeux rivés sur Caitlin qui, penchée sur le carnet qu'il lui avait donné quelques minutes plus tôt, lisait les paroles, la bouche légèrement plissée. Elle le passe ensuite à Mathieu, dont les yeux cernés témoignent d'une autre insomnie, passée à composer, avait déduit Kit, lorsqu'il avait aperçu les feuillets du manager. Ouf ! Il a fini par comprendre que Dark Fate ne les laisserait pas se faire manger par Jeff.
— Je suis très curieux d'entendre ça, commente Mathieu, en rendant son carnet à Luke, qui le referme aussitôt.
Freddie, qui n'a toujours pas détaché son regard de Kit, rétorque, en soutenant ses prunelles :
— L'inspiration regorge parfois de surprises.
Kit hoche la tête, signifiant qu'il a compris ce qu'il cherchait à lui faire comprendre, et demande s'il peut lancer l'enregistrement. La curiosité prend le dessus sur le reste : il se demande ce que cache réellement cette chanson. Peut-être que cela pourra l'éclairer sur le sens à donner à Brûler les étoiles. Il était certain que Freddie avait écrit le second couplet et le bridge, même s'il s'était adapté à la façon d'écrire d'Emilie. Le lui demander était inutile : le parolier aime bien trop protéger jalousement ses secrets, aussi minimes et futiles soient-ils.
Luke confirme de la tête, lui intimant qu'il peut lancer le morceau.
Après un bref début que Kit a immédiatement envie d'allonger de quelques notes ténébreuses, le premier couplet apparaît, suivi de près par le refrain. Il écoute le texte avec attention, se demandant à quoi les deux paroliers faisaient référence.
C'était la chanson de Luke, avait compris Kit. Mais quelle part de lui Freddie avait-il dissimulé derrière ces paroles énigmatiques, cet air un peu plus mélancolique ? Pour ce qui était du refrain, Kit avait malheureusement sa petite idée. Si Freddie comprenait si bien la majorité des gens, c'était parce qu'il se sentait aussi mal qu'eux, mais personne ne songeait à la raison pour laquelle il était capable de peindre les maux noirs avec mille couleurs.
Le second couplet lui apporte un peu de clarté : l'incident d'Emmy dans la foule a marqué tout le monde. Pas étonnant que les deux paroliers aient voulu l'évoquer de façon détournée ! Kit risque un coup d'œil à la concernée, qui a pâli à vue d'œil. Mais la suite le perturbe : si le second couplet était une référence claire à cet événement récent, le bridge sombre, en contraste avec le reste (mais tout de même en accord avec le refrain) ne semble plus évoquer la même chose. Kit fronce les sourcils. Lorsque Freddie veut dénoncer, il ne se prive pas, ce qui veut dire qu'il a manqué le sens premier de la chanson.
— On ne peut pas chanter ça, déclare aussitôt Emmy, le teint rougi. Ce second couplet... il faut en changer le début.
— Mais-..., commence Luke.
— Parce que tu crois que ne pas réagir changera les choses ? coupe Freddie, un peu brutalement. Pour quelle raison veux-tu changer ce couplet ?
Kit se raidit. Peut-être que la jeune femme n'est tout simplement pas prête à évoquer le sujet, ce qui constitue une raison plus que valable. Il se prépare à prendre la défense d'Emmy, mais sa réponse le prend de court :
— J'ai la presse sur le dos.
Le regard de Freddie s'assombrit.
— Je t'avais prévenue de ne pas regarder ces articles. Et puis, ce n'est pas une raison valable, appuie-t-il d'un ton ferme. Si tu n'étais pas connue, aurais-tu écrit sur ce que tu as vécu ?
— Ils ne s'arrêteront jamais si je leur donne du grain à moudre !
— Au risque de te décevoir, ma belle, tu n'es pas le centre du monde, intervient gentiment Jay. Actuellement, ça parle plutôt du divorce de-...
— On s'éloigne du sujet, l'interrompt Freddie en se tournant vers Emmy. Aurais-tu écrit sur ce sujet oui ou non ?
Elle le fusille d'un regard embué par le souvenir traumatisant de son accident.
— Oui, sûrement, finit-elle par admettre, de mauvaise grâce.
— Ce n'est pas bon de ne pas en parler et d'intérioriser. Tu n'es pas obligée de chanter cette partie, je peux m'en charger si ça te met mal à l'aise, ajoute Caitlin, avant que Freddie n'ait le temps de répondre.
« Et heureusement ! » songe Kit, à peu près certain que les mots que son ami n'a pas eu le temps de prononcer n'auraient pas été agréables à entendre pour la jeune femme, même s'ils auraient été criants de vérité. Peu importe ce qu'elle choisira de faire, quelqu'un sera là pour lui attraper la veste et lui démontrer que ses actions et décisions sont mauvaises. Mieux valait être authentique, même si c'était désagréable.
— Je pense que Freddie a raison, intervient Alice d'un ton mesuré. La meilleure des réactions est d'interroger sans vraiment prendre position. Le texte le fait très bien, d'ailleurs.
Freddie baisse la tête dans sa direction, un grand sourire aux lèvres. Kit remarque alors le regard plein de gratitude que Luke jette à Freddie, les remerciements silencieux pour avoir mené ce combat à sa place.
— D'accord, capitule la jeune femme. Je chanterai cette partie.
— Tu aurais eu tord de t'en priver, assène Mathieu d'un ton sec.
Ce devait être à ce ton-là qu'Alice faisait référence lorsqu'elle lui parlait de ce que c'était, que d'être l'élève de Mathieu Wiener. Il jauge son ancienne élève d'un œil froid, et si la jeune femme semble d'abord se recroqueviller, elle finit par lever le menton, comme pour lui dire que son autorité ne l'effraie plus. Si Freddie semble s'amuser de la situation, Alice jette un regard suppliant à Kit. Sentant ses joues chauffer, il évite les yeux chaleureux de la batteuse et se racle la gorge, se souvenant de son arrivée tonitruante dans son appartement, juste parce que c'était important pour elle qu'il sache qu'il ne se passait rien entre elle et Freddie.
— J'ai quelques idées pour améliorer le début. Je verrais bien...
— Des notes sombres qui semblent provenir du fond d'un volcan ? suggère immédiatement Freddie, ne le laissant pas finir sa phrase.
— C'est l'idée, oui, affirme Kit, ravi d'avoir pu déceler ce qu'il avait en tête.
— Avec quelques touches de morosité ? ajoute encore Jay, les yeux brillants.
La fossette qu'il avait sur le menton était apparue, signe que l'inspiration frappait à sa porte.
— Totalement, confirme le parolier, enthousiaste.
Tous trois échangent un regard avant de se lever d'un seul et même mouvement.
— On a quelques pistes, annonce Freddie à l'attention de Luke. Tu veux venir avec nous ?
Le chanteur de Sad Joy secoue la tête.
— Je te fais confiance pour ne pas dénaturer ma chanson. Je crois qu'on me réclame ici pour corriger une autre chanson, dit-il en désignant de la main les feuilles tenues par son manager, qui hoche la tête.
Dark Fate s'éclipse dans la salle d'à côté, et à peine Kit a-t-il refermé la porte que Jay se rue sur Freddie :
— Qui êtes-vous et qu'avez-vous fait de mon ami ?
Le parolier lève les yeux au ciel tandis que Kit contient difficilement un gloussement.
— Tu exagères.
Jay secoue la tête et lève la main vers le front pâle du chanteur, écartant quelques mèches noir corbeau au passage.
— Tu n'es pas malade, au moins ? Pas de fièvre, tu es sûr ? interroge-t-il, les sourcils froncés. Parce que sinon, je vais devoir conclure que tu as changé d'avis et que ça te plaît de les avoir pris son ton aile.
— Pas du tout, grommelle le parolier en repoussant Jay. Rien n'a changé.
Pourtant, un changement s'était opéré. Un changement drastique. Kit pouvait affirmer qu'il connaissait Freddie par cœur : lui et Jay étaient devenus, par la force des choses, trois amis très proches, les seuls du chanteur, d'après ce que Kit avait compris. Il ne l'avait pourtant jamais vu comme ça. C'était comme si il s'était éveillé.
Le mot était exact, car Kit voyait clairement qu'un brasier s'épanouissait désormais dans la poitrine de son ami, un brasier qui le consumerait, tôt ou tard.
— Bien-sûr que si, murmure Kit, pour lui-même.
Maintenant qu'il a noté cette étincelle au fond de ses iris, il ne voit plus que ça, à tel point qu'il se demande comment le jeune violoniste a pu exister sans.
Le parolier lève les yeux au ciel.
— Je fais seulement mon travail.
— Tu peux te mentir à toi-même autant que tu veux, Freddie, mais ne me mens pas. Pas à nous, réplique Kit, un sourcil haussé.
Le jeune homme ouvre la bouche pour répondre, puis se ravise, se contentant d'examiner Kit sans ciller, lequel ne flanche pas. Il sait ce qu'il aperçoit : ces flammes, qui disparaîtront derrière le spectre de la mort, ne laissant qu'une traînée de cendres, n'existaient pas il y a quelques mois. Il n'y avait même pas la moindre braise.
L'odeur des non-dits flotte entre les deux jeunes hommes. Mais Freddie n'a pas besoin de mots pour exprimer ce qu'il ressent : voilà bien longtemps qu'il communique via sa musique, et que personne ne veut l'entendre, peut-être parce que parfois, la vérité est trop évidente pour paraître réelle. Peu importe : Kit a appris son langage.
— Luke traverse une mauvaise passe, finit par expliquer Freddie, comblant les lacunes dans l'esprit de Kit. Je l'ai seulement aidé à évacuer un peu.
— Et ça a un lien avec Emmy ? questionne Jay, la mine intéressée.
Kit roule des yeux. L'amour de Jay pour les commérages signera sa perte !
— Je crois surtout que ça ne nous regarde pas, réplique Freddie, un sourire moqueur aux lèvres.
— Je parie que tu es au courant de tout. C'est injuste de ne pas partager les informations croustillantes !
— Jay, il a raison, ce ne sont pas nos affaires, s'immisce Kit. Ça ajoute du charme à ses chansons, de ne pas savoir exactement ce qu'il exprime, tu ne trouves pas ?
Freddie le gratifie d'un clin d'œil.
— Je savais que tu finirais par comprendre ça.
Jay soupire brièvement avant de lâcher l'affaire et de s'approcher des synthétiseurs de la pièce. A côté de lui, Freddie joue distraitement quelques notes que Kit n'a encore jamais entendues.
— J'ai ça en tête depuis quelques heures, annonce le chanteur. C'est infernal, ça ne veut pas sortir. Il va falloir que j'écrive ce morceau quand on aura fini celui de Luke.
Jay secoue la tête d'un air désapprobateur et attache ses longs cheveux en un épais chignon sous la grimace de Freddie. Kit sait déjà ce qu'il va dire au parolier, et il sait aussi que ça ne va pas lui plaire.
— Dis-moi, ça fait combien de temps que tu n'as pas eu une nuit complète ?
— Il est hors de question que je m'endorme sans avoir écrit cette chanson ! Je risque de l'oublier et ça serait affreux, élude Freddie en relevant le menton.
Kit remarque alors les cernes violacés autour de ses paupières, la pâleur presque surnaturelle de son teint (aussi accentuée par ses cheveux noir corbeau).
— Mais tu composeras mieux reposé, argumente Jay. Tu seras plus efficace et ton travail n'en sera que de meilleure qualité !
— Tu as entendu Mike, Luke fonctionne comme moi et il se porte comme un cœur ! contrecarre le chanteur.
— Ce n'est sans doute pas un bon exemple, marmonne Kit, en songeant aux cernes presque noirs du chanteur de Sad Joy.
— Je crois que je l'aime bien, ajoute Freddie en faisant la moue.
Jay et Kit échangent un sourire satisfait. Lui faire cracher le morceau n'a pas été un dur combat !
— Repose-toi quand même un peu, insiste Kit, revenant au sujet principal.
Le parolier secoue la tête.
— Pas ce soir, j'ai trop d'idées. Ces séances avec Sad Joy m'inspirent beaucoup.
Mais Kit sait que sa frénésie n'est pas seulement dû au groupe dont ils s'occupent.
— Tu vas te tuer à la tache, insiste Kit.
— Kit, je vais bien.
Le jeune homme plonge un regard assuré dans les prunelles asymétriques du chanteur.
— Tu sais bien que non, Freddie.
Même si la nuit tombe sur son visage un instant, la lumière chasse vite l'obscurité.
— Mais personne ne peut rien pour moi, objecte-t-il en haussant les épaules. Autant que je passe cette vie à faire quelque chose qui me passionne.
La désinvolture de Freddie atteint Kit en plein cœur, un peu comme si il lui avait lui-même tiré une flèche dans la poitrine. Le voir si résigné à accepter son sort, à ne même plus chercher à aller mieux, était le summum de ce qu'il pouvait encaisser. La colère bout dans ses veines, comme un magma frémissant sous la surface. Ce n'était pas juste, il n'avait pas le droit de parler de lui comme ça, comme s'il n'en valait pas la peine !
— Et moi je m'inquiète de ta santé mentale, intervient Jay, avant que Kit n'explose.
Des flammes brûlent dans les yeux du chanteur de Dark Fate lorsqu'il répond :
— Alors dans ce cas mettons-nous au travail. Ma santé sera meilleure lorsque j'aurais évacué tout ce qui murmure en moi.
Il a parlé d'un ton ferme, défiant quiconque d'oser le contredire.
Kit songe alors à l'air qu'il veut ajouter à Je veux aller en Enfer. Il songe aussi à ce que Freddie vient de dire, et à ce que ça veut vraiment dire. Parfois, il aimerait qu'il se voit comme lui le voit. Peut-être qu'il serait plus bienveillant envers lui-même.
L'image d'Alice apparaît aussi dans son esprit. S'ils se disputent avec Freddie, ils ne pourront pas aider Sad Joy à finaliser la chanson. Kit ne veut pas la décevoir : il sait que Dark Fate est important pour elle, même s'ils représentent désormais plus qu'un rêve inaccessible.
— Allons-y, décrète Kit en s'avançant à son tour vers les synthétiseurs.
Il prend tout de même le temps d'échanger un regard alarmé avec Jay. Parfois, il leur arrivait de dormir exprès chez Freddie pour s'assurer qu'il se repose un minimum. Ce soir serait sans doute une de ces soirées-là. Ils prétexteront une envie soudaine de regarder une série ensemble, ou n'importe quoi d'autre, pourvu qu'ils puissent dormir sous le même toit et s'assurer qu'il s'arrête effectivement après avoir écrit cette fameuse chanson.
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Bonsoir ! Comment allez-vous ? :)
Que pensez-vous de ce chapitre, des impressions de Kit concernant Je veux aller aux Enfers ? Et de la façon dont Luke et Freddie ont présenté leur chanson ? Que pensez-vous de la réaction d'Emmy ? Et la dernière discussion entre les trois membres de Dark Fate ?
Quoiqu'il en soit, Kit a raison : notre parolier préféré ne traîne plus la patte quand il s'agit de Sad Joy. Pourquoi, à votre avis ?
Le prochain chapitre sera du point de vue de Caitlin... et vous pourrez suivre en même temps qu'elle une des premières interviews de Sad Joy 👀
On se retrouve vendredi prochain pour lire tout ça !
En attendant, prenez bien soin de vous ❤️
(PS : Les chapitres 48 et 49 promettent d'être haut en couleurs et en sous-entendus... 😏)
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