⇝ Chapitre 44

— Kit était vraiment étonné que tu m'aies laissé ton livre sans broncher.

Devant moi, Freddie hausse les épaules. La nuit est déjà bien avancée, mais l'aube ne pointe pas encore le bout de ses rayons. Comme à l'aller, les brindilles et restes de feuilles abîmées craquent sous nos pas.

— Je ne pensais pas trouver des amis en vous.

— Je vois.

La Lune projette un pâle halo sur sa silhouette, rendant ses contours flous, comme s'il n'appartenait pas vraiment à ce monde. Aucun de nous ne prononce un mot, tandis que s'amorce la dernière descente et que le parking réapparaît entre les arbres et les pierres. La magie prend fin lorsque j'ouvre la portière passager et observe mon ami démarrer sa voiture.

— Merci de m'avoir emmenée. Je n'avais jamais pensé à faire ça.

Il hoche la tête, concentré sur le trajet.

— Ça m'aide parfois à trouver l'inspiration. Ou à me détendre.

Il est interrompu par une quinte de toux avant de reprendre :

— Parfois, rien ne sort de ces escapades. Pas une seule mélodie, pas une seule ligne. Ce n'est pas un processus infaillible. Malgré tout ce qu'on te dira, les pauses sont importantes et savoir quand les prendre l'est tout autant. C'est d'ailleurs souvent au moment où je m'arrête pour de vrai que l'inspiration revient toquer à ma porte, ajoute-t-il, songeur.

J'hoche la tête.

— Au moins, nous aurons une chanson à présenter au label. Si tu es d'accord, bien sûr, précisé-je, me rappelant qu'Alice m'avait raconté qu'il ne voulait jamais confier ses chansons à qui que ce soit.

Mais c'était différent, n'est-ce pas ? Nous l'avons coécrite.

— Évidemment. Je ne t'aurais pas aidée si je voulais la garder pour moi.

Un sourire peint mes traits. Et nous sommes malheureusement déjà arrivés dans ma rue. Comment conclure cette parenthèse enchantée, cette nuit sous les comètes, passée à brûler pour la musique, à partager l'inspiration sous le souffle des étoiles et la lumière des flammes ?

Je me tourne vers lui, qui a toujours les yeux fixés droit devant lui. Hésitante, je laisse les mots serpenter dans mon esprit, mais aucun ne me paraît porter la façon dont je me sens vraiment. Et les mots qui sortent de ma bouche, bien que spontanés, sont bien plus faibles et stupides, à côté du palais de reconnaissance qui est entrain de s'ériger pour cet ami qui a su me sortir de ma zone de confort et m'aider à me relaxer, et à écrire une chanson qui n'était qu'une ébauche dans mon esprit.

— Merci pour... la soirée. Et... tout le reste, ajouté-je, alors qu'il se décide enfin à m'accorder son attention.

Il hausse les épaules, comme si ça ne représentait rien, comme si ça ne lui avait rien coûté. Pourtant, si je me fie aux dires d'Alice, il n'est pas du genre à s'ouvrir aux autres. Alors, pourquoi moi, pourquoi ce soir ?

Son visage est teinté de bienveillance lorsqu'il affirme :

— Je sais ce que c'est que de débuter dans un monde trop grand pour soi, de voir les façades de ce monde merveilleux se craqueler sous la pression qui commence à s'amonceler. Je t'ai simplement montré une méthode pour partir loin de tout ça et retourner aux bases.

Je baisse la tête en souriant avant de me reprendre : je n'ai plus seize ans. Il n'est plus question qu'au moindre coup de pouce, je m'enterre dans tout un tas de remerciements embarrassants et de services en échange. Ceux qui veulent sincèrement aider le font sans arrière-pensée. Cependant, quoiqu'en dise Freddie, je sais très bien que ce n'est pas dans ses habitudes de partager de tels moments avec quelqu'un d'autre que ses amis.

— Certes, mais ce que je veux dire... C'est que je sais que tu ne laisses pas beaucoup de monde entrer dans ton univers.

Le chanteur prend un air faussement affligé.

— Je parie que c'est Kit qui a mis toutes ces affreuses idées dans la jolie cervelle d'Alice qui s'est empressée de les glisser dans la tienne.

Je ne peux retenir un rire tandis que je reprends le sac en toile à mes pieds.

— Sont-elles fausses, peut-être ? argué-je, la main sur la portière.

Il se penche vers moi comme pour me murmurer un secret interdit, si proche que son parfum citronné et rosé atteint mes narines.

— Elles sont complètement vraies.

Je m'esclaffe et ouvre la portière, avant de récupérer ma guitare.

— Bonne nuit, lui dis-je, encore amusée.

— Bonne nuit, Emmy.

La portière se referme et je regagne la maison sous les vrombissements du moteur qui quitte la rue. Le calme de l'entrée me surprend, mais plus encore, c'est le retour à la réalité, seule dans ma chambre, qui me heurte. J'aurais aimé que cela dure plus longtemps. J'enfile mon pyjama, impatiente d'être à demain, et de montrer Brûler les étoiles aux autres. Parfois, il suffit simplement de sortir un peu de sa routine pour engranger des rouages dont on ne connaissait même pas l'existence.

🎶🎶🎶

Quelques heures plus tard, le réveil est difficile, sans doute parce que l'adrénaline de la veille s'est envolée et que la fatigue de ces derniers jours – de la tournée et des transports – se fait ressentir. Bougonnant sous les draps, je m'imagine un instant ignorer mon réveil et me rendormir aussitôt, même si la journée sera sans doute agréable, avant de me rappeler que j'ai une chanson à présenter au groupe, une chanson qui bout encore dans mes veines.

Le petit-déjeuner expédié et ma toilette matinale également, nous nous rendons aussitôt au studio, où Mathieu nous attend déjà, le visage aussi cerné que le mien. Lui aussi n'a pas passé une longue nuit, mais il l'a sans doute passée à s'inquiéter. Je lui offre un sourire radieux, toutefois, il ne me lance qu'un regard soucieux.

Nous sommes à peine installés dans la salle exiguë que nous sommes rejoints par Dark Fate. Involontairement, je cherche le regard asymétrique de Freddie, qui m'offre un léger sourire, teinté d'une pointe de retenue. Le masque est de nouveau en place.

Mathieu frappe dans les mains, et malgré sa petite mine, c'est d'une voix claire qu'il s'exprime :

— Bon, il faut qu'on marque une avancée significative aujourd'hui, et il se trouve que j'ai une idée de chanson. Au moment où je m'y attendais le moins, un air est venu me trouver.

— Ah oui ? s'étonne Alice. Je croyais que tu ne composais plus.

— Moi aussi, répond notre ancien professeur d'un air pensif. Mais ça revient de temps en temps. J'ai regardé un documentaire sur Pompeï et l'idée m'est venue. Bref, vous pourriez m'aider à écrire cette histoire.

J'hoche la tête.

— Mais avant ça, nous...

Le silence se fait si soudainement que je manque de perdre contenance. Je jette une note de musique à Freddie pour me donner du courage, lequel se contente simplement de m'observer avec curiosité, comme s'il me testait.

Je me racle la gorge, me concentrant sur Mathieu et son visage fatigué.

— Nous avons une chanson à vous proposer. Ce n'est pas la version finale, mais les paroles, la mélodie et la structure sont là.

— Nous ? relève Mike. Comment ça, nous ?

— Elle veut dire elle et moi, intervient Freddie, avant que les autres n'aient le temps de réagir.

Alice m'offre un sourire complice. A côté d'elle, Kit a les yeux si écarquillés que je crains qu'ils ne sortent de leur orbite. Je ne me trompais pas, quand je disais que ce n'était pas dans la nature du parolier d'emmener une autre parolière écrire une chanson sous les étoiles.

— Attendez... quand avez-vous écrit cette chanson ? questionne Luke, les sourcils froncés.

J'ouvre la bouche, comme un poisson, et jette un coup d'œil à Freddie, qui s'est à nouveau rangé dans son mutisme, avant d'opter pour la vérité.

— Cette nuit.

La surprise scie le visage de Luke.

— Quoi ?

— Emmy a fait le mur, glousse Alice, à ma droite.

— Les bras m'en tombent, lâche Mike, les yeux ronds.

— Tu ronflais comme un tracteur ! Un dinosaure aurait pu être dans le jardin que tu ne l'aurais pas entendu ! riposte ma meilleure amie, tandis que je retiens un rire.

— On peut se concentrer sur ce qui compte, s'il vous plait ? intervient notre manager, agacé.

— Je t'ai entendue rentrer, indique tout de même Caitlin, tandis que Mathieu la fusille du regard.

Je connecte mon téléphone à l'enceinte sur la table sous le silence éloquent des autres. Mes oreilles chauffent comme du fer au soleil quand je lance Brûler les étoiles, dont les premières secondes sont teintées de ma voix qui compte lentement jusqu'à trois. Puis, la musique se déverse partout dans la pièce.

D'abord, le refrain, où la voix grave de Freddie se mêle à la mienne. Le son est teinté des bruits de la nuit aux alentours. Les yeux plongés dans le bois de la table, les souvenirs de la soirée dansent sous mes paupières, à tel point que je n'ose pas lever les yeux vers mes amis.

On ira brûler les étoiles, en faire un brasier haletant
Et alors ils verront à quel point ils se sont trompés
Je brûle de mots, un peu comme un tison exaltant
Caché sous la cendre. La musique me consume : de moi il ne restera que des portées
Des mélopées ardentes qui se répandront dans toutes les âmes
On ira brûler les étoiles (brûler les étoiles)

La voix de Freddie disparaît lorsque le premier couplet démarre, uniquement porté par ma voix. Celui-là, je l'ai écrit avec son aide, contrairement au second couplet, qu'il a écrit seul.

Les étoiles tombent sur mon âme,
Ce n'est pas doux, non au contraire, elles m'enflamment,
Il n'y a rien que je puisse faire, c'est dans ma nature.
Je ne suis plus qu'une comète ardente, un combustible effervescent, un incendie à l'état pur
Oh, je sais ce que je veux

Une brève entracte musicale sépare le couplet du prérefrain, composée des notes timides de ma guitare accompagnant le violon ardent de Freddie. J'affronte enfin son regard, alors que sa voix rejoint la mienne dans l'enregistrement.

Ne les laisse pas t'éteindre
Tu brilles si fort que j'en ai mal aux yeux

Mais son regard est fixé tantôt sur notre manageur, tantôt sur Luke, qui semble apprécier ce qu'il entend puisqu'il me jette un regard impressionné en ouvrant la bouche quand le refrain reprend avec des notes beaucoup plus aiguës me concernant. Freddie m'y avait poussée, arguant que le contraste entre nos deux voix serait plus grand, et plus marquant.

Ma voix disparaît au profit de celle du chanteur, qui interprète le second couplet, qui porte sa patte. Sa voix grave rend les paroles encore plus sombres. Une pointe de regret se fiche dans ma poitrine : ni Luke ni Mike n'ont la voix aussi grave que la sienne.

Le refrain précédé du prérefrain retentit encore une fois, porté par nos deux voix à l'unisson. L'air sous-jacent gagne en intensité, les notes de ma guitare deviennent plus fortes. Puis, le bridge fait son entrée à l'apothéose de la musique, fracassant les dernières réticences sur le visage de notre manager qui écarquille les yeux en entendant ma voix très très aiguë. Je n'ai pas chanté comme ça depuis le lycée.

Après une dernière montée en puissance muée par nos deux voix, la chanson se conclut par une brève coda. L'enregistrement s'arrête après le petit rire que j'ai laissé échapper cette nuit, quand nous avons terminé d'interpréter la version finale.

Quelques secondes passent avant que le silence ne soit rompu :

— J'aime beaucoup ! approuve Matthieu. C'est... différent de votre dernier projet, et en même temps, on retrouve quelques similarités dans les sonorités.

— C'était mon idée, appuie fièrement Freddie. Mais elle n'est pas aboutie.

Le parolier se tourne ensuite vers Jay, Mike et Alice, comme s'il n'attendait que ça, comme s'il revenait enfin à la vie.

— Nous allons avoir besoin de vos talents respectifs. Mike, Alice, il faut qu'on discute du tempo. Emmy sait exactement ce qu'elle veut, et pour cela il faudra une deuxième basse. C'est là que tu interviendras, Jay. Et, Caitlin, j'ai besoin que tu ajoutes quelques notes de synthétiseur. Un truc ultra entêtant, du genre quatre notes qui reviennent en boucle.

Je hoche la tête pour appuyer ses propos. Cette discussion, nous l'avons aussi eue hier soir. Ou plutôt tôt ce matin.

— Je sens que cette chanson va nous faire sortir des sentiers battus ! se réjouit Mike, en se frottant les mains.

Tout le monde se met au travail, et au terme de la journée, la chanson est finalisée et enregistrée, si bien que Mathieu décide de prendre rendez-vous avec le label pour leur faire écouter le fruit de notre labeur.

— C'est plus expérimental, mais ça devrait le faire, déclare-t-il, pensif.

— Je veux être là, intervient Freddie. Parfois, Jeff fait des remarques débiles, se justifie-t-il, face au regard inquisiteur d'Alice. Et puis, il faudra bien quelqu'un lui interdise de dénaturer la chanson. Ce n'est pas contre toi, Emmy, mais tu n'as pas l'habitude de devoir défendre ton projet.

Je hausse les épaules.

— Il a trop tendance à vouloir lisser les choses, insiste le chanteur, les yeux plongés dans les miens.

— Si tu le dis...

Je ne connais pas vraiment Jeff, je l'ai seulement aperçu les quelques fois où nous sommes allés présenter nos chansons.

— Comme tu voudras, conclut Mathieu. Nous avons rendez-vous demain après-midi avec lui. En attendant, que diriez-vous de vous détendre un peu en allant boire un verre ?

— Un chocolat chaud, corrige Alice, un grand sourire aux lèvres.

— Ou un thé à la bergamote, lancé-je en tirant la langue à Freddie, qui se contente de m'ignorer, comme il l'a fait une bonne partie de la journée, d'ailleurs.

Comme s'il ne m'avait pas emmenée au milieu de la nuit en forêt écrire une chanson. Il faut croire que je me suis trompée sur son compte : peut-être ne veut-il pas particulièrement être ami avec moi.

Tant pis.

— En route ! s'écrie Mike, me tirant de mes réflexions, la pensée d'un thé bien chaud me réchauffant déjà la poitrine.

🎄🎄🎄🎵🎶🎵🎄🎄🎄

Bonsoir ! Comment allez-vous ?

Merci d'avoir lu ce chapitre ! Que pensez-vous des extraits de Brûler les étoiles présentes dans ce chapitre ? A votre avis, pourquoi Luke était si surpris qu'Emmy soit sortie en douce ? Et Freddie dans tout ça, pourquoi était-il si effacé ?
N'hésitez pas à me faire part de vos théories !!

Le prochain chapitre sera du point de vue de Luke, et je dois dire que je l'adore ! J'ai hâte que vous le lisiez, même s'il est plutôt triste... 👀👀👀👀

En tout cas, on se retrouve mardi 26 décembre pour lire... les paroles de Brûler les étoiles ! J'ai hâte que vous me disiez ce que vous en pensez, surtout quand on sait que Freddie a écrit le second couplet 😛

Bref, à mardi pour ce nouvel interlude ! ❤️

Prenez bien soin de vous et passez de bonnes fêtes ❤️🎄

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