⇝ Chapitre 35

   Le canapé moelleux du salon me donne l'impression d'être installée sur un nuage. Mes cheveux, encore mouillés de la douche que j'ai prise en rentrant, gouttent le long du plaide dans lequel je me suis enveloppée. Je ferme les yeux, sens deux larmes perler le long de mes joues, et pense aux bras rassurants de Luke autour de moi.

S'il n'avait pas été là ! Oh, que me serait-il arrivé ? Est-ce qu'ils se sont rendus compte de ma détresse, du fait que je ne suis pas un jouet qu'on peut toucher, promener, manipuler comme on le souhaite ? Est-ce qu'ils savent seulement que je suis un être humain, que je respire le même air, que j'ai besoin de boire, vivre et manger comme tout le monde ?

Je n'en ai pas l'impression... L'impuissance qui m'a broyé l'estomac me revient en mémoire. Si cette fan, Cecily, n'avait pas été là, n'avait pas été à l'écoute, ne m'avait pas pris mon téléphone pour me sortir de là, la foule m'aurait complètement engloutie. Mes dents claquent d'effroi dans le silence pesant de la maison.

Comment est-ce que cela a pu dégénérer ainsi ? Cela avait si bien commencé ! J'ai rencontré des gens que ma musique a su toucher, des âmes au creux desquelles mes symphonies ont trouvé refuge, des esprits qui ont mes mots et mes mélodies gravées sur leurs cœurs, juste à côté de leurs rêves, espoirs et plus grandes peurs. J'ai du mal à réaliser que moi, Émilie Dray, puisse autant inspirer. Je n'ai rien d'exceptionnel. J'ai juste travaillé et eu un gigantesque coup de chance qui a tout accéléré.

Mes mains tremblantes tapent rapidement un message sur les réseaux sociaux. Il me faut retrouver Cecily, la remercier, lui dire que je lui dois beaucoup, qu'elle a fait preuve d'un sang-froid admirable, qu'elle a réagi comme il le fallait, qu'elle est une bonne personne, que je lui souhaite le meilleur, que je suis contente de l'avoir rencontrée.

Mes comptes sur chacun des applications sont inondés de mentions, de notifications, pour la plupart compatissantes, attristées et adorables. Immédiatement, ces petites attentions me réchauffent le cœur. Je n'ai juste pas eu de chance. Je prends le temps de rassurer un maximum de personnes à l'aide d'un autre message à visée générale avant d'écumer les réponses à mon premier tweet. Certains me disent qu'ils cherchent le compte de Cecily, qu'avec sa photo de profil, ils parviendront à la reconnaître.

Quelques minutes plus tard, j'ai son pseudonyme et suis en mesure de lui écrire. Je croise les doigts pour qu'elle lise et me réponde vite ; j'ai tellement de notifications que je ne sais plus où donner de la tête. Heureusement pour moi, la chance est de mon côté.

« Rebonjour ! Ce que j'ai fait est normal, tu n'as pas à me remercier. J'espère pouvoir te rencontrer à nouveaux dans de meilleures conditions ! Prends soin de toi »

Malgré la gentillesse de ses propos, je me sens redevable. Alors, je lui demande si elle sera là à notre concert du 2 mars 2020, à Londres.

« Non, je n'ai malheureusement pas pu obtenir de place. Une prochaine fois ! »

Un sourire illumine mes traits tremblants marqués par les larmes. Ça, je peux y remédier !

Je lui réponds qu'elle pourra venir avec la personne de son choix, avec en plus la possibilité de venir dans les coulisses nous rencontrer après le concert et lui envoie dans la foulée les deux places avec les pass qui l'autoriseront à passer les contrôles de sécurité. Ces pass sont en principe pour nos familles et amis, mais ils sont en France, alors ceux pour Londres n'ont été attribués à personne.

Cecily se confond ensuite en un déluge de remerciements et de compliments (alors que je n'ai fait que réagir aussi bien qu'elle) et c'est en me sentant beaucoup mieux que je ferme mes réseaux sociaux pour la journée.

Cependant, il y a encore un détail qui m'inquiète, comme une lame appuyée contre la poitrine, pas assez proche pour me blesser, mais suffisamment pour me rappeler qu'elle est présente : la presse a-t-elle appris ce qu'il s'est passé ?

Si jusqu'à présent les articles ont été élogieux à notre égard et si nous nous sommes faits discrets sur notre vie privée, je ne suis pas sûre que cet événement leur ait échappé. Malgré les respirations profondes que je m'efforce de réaliser, mon corps est encore saisi de tremblements.

J'expire immodérément fort avant de taper laborieusement mon nom dans la barre de recherche d'actualités. Malheureusement, les articles fusent déjà, accompagnés de photos, voire même de vidéos. Mes dents claquent de plus en plus fort à mesure que les titres défilent sous mes pupilles hagardes.

LA CHANTEUSE DE SAD JOY AGRESSÉE : UNE FAN RÉAGIT !

EMMY DE SAD JOY NE PARVIENT PAS À GÉRER SA CÉLÉBRITÉ !

LUKE DE SAD JOY AU SECOURS D'EMMY : QUE S'EST-IL RÉELLEMENT PASSÉ ?

Je clique sur l'un d'entre eux et entreprends de le lire.

« Ce dimanche matin, alors que la chanteuse Emmy Dray de Sad Joy passait du temps avec des fans, la situation s'est rapidement détériorée, au point que le chanteur Luke Fidelings soit obligé d'intervenir. En effet, des fans un peu trop intrusifs-... »

— Il ne faut jamais regarder ce qu'il se raconte sur toi ! s'exclame une voix masculine qui m'arrache mon téléphone des mains. Jamais, Émilie ! C'est dangereux.

Estomaquée, je me retourne et découvre avec stupéfaction Freddie MacSaturn au milieu du salon, vêtu d'un pull et d'un pantalon noirs, les cheveux à moitié dans les yeux.

— On ne te l'a pas appris, dans ton lycée d'artistes ? reprend-il, les sourcils froncés.

Je me renfonce dans le canapé et serre plus fort les pans de la couverture autour de mon corps.

— Bonjour à toi aussi, bougonné-je, dans ma barbe.

Freddie m'ignore :

— Attends, ils ne vous apprennent même pas les bases de la célébrité ?

— C'est un lycée pour développer ses compétences dans un ou plusieurs arts, pas un lycée qui prépare à la notoriété, rétorqué-je, froidement.

— Pourtant, les deux vont de pair, objecte-t-il en s'éloignant vers la cuisine.

Sa silhouette disparaît derrière un placard lorsque je lui réponds, moins sèchement  :

— Jusqu'à présent, je n'avais pas de renommée à gérer.

— Je n'arrive pas à savoir si ces écoles sont vraiment utiles. D'un côté, elles permettent aux élèves passionnés d'exercer leur art et de progresser pendant trois ans, mais de l'autre, vous avez beau être excellents, vous ne parvenez pas toujours à décrocher un contrat à la fin. Et puis, vous n'êtes clairement pas prêts pour ce qui vous attend.

Sa pique a l'effet d'une bombe. Je mords ma langue pour empêcher les mots venimeux de sortir de ma bouche. A la place, je réplique :

— Si tu avais été à Sainte-Charlotte, tiendrais-tu le même discours ?

Un soupir me parvient.

— Laisse-moi deviner, Kit a vendu la mèche ? demande-t-il, d'un ton très calme, depuis la cuisine.

Je retiens un rire.

— Jay.

— Eh bien, oui, Émilie, je tiendrais le même discours. Rien ne peut te préparer à ça, pas même une école.

Dans sa bouche, mon prénom sonne étrangement. Il paraît bien plus mélodieux. Il dépose un plateau avec deux tasses de thé et des cookies devant moi.

— Tiens, dit Freddie en s'asseyant à côté de moi. J'ai cru comprendre que c'était ce que tu préférais.

— Oh, c'est gentil, murmuré-je en prenant une des tasses fumantes.

J'y porte mes lèvres et grimace en me brûlant.

— Ça serait sympa de ta part si tu pouvais éviter de t'ébouillanter devant moi. J'ai horreur de nettoyer le sang, ça part jamais correctement.

Je repose la tasse sur la table et prend un cookie, une moue amusée sur le visage.

— Les autres ne sont pas là ?

— Eh non, il n'y a que moi ! s'exclame-t-il d'une voix traînante. Alice est chez Kit et m'a donné ses clés. Enfin... disons qu'elle s'est enfuie chez Kit. Quant aux autres membres de ton groupe, je n'ai pas la moindre idée d'où ils se trouvent.

Nonchalamment, il étire ses longues jambes sur le tabouret posé à côté de la table et pose son sac à dos – noir – sur le sol.

— Je ne t'ai même pas entendu entrer, observé-je.

Il tourne la tête vers moi et plonge ses yeux dans les miens.

— Je t'ai saluée pourtant.

— Désolée, dis-je en évitant son regard perçant.

Il hausse les épaules.

— Je comprends. Tu n'avais pas l'air d'aller bien alors je n'ai pas insisté et j'ai préféré te laisser de l'espace, le temps que tu ailles mieux. Dis-moi si tu voulais que je fasse différemment. Pour la prochaine fois. Non pas que j'ai envie que ça se reproduise, ajoute-t-il, précipitamment en croisant mon regard.

Ses doigts tapotent nerveusement le bord du canapé.

— Non, c'était très bien, affirmé-je en lui offrant un sourire aimable qu'il me rend aussitôt.

Je dois admettre que le voir aussi souriant et léger m'est inhabituel. Dans tous les extraits de concert qu'Alice m'a montré (et même dans les clips de son groupe), il apparaît sombre et torturé, mais son personnage s'efface aussitôt qu'il quitte la scène.

Il se penche et sort un sachet de son sac.

— Oh, et, tiens, c'est pour toi, reprend-il en me tendant l'intégrale du Seigneur des Anneaux en version longue. On m'a dit que c'est ce que tu aimes regarder quand tu as besoin de penser à autre chose.

Je prends le coffret, émerveillée.

— Merci... où l'as-tu trouvé ?

— Je te l'offre, répond-il, ignorant ma question. Comme ça tu pourras l'emmener partout avec toi et les regarder quand tu veux.

Je plisse les yeux.

— Qui se cache derrière le « on m'a dit que » ?

— Alice, évidemment, affirme-t-il comme si ma question était stupide. Elle m'a accompagné en ville et à râlé quand j'ai signé quelques albums en l'achetant. D'ailleurs, j'ai même fait une photo avec le vendeur. Apparemment, sa fille est fan de moi.

J'éclate de rire.

— Pas de doute, il n'y a qu'elle pour s'impatienter tout le temps.

— Elle tape des doigts sur n'importe quel objet quand elle ne trépigne pas du pied, confirme-t-il en riant. On a été aperçu plusieurs fois. Je crois qu'elle et moi allons faire l'objet de rumeurs.

Je soupire.

— C'est donc pour cela que j'ai vu passer un « LA BATTEUSE DE SAD JOY ET LE CHANTEUR DE DARK FATE, EN COUPLE ? » ?

— Déjà ?! s'étonne le jeune homme en se redressant. Wouah, ils sont de plus en plus rapides ! Je suis vraiment admiratif. (Puis, il se laisse gracieusement tomber sur le dossier.) Ma vie est trépidante, je comprends.

Sceptique, je me contente de lever les yeux au ciel.

— J'espère simplement qu'elle n'y prêtera pas attention.

« Elle craindra surtout que Kit y croit » songé-je, me rappelant la façon qu'elle avait de le regarder.

— Je crois surtout qu'elle s'inquiétera pour toi et espérera que tu ne poseras pas de questions sur votre relation, avancé-je.

— J'ai toujours pensé que si Alice devait s'intéresser à l'un d'entre nous, ce serait Kit.

— Tu l'as aussi remarqué, deviné-je.

Il hoche la tête.

— Évidemment.

Un silence s'installe et je reprendre mon attention sur l'écran éteint en face de nous, la boîte de DVD toujours dans les mains. Freddie prend l'autre tasse et la porte à ses lèvres.

— Et, mais c'est pas mauvais ton truc ! s'exclame-t-il, l'air sincèrement étonné que le thé à la bergamote puisse être délicieux.

— Évidemment ! m'offusqué-je. C'est moi ou tu doutais de moi, encore ? le taquiné-je.

— J'ai toutes mes raisons, t'es à moitié mangeuse d'escargot ! Sérieux, c'est gluant, c'est dégoûtant.

J'éclate de rire.

— Bien cuisinés, je t'assure que non.

— Qu'est-ce que je disais ! se plaint-il, avant de reposer sa tasse.

Un silence s'installe entre nous. Il n'est ni pesant ni étrange : il est naturel. Comme lorsque je suis avec Caitlin, Alice, Mike ou Luke, je n'ai pas besoin de réfléchir aux mots que je prononce, je peux être moi-même. Cette confiance aveugle que j'ai pour cet inconnu est terrifiante.

Freddie pose sa main sur mon épaule, me tirant de mes réflexions effrayantes. Je tressaille un peu.

— Je suis désolé que tu l'aies appris comme ça.

J'hausse les épaules, il retire sa main.

— C'est la vie, soupiré-je en me remémorant toutes ces mains étrangères qui essayaient de me toucher.

J'avale péniblement ma salive en repoussant mon dégoût.

— Tu verras, certains sont adorables et très respectueux. Il m'est même déjà arrivé d'offrir un verre à des fans et de passer plusieurs heures à discuter avec eux. Franchement, ça, c'est génial. Et puis d'autres, une minorité, t'en fais pas, deviennent dingues. Dans une foule, on ne se rend pas toujours compte de ses actes.

Je l'observe à la dérobée. Ses cheveux tombent sur son visage gracieux, masquant ses yeux si atypiques et ses pommettes saillantes. Il les repousse d'un geste impatient et me jette un regard, l'ombre d'un sourire aimable sur les lèvres.

— C'est gentil ce que tu as fait pour celle qui a essayé de te maintenir éloignée de tout le monde.

— C'est elle qui est gentille, soupiré-je. Sans elle, je ne sais pas ce qu'il aurait advenu de moi.

— Ce n'est pas ce que les gens retiendront. Ils se souviendront que tu as fait preuve de gratitude et ne t'en aimeront que davantage.

— Je ne l'ai pas fait pour ça ! protesté-je avec effarement. Je voulais juste la remercier...

— Je sais, affirme Freddie. Mais tu dois comprendre que tu ne pourras jamais contrôler ce que pensent les gens.

Un soupir franchit mes lèvres.

— Même si je le dis ?

Freddie hoche la tête, une mèche noire tombant encore sur son visage.

— Même si tu le dis publiquement.

— Ça craint, lâché-je.

— C'est l'envers du décor, admet-il. Ça plus l'absence de vie privée. Quand ça n'ira pas, et crois-moi tu auras des périodes où ça n'ira vraiment pas, il faudra bien t'entourer, te souvenir de pourquoi tu es là.

— Je n'ai pas eu le choix, murmuré-je, les paupières closes.

Un rire, léger et nerveux face à la confidence que je m'apprête à faire, franchit ma bouche.

— C'est... Tu l'as dit beaucoup mieux que moi dans La vie dans les veines. Merci pour cette chanson, d'ailleurs. Tu n'en as pas la moindre idée, mais elle m'a permis de tenir le coup. Il me semblait que quelqu'un me comprenait vraiment.

Ce n'est qu'après les avoir prononcés que je me rends compte de la stupidité de mes mots. Pourquoi mon avis l'intéresserait s'il peut avoir celui de milliers d'autres personnes ? Je ne suis qu'une insignifiante goutte dans l'océan du monde. Mes joues s'empourprent et je garde ostensiblement mes pupilles fixées sur mes genoux.

Cette fois, le silence me met mal à l'aise. Freddie vient à peine de commencer à m'apprécier et voilà que je gâche tout en étant embarrassante au possible ! Il cherche sûrement une manière polie de me dire que non, il ne peut pas me comprendre, tout simplement parce qu'on ne se connaît pas, qu'il n'est pas dans ma tête et qu'il n'est pas comme moi.

Cependant, sa réponse, franche et énoncée sans hésitation, me prend de cours :

— Je sais. C'est pour cela que je l'ai écrite. Pour que l'adolescent que j'étais ne se sente plus seul. Je suis ravi d'avoir pu t'aider, sans même te connaître. On sous-estime trop souvent le pouvoir d'une mélodie.

Je me contente de le détailler, bouche bée, remarquant que son nez et ses pommettes sont constellés de taches de rousseur, pareilles à des éclats d'étoiles tombés du ciel.

— Finalement, la musique accueille tous ceux qui ont besoin de réconfort. Elle prend dans ses bras quiconque en a besoin. Elle est universelle et éternelle. Il me semble parfois qu'elle veille sur moi, tout comme je crois qu'elle et moi sommes indissociables. (Les battements de mon cœur s'accélèrent au fil de ma confession.) Elle exprime tout ce que je ne peux pas avouer avec des mots.

Un éclair compréhensif anime le visage de celui qui, en une chanson, est devenu mon ami.

— La musique est là où les mots ne suffisent plus. Je suis content de connaître quelqu'un qui a la même vision que moi.

— Tu as déjà Luke, rappelé-je, me souvenant de leur amitié créée dès leur première rencontre.

— Et alors ? Ça me fait deux personnes.

Je m'esclaffe légèrement et constate avec gratitude que mes mains ne tremblent plus. Je me tourne vers Freddie, décidant de profiter de sa présence pour le questionner :

— Et toi, demandé-je, comment tu fais pour te relativiser ?

— Moi ? Je joue de la musique. Je reviens aux bases. Je me souviens de pourquoi je suis là. Étonnant qu'elle soit toujours la solution, non ? plaisante-t-il.

Je ris légèrement, puis face à mon air inquisiteur, il ajoute :

— Tu veux que je te montre ?

J'hoche la tête, curieuse.

— D'accord. Je reviens.

A ces mots, il pose sa tasse vide et se lève du canapé. Il disparaît dans le couloir et revient quelques secondes plus tard avec un étui de violon.

Je me redresse d'un coup sec.

— Tu es violoniste ? m'étonné-je.

Il s'assoit à côté de moi, l'écrin sur les genoux.

— Depuis ma plus tendre enfance, acquiesce-t-il en sortant l'instrument avec mille précautions. Ça te choque ? questionne-t-il, une moue narquoise sur le visage.

— Un peu.

— Pourquoi ?

C'est à mon tour d'afficher une moue moqueuse :

— Je t'imaginais plutôt guitariste, ou bassiste, ou batteur, ou n'importe quel instrument qui permet de secouer ses cheveux comme un métaleux.

— Eh bien... perdu ! commente-t-il, en se munissant de son archet.

Freddie appuie son menton sur la mentonnière, arque encore son bras gauche avant de fermer les yeux et de laisser sa main droite guider l'archet.

On dit souvent que le violon pleure, qu'il sanglote la douleur, qu'il porte la langueur. Ce sont simplement des façons d'atténuer la capacité qu'a l'instrument de trouver et de cueillir les fleurs de mélancolie qui poussent au creux de nos âmes. Il ne sert à rien de voiler les chagrins dévorants et les plaies encore ouvertes, le violon sait les trouver, y distinguer les crevasses dans lesquelles se glisser, trouver le cœur et s'y blottir.

La mélodie s'infiltre dans mon coeur avec une facilité déconcertante. Le souvenir de ma lutte contre l'empreinte que laisse la musique sur mon âme est désormais lointain. Plus jamais je ne me battrai contre ma vraie nature.

La musique de Freddie mêle prise d'élan et ralentissement, oscille entre staccato et legato, prend le temps de me laisser estimer l'imbroglio d'émotions qui agitent la surface de mes veines.

Son corps ondule au rythme des notes chantées par l'instrument, tantôt emmené en avant dans un mouvement fluide lorsque la mélodie s'accélère, s'intensifie, tantôt tiré en arrière lorsqu'elle s'adoucit. C'est là que les traits de Freddie sont le plus plissés par la concentration et l'émotion. Il me semble voir les fils argentés connecter ses veines à l'instrument, comme s'il transmettait une part de lui à la mélodie. Oui, si je regarde bien, je peux voir son âme scintiller à travers son corps, se glisser filament par filament dans le cœur du violon, qui s'empresse d'ajouter ces bribes d'âme à ses cris.

C'est une autre facette de lui qu'il me dévoile. Et je ne peux que ressentir de la gratitude face à la confiance qu'il me témoigne pour m'offrir ce morceau de lui-même.

Comme une brise automnale, la musique glisse entre nous, caresse mon visage, avant de s'envoler aux quatre coins. Lentement, elle se fait plus discrète, s'éteint, se recouvre de cendres, en attendant d'être à nouveau animée.

Freddie rouvre les paupières, comme s'il revenait à lui, comme s'il s'éveillait après un rêve, comme si il s'était seulement contenté d'être le traducteur entre le violon et moi. J'essuie les larmes qui ont coulé sur mes joues.

— D'habitude, quand une fille pleure à cause de moi, je ne suis pas là parce qu'elle m'a jeté dehors, déclare Freddie d'un air pensif. Là, je t'avoue que c'est déstabilisant.

— Tu veux que je te mette dehors ?

— En me poussant et en me jetant mes vêtements, si possible. Je déteste être dépaysé.

Un éclat de rire franchit mes lèvres.

— Tu brises autant de cœurs que ça ? me moqué-je.

Freddie hausse les épaules.

— Je m'engage toujours pour une seule nuit. Ce n'est pas de ma fautes si les gens n'écoutent pas !

Puis, il me jette un sourire malicieux avant de poser à nouveau son archet sur les cordes et de se remettre en position.

— Pour te mettre dans l'ambiance, explique-t-il, avant de se lancer dans Concerning Hobbits.

La façon qu'a Freddie de se jeter dans la mélodie provoque de nouvelles larmes sur mes joues. Le voir s'abandonner complètement dans la musique le rend tellement magistral que c'en est douloureux. Est-ce à cela que je ressemble, lorsque je laisse la musique prendre possession de mon être, lorsque je laisse mes veines ondoyer de toutes les vibrations qui les agitent ?

Un sourire moqueur étire les traits de Freddie lorsqu'il repose l'instrument dans son étui avec soin.

— En fait, tu verseras des larmes quelque soit la mélodie que je jouerai, n'est-ce pas ?

— C'est ta façon de jouer, me justifié-je.

Il penche la tête en avant, la mine intéressée.

— Développe.

— Tu joues comme si tu craignais que la musique t'abandonne, comme si ta vie en dépendait. Et je le ressens. Cela m'émeut de sentir autant de choses en même temps, expliqué-je, mes yeux clairs plongés dans les siens.

— Je n'avais jamais vu ça sous cet angle, admet-il.

Je prends le coffret qu'il vient de m'offrir.

— Tu les regardes avec moi ?

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Bonsoir ! Comment allez-vous ? :)

Merci d'avoir lu ce chapitre ! J'ai essayé de le rendre un peu plus léger que le précédent, malgré les thèmes abordés. Que pensez-vous de la venue de Freddie ? A votre avis, pourquoi a-t-il dit « qu'Alice s'est enfuie chez Kit » ? Et les autres, pourquoi sont-ils absents ?

En tout cas, cette discussion semble avoir apporté beaucoup à Emmy. Qu'en pensez-vous ? :) J'ai beaucoup aimé écrire cette conversation !

Le prochain chapitre est du point de vue d'Alice, il devrait nous apporter quelques explications !

On se retrouve vendredi prochain pour le lire ! D'ici là, prenez soin de vous ! 🧡

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