Épuisée, Alice se laisse tomber sur son lit. La journée a été longue, car aujourd'hui était une journée de tournage. La totalité de leur clip pour Aux rêveurs était filmée. Personne ne lui avait dit que tourner était si fatiguant ! (A la réflexion, si, Kit l'avait bien prévenue mais elle avait consciencieusement choisi de l'ignorer.) Elle ne l'avait revu depuis ce jour-là en studio, où ils avaient discuté batterie et percussion, mais ils s'écrivaient tous les jours.

Alice se sentait bien, elle avait l'impression d'être un avion sur le point de décoller. Les cieux lui tendent les bras, elle a juste à fermer les yeux pour les atteindre.

Ils n'allaient plus beaucoup en studio, à présent que leur EP était terminé. Ils répètent surtout pour leur concert, maintenant que la liste des chansons qu'ils vont interpréter est finalisée. Ils se sont promis de s'aménager un meilleur studio que le petit garage de leur maison, mais en attendant, aucun d'eux n'a de quoi faire un prêt.

En vérité, Alice aimait bien que tout semble avoir changé sans que rien n'ait changé. Elle a toujours chanté avec ses amis, et à présent, elle peut le faire à plein temps. Elle ne regrette rien.

Elle n'a que de l'appréhension concernant la sortie de l'EP. Elle craint que cela ne fonctionne pas. Et si personne ne les écoute ? Et si les critiques sont trop mauvaises ? Et si elle est obligée de retourner à son ancienne vie ? Elle ne serait plus qu'une misérable pièce de vie, enterrée sous les cendres de ses rêves brisés.

Elle préfère ne pas trop y penser. C'est une possibilité, cela ne veut pas dire qu'il faut l'oublier, mais ça veut dire qu'elle peut se produire. A son plus grand damne. Le destin se moquerait bien d'elle si jamais cela se passait ainsi.

Apaisée, elle se laisse bercer par les bruits londoniens. Et lorsqu'elle se réveille, le lendemain matin, une plante a trouvé le temps de grandir dans son esprit. Elle trépigne déjà à l'idée de la montrer aux autres et de les laisser l'arroser.

Elle doit d'abord ronger son frein et attendre que tout le monde soit levé. Mike a beau être affamé, elle sait aussi que c'est une vraie marmotte. Elle prend donc son petit-déjeuner seule, profitant du calme matinal inhérent à chaque début de journée. Ces dernières semaines ne lui ont pas laissé beaucoup de temps pour souffler.

Quand ses amis se lèvent, elle est déjà prête répéter (et surtout à leur raconter son idée). Oh, qu'elle aime cette vie !

— J'ai eu une idée ! annonce-t-elle, sans préambule.

En guise de réponse, Emmy lui offre un regard endormi. Ses yeux sont encore collés par le sommeil et Alice ne peut s'empêcher de rire en l'apercevant.

Concernant cette dernière, elle doit admettre qu'elle est soulagée : elle n'a plus l'air épuisée, ni sur le point de se briser sous un coup de vent trop violent, ni l'apparence maladive. (Alice a d'ailleurs confié à Kit qu'Emmy s'était évanouie à cause de la fatigue, le jour où ils ont affiché leur soutien public au groupe, et qu'elle n'avait jamais été aussi partagée entre la joie et l'inquiétude. Il lui a semblé surpris et a répondu qu'il avait l'impression qu'Emmy est solide. C'est tout le problème, avait pensé Alice, tout le monde croit tout le monde solide jusqu'à ce qu'ils se ruinent la santé – mentale et physique.)

Bref, elle s'éclaircit la gorge et entame gaiement ses explications :

— Je pense qu'on devrait réfléchir à notre prochain projet. Et je sais exactement sur quoi on pourrait se concentrer !

Son sang bouillonne déjà dans ses veines. Elle a hâte de composer à nouveau avec eux.

— Le concert ? suggère Luke, la moue amorphe.

Mike lève les yeux au ciel.

— Mais non, réfute la jeune fille en secouant la tête. Je pensais plutôt à un troisième EP. Il faut qu'on soit productifs, si on veut se faire une place dans l'industrie !

— Ah ! s'exclame Luke, l'air à présent parfaitement réveillé. Il fallait le dire tout de suite !

— Si tu m'avais laissé le temps, Barbie, tu nous aurais épargné tes âneries matinales, réplique Alice, en le jaugeant d'un visage moqueur.

L'approbation qu'elle lit sur le visage de Caitlin la conforte dans son idée.

— Et qu'est-ce qui vient, après le vent et les étoiles ? poursuit Alice, électrisée.

— Le café ? propose Luke.

— L'esprit ? interroge Caitlin.

Alice secoue la tête.

— Je pensais plutôt aux flammes. Après tout, nous brûlons tous pour quelque chose. On pourrait jouer là-dessus, maintenant qu'on a joué sur la mélancolie du vent et la rêverie des étoiles.

Elle songe alors que l'écriture poétique de ses amis l'influence un peu trop.

— Ça ne fait pas beaucoup avec les répétitions ? demande Emmy, les sourcils froncés.

— On n'est pas obligé d'être aussi actifs que ces dernières semaines, déclare Caitlin, les yeux déjà emplis d'idées. Il faut surtout qu'on réfléchisse à ce qu'on veut faire. On n'est pas obligé d'aller en studio un jour sur deux, on va juste garder ça dans un coin de notre esprit et laisser l'EP se construire de lui-même.

— Exactement ! renchérit Alice.

Elle échange avec Caitlin un regard complice. Comme d'habitude, son amie a parfaitement compris ce qu'elle voulait dire.

— Mathieu va être content que son idée t'ait inspirée, déclare Emmy, après un silence seulement animé par les aliments tartinés sur les toasts.

Alice hausse modestement les épaules.

— Je crois qu'il s'en fiche.

Le groupe passe la matinée à s'entraîner et une bonne partie de l'après-midi aussi. Aux alentours de trois heures, ils sont rejoints par leur manager.

— Je vous ai amenés des visiteurs ! clame Mathieu en s'écartant, laissant à Alice le temps d'apercevoir Dark Fate.

Elle se retient de ne pas jeter ses baguettes et de ne pas se précipiter les accueillir : Mike est déjà sur le coup.

— On allait faire une pause, lance-t-elle, à la place.

Elle se lève et s'étire délibérément lentement. Chacun des os de sa colonne vertébrale craque et ses mains sont pleines d'ampoules. Elle a même des cales à certains endroits. Elle en est fière.

— Tu ressembles à un goéland en nage, l'accoste Freddie.

Elle commente, après avoir haussé un sourcil railleur à son attention :

— Tu sais parler aux femmes, toi.

— De rien, Alice.

— Très flatteur, en effet.

— Tes cheveux rebiquent, se défend-il en pointant du doigt ses mèches blondes ébouriffées.

— Tu as l'air d'un vampire cadavérique, rétorque-t-elle, les sourcils froncés face à sa pâleur.

(Il faut dire que la blancheur de sa peau jurait avec la noirceur de ses cheveux.)

— C'est un pléonasme, indique-t-il d'un ton professoral.

Alice lève les yeux au ciel.

— C'est comme si je chantais Je sais que tu as un petit-ami qui ressemble à une Barbie, poursuit Freddie. Ça rime, mais c'est franchement nul.

Alice laisse échapper un gloussement.

— Ta phrase s'applique parfaitement à Luke.

Freddie penche la tête de côté d'un air pensif et des mèches noires tombent devant son œil émeraude.

— C'est vrai que je pourrais aller voir Émilie et lui dire ça.

— Ils ne sont pas ensemble, réfute-t-elle en secouant la tête.

— Ah bon ?

Alice éclate à nouveau de rire.

— Oui. Et c'est bien mieux comme ça, je crois.

Elle a bien-sûr remarqué les œillades que Luke lançait à Emmy quand elle avait le dos tourné. Et elle avait noté avec soulagement que sa meilleure amie ne s'en rendait pas compte et qu'elle ne le contemplait plus comme s'il était une œuvre d'art. Il lui avait fait trop de mal en tant que petit-ami et Alice était d'avis qu'il était temps pour eux d'être sincèrement amis et de tourner la page.

Poliment, Freddie se contente de répondre :

— Si tu le dis.

Alice hoche vivement la tête mais n'ajoute rien. Il n'a pas besoin d'en savoir plus. Et puis, ce n'est pas à elle de lui raconter cette histoire.

Kit profite de ce moment de silence pour s'immiscer dans la conversation :

— Alice ! Tu m'as promis que je pourrais te montrer ma progression.

La jeune femme lui offre un large sourire et lui tend ses propres baguettes. Elle attend ce moment depuis des jours. Elle aperçoit Freddie la gratifier d'un hochement de tête pour la saluer avant de s'éloigner vers les autres, les laissant seuls.

— Après toi, dit-elle en lui désignant sa batterie.

🎶

Hello, comment allez-vous ?

Merci d'avoir lu ce chapitre ! N'hésitez pas à me laisser un petit commentaire, ça fait toujours plaisir !

On se retrouve la semaine prochaine pour le chapitre suivant ! J'ai hâte que vous le lisiez, car il pose quelques bases pour... certaines... hum... choses 🙊

D'ailleurs, je vous avais parlé d'un projet sur Mike qui serait une novella un peu comme celle de Caitlin (que vous pouvez d'ailleurs lire en intégralité sur mon compte)... Sachez que les premiers chapitres sont écrits et que je vous les partagerais peut-être d'ici quelques temps. Quoiqu'il en soit je vous tiendrai au courant.

En attendant, prenez soin de vous et écoutez de la musique !