⇝ Chapitre 21 ~ Kit

C'était fou, se répétait Kit, de tenir entre ses mains l'avenir de cinq personnes. Cinq personnes qu'il ne connaît même pas et qui ne se doutent pas que leur vie va être bientôt bouleversée. C'est sur cette pensée qu'il a rejoint l'hôtel, puis son train, et enfin sa maison. Les retrouvailles ont été chaleureuses : sa sœur et sa mère avaient préparé ses biscuits préférés et son père son plat favori.

La trêve de Noël apporte toujours son lot de nostalgie. Chaque année, elle lui permet de faire le point et de se rendre compte qu'il a réussi à garder cette vie un an de plus. Une année à la fois. C'était ce qu'il se répétait. Car un jour, ce sera la dernière. Un jour, le sombre destin s'accomplira. Et tout ne sera plus qu'un souvenir ténébreux, embrumé par la magie de la mélancolie.

Kit secoue la tête et appuie son front contre la vitre glacée. Le froid endort ses sombres pensées, les couvre d'une épaisse couche de givre, les poussant à disparaître le temps d'une comète. Il ne devrait pas être autant teinté de pessimisme, il le sait. Chaque journée de plus est un trésor à chérir pour plus tard. Il est trop facile de se moquer des désespérés, prêts à tout, même le pire, pour retrouver ce qu'ils ont perdu.
Mais il est encore plus facile de rire de ceux dont le cœur regorge d'espoir. Car ils ne distinguent le couperet qu'au dernier moment.

Un soupir franchit les lèvres de Kit. Il devrait essayer de méditer, comme Jay. Atteindre cet état calme de l'esprit. Cependant, il ne peut pas s'y résoudre. Car déjà, l'effervescence de la scène lui manque et recommence à couler dans ses veines. Alors, il contemple son jardin couvert de neige, les hêtres et chênes dénudés aux branches tremblant sous le vent, en se repassant en boucle le film de ces dernières années. Derrière lui, Jay patiente sur le canapé, les paupières closes. Tout était arrivé si vite et en même temps si lentement. Il a savouré chaque moment, a gardé sur sa langue chaque seconde qu'il a passée sur scène. Il est épuisé et son corps le supplie déjà de recommencer.

L'absence de ses amis le torture aussi. C'est comme un pieu constamment plongé dans son cœur. Il se rappelle qu'au début, ça n'était pas facile avec Freddie. Ce n'est jamais facile avec Freddie. Il lui avait donné du fil à retordre et percer sa carapace lui avait demandé tellement d'énergie qu'il a plus d'une fois songé à abandonner. Seulement, en entrant dans le groupe, Freddie avait gagné deux amis, qu'il le veuille ou non. Alors, ils avaient finis par se connaître par cœur, tous les trois.

Si Kit avait mis toute son âme à s'approcher du chanteur, Jay n'en avait rien fait. Il lui avait dit de laisser Freddie tranquille et qu'un jour il s'ouvrirait à eux comme une fleur, pétale après pétale, et c'est exactement ce qui est arrivé, mais Freddie a admis que sans l'insistance de Kit, il ne l'aurait jamais fait.

Bref, il cogite, les yeux dans le vague.

Quand, ce matin de janvier, Freddi a frappé à sa porte, il a cru accueillir un condamné. Les cernes noirs sous ses yeux creusent son visage, attestant de sa fatigue liée aux fêtes de fin d'année. Pourtant, ce n'est pas le problème le plus important, car Freddie affiche maintenant sa mine contrariée :

— Je vous déteste, toi et Jay. Je n'ai pu négocier que les deux premières semaines à l'hôtel avec le label. Ensuite, je vais devoir payer de ma poche. Je suis certain que ça ne marche pas comme ça, ailleurs, bougonne-t-il en rentrant dans le hall de la maison des parents de Kit, qu'il salue d'une accolade.

— Comme si tu manquais d'argent, le raille Kit avant de se mordre la lèvre.

Il sait pourquoi Freddie économise tant.

Cependant, ce dernier l'ignore et lâche un chapelet d'injures en galois quand il glisse sur le carrelage. D'après les rudiments de Kit dans la langue, ce n'était pas très gentil pour le carrelage.

— C'est parce qu'ils sont sûrs que tu t'entendras bien avec eux, objecte Jay depuis le canapé. Tu verras que dans deux semaines tu voudras continuer à les voir régulièrement !

Kit le suit dans le salon de ses parents, qui viennent de retourner à leur film dans leur pièce cinéma. La pièce a tellement changé depuis son enfance : il ne reste plus rien du tapis multicolore sur lequel il a joué aux voitures, plus rien de la tapisserie pêche aux motifs abstraits et des vieux meubles de ses grands-parents. Aujourd'hui, les murs sont d'un blanc nacré, parfois agrémenté de rayures vert pastel et le tapis à disparu, remplacé par un autre plus récent.

Freddie se poste devant la fenêtre, là où Kit se tenait il y a quelques minutes.

— J'espère que tu as raison. J'espère aussi qu'ils ne sont pas imbuvables.

— Ça vous fera un point commun, marmonne Kit en s'asseyant à son tour.

Freddie le fusille du regard, l'air encore plus contrit.

— Nous viendrons avec toi de toute façon, reprend Jay. On a déjà réservé l'hôtel.

— Encore heureux ! J'ai bien cru que vous me laisseriez seul avec eux ! s'exclame Freddie, une veine apparente sur le front.

— Je suis sûr que tu exagères, intervient Kit. Tu ne les connais même pas !

Pris à défaut, Freddie grommelle des paroles inintelligibles. Dedans, Kit est quasiment sûr d'avoir reconnu le mot galois pour idiot. Les injures sont toujours les premiers mots qu'on apprend.

— Allons, Freddie, n'en fais pas tout un plat et remballe cet air de tragédien. Ça ne va rien te coûter et ça te fera sortir un peu de chez toi, poursuit Jay en lui tapotant l'épaule.

— Mais je n'aime pas les gens ! gémit-il en croisant les bras.

Kit lève les yeux au ciel.

— Cesse d'être de mauvaise foi. On t'a déjà dit qu'on était avec toi.

— J'ai hâte de les rencontrer, pas vous ? coupe Jay, un air rêveur flottant sur ses yeux marrons.

Kit ne sait pas quoi répondre. Au fond de lui, il a hâte, mais il veut aussi soutenir Freddie. Alors il ne dit rien et se contente de laisser dériver ses pensées. Pour la première fois depuis le début de leur carrière, on leur demande de se concentrer sur autre chose que sur eux. Son côté pessimiste ne peut s'empêcher de trouver cela suspect, mais le problème avec un rythme aussi effréné que le leur, c'est qu'on risque de s'essouffler. De redescendre les chartes aussi vite qu'on les a grimpées.

Et parce qu'aucun d'eux trois ne veut prendre ce risque, ils se plieront à la volonté du label. Et puis, ils ont été clairs : il faut lancer Sad Joy.

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Hello ! Comment allez-vous ? :)
Merci d'avoir lu ce chapitre !

Qu'en pensez-vous ? Il s'agit du dernier chapitre de la partie 3 !

Vous pourrez retrouver la partie 4 mercredi prochain et le chapitre 22 vendredi prochain.

En attendant, prenez soin de vous et à très vite ! :)

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