⇝ Chapitre 19 ~ Kit

Le matin suivant, Kit avait, comme promis, tweeté sa chanson préférée de l'EP et mis un lien pour l'écouter. Jay s'était empressé de répondre que de son côté, il adorait leur titre phare Les violons continuent de chanter et qu'Un été pour tout écrire lui rappelait son adolescence. Bon gré mal gré, Freddie avait mentionné qu'il appréciait Elle a un sourire.

— Ça ne coûte rien, dit encore Kit à l'attention de Freddie. Ça va simplement leur donner un coup d'éclat.

Et Kit devait admettre que leurs chansons n'avaient pas quitté son esprit et qu'il les avaient écoutées en boucle durant la nuit. Non, il serait dommage qu'ils restent cachés dans leur coin, quoiqu'en dise Freddie. Kit trouvait qu'il avait exagéré : leur donner un coup de pub ne les avaient engagés à rien.

Le groupe continuerait son bonhomme de chemin, indépendamment de Sad Joy. Kit appuie son front contre la vitre de la voiture, les yeux rivés sur le paysage australien qui s'étend à côté de lui. Il a le mal de pays. L'air de Liverpool lui manque, et les stupides séries que sa sœur regarde en boucle lui rappellent son absence. Il avait promis à sa famille de passer plus de temps avec eux cette année. Et il avait échoué.

Ils avaient enregistré la plupart de leur album à Los Angeles et avaient enchaîné avec une tournée à travers le monde. Son nom et ceux de ses camarades étaient scandés en boucle, comme un poème, et leurs chansons entonnées à tue-tête, si bien qu'il s'était dit que pour sa famille, il y avait un peu de lui partout où il n'était pas.

Mais aujourd'hui, en plein moins de novembre, sous le soleil australien, ses parents et sa sœur lui manquent, même si elle est une vraie princesse et que tout tourne autour d'elle. Kit se masse les tempes. Il est épuisé, chacun de ses muscles hurle de désapprobation à chaque fois qu'il esquisse un mouvement. Et ce soir, il va recommencer.

Il sait aussi que sa morosité ne va durer que jusqu'à leur arrivée à Canberra. Ensuite, l'excitation et l'appréhension reprendront le dessus. Quand il sera sur scène, il le sait, il ne ressentira plus que du bonheur. De l'euphorie en bonne et due forme. Son sourire sera si large qu'il en aura mal aux joues, mais il sera là où il doit être. Tout lui paraît toujours en ordre quand il est sur scène.

C'est la partie qu'il préfère. Partager son amour de la musique dans une salle de concert, avec des gens qui crient son nom et chantent leurs chansons, sans savoir ce qu'il y a vraiment derrière les paroles. (Oh, bien-sûr, ils essaient de deviner, mais Dark Fate laisse volontairement peu d'indices. Car c'est là le but de l'art, n'est-ce pas ? Que chacun en fasse sa propre interprétation et qu'aucune ne soit vraiment plus juste que l'autre.)

Devant lui, Gemma tapote le tableau de bord de ses faux ongles. Kit n'a jamais compris comment elle peut les avoir si longs et faire autant de choses comme monter et démonter des baffles, des amplis et des tables sans jamais s'en abîmer un seul. Elle est leur manageuse depuis leur début.

Kit se souvient bien de leur première rencontre. Dark Fate donnait des concerts partout où ils pouvaient, parfois même gratuitement. Dans la rue, sur les toits, dans les parcs, dans des cafés et parfois même dans des salles de concert.

Elle venait toujours s'asseoir sur le même banc au Platt Fields Park. Elle sortait toujours de son sac des vieux croûtons de pain qu'elle distribuait aux canards qui habitaient par là. Elle était reconnaissable entre mille avec ses cheveux rouge et rose. Elle les écoutaient toujours chanter et se contentait de les applaudir avec un petit sourire mystérieux, un de ceux qui veut dire « Je vous ai repérés et votre évolution m'intéresse ». Kit ne le savait pas encore, mais elle essayait de pousser le label pour lequel elle travaillait à les rencontrer.

Un jour, Kit a aperçu cette femme replète à l'air intrépide s'avancer vers eux, après un concert dans Platt Fields Park. Elle s'est présentée et les a convaincus de venir discuter avec elle autour d'un verre. C'est là, dans un petit café de Manchester, que tout s'est joué. Elle s'est targuée de pouvoir les emmener très haut, s'ils acceptaient son aide. Ce qu'ils ont fini par faire, car les opportunités ne fleurissent qu'une fois.

Kit se souvenait que ça avait été effrayant. C'était comme sauter d'un précipice sans élastique, en espérant que le sol qui se rapprochait était bien de l'eau couverte d'écume et non pas un tapis de sédiments. Au final, elle leur a tous plantés des plumes dans le dos. Elle leur a arrangé un rendez-vous avec un des responsables du label. A force de persuasion, il a fini par craquer. (Kit n'a jamais vu une personne aussi têtue que Gemma. Quand elle veut quelque chose, elle l'a. Point final. C'est aussi vrai que un et un font deux.)

Cependant, Dark Fate ne pouvait pas débarquer les mains vides en demandant un contrat. Avec ses contacts, ils ont pu obtenir plus rapidement une place dans un studio d'enregistrement pour pouvoir archiver ce qui allait être leur premier EP. Enfin, ils ont pu rencontrer un des responsables de son label.

Ça ne s'est pas bien passé. Le chef a jugé que les paroles de leurs chansons étaient trop compliquées et la voix de Freddie trop cassée. Mais Gemma était déterminée et Kit n'est pas du genre à se laisser faire. Alors ils ont argumenté et fini par obtenir un contrat pour un album. Qui est au final devenu un contrat à durée indéterminée. Et la suite, tout le monde la connaît. Dark Fate a grimpé les sommets à une vitesse vertigineuse.

C'était comme vivre un rêve éveillé. La première fois que Kit était rentré sur scène à Londres, dans la Brixton Academy, il s'était pincé trois fois pour s'assurer qu'il ne rêvait pas. Tous ces gens, qui le regardaient et criait de joie en l'apercevant ! C'était surréaliste. Lui qui avait passé son temps à se fondre dans la masse se retrouvait sur le devant de la scène, à être un personnage principal, et non un personnage tertiaire dans l'histoire d'un autre.

Bref, la route jusqu'à Canberra et ensuite jusqu'aux vacances de Noël, est encore longue. Kit observe ses longues mains noires, tordues par des années passées à jouer du piano, du violon et de la guitare. Des mains de musicien, dirait sa mère. Et pour une fois, Kit acquiescerait avec ferveur et fierté.

Il finit par fermer les yeux, son front appuyé contre la vitre froide. Lorsqu'il les ouvre, Jay le secoue doucement. Ils sont arrivés et doivent se dépêcher de sortir, s'ils veulent déjeuner à l'hôtel. L'air chaud lui brûle les poumons, mais Kit ignore la chaleur accablante. Cette vie-là, il l'a voulue et il se battra toujours pour la garder. Ce soir, il se sentira plus que vivant. Et il en profitera, car les belles histoires ne sont pas éternelles, et s'il connaît déjà la fin de la leur, il préfère l'ignorer.

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Bonsoir ! Comment allez-vous ?

Merci d'avoir lu ce chapitre ! 🖤

On se retrouve la semaine prochaine pour le chapitre suivant !

Prenez soin de vous !

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