⇝ Chapitre 18 ~ Kit
— Je trouve que la chanteuse ne maîtrise pas bien ses émotions, déclare Freddie, les yeux toujours fixés sur l'écran du téléphone.
Le concert s'est terminé il y a déjà quelques heures. Ils se sont retrouvés dans la chambre d'hôtel de Jay, trop fatigués pour sortir et se promener dans Melbourne de nuit. Kit, douché et vêtu d'une robe de chambre brodée des couleurs de l'hôtel pousse un long bâillement.
— Quoi ? s'exclame Jay. Tu plaisantes ? C'est exactement ce qui fait son charme.
— Le chanteur se débrouille mieux, réplique Freddie d'un ton sans appel.
— Tu admettras que c'est de loin le meilleur groupe qu'il nous ait déniché, intervient Kit en passant une main dans ses cheveux humides.
Freddie hausse un sourcil noir comme une plume de corbeau, l'air de dire « Ce n'est pas bien difficile et tu le sais. Ne rentre pas dans son jeu ! ».
Quand Kit et Jay étaient étudiants à Manchester, l'un en arts appliqués, l'autre en géologie, ils avaient décidé de fonder un groupe. C'était parti de rien, de quelques mots échangés dans une ruelle noircie par la nuit, lors d'une soirée de leur groupe de violon. C'était comme ça qu'ils s'étaient connus, en cours de violon. Ils s'étaient retrouvés assis à côté par hasard. Et puis, cette nuit-là, complètement ivre, Kit avait balancé l'idée folle de créer un groupe de musique. Il tenait à peine debout et s'était vomi dessus déjà trois fois. Mais Kit avait planté une graine dans l'esprit de Jay, qui a vite germé.
Ils ont posté une annonce sur Twitter, Facebook et Instagram. Presque personne n'est venu, ça avait été tout bonnement un fiasco. Les chanteurs qui s'étaient proposés chantaient faux. Au moment où Kit et Jay s'apprêtaient à jeter l'éponge, Freddie s'est avancé. Maigre comme un clou, essoufflé et échevelé, il avait l'air d'un gamin à peine sorti du lycée (et c'était le cas, il n'avait que dix-huit ans et était en première année de biologie, avec pour projet d'être généticien). D'une voix claire, il avait demandé si c'étaient bien ici les auditions pour le groupe Fishes'Tears.
Kit et Jay avaient hoché la tête. Freddie s'était muni du micro et avait écarté ses cheveux de son front, dévoilant son regard déterminé. Kit se souvenait avoir été perturbé. Dans un premier temps, il n'avait pas su le regarder dans les yeux et n'avait pas arrêté de jongler entre son œil vert et son œil doré.
— Fishes'Tears, c'est nul comme nom. Il faudra qu'on en trouve un autre.
Le sang de Kit n'avait fait qu'un tour.
— Ne crie pas victoire trop vite, morveux. Chante-nous déjà quelque chose d'acceptable et on en reparlera.
Freddie l'avait fixé d'un air moqueur, avant de se métamorphoser. Littéralement. Il a attrapé le micro et s'est mis à chanter Terrible Things, du groupe Mayday Parade. A cappella. Kit se souvient avoir senti chacun de ses os trembler sous l'intensité de sa voix rauque. Brisée et recollée de toute part. Kit n'avait jamais entendu une telle voix. Ce gamin qui n'en était plus un pouvait se permettre d'être aussi sûr de lui.
Plus tard, il a appris que c'était surtout une carapace pour ne pas montrer son malaise. Kit et Jay étaient sa seule et unique chance d'atteindre la musique et ça le rendait malade.
Freddie les avait rejoints sous une seule condition : il ne voulait pas d'autres collègues que eux deux. Alors forcément, pour lui, quand Jay a commencé à rêver de prendre un chanteur débutant sous leur aile, il l'a vécu comme une trahison. Fort heureusement, tous ceux qu'ils leur a montrés jusqu'à maintenant n'étaient pas bons. Jusqu'à aujourd'hui, où il leur a fait écouter des covers du groupe Sad Joy, qui, Kit devait bien l'admettre, avait du potentiel.
— Mais ils ont encore besoin d'évoluer, ajoute Kit, en soutien à Freddie.
Jay et lui étaient ce que Freddie appelait sa grande faiblesse. Kit se rappellerait toujours de ce garçon sans attaches, avec personne dans sa vie à part sa famille, qui leur avait fait jurer, à lui et Jay, de ne pas obliger le groupe à avoir des relations non nécessaires avec d'autres chanteurs.
— De trouver leur style musical, renchérit Freddie, après avoir hoché la tête à l'attention de Kit.
— Mais ils l'ont trouvé, appuie Jay. J'attendais le bon moment pour vous le montrer : ils ont sorti un EP par leurs propres moyens, il y a deux mois.
Freddie ouvre la bouche pour protester, mais Kit le devance, sa curiosité ayant pris le dessus.
— Fais voir.
— Quoi ? s'étonne Freddie, sidéré.
Kit plonge ses yeux noirs dans ceux de son ami.
— C'est de la pure curiosité. Écouter cet EP ne nous oblige à rien.
Bon gré mal gré, Freddie opine de la tête. Il étale ses longues jambes sur la table de salon devant lui, affalé sur le canapé. Sa robe de chambre est mal fermée, dévoilant ses cotes saillantes. Kit détourne le regard, se promettant de forcer Freddie à manger deux petits déjeuners le lendemain.
Jay ouvre Spotify, vérifie que son téléphone est toujours connecté à son enceinte Bluetooth puis lance leur EP. Kit se penche pour distinguer son titre. Dans le vent. Les quatre chansons défilent dans ses oreilles : Les violons continuent de chanter, Un été pour tout écrire, Nyx, Elle a un sourire. Freddie prend même son téléphone pour lire les paroles de Nyx et Elle a un sourire. Étonnamment, il est le premier à réagir quand la dernière chanson s'achève :
— Je dois admettre qu'il y a du potentiel. Mes préférences vont à Nyx et Elle a un sourire. Avez-vous remarqué l'acrostiche dans le refrain de Elle a un sourire ?
Kit secoue la tête. Il n'a jamais aimé les procédé stylistiques, bien qu'à force il commence à en connaître certains.
— Eh bien on peut y lire je t'aime avec la première lettre de chaque ligne, explique-t-il en haussant les épaules.
Du Freddie tout craché. Toujours à remarquer ce qu'on ne voit pas au premier coup d'œil.
— Tu vois ! s'extasie Jay. Je vous l'avais dit.
Freddie lève les yeux au ciel.
— Pas au point de les prendre sous notre aile !
Jay croise les bras sur son torse. Une veine est apparue sur son front, signe qu'il est agacé. Malgré lui, Kit se raidit sur son fauteuil.
— Freddie, s'il-te-plaît ! Il t'arrive de penser à autre chose qu'à toi ?
— Tu plaisantes, j'espère ! s'offusque l'interpelé.
— Tu ne te dis pas qu'on est peut-être la seule chance de ce groupe ? insiste Jay. La blonde et la brune étaient à Sainte-Cécile et les trois autres à Saint-Matthew. Et ils n'ont pas eu de contrats ! Par contre, l'imbécile qu'on a rencontré, celui à qui tu as failli arracher les yeux, Kit, lui en a eu un !
En guise de réponse, Freddie se met à ricaner.
— Eh bien ils n'ont qu'à utiliser leur carnet d'adresse ! crache-t-il avec rage.
Kit se penche vers son ami et pose une main sur son épaule pour qu'il se calme. Il avait beau agir comme si ça ne comptait pas, Kit et Jay savaient très bien qu'au fond de lui, Freddie n'avait pas digéré le refus de Sainte-Charlotte, la version anglaise de Sainte-Cécile. « Ils doivent s'en mordre les doigts ! » s'était-il exclamé, un soir où il était ivre (ce qui était rare).
— Tu sais très bien que ça ne marche pas comme ça, intervient Kit. J'aime bien Nyx. Demain matin, je leur donnerai un coup d'éclat sur Twitter.
Il était enveloppé par la nuit, nox, noctis.
Il s'est noyé au milieu des fantômes.
Il n'en sort pas, il en est un, oh.
Je suis une étoile, oh, suspendue, oh, par un fil.
Freddie lève les yeux au ciel.
— Sérieusement ? marmonne-t-il.
— Oui ! Je le savais ! se réjouit Jay en levant le poing.
— Ça ne coûte rien, argumente Kit. Et ça n'ira pas plus loin, je te le promets.
Vaincu, Freddie se résigne.
Cependant, Kit a négligé un des détails les plus importants. Les promesses n'engagent que ceux qui les croient. Les promesses sont des fleurs qui se fanent aussi vite qu'elles fleurissent. Elles n'ont de la beauté que la terreur de l'éternité.
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Bonsoir ! Comment allez-vous ? :)
Merci d'avoir lu ce chapitre ! Qu'en pensez-vous ? 🎶
A samedi prochain pour le chapitre suivant ! 🥰
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