⇝ Chapitre 16 ~ Kit
Kit n'aime pas le moment qui précède sa montée sur scène. C'est un fait, une vérité générale, aussi vraie que Ljubljana est la capitale de la Slovénie. Le regard dur, fixé droit devant lui (sur un verre de whisky en réalité), il tente sans grand succès de décrisper ses mâchoires. C'est plus fort que lui, il ne peut pas s'en empêcher ! Sa mère dit qu'un jour, il s'abîmera les dents.
Freddie frappe son épaule en passant devant lui. Sa silhouette longiligne se retourne vers lui, lui offre un clin d'œil avant de lui voler une gorgée de son verre.
— Hé ! proteste Kit, la mine boudeuse.
C'était son rituel d'avant concert. Il boit toujours un verre. Pas un de plus, pas un de moins. Ça permet à ses muscles de se relâcher et à son appréhension de quitter son corps. Freddie affirme que c'est psychologique.
Peut-être, mais en attendant, ça fonctionne.
Freddie lui offre un sourire radieux, révélant ses stupides dents parfaitement blanches et alignées. (Quoi ? avait-il un jour lancé à Kit. Il faut bien rentabiliser les quatre longues années que j'ai passées chez l'orthodontiste et les deux opérations de la mâchoire que j'ai subies !) Kit avait levé les yeux au ciel. C'était un bon argument et il n'avait rien trouvé à redire. Et jamais il n'aurait donné à Freddie la satisfaction de le lui avouer.
— Oh voyons Kit ! Je t'ai déjà dit que c'était un placebo. Purement psychologique.
Freddie secoue ses cheveux noirs, dévoilant le truc. Celui qui le rendait intriguant, irrésistible et tout un tas d'autres adjectifs qui provoquaient de l'agacement chez Kit. Comme si Freddie MacSaturn ne se résumait qu'à ses yeux. Il était bien plus qu'un simple regard asymétrique.
Kit attrape son verre et le vide d'une traite, avant que son ami n'ait l'idée de lui en revoler. Immédiatement, ses mâchoires se desserrent et ses dents cessent de se cogner. Peut-être que Freddie a raison. D'ailleurs, Freddie a toujours raison, si bien que c'en est agaçant. Sur l'avenir, sur les gens (il flaire toujours les mauvaises personnes et les pièges que la vie leur tend), sur les tendances et sur les chats. Freddie est incollable sur les chats et au fond, c'est exaspérant d'être avec quelqu'un qui passe son temps à vous envoyer des vidéos de boules de poils beaucoup trop mignonnes pour êtres réelles. Cependant, si Freddie n'agaçait pas Kit et n'avait pas ses défauts, ce ne serait pas Freddie. Et Kit ne tiendrait pas à lui.
Il jette un coup d'œil à sa montre.
— Bon, que fait Jay ? On rentre sur scène dans dix minutes, râle Kit.
Autour d'eux, c'est le chaos. Tout le monde s'active dans tous les sens, déplaçant et ramenant les affaires déposées plus tôt. Car il faudra reprendre la route dès demain matin. Kit n'aime pas trop ça, ils n'ont jamais le temps de visiter. Il a fait un nombre incalculable de concerts à travers le monde, mais il n'a jamais pu prendre le temps de visiter chaque ville. Il aimerait bien se perdre dans le ventre de chaque cité, se mettre dans la peau d'un habitant lambda. Seulement, Kit n'est pas un point perdu dans un nuage, il est membre de Dark Fate, un des groupes les plus écoutés à travers le monde. Alors, il ne peut pas faire tout ce qu'il veut.
Freddie secoue la tête d'un air désapprobateur.
— Il ne va plus tarder, répond-il, d'un ton calme.
Même s'il est pénible, Freddie est toujours le plus raisonné, celui qui garde son sang-froid et qui s'occupe d'éviter à ses deux amis de s'étriper, quand la tension devient insupportable, ce qui au bout de plusieurs semaines de tournée, est inévitable. Kit l'observe tenter (sans grand succès) d'attacher une mèche noire qui n'a de cesse de retomber sur son front.
Comme ça, tout de noir vêtu, il a l'air d'un vampire. Mince à faire peur, blanc comme un linge, une émeraude et un saphir jaune sur le visage, il a tout d'un être qui se repaît du sang de pauvres innocents qui traînent dans la nuit (surtout quand il prend son air ténébreux. Mais si, vous savez, celui qu'il a sur les posters !) plutôt que d'un jeune adulte au sommet de la gloire.
Freddie plisse les yeux et place une main osseuse en visière, bien qu'ils soient encore à l'intérieur. (Un jour, il a plaisanté en disant que les rayons X n'étaient pas nécessaires pour voir son squelette, mais qu'il suffisait d'appuyer une lampe sur son torse pour voir sa colonne vertébrale. Ça n'avait pas fait rire Kit, mais Jay avait recraché la totalité de son verre de cognac ce soir-là.)
— Le voilà ! Tu vois, Kit, pas besoin d'être si impatient.
Kit lève les yeux au ciel et se retourne pour voir – en effet – Jay trottiner jusqu'à eux, un grand sourire aux lèvres. Ses cheveux sont attachés en un épais chignon et un bandana empêche les mèches restantes de tomber sur ses yeux cerclés d'eye-liner. Freddie et lui sont dingues avec ça. Pourquoi dingues ? Parce qu'un jour, Kit a eu le malheur d'en ouvrir un pour essayer. Or, l'eye-liner, avait-il appris ce jour-là, c'est comme le baume à lèvres, ça ne se prête pas. (Ah bon ? Kit était presque sûr que Freddie et Jay étaient les seuls à se comporter comme ça.)
— Tu es en retard, l'accueille Kit, un sourcil haussé.
Freddie lui jette un regard assassin et Kit se mord la lèvre. Jay est à cran, comme lui. Il n'aurait sans doute pas dû dire ça, mais les mots lui ont échappés. Condamnation involontaire, commenterait Freddie.
Mais Jay ne se dépeint pas de son sourire. Sa séance de yoga a dû bien se passer. Avant chaque concert, Jay éprouvait l'irrépressible besoin de s'isoler pour faire du yoga. Au début, ni Kit ni Freddie ne savaient pourquoi il s'éloignait avant chaque représentation. Il disparaissait mystérieusement, irrité et anxieux, et reparaissait, frais comme un gardon. La différence était si vive qu'un jour, Kit l'avait suivi et avait découvert qu'il s'adonnait simplement au yoga.
« Si tout ce tralala c'est pour faire du yoga, tu aurais pu le dire ! » s'était exclamé Kit, vexé d'avoir été mis de côté par celui qu'il considérait comme son plus proche ami.
« Tu m'as suivi ? » s'était énervé Jay, rouge de colère.
Plus tard, Kit a compris que ce n'était pas seulement une question de yoga, c'était aussi une question de temps passé avec soi-même. Il avait violé l'intimité de Jay ce jour-là, et il n'a plus jamais recommencé.
Bref, Jay se tient devant eux, vêtu de sa tenue de scène du jour (un pantalon noir et un débardeur vert clair), l'air tellement ravi que ses pattes d'oie ressemblent presque à des sillons. Parfois, Kit se dit que sa mauvaise humeur déteint sur sa façon de voir le monde.
Il leur tend son téléphone, un air soudain angélique sur le visage.
« Oh, non ! » pensent Kit et Freddie, en même temps. (Comment Kit le sait ? Tout simplement parce que lui et Freddie ont le même avis.)
— Vous connaissez ce groupe ? demande-t-il, en désignant son téléphone.
Freddie ne prend même pas la peine de jeter une note de musique à l'écran.
— Non, et ils sont sans doute mauvais, comme à chaque fois ! s'exclame-t-il avec colère. Jay, tu ne peux pas nous supplier de donner de la force à chaque jolie fille que tu vois chanter sur YouTube ou Instagram !
— Ils ne sont pas mauvais ! s'offusque Jay. Ils sont excellents ! (Kit et Freddie le contemplent d'un air dubitatif.) Et la chanteuse n'est pas mon genre, finit-il par soupirer.
— Fais voir, termine par accepter Freddie, bien plus flexible que Kit.
Avant même que Jay n'ait le temps de donner son téléphone à Freddie, la voix de leur manageuse, Gemma, retentit, puissante et ferme :
— Les garçons ! Vous entrez sur scène dans cinq minutes, on se dépêche !
Dark Fate obéit. Mais avant que le téléphone de Jay ne disparaisse dans ses affaires, Kit a le temps d'apercevoir la chaîne YouTube que son ami voulait leur montrer. Sad Joy.
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Bonsoir ! Comment allez-vous ?
Merci d'avoir lu ce chapitre ! Qu'en pensez-vous ? Pour cette partie, j'ai décidé de vous plonger un peu dans l'univers de Dark Fate, et pour cela, quoi de mieux que d'avoir le point de vue des concernés ? :)
A samedi prochain pour le chapitre suivant ! 🎶
Prenez bien soin de vous ! 🖤🎶
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