46 - Repas de famille
Point de vue Sada
Tout se chamboule dans ma vie depuis que Katsuki est revenu vers moi. Il s'est démené tant bien que mal pour prolongé son séjour en France, au moins pour avoir assez de temps de m'aider à préparer mes affaires pour le suivre au Japon, et aussi pour demander la bénédiction de mes parents. Il dit qu'il veut faire les choses dans l'ordre et ne pas avoir l'impression de "m'enlever" à ma famille totalement sans gêne. Il tient dur comme fer à rencontrer mes parents et leur demander ma main.
Alors au repas de Noël, j'ai prévenu mes parents de la présence de Katsuki au dernier moment...
Je ne leur ai jamais parlé de Katsuki, ni de ma fausse couche, depuis mon retour du Japon. J'avais peur de leur réaction et des réflexions que je pouvais récolter, alors j'ai préféré ne pas m'étaler sur ma vie sentimentale et pendant les repas de famille, je disais juste que c'était la routine habituelle. Evidemment que rien n'était "habituel" là bas... Entre ma dépression et mes retrouvailles avec les anciens de ma dernière année de lycée, il a fallu que je décide de fuir après un drame que j'aurais pu combattre avec Katsuki. Je m'en veux encore d'être partie aussi vite, lui aussi devait se sentir mal pour le bébé...
Et maintenant, il confronte mes parents le soir du réveillon... Autant dire que le stress est au maximum.
<< Baku-quoi ? bafoue mon père. Je comprends rien. >>
Forcément, mon père et les noms japonais ça fait deux... Il ne sait dire que "Sasuke" à cause de Naruto. Pourtant Katsuki s'efforce d'améliorer son français le plus possible pour se faire comprendre, mais la gaffe de mon père n'a pas l'air de le déranger. C'est plutôt moi que ça agace...
- C'est "Bakugou" Papa, c'est quand même pas compliqué...
Et non, je ne prends plus de pincettes avec eux. C'est déjà incroyable de me voir à cette table.
<< Laisse, ça fait rien, dit Katsuki. >>
<< Hum... Je suis désolée, ma fille ne nous a pas prévenu de votre visite, s'excuse ma mère en me lançant un petit regard contrarié. >>
<< Je sais. Et on ne restera pas trop longtemps, c'est pour une question. >>
Le silence est à son comble alors que mon coeur manque de se liquéfier. Katsuki est très confiant par contre et regarde mon père droit dans les yeux.
<< Je demande la main de Sada auprès de vous. >>
<< Pardon ? se décompose mon père. >>
<< C'est quoi cette histoire là ? questionne ma mère sans comprendre. Sada, depuis quand tu le connais ? >>
- Depuis le lycée, mais je t'en ai jamais parlé. On sortait ensemble avant que je revienne et Katsuki vient de me retrouver.
<< Et pourquoi tu nous l'as jamais dis ? >>
J'entends déjà la voix de ma mère grincer des dents comme si une réflexion allait sortir de sa bouche.
- J'avais pas envie. Comme tous les problèmes que j'ai jamais mentionné...
<< Qu'est-ce que tu racontes encore ? >>
Katsuki fronce les sourcils et tient ma main sous la table comme pour m'encourager à vider mon sac. Cette soirée n'est pas seulement pour le mariage... J'ai besoin de tout balancer ici et maintenant, avant de repartir pour le Japon et espérer commencer une nouvelle vie.
- ... À ton avis, pourquoi j'ai changé mon dossier pour aller dans un lycée japonais ?
Mes parents échangent un regard d'incompréhension, tandis que le mien s'efface de toute émotion en voyant à quel point il n'ont pris en compte AUCUN de mes problèmes. Trop occupés à régler les leurs sans doute...
- Ca faisait dix ans que j'étais en dépression. Dix ans pour une adolescente ça fout un coup quand même.
<< Non tu étais juste perdue et n'avais pas confiance en toi-- >>
- Même aujourd'hui vous niez que votre fille, qui après réflexion n'aurait jamais dû naître, est partie en dépression à 13 ans ?!
<< Sada tu étais au collège, tu n'avais pas encore conscience de qui tu étais ! Tu sais ce que c'est la dépression au moins ?! >>
J'échappe un petit rire discret.
- Venant de quelqu'un qui est en dépression mais qui reste dans le déni, c'est franchement petit... Pourquoi vous dites pas simplement qu'un enfant dépressif est un mythe pour vous ? Parce que je suis jeune, je n'ai aucun problème c'est ça ? D'accord... Tout allait très bien dans ma vie, je n'étais pas du tout mise à l'écart à l'école, je n'ai jamais ressenti le décalage avec les enfants de mon âge, je ne me suis jamais sentie bâillonnée quand j'avais des problèmes émotionnels, je ne me suis jamais sentie seule même au sein de ma propre famille, je ne me suis jamais sentie comme un fardeau pour cette famille, une bouche en trop à nourrir, je n'ai jamais ressenti autant de déception dans ma vie, je n'ai jamais eu la moindre haine envers cette putain de société de l'excellence mais qui pourtant est tellement pitoyable, une société qui juge ceux qui sont différents au point de les pousser à bout ! Je n'ai absolument jamais eu d'idées noires ni d'isolement pendant des années, et je n'ai surtout pas essayé de me suicider il y a cinq ans. Evidemment, tout ça c'était dans ma tête.
<< Pardon ??? Comment ça un suicide ?! >>
- Tu vois ? Vous ne me prenez jamais au sérieux, donc vous n'écoutez que la moitié de mes paroles... T'as oublié que je t'ai déjà dis que j'avais tenté de me suicider. Mais sinon, je n'ai aucune raison de tomber en dépression. Si Katsuki ne m'avait pas sauvé je ne serais plus là devant vous. Pourtant je voulais mourir...
Merde c'est pas le moment de chialer... Mes yeux me brûlent mais faut que ça sorte...
- Pour le bien de tout le monde, je voulais arrêter d'exister. De toute façon, vous avez voulu une fille mais vous n'avez pas précisé quel genre de fille. Je ne suis pas ambitieux et je n'ai aucun rêve à accomplir. Je suis née juste parce que Maman voulait une fille, mais au delà de ça pourquoi je suis là ? "Tout être nait avec une mission", alors quelle est ma mission ? Dites le moi, j'ai arrêté de chercher la réponse parce que j'en ai eu marre de ne pas la trouver.
Normalement mes parents lèveraient les yeux en me disant que je me complique la vie pour rien, mais ils restent silencieux devant Katsuki. Lui, il ne s'en mêlait pas mais... Les crispations de sa main sur la mienne me montrent bien qu'il se contient de dire quelque chose.
<< Sada. >>
Mais il a fini par craquer... Sa voix grognait entre ses dents alors qu'il me parlait de nouveau en japonais, donc mes parents ne comprenaient pas ce qu'il me disait.
<< Pour le bien de tous, tu veux crever ? Ne dis plus jamais ça, tu entends ?! >>
Je sursaute.
- Quoi...?
<< Je veux plus t'entendre dire une connerie pareille ! T'as souffert mais c'est justement parce que tu souffres que tu dois te battre, tu veux vraiment rester sur des regrets ?! Evidemment que si tu es là c'est pour une raison, autrement tes parents ne t'auraient pas élevé ! Réfléchis bon sang ! >>
Je baisse la tête.
<< T'es plus seule alors arrête de penser que ta présence est un fardeau ! En fait t'as jamais été seule, tu t'es juste renfermée sur toi même sans prendre en compte les inquiétudes de ta famille ! Si tes parents s'en battaient les couilles de toi, tu crois qu'ils feraient l'effort de t'inviter ce soir ?! >>
. . .
J'ai accumulé tellement de rancune, et ça m'étonne à moitié qu'il prenne la défense de mes parents... Mais il a raison... J'en ai longtemps voulu au monde entier de rejeter la personne que j'étais, j'ai tout fais pour changer et espérer pouvoir m'adapter, le résultat était toujours le même. On me trouvait toujours comme la fille "bizarre qui part facilement au quart de tour" ou "qui change d'amis comme de chemise". On me traitait presque de bipolaire, parce qu'il arrivait des jours où j'avais l'air "joyeuse" et d'autres où j'étais insupportable avec des paroles crues et blessantes. J'essaye d'être honnête mais pas trop pour arrêter de blesser les gens, puis j'essaye d'avoir un peu plus de caractère pour qu'on me prenne au sérieux, d'où mes humeurs changeantes selon les jours.
J'essayais de sourire et de rester positive, mais c'est à cette même période que j'ai commencé à me rendre compte que j'étais entrée en dépression...
Avant, comme je savais que c'était une maladie, je me suis dis que ça allait passer comme un petit rhume, que le temps ferait son oeuvre. Le temps a bien fait le travail mais... dans le mauvais sens du terme. Sans en parler à personne, mon état empirait encore et encore, alors que je me poussais à bout pour rester forte. Je ne voulais pas laisser cette saloperie me consumer, mais comme je n'arrivais pas à en parler à quiconque, j'ai essayé de me battre seule.
Depuis, j'ai pris l'habitude d'encaisser toute seule...
Ce n'est la faute de personne au final, je n'ai jamais eu le courage ni la force de parler de ce problème et quand est venu le moment de lâcher prise, il était déjà trop tard. Ce jour là, je me suis taillée les veines le jour où Katsuki m'a sauvé. J'étais à bout et je n'ai plus réfléchi...
Mais Katsuki ne saura jamais que pendant cinq ans, même si aujourd'hui je sors lentement de cette maladie, je m'éloigne automatiquement de tout objet coupant pour ne pas avoir une certaine tendance que je pourrais regretter. C'est vrai, quand on goûte une fois au suicide, peu importe le degré de désespoir, on est toujours capable de recommencer à tout moment.
Mais maintenant, c'est différent. Katsuki se tourne vers mon père et baisse la tête pour s'incliner.
<< Je fais la promesse de prendre soin de Sada et je sais que les mots ne sont pas des actes, mais je peux garantir ce que je dis. Sada peut vous le confirmer, je n'ai JAMAIS menti. >>
Mais mon père est encore sceptique.
<< Je te connais pas et tu demandes ma bénédiction pour te marier avec ma fille, et je suppose que tu veux la ramener avec toi au Japon. >>
<< ... En effet. >>
<< Le Japon c'est loin ! Et pourquoi ça serait pas l'inverse, que tu viennes vivre ici toi, hein ?! >>
Katsuki ne relève pas la tête, mais étant à ses côtés je peux voir son regard plus que sérieux sous ses mèches blondes. Je commence à m'en vouloir de le laisser confronter ma famille comme ça, peut être qu'on devrait pas se marier...
À quoi je pensais aussi ? Je me suis trop emballée parce que j'ai cru à un espoir qui n'existe pas.
<< C'est toi que je veux ! >>
C'était la première fois qu'on me disait un truc pareil... Et qu'on faisait le tour du monde pour moi... Mais qu'est-ce que je croyais aussi ? Katsuki a bien plus investi que moi, ça ne peut pas marcher parce que je ne peux pas en faire autant... Je me connais, je n'ai pas les moyens de le rembourser pour tout ce qu'il a fait pour--
<< Parce que c'est là bas que je l'ai vu sourire. >>
<< Hein ? >>
Quoi...?
<< Mais vous devriez plutôt demander à Sada ce qu'elle veut, non ? >>
Tous les regards se tournent vers moi et les mots s'emmêlent dans ma tête. Est-ce que je peux réellement sauté le pas comme ça...?
À suivre...
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