3 - En ville

Point de vue Sada


Je me rince le visage et la gorge à l'abris des regards. Encore une crise d'angoisse soudaine à m'en donner la nausée et l'envie de gerber, alors que j'ai le ventre vide depuis hier... Mes jambes tremblent et ma tension a baissé. Dans ces moments là, je reste quelques minutes isolée le temps de me calmer et sèche les cours de l'aprem.

Est-ce que j'aurais la force de rester jusqu'à la fin de la journée ?

J'ai mal au ventre...

<< Hé ça va ? >>

Je sursaute en entendant une fille entrer dans les toilettes et attrape mes affaires avant de sortir pour lui laisser la place.

- Oui...

<< C'est quoi son problème... murmure-t-elle à elle même, perplexe. >>

Rien qui ne te regarde... Oublie juste ce que tu as vu...

Je pense que c'est plus sage de rentrer chez moi, et en même temps ça me fait chier de sécher une demie journée de cours juste pour ça.


Arrête de fuir putain !!! Tu crois que c'est comme ça que tu vas guérir ?!!! Arrête de te cacher et bouge ton cul, crie devant tout le monde si ça te chante mais arrête TOUT DE SUITE !!!

- Aie !

À force de m'auto sermonner je ne regardais pas où j'allais et comme si ça ne suffisait pas, je percute quelqu'un avec un corps aussi dur qu'un roc ! J'aurais mieux fait de rester sous la couette... Je me tiens le nez en reculant et tourne la tête.

- Désolé je...

<< Toujours dans la lune hein ? peste une voix qui... m'a l'air familière. >>

Ce ton condescendant, je ne connais qu'une seule personne pour parler comme ça. Je lève la tête et me fige en croisant le regard de Bakugou qui me dévisageait de son fameux air colérique et hautain, tenant son sac par dessus son épaule. Il est beaucoup plus grand qu'avant et... plus costaud. Alors j'avais vu juste...

Le problème c'est qu'il m'a reconnu... Et maintenant ? Je doute qu'il veuille taper la discute avec moi, ce n'était pas le cas au lycée. Il ne se contentait que de m'ignorer et me parler comme il le fait aujourd'hui sans aucun tact.

Je vois bien dans ses yeux qu'il n'en a rien à foutre de moi, pas besoin d'avoir 200 de QI pour comprendre. S'il se rend compte de quelque chose, il va penser quoi de moi ? Déjà que je volais pas très haut dans son estime à l'époque, aujourd'hui ce sera pire... Une pauvre fille incapable de se forger un caractère ni de mettre un pied devant l'autre sans tomber.

<< Allo la Terre ! coupe-t-il d'un ton agressif. Tu dors ou quoi ?! >>

Je rentre les épaules en sursautant. Ma crise revient, mon coeur plapite de plus en plus et ma vue se trouble. Je crois que je vais tomber...

<< Les cours vont reprendre alors bouge toi-- Hé ! >>





Sans réfléchir davantage je me suis enfuie...


Je l'ai entendu faire quelques pas pour me rattraper, mais je ne l'ai pas attendu pour demander ce qu'il me voulait et je suis rentrée chez moi. Tant pis pour les cours...

Si je reste une seconde de plus, j'aurais peut être gerbé sur lui. Mais gerber quoi ? De l'eau ? J'ai rien dans l'estomac et malgré les longues heures de jeun, je ne ressens pas la sensation de faim.

Si je reste une seconde de plus devant lui, il m'aurait encore gueulé dessus. De savoir qu'il m'a reconnu m'a fait paniquer, et s'il a gardé contact avec les autres, il va dire à tout le monde qu'il m'a vu... Par pitié je ne veux pas qu'on me pose de questions...

Si je reste une seconde de plus devant lui, ça serait comme l'obliger à regarder cette pauvre fille pitoyable qui ne sait pas s'occuper d'elle même, au point de se bouffer le foie pour rien.






En arrivant chez moi, je me rue sur la porte du frigo et attrape une bouteille d'eau que je bois cul sec pour me calmer, avant d'éclater en larmes dans un coin sans aucune raison.

J'ai honte...

Tellement honte...

Bakugou a toujours su qui il était et sait ce qu'il doit faire... Pas comme moi.

J'attends juste que le vent tourne sans savoir quel chemin prendre, et le brouillard s'épaissit toujours plus au point de devenir aveugle et sourde.

Tout ça, c'est à cause d'une seule action que je n'ai pas su faire il y a 10 ans ! J'ai tout laissé en plan et j'ai attendu année après année que ça guérisse tout seul... Mais que dalle ! Maintenant je ne peux plus me battre, mon corps n'en a plus la force...

Mon esprit est encore actif, mais mon corps ne suit plus...

Je n'ai plus faim, le peu d'action que j'entreprend me demande la totalité de mon énergie, même pour un verre d'eau, je ne connais même plus la définition de "sortir de ma bulle"... J'en suis venue à faire mes courses en ligne et me faire livrer à domicile pour sortir le moins possible.

Avec le temps, j'ai maigri et pâli, je ressemble vraiment à un fantôme ou mieux, un cadavre en décomposition...


Je ne veux plus croiser ce type... Je n'en ai pas la force...












Après cet incident, j'ai continué à éviter Bakugou le reste de la semaine. Il n'a pas non plus insisté et a continué de m'ignorer de son côté. Après tout, on a rien en commun ni rien à se raconter, même si on se connait un peu. Tout ce que je sais de lui, c'est qu'il aime les brochettes épicées, le tabasco, sa date de naissance et l'escalade.

Mais ce n'est plus important... On est plus que des étrangers maintenant.


Bref, au delà de ça je ne peux pas vivre sur les virements de mes parents. Chaque mois depuis que je suis revenue au Japon, ils m'envoie de l'argent pour m'aider à payer le loyer juste le temps que je trouve un travail.

Ce qui implique donc de... sortir...

Alors j'ai pris mon week end pour faire le tour de la ville et chercher du travail. Peut être que ça m'aidera à penser à autre chose...

<< Je suis désolée, je viens d'embaucher quelqu'un... >>

<< Navré, je recherche quelqu'un de qualifié dans ce domaine. >>

<< Désolé, je n'accepte que les hommes, c'est un métier physique et il me faut des gros bras. >>

<< Je regrette, vous n'avez pas l'expérience requise... >>


Dites de suite que vous êtes pas intéressés, ça ira plus vite...

Je soupire et m'installe dans un café plutôt silencieux pour m'abriter de la pluie. Une petite averse avait commencé à tomber, c'est la bonne excuse pour faire une pause devant un chocolat chaud.

On ne peut pas dire que je suis dépensière, mais plutôt économe. La majorité de mon argent sert essentiellement pour les courses et le loyer, le reste je le garde de côté pour les collations. Je ne vais jamais en boîte ni à la fête foraine... Bref je sors pas tout court d'habitude.

Alors j'ai encore de l'argent de côté pour tenir au moins deux mois.

Que ce soit ici ou en France, le problème serait le même de toute façon, donc je préfère ne pas trop comparer.


J'observe les autres clients en essayant de prendre exemple sur eux, et peut être tenter de trouver l'attitude qui me correspond. C'est faux, je me demande surtout comment ils font pour sourire et rire à la vie même quand il pleut dehors. Un groupe de filles à deux tables de la mienne se partageaient des memes et des photos potentiellement drôles sur leurs téléphones et riaient aux éclats.

Elle sont élégantes et féminines...

De l'autre côté, vers le bar, une femme heureuse avec ses deux enfants ou peut être ses neveux. Je crois que je peux faire une croix sur ma maternité, parti comme c'est parti... Qu'on me trouve le père qui me donne ENVIE d'avoir des gosses.

Et enfin un couple près de la terrasse. Le petit ami embrasse la main de sa copine amoureusement et lui dit sûrement des mots tendres, vu comment elle rougit devant lui.

Finalement, de rester entourée de ce monde là me fait plus de mal que m'apprend des choses... On me montre en fin de compte ce que je n'aurai jamais.

Si le monde entendait mes pensées, on me critiquerait de ne jamais être satisfaite. Je suis peut être juste un peu aigrie de tout ce bonheur qui ne m'appartient pas. J'aimerais savoir ce qu'on ressent quand on est "heureux". Être heureux de recevoir un cadeau de la part des personnes qui nous aiment, de recevoir des compliments, de s'amuser...

Je me demande vraiment ce que j'attends pour sauter d'un pont et en finir...












Un peu plus tard je reprends mes recherches d'emploi et comme si j'étais bloquée dans une boucle temporelle, j'entends les mêmes excuses. C'est compréhensible aussi, après le lycée je suis rentrée en France pour revoir ma famille, un an s'est écoulé sans changements, puis je suis revenue au Japon en pensant trouver ma voie ici.

Je devrais être un peu plus optimiste, peut être que si je fais plus d'efforts...

Peut être...

Peut être...

Toujours "peut être", je ne suis jamais sûre de ce qui m'attend à l'avenir.

Les gens trouvent ça cool de découvrir les lendemains et les imprévus sans stress, moi je ne comprends pas comment on peut aimer plonger vers l'inconnu avec autant d'imprudence. C'est comme sauter d'un avion en chute libre sans parachute.

J'aime mieux anticiper mes journées, je ne suis pas aventurière...

<< OYE !!! >>

Mon pied dérape et mon corps se retrouve soudainement tiré vers l'arrière alors qu'une forte pression me tord le poignet. Le feu rouge s'allume et les voitures circulent devant mes yeux. Qu'est-ce qui allait se passer au juste...?

Je me retourne vers la pers--

- Baku--...??

<< Tu cherches à te tuer ou quoi, t'as pas vu le feu ?!! hurle-t-il en lâchant brutalement mon poignet. Regarde un peu où tu vas !! >>

Oh non pas lui... J'allais repartir dans l'autre sens mais il me rattrape par le bras.

<< Tu me feras pas le même coup que la dernière fois ! >>

- Lâche moi tu me fais mal...!

<< Si t'arrêtais de bouger t'aurais pas--! >>

- LÂCHE MOI JE TE DIS !!!

J'ai paniqué... Je me libère d'un coup sec et me masse le poignet. Il ne connait vraiment pas sa force cet abruti ! Je l'entends pester et fusiller les gens du regard autour de nous.

<< Vous attendez une invitation ?! Circulez y'a rien à voir !! >>

Alors que je m'apprêtais à partir...

<< Sauf toi, grogne-t-il. >>

Je veux rentrer chez moi... entière si possible.






Bakugou m'a trainé jusqu'à un snack et le cuistot a accepté de lui donner une poche de glace qu'il applique sans douceur sur mon poignet, que je tente de récupérer.

<< Arrête de bouger, peste-t-il en tirant mon bras. >>

Je tourne la tête.

- ... Mesure un peu ta force aussi...

<< Articule j'comprends rien du tout. >>

Je soupire.

- ... Rien...

<< Tch... T'es vraiment une fille à problèmes, grogne-t-il en me jetant la poche sur les genoux, avant de se lever. >>

- Pourquoi tu m'as sauvé alors...

<< T'es conne ou quoi ? Comme si j'allais te laisser te faire percuter. >>

- Mais tu pouvais...

Je l'entends souffler du nez pour contrôler une colère montante.

<< C'est pas dans mes principes alors ferme la. >>

- Arrête...

<< Hein ? >>

- Arrête de faire semblant...

<< Tu me soules ok ?! Parle clairement avant que je t'en colle une ! >>

Je me lève en laissant la glace tomber par terre et reprends ma route. Il m'énerve... Il m'énerve et me fait peur... C'est typiquement le genre de mec avec qui on a toujours du mal à communiquer, alors je préfère rentrer à la maison et tenter de l'oublier. Il devrait en faire autant...

Mais il me rattrape à nouveau et me rassoit sur le banc, avant de plaquer son pied juste à côté de mon genou comme pour me faire comprendre qu'il ne me laissera pas partir. Je m'attendais à me faire engueuler, mais il me tend à la place une bouteille d'eau devant les yeux.

<< T'es blanche comme un cadavre... peste-t-il. Bois, on dirait que tu vas caner sur le trottoir. >>

. . .

Après hésitation je l'accepte et commence à boire avant de sursauter en le sentant retirer ma capuche et exposer mes cheveux au soleil.

<< C'est bien toi j'ai donc pas rêvé...Tu vis sous les ponts ou quoi ? Regarde toi, tu fais pitié. >>

- Alors va t'en si je te dégoute...

Il fait semblant de réfléchir.

<< Hmm... Nan. >>

- Qu'est-ce que tu veux ?

<< Je veux savoir ce qui t'arrive. Je croyais que t'étais rentrée en France, qu'est-ce que tu fous ici hein ? >>

- Ne me pose pas de questions...

<< Les autres sont au courant que t'es là ? >>

Ma voix augmente légèrement.

- Ne me pose PAS de questions... Je veux juste rentrer chez moi.

<< Moi je te conseille d'aller à l'hosto. C'était quand la dernière fois que t'as mangé ? >>

- Je n'ai pas besoin de ta pitié...

<< Tu crois que j'ai que ça à foutre ? Reste ici merde ! >>

Il me barre encore la route. Jusqu'à quand il compte me retenir comme ça ?! Je croyais qu'il pouvait pas me saquer ! Pourquoi il tient à me parler maintenant ?! L'angoisse, la fatigue et les nerfs se mélangent et ma patience est en train de se briser...

- Tu vas me dire ce que tu veux à la fin ?!!

<< Tu baisses le volume ou j'te cabosse !! Vu ta tronche je me demande si c'est pas une mauvaise idée de te laisser partir seule ! >>

- En quoi mon sort te regarde ?! Tu te prends pour un héros ?!!

<< TA GUEULE ! T'as manqué de te tuer sur la route et tu voudrais que je laisse une abrutie dans ton genre repartir mémère ?! C'est quoi ton crack en fait ?!! >>

- LAISSE MOI TRANQUILLE !!!!

Il sursaute en me voyant perdre les pédales. J'ai déjà fais des crises de ce genre, mais jamais une aussi violente au point de ne plus arriver à respirer correctement, entendre mon coeur s'emballer et ne plus contrôler mes émotions... En plus tout le monde nous regarde...

J'ai honte...!

<< Oye Shiro ! entendai-je Bakugou en me secouant. Tu m'fais quoi là ?? >>

Je me tiens la tête en essayant de me calmer, sans retenir mes larmes que je n'arrive plus à stopper. Bakugou m'immobilise pour m'empêcher de me griffer alors que j'essayais de m'en éloigner, mais niveau force physique je suis loin de le dépasser.

<< Appelez une ambulance au lieu de filmer putain !! s'énerve-t-il en me tenant très fort. >>

En me voyant griffer et frapper mon crâne, il a aussitôt réagi mais... Ce n'est pas pour autant que ma crise se calme. Ca fait plutôt l'effet inverse...

S'il te plait, laisse moi rentrer... C'est de ta faute !

Pourquoi tu me retiens comme ça ?!!

Il me relève ma tête fermement vers le ciel pour me faire respirer et m'empêcher de me mordre la langue, le temps qu'un Samu se dépêche d'intervenir.

Même un asile psychiatrique ne pourra pas m'aider... Je ne voulais pas qu'on découvre ça chez moi...

Au fil des années, mon self control s'est fissuré de parts et d'autres jusqu'à complètement se briser en ce jour qui n'aurait dû finir sur cette note pitoyable... Maintenant tout le monde sait que j'ai des problèmes mentaux...


Merci Bakugou...

À cause de toi, ma vie est détruite pour de bon...



À suivre...

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Certains vont croire que ces crises sont surjouées ou exagérées, mais elles existent vraiment chez les personnes émotionnellement fragiles.

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