Partie II.


2.


– Harry a demandé après toi hier.

Louis hausse les épaules, range la caisse dans l'inventaire sans répondre. La soirée a eu lieu il y a deux jours, le lendemain il est resté chez lui et a fumé et lu sur son balcon. Hier, il n'a pas pu venir au travail. Il s'est senti faible, épuisé par la chaleur et avait eu des frissons ainsi que la nausée toute la journée. Agathe avait exigé qu'il reste au lit, qu'il boive beaucoup et qu'il se soigne. Aujourd'hui, il se sent mieux. Assez pour venir travailler. Il note le numéro de la caisse dans le registre et revient au comptoir.

– Tu vas aller le voir quand il vient ?

– J'ai du travail.

– Tu travaillais aussi quand tu passais ton temps à le bouffer des yeux.

Après avoir levé les yeux au ciel, Louis secoue la tête lentement et soupire. Il lui dit que de toutes façons, il viendra sûrement le voir de lui-même. Agathe ne préfère rien ajouter et s'occupe de sa partie du travail. Elle sait que Louis est assez grognon quand il sort d'une journée éprouvante comme celle d'hier, elle en a l'habitude maintenant. Ils vivent en colocation ici depuis deux ans et ne se séparent que durant leur travail respectif le reste de l'année et parfois des vacances qu'ils s'accordent. La vie à deux n'est pas toujours facile, surtout qu'ils ont tous les deux leur caractère bien trempé. Mais ils sont amis depuis un moment et savent faire la part des choses, même si Louis est devenu terne et a perdu son étincelle de vie il y a presque un an déjà. Et en le regardant aujourd'hui, s'éprendre d'un jeune homme rencontré à la plage, elle a envie de le pousser en avant dans ses bras et de lui dire joyeusement : fonce. Mais elle sait aussi que Louis ne se comporte pas ainsi et qu'il préférera souffrir en silence le reste de sa vie que chercher à souffrir un peu de bonheur.

Parce que c'est évident. Elle l'a vu. Elle l'a vu cette étincelle de vie briller dans ses yeux quand il passe son temps à regarder Harry, quand il est venu leur parler pour la première fois. Elle a vu ses joues rosirent et l'étincelle flamber légèrement lorsque le garçon se mettait à rire ou courir, encore mouillé, et en short de bain après un ballon durant une partie de beach volley. Elle n'est pas dupe. Elle sait voir les signes. Louis aussi les a devant les yeux, juste sous le nez, mais il les balaye du revers de la main pour ne plus y penser.

Puis Louis n'a pas envie. Il n'a pas envie de risquer, de s'engager, de tomber, s'écrouler et ne plus savoir se relever et souffrir indéfiniment. Parce que c'est comme ça, il souffrira. C'est obligé. Il n'y a pas d'autre alternative. Inévitablement ils souffriront tous les deux. Alors, il préfère l'éloigner, se faire du mal à lui-même et l'épargner. Son sourire ne doit surtout pas être remplacé par une expression de douleur et de tristesse. Il doit continuer d'être lumineux et de rendre le monde plus beau. A ce moment là, Louis aura l'impression d'enfin avoir peut-être fait quelque chose de bien dans sa vie.

– Louis ?

Son coeur manquant un battement, Louis relève la tête et voit Harry à l'entrée du magasin. Il porte ses lunettes de soleil, une chemise à motif ouverte sur le haut de son torse et un jean noir. Il retire ses lunettes pour les poser sur sa tête, passant d'abord une main dans ses boucles pour les remettre en place. Elles laissent place à ses yeux vert émeraude et Louis se force à ne pas trop y plonger son regard, même si c'est affreusement tentant d'y succomber.

– On peut se parler cinq minutes ?

– Euh, je...

– Je vous laisse je vais chercher des bouteilles d'eau au supermarché Lou.

Agathe interrompt son ami et disparaît déjà du magasin avec son porte monnaie dans sa main. Louis grogne car il sait que la jeune femme a dû préparer son coup en avance et ainsi elle ne lui laisse aucun choix de reporter sa conversation avec Harry. Celui-ci s'approche timidement du comptoir, un petit sourire toujours accroché sur son visage.

– Tu n'étais pas là hier.

– Non.

– C'était ton jour de repos ?

Il hoche la tête, à peu près ça disons. C'est vrai, il s'est reposé techniquement. Il ne veut pas aborder le sujet devant Harry, il le connaît depuis avant hier. Ce n'est qu'un inconnu, après tout. Et d'ailleurs, il ne compte jamais l'aborder avec qui que ce soit d'autre parce que ça ne regarde que lui. Seuls Agathe et sa famille sont au courant, Louis n'est pas du genre à étaler sa vie et ses problèmes sous le nez des autres. Mais Harry n'a pas l'air de s'en soucier ou d'y prêter attention, car il ajoute :

– Tu finis à quelle heure ce soir ?

– Dix huit heures.

– Ça te dirait un tour sur la plage ?

– Faut que je demande à Agathe avant, je ne sais pas si on...

– Non, juste toi. Toi et moi.

Louis le regarde et retient vainement ses joues de virer au cramoisi, le regard intense que Harry porte sur son visage lui donne atrocement chaud et il se maudit de ne pas savoir y résister. De toutes manières, il sait que le boucle ne lâchera pas l'affaire tant qu'il n'aura pas un minimum de réactivité de sa part. Alors, le jeune vendeur hoche la tête en soufflant doucement.

– Oui. D'accord. Tous les deux, rejoins moi ici.

– Super merci ! Je te laisse travailler. A tout à l'heure.

En guise de réponse, Louis se contente d'un hochement de tête et regarde Harry quitter le magasin avec un sourire lumineux de victoire sur les lèvres. Peu de temps après, la porte de la réserve s'ouvre et Agathe apparaît, elle ne laisse pas le temps à son ami de se défiler qu'elle lui pose déjà des tas de questions. Ça non plus, Louis ne peut pas y échapper. Et Agathe semble bien plus impatiente et heureuse que lui à la perspective de cette fin de journée que les deux garçons vont passer ensemble.

– C'est totalement un rendez-vous ça Tomlinson.

– N'importe quoi, on va simplement faire un tour sur la plage. C'est ce qu'il m'a dit.

– Ouais un tour et vous allez finir par vous embrasser et tu vas revenir en me disant que tu es fou amoureux de lui.

– Pourquoi pas le mariage aussi ?

Un soupire s'échappe des lèvres de Louis qui essaie depuis dix minutes déjà de remplir le cahier de l'inventaire mais son amie ne cesse de l'interrompre. Agathe a tendance a toujours exagèré un peu trop. Louis sait qu'il ne se passera rien parce qu'il fera en sorte que ce soit ainsi, qu'il n'y ait pas de lignes dépassées. Il ne l'écoute plus parler et va passer un coup de balais devant la porte pour enlever le sable. Ce n'est que lorsqu'ils ont des clients qu'elle marque une pause dans leur discussion, mais elle ne le lâche pas de la journée. Elle lui répète que c'est une grande opportunité et que Harry est quelqu'un de vraiment bien, poli et adorable. Ça, Louis ne peut pas s'y opposer, il sait que le bouclé semble avoir toutes ces qualités et c'est justement pour cette raison qu'il doit l'éloigner de lui.


🌠


A dix huit heures, alors que Louis sort les clefs pour fermer la porte, il voit Harry qui l'attend déjà appuyé contre le mur du magasin, un sac sur ses épaules. Il lui offre un sourire et Louis se perd quelques secondes dans celui-ci, un temps qui lui suffit pour se faire voler les clefs par Agathe qui le pousse par l'épaule et lui dit de filer. Louis sent le rouge lui monter aux joues lorsque Harry se met à rire doucement et la soirée vient à peine de commencer...

Ils commencent à marcher ensemble le long de la plage. Louis suit le bouclé, il ne sait pas du tout ce qu'il a prévu alors il se contente de se laisser emmener. Au départ, tout se fait dans le silence. Un silence agréable, bercé par le bruit des vagues, de quelques conversations de personnes sur la plage, et le bruit des oiseaux. Louis pourrait presque s'endormir en marchant. L'odeur du sel de la mer lui chatouille les narines, le léger vent tiède de la fin de journée caresse son visage et ses cheveux. Il adore la mer. Vivre à quelques minutes seulement de celle-ci et travailler tout l'été en face de ce magnifique spectacle. Observer, assit le soir dans le sable, le soleil se coucher et le ciel se colorer d'un époustouflant dégradé de orange, rose, violet, bleu et s'endormir pour laisser place aux étoiles. Une fois, il se souvient s'être endormi sur un transat, en admirant le ciel parsemé de ces astres brillants et ce n'est qu'au petit matin que Agathe est venu le chercher, paniquée et amusée à la fois.

Harry le conduit à l'autre bout de la plage, remonte par le dernier escalier qui mène au quai et pose son sac sur un banc qui se trouve juste là. Ils y prennent place tous les deux et Harry sourit timidement.

– J'aimerais tant habiter tous les jours face à la mer, ça doit être magnifique.

– Oui, surtout quand il ne fait pas beau.

Après avoir remit ses boucles en place, Harry lève les yeux vers Louis et lui lance un regard interrogateur, le jeune vendeur soupire légèrement et approfondit son explication :

– Tu vois, c'est super beau quand il y a le coucher de soleil en été mais la vue est encore plus magnifique lors du mauvais temps. Par exemple, un jour de tempête, de vent fort, de pluie lorsque tous les éléments se déchaînent et que tu as l'impression que tout peut s'effondrer en quelques secondes. Au fond, ça montre que la vie est aussi friable et inconstante, tout ce qui nous entoure est éphémère et peut être détruit en un battement de paupières. La beauté c'est ça, l'incertitude de la mer, son côté destructeur et monstrueux qui peut tout engloutir sous ses vagues impitoyables, redoutables.

Louis termine son discours et baisse les yeux, se demandant bien pourquoi il se met à raconter autant de choses à un inconnu. Mais il ne peut pas s'en empêcher, dès qu'il se lance sur le sujet de la mer c'est comme ça. Il se voit un peu comme elle. Inconstante, fragile, ténébreuse, intrépide, effrayante, imprévisible, destructrice, dangereuse... C'est loin d'être flatteur, il doit l'avouer, mais il ne peut pas se retenir de trouver cette étendue d'eau totalement fascinante. Elle est si proche et en même temps hors de portée, insaisissable.

Harry l'écoute attentivement, il regarde son visage éclairé par le ciel encore bleu au dessus de la mer et les rayons du soleil qui caressent sa peau délicatement bronzée. Elle a la couleur de l'or, du sable du désert et le bleu de ses yeux semble refléter celui du ciel et vouloir se noyer dans la nuance marine de la mer en face d'eux. Mais la couleur qui habite ses pupilles c'est encore autre chose, c'est inexplicable, c'est le bleu de la nuit qui fait peur et qui fascine et en même temps l'azur, l'infini océan de secret, l'indomptable lueur cosmique.

– C'est fascinant. Ce que tu viens de dire... C'est, oui, fascinant.

Du rouge pigmente les joues de Louis qui baisse ses yeux vers ses chaussures, il joue avec le tissu de son pantacourt et se racle lentement la gorge. Le regard pesant et de braise que Harry pose sur lui a le dont de l'intimidé et Louis n'est pas souvent intimidé par qui que ce soit. Il sent quelque chose de différent, de nouveau naître en lui. Au fond, il sait ce que c'est, mais il ne veut pas mettre de mots concrets dessus ni rendre ça réel. Vivre dans l'illusion lui semble plus convenable. Ne pas admettre la vérité des choses car elles lui font bien trop peur. Louis trouve ça drôlement effrayant d'être un adulte.

– Moi j'habite en ville, je ne vois quasiment jamais la mer à part quand on s'en va en vacances. Chez moi, c'est les bruits de la ville, la pollution, le klaxon des voitures, la foule, les gens pressés. Ici, c'est tellement calmes et... J'ai l'impression d'être dans un autre monde.

– Je comprends, je n'ai pas toujours vécu ici. Avant, j'habitais dans le sud avec mes parents. J'ai tout quitté à dix huit ans pour venir m'installer là. Je suis... Tombé amoureux de cet endroit quand on est venu en vacances deux semaines. Je ne voulais pas repartir.

– Et du coup, tu vis ici toute l'année avec Agathe ?

– Oui, on partage un appartement un peu plus haut.

– Tu travailles où le reste de l'année ?

– Je suis serveur dans un restaurant. Et je donne des cours de piscine à des petits de temps en temps.

Harry hoche la tête, Louis fouille dans la poche de son pantacourt et sors un paquet de cigarette et un briquet. Il en propose à son voisin qui refuse poliment d'un signe de tête. Tout en fumant sa cigarette, Louis se demande s'il n'est pas en train de faire une erreur, d'accorder trop d'importance à Harry alors qu'il ne sera que de passage, éphémère. Quand il sera parti, tout redeviendra comme avant. Morne, livide, ennuyeux. Harry est une petite étincelle qui se balade sous les yeux de Louis, une lueur qui ne demande qu'à exploser au grand jour, mais lui ne veut pas franchir cette ligne.

Il tire une bouffée de sa cigarette et il se dit que, de toutes manières, le bonheur ce n'est pas pour lui. Qu'il ne mérite pas d'être heureux. Qu'à ce stade, ça ne sert plus à rien d'espérer attraper un rayon de lumière pour essayer d'en faire quelque chose d'éclatant. Louis ne cherche plus. Il ne veut pas trouver non plus. Il souhaite simplement que cela s'arrête et prenne fin, vite. Qu'il n'ait plus à souffrir.

– Je préfère largement quand tu parles comme ça, sans chercher à mettre un mur entre nous.

Louis joue avec sa cigarette entre ses lèvres, ferme ses paupières quelques secondes et essaie de calmer les battements de son coeur. Pourquoi faut-il toujours qu'il s'emballe dans les mauvais moments ? Il recrache la fumée devant lui, allume la flamme de son briquet pour jouer avec, se distraire, ne pas penser à ce qui fait mal.

– Pourquoi tu voulais me voir ?

– Il me faut une raison ?

Son regard azur se tourne vers Harry, celui-ci a ses yeux bienveillants posés sur son visage accompagné un sourire affectueux qui ne semble jamais quitté ses lèvres rosées. Louis se demande comment il fait pour aborder continuellement cet air jovial et chaleureux.

– Je t'ai regardé aussi, quand tu m'observais ces derniers jours, tu ne l'as juste pas remarqué parce que je suis un peu plus discret que toi, rit gentiment le bouclé, mais tu es sembles toujours triste et seul... Je veux dire, tu as Agathe, mais à part elle je ne t'ai jamais vu avec personne ? Ni à la fête, alors qu'elle est allée parler à quasiment tout le monde.

– Elle est comme ça.

– Oui mais toi, tu es comme ça aussi ou tu t'imposes de l'être ?

– Je ne te demande pas d'avoir pitié de moi...

– Ce n'est pas ça du tout, le coupe Harry d'une voix certaine et douce en même temps. Je n'ai pas pitié de toi, si tu penses ça, tu te trompes totalement. Je trouve simplement que... Je ne sais pas, tu m'intrigues Louis.

– Tu vas être déçu.

Louis lâche un rire ironique, presque mauvais, et Harry fronce les sourcils. Parfois, il ne comprend pas ses réactions. Et pourtant, il sait que Louis est capable de laisser tomber ses barrières, même si cela doit prendre du temps. Parce qu'il se souvient du moment où ils ont dansé ensemble, à la fête, et qu'il est presque parvenu à lui décrocher un sourire. Un vrai sourire. Pas une grimace tordue qui n'atteint pas ses yeux. Et il a envie de le secouer dans tous les sens et de lui dire que la vie ce n'est pas mourir à petit feu dans un coin.

– C'est à moi d'en juger.

– Tu perds ton temps.

– C'est mon temps, je le gère comme je veux. Et là, j'ai envie de le passer avec toi.

Après avoir secoué sa tête, Louis contre la semelle de sa chaussure et la jette dans la poubelle à quelques pas d'eux. Finalement, il a peut-être trouvé quelqu'un d'au moins aussi têtu que lui. Il a compris depuis un moment que Harry ne lâcherait pas l'affaire mais là, il semble encore plus déterminé à sauver Louis de sa solitude. Sauf que Louis a toujours vécu indépendamment des autres, plus encore ces derniers mois, il n'a jamais eu besoin qu'on le chaperonne. A treize ans déjà, il savait s'occuper de ses sœurs, faire à manger, suivre ses études et gérer ses problèmes. Du moins, il essayait. A dix ans, il est venu vivre ici. D'abord seul, puis il a rencontré Agathe. Mais il a toujours su suivre son indépendance. Et ce n'est pas parce qu'un garçon commence à lui plaire qu'il va tout reposer sur lui.

– Qu'est-ce que tu as prévu qu'on fasse alors ?

– C'est une surprise. Tu es d'accord pour me suivre ?

Même s'il hésite un peu, le jeune vendeur finit par hocher la tête. Le visage de Harry s'illumine d'un sourire et il se lève, il se dirige vers un arbre et détache ensuite un vélo qui est resté accroché là. Il fait signe à Louis de le rejoindre et de s'asseoir derrière lui, sur le rebord. Un nouveau sentiment d'hésitation fait irruption en lui, mais il prend finalement place et pose timidement ses mains sur sa taille, au dessus de son fin tee-shirt.

– Je ne suis pas en sucre, tu peux t'accrocher tu sais, je préfère ça que tu nous fasses tomber.

Harry lui envoie un sourire, se met correctement sur sa selle et le vélo se lance dans sa course. Sentir le vent adoucir la chaleur de leur peau leur fait du bien, l'air marin empli leur narine, la ville semble marcher au ralenti autour d'eux. Louis regarde la mer défiler, s'éloigner, au rythme des coups de pédales de Harry. Puis, poussé par une émotion qui lui est encore inconnue, il dépose délicatement et presque timidement sa tête au creux de son dos. A travers le tissu de son tee-shirt, sa peau a l'odeur du sel marin, du sable et de la crème solaire. Un parfum enivrant qui lui donne envie d'y passer sa langue et... Louis soupire puis secoue doucement la tête, énervé contre lui-même de penser à ce genre de chose. Cette proximité ne semble pas déranger Harry, son voisin ne peut pas le voir, mais un sourire victorieux et fier colore son visage caressé par le léger vent. Le corps de Louis est chaud contre le sien, mais ce n'est pas une chaleur dérangeante. C'est plutôt comme une moiteur effervescente dans laquelle il aimerait rester enfermé, pour lui rappeler cet été si particulier, dans un monde particulier avec un garçon particulier.

Sans résistance, Louis se laisse conduire, ce qui en surprendrait plus d'un à commencer par lui-même. Parfois, il se dit qu'il est bon de lâcher les freins. Harry n'a pas l'air d'être une personne de mauvaise influence ou fréquentation, et bien qu'il compte garder ses distances, il lui laisse prendre le contrôle de cette fin d'après-midi qu'ils vont passer ensemble. Ses paupières sont closes durant tout le trajet, sa tête toujours lovée contre ses omoplates.

Du bruit se transporte jusqu'aux oreilles du jeune vendeur qui relève la tête et ouvre les yeux. Il voit des étales un peu partout, des lumières, des enfants, des adultes, des personnes âgées, quelques attractions, une scène avec un micro et des tables et chaises disposés autour. Il reconnaît alors le marché-foire annuel du village voisin. Ils ont mis à peu près vingt minutes pour y arriver. Harry laisse Louis descendre du vélo en premier, il fait de même, reprend son sac sur son dos et attache son vélo à un poteau. Le bouclé tourne le regard vers lui et se mord la lèvre rapidement.

– Je me suis dit que ce serait sympathique de venir ici, que ça changerait de la plage. On pourra boire un verre aussi en mangeant une pizza si tu veux ?

Louis tourne son regard vers Harry et hoche lentement la tête. Depuis des années qu'il habite ici, il n'est venu qu'une ou deux fois à ce marché, trop occupé l'été pour venir y faire un tour et il s'est habitué pendant son temps libre à se promener le long de la mer. Puis les évènements des derniers mois ne lui ont plus donné l'occasion de s'y rendre. Il a perdu goût aux choses, petit à petit. Presque plus rien ne lui donne envie de se lever chaque matin, d'aller voir le monde et aborder un sourire. Rien si ce n'est la mer en face de lui et aussi la présence de Agathe et sa famille. Même si sa famille se trouve à une heure trente de route d'ici, il ne passe jamais une semaine sans aller les voir ou inversement. Simplement sentir les bras de sa mère et ses sœurs autour de lui le rassure, bien qu'il ne puisse empêcher les larmes de couler à chaque fois. Comme si ce serait la dernière... Alors, forcément, une boule lui monte en travers de la gorge lorsqu'il assiste à tout ce bonheur, ces enfants qui sourient, courent, demandent à faire un tour de manège, et ces parents ou grands-parents qui semblent tout aussi heureux.

Tout en contractant sa mâchoire, Louis serre les poings et essaie de ne pas y penser. Pas maintenant, pas ici, pas alors que Harry est avec lui. Harry, justement, tourne le regard vers lui. Ses sourcils se froncent, mais avant qu'il ne puisse dire quoi que ce soit, Louis avance et l'emmène entre les étales. Il y a des produits régionaux, de la nourriture fruits légumes sucreries en tout genres, des boissons, des gadgets pour les enfants, des jouets pour la plage. En passant, un vieil homme avec un chapeau sur la tête et une salopette terreuse leur propose de goûter une bonne fraise de sa propre récolte. Louis hésite, Harry en prend deux avec un sourire et le remercie poliment. Ils goûtent finalement à deux, elle est fraîche, sucrée et même un peu acidulée sur le bout de la langue. Harry demande à prendre une barquette que l'homme lui met précautionneusement dans un sachet en papier carton, le bouclé lui donne deux pièces en échange et le remercie encore d'un grand sourire. Poli et charismatique. En quittant le stand, Harry lui souffle qu'ils pourront se les partager en guise de dessert.

Ils voguent entre les étales pendant une bonne demi-heure, Harry a acheté une sucette à la violette pour Raphaël et Gemma et une au kiwi pour lui, Louis a refusé qu'il lui achète quoi que ce soit. Étrangement, il n'a pas eu une seule fois l'envie de s'enfuir en courant ou de rentrer pour se reposer ou être seul. Harry est assez compréhensif, quand il sent qu'il n'a pas envie de parler, il n'insiste pas et lui adresse simplement quelques regards et de petits sourires discrets. Enfin, Louis parvient tout de même à les remarquer. Alors qu'ils avancent au bout de la dernière allée, le bouclé lui propose ensuite qu'ils fassent un tour de chaises volantes.

– Euh... C'est pour les enfants.

– Quoi, tu as peur de ne pas être à la bonne taille ?

Après un rapide sourire amusé, Harry se dirige vers l'entrée pour faire la queue. Louis lève les yeux au ciel et réprime un sourire, avant de le suivre. Mais cette esquisse de changement d'expression n'échappe pas à l'attention de Harry qui se sent fier d'être parvenu à lui décrocher une autre réaction qu'un froncement de sourcil ou un marmonnement dans sa barbe. En regardant autour de lui, Louis se rend compte qu'ils ne sont pas les seuls personnes au dessus de quinze ans à attendre pour cette attraction, il se détend et soupire doucement.

Harry l'entraîne vers des chaises libres, même si un large choix s'offre à eux. Ils y prennent place, mettent la barrière de sécurité devant eux qui protège leur jambes et le bas de leur corps. Louis saisit instinctivement les chaînes en métal entre ses doigts tandis que les dernières chaises trouvent propriétaires. Il regarde ensuite le manège monter et ses pieds s'éloigner petit à petit du sol. Puis ils tournent, doucement. Lorsqu'il relève les yeux, la première chose qu'il voit sont les yeux de Harry autour de lui, puis sur lui et son sourire. Il ne sourit pas seulement avec ses lèvres, c'est son être entier qui s'illumine, ses fossettes se creusent et Louis se demande si elles ne sont pas infinies tellement son sourire est immense. C'est presque inhumain de sourire autant. Tout comme ça l'est d'être aussi beau et de ne pas pouvoir lui avouer.

Louis est tiré de ses pensées par la voix de Harry au dessus de la musique de l'attraction qui l'invite à regarder devant lui, il tend son grand bras tatoué et montre la mer qui s'étend un peu plus loin. Infinité de bleu. Louis admire ce paysage qui s'offre à son regard, les pieds dans le vide et la relative rapidité de l'attraction causant un vent léger dans ses cheveux et contre son visage.

Quand le manège prend fin, il est déçu parce qu'il aurait aimé rester là-haut toute sa vie. Il a l'impression de voler au dessus de la mer et c'est sincèrement la meilleure sensation au monde. Harry l'emmène ensuite s'installer à une terrasse d'une petite pizzeria, ils commandent une bière chacun et Louis s'allume une cigarette.

– Alors, ça va tu n'as pas eu trop peur ?

– Idiot.

– Tu as souris quand même.

Louis soupire et recrache sa fumée de nicotine en même temps, Harry remet ses lunettes de soleil sur son nez et un sourire narquois habille maintenant le coin de sa bouche. Après avoir levé les yeux au ciel, le jeune vendeur joue avec sa cigarette allumée et regarde le serveur arriver avec un plateau où sont posés leurs bières et pizzas. Toujours accompagné de sa grande politesse, Harry le remercie et Louis lui accorde un bref hochement de tête suivi d'un sourire qui ressemble plus à une grimace qu'autre chose.

Ils mangent d'abord en silence, Harry pose parfois quelques questions mais ne cherche pas à creuser plus les sujets. Et Louis se sentirait presque bien en cet instant, le soleil tiède du soir caressant son dos à travers le tissu de son tee-shirt, sa nuque, les bruits autour de lui qui l'empêche de penser à un silence pesant et permanent, la pizza hawaïenne, la bière fraîche, sa cigarette, bientôt le coucher de soleil dont les rayons rosés et orangés se reflètent contre le visage bronzé et souriant de Harry. Ce serait presque magique, en effet. Mais Louis est parfaitement conscient que ce ne sont que quelques précieuses minutes de bonheur volés qui lui reviendront au visage dans une tornade de souffrances. Parce que ce n'est pas comme ça que fonctionne la vie, il l'a appris à son dépend, elle ne donne pas gratuitement des cadeaux sans rien n'attendre en retour. Elle n'a pas l'âme charitable et elle n'est jamais réellement allée de mains morte sur lui, au contraire elle semble s'acharner sur son sort. Mais il se dit aussi que ce soit être un peu le cas de chaque être humain sur cette planète et qu'au fond il n'a rien de si spécial pour qu'elle veuille le garder en vie. Alors il ne se bat plus, les armes il s'est résigné à les rendre depuis un long moment déjà.

Quelques mois auparavant, il se serait battu, sans relâche jusqu'à s'épuiser, jusqu'à en avoir mal aux os. Mais justement, aujourd'hui, il est bien trop fatigué et réduit à néant pour avoir le courage de se tenir droit face aux coups que lui assène la vie. C'est fini. Il la laisse gagner, avoir le dessus. Ce n'est, de toutes façons, pas le genre de combat où il pourrait avoir le dessus.

– Louis, tu m'écoutes... ?

Emmené hors de ses pensées, Louis cligne plusieurs fois des paupières et lève son regard de sa cigarette quasiment consumée entre ses doigts. Son assiette n'est pas aussi vide que celle de Harry, par contre son verre est presque terminé. Il relève ses yeux confus vers son voisin d'en face, dont les sourcils sont froncés, et se racle la gorge.

– Tu as l'air ailleurs, ça va ?

– Oui.

– Tu veux une autre bière ?

– Non, merci. On ne saura plus rentrer droit à vélo après, sinon.

Harry laisse échapper un léger rire en penchant légèrement sa tête sur le côté et finit par acquiescer. Ils finissent de manger leur pizza même si Louis les ingurgite plus pour faire plaisir au bouclé et ne pas attirer ses questions ou remarque, il laisse cependant deux ou trois parts car son ventre ne peut accueillir plus de nourriture. Sinon, il risque de tout faire sortir de son estomac ce soir.

Ils se lèvent, Louis cherche dans sa poche après un billet mais Harry est plus rapide et en dépose un sur la table, lui faisant signe de laisser l'addition pour lui. Et en voyant ce bout de papier, le jeune vendeur réalise que Agathe a eu raison dès le début, Harry voit cette sortie comme un rendez-vous. Ce geste fait monter une sensation de colère dans son ventre, son regard a revêtu une couleur bleu glacial. Il sent mal à l'aise d'un coup, utilisé, trahi et une boule lui étrangle presque la gorge quand il se met à parler :

– J'aimerais payer aussi Harry.

– Laisse, je t'invite c...

– Non, je veux payer ma part, interrompt Louis d'une voix ferme.

– Louis...

– Je ne veux pas que tu m'invites, ce n'était pas ça le but de notre balade, je croyais qu'on devait faire un tour sur la plage et tu m...

– Louis, tu me payeras quelque chose la prochaine fois !

A son tour, et sans hausser le ton pour autant, Harry s'impose et interrompt Louis dans sa phrase. L'air paniqué et blessé sur son visage s'adoucit et il passe une main dans ses cheveux avant de baisser la tête, maintenant honteux de s'être emporté ainsi.

– Désolé, je ne voulais pas...

Louis ne termine pas sa phrase, incapable de prononcer et continuer sa phrase. Mais Harry sait, il croit savoir, alors il hoche la tête lentement, prend son sac et affiche un léger sourire. Un peu plus crispé que les autres fois, mais il ne perd pas sa contenance.

– Allons-y. J'aimerais voir le coucher de soleil sur la plage.

En levant les yeux au ciel, il voit qu'effectivement le ciel s'assombrit doucement. Dans moins d'une heure, il aura laissé place à la nuit. Pourtant pas plus fraîche que le jour. Elle est plus supportable qu'une journée sous la chaleur croulante du soleil. Ils remontent à vélo, Louis repose ses mains délicates sur les hanches de Harry mais laisse sa tête et le haut de son corps droit. Ce n'est pas pour autant qu'il ne s'enivre pas de son odeur encore une fois, peut-être la dernière. Peut-être, oui, que Harry ne désirera plus le voir après cette soirée passée avec lui, qu'il l'a jugé trop étrange, trop changeant d'humeur, trop réservé. Louis ne peut pas le blâmer et il ne va pas non plus tenter de le retenir ou de le forcer à rester, lui donner des bonnes raisons. Parce que, tout simplement, il n'en a pas. Ce n'est pas l'envie qui lui manque, de lui dire de ne pas fuir, de rester, de s'excuser d'être aussi impoli et énervant, mais il ne peut pas laisser entendre que quelque chose soit possible entre eux.

Alors, Louis fait comme si cette soirée est la dernière qu'ils vont passer ensemble. Car ils ne savent pas ce qui peut advenir demain. Le monde pourrait être différent, leur routine pourrait changer. Rien n'est certain, c'est la seule chose dont Louis est sûr. Et avant, c'était précisément cela qui lui donnait envie de vivre intensément chaque seconde, l'adrénaline, le fait de ne pas savoir de quoi demain sera fait. Mais aujourd'hui, il redoute le tic tac ce l'horloge, le temps qui passe et ce que demain pourrait bien lui offrir comme nouvelle mauvaise surprise.

Ils reviennent à la plage. Harry attache son vélo à un poteau, ils sont plus près du magasin de Louis que tout à l'heure. Autour d'eux, il y a encore quelques personnes sur la plage. Après avoir cherché un coin tranquille, ils s'installent directement sur le sable, à quelques mètres de l'eau calme. Elle se laisse couler contre le sol, lascive et presque endormie. Harry s'amuse à tracer des formes inconnues dans le sable, Louis fixe la mer qui paraît d'un bleu nuit ou d'un noir clair sous la lumière couchante du jour. Il a envie de sortir une nouvelle cigarette, mais il a déjà assez fumé pour aujourd'hui, il essaie de se limiter à un certain nombre. Même si, honnêtement, cela ne sert plus à rien maintenant.

– Mon intention n'était pas de te blesser en t'emmenant là-bas, tu sais... Ce n'était pas un rendez-vous ou quoi que ce soit d'officiel. Je voulais simplement que tu t'amuses un peu, que tu te détendes et que je puisse te voir sourire. Et même si ce n'était pas le meilleur sourire que tu as pu m'offrir, parce que je suis certain que tu en as de plus beaux, je suis content d'avoir pu en voir un.

– Ce n'est pas contre toi, je ne souris pas souvent c'est tout.

– Je l'ai deviné, oui.

Un léger malaise s'installe, Louis joue avec le nœud de ses baskets, fixe les lents remous de la mer et Harry ne lève pas son regard du sable assombri. Autour d'eux, un peu éloigné, ils entendent des bribes de discussions, des voix étouffés, parfois des rires. L'un comme l'autre se sentent honteux de ne pas procurer à l'autre la même réaction. Une discussion qui ne tourne pas dans le vide, une phrase sans réponse, un rire, un véritable sourire.

– Mais merci pour ça. De me consacrer cet effort.

– Ça me fait plaisir.

– Non, Harry. Ça ne peut pas te faire plaisir de gâcher ton temps avec quelqu'un qui ne te répond pas, ou peu et qui est tout le temps grognon.

– Tu en vaux la peine.

– Tu te trompes si tu penses ça.

– Peut-être, je ne sais pas. Mais j'ai le sentiment que je fais quelque chose de bien.

– Moi je te le dis, tu perds ton temps.

– Ça, c'est à moi d'en juger.

Louis hausse les épaules, il ne peut pas s'opposer à cela. Et il a encore une fois la preuve que Harry n'est pas le genre de personne à démordre facilement et baisser les bras au premier obstacle. Et, quelques mois avant, il aurait plongé tête la première vers ce genre de garçon, parce que c'est irréfutable qu'il l'attire et qu'ils s'attirent tous les deux. Mais voilà, c'est une barrière, une limite qu'il ne peut pas se permettre de franchir.

Ils relèvent les yeux vers le jour qui se décline, le soleil s'étale sur l'horizon de la mer et semble s'y plonger pour un sommeil de plusieurs heures. Le temps d'une nuit, il doit laisser place à sa partenaire la lune, parce que ses rayons ne peuvent pas briller toute la journée, un autre doit prendre la relève. Le ciel se compose d'un fabuleux dégradé rose, violet et bleu. On dirait que toutes les couleurs se fondent les unes dans les autres pour n'en former qu'une seule. Une nuance unique, douce et protectrice.

Puis au bout de quelques minutes, le noir. Les étoiles qui brillent, hautes dans le ciel. Alors, Harry fouille dans son sac et sort les fraises. Louis lève les yeux au ciel, mais se laisse tenter pour en manger une ou deux, ou peut-être cinq.

Silence. Ils restent comme cela, sans rien ajouter. A admirer les étoiles. Puis Louis regarder l'heure sur son téléphone. Vingt et une heure quarante deux. Il soupire, se redresse doucement et tourne son visage vers Harry qui le regarde à présent. Ses yeux scintillent autant que les étoiles ou bien alors sont-elles toutes descendues se noyer dans ses pupilles.

– Je vais devoir y aller.

– Laisse moi te raccompagner jusqu'au quai.

Louis se retient de lui dire qu'il connaît le chemin car il ne sait pas si cette forme d'humour passerait avec lui. Alors, il se contente de se taire et opiner de la tête. Ils remontent, côte à côte, jusqu'au quai où est attaché le vélo de Louis. Ce sont maintenant des lampadaires dispersés et espacés le long de la plage qui font office d'éclairage. Même si la nuit est tombée, tout ne semble pas encore mort. Harry joue avec les clefs de son cadenas entre ses longs doigts, Louis laisse son regard voyager rapidement sur ses bras tatoués et ses boucles.

– Bon... Merci d'avoir accepté de me suivre.

– Merci pour... Tout.

– J'ai passé une bonne soirée.

– Tant mieux.

– Et... Et toi ?

Dans sa voix, Louis peut sentir une légère insécurité ou une inquiétude. Il ne sait pas trop comment appeler cela, mais il sait que Harry doute de lui. Il esquisse un sourire discret, à peine discernable mais qu ne passe pas inaperçu pour son voisin.

– La bière était bonne. Bonne nuit, Harry.

– Bonne nuit Louis.

Au contraire, le sourire amusé du bouclé est rayonnant et Louis pourrait presque croire que le jour se lève à nouveau au creux de ses fossettes. Puis avant qu'il n'ait le temps de tourner les talons, il sent et voit Harry se pencher vers lui et sa bouche dangereusement se rapprocher de son visage alors, même s'il fait largement une tête de plus, Louis recule d'un pas et pose une main sur son torse pour le retenir. Directement, Harry retrouve sa position droite et mordille sa lèvre, en évitant de le regarder dans les yeux.

– Ne fais pas ça.

– Excuse moi, je voulais te faire la bise.

– Je ne fais pas la bise.

– D'accord, pardon.

Une fois que Louis a retiré sa main, dans un geste rapide, il hoche la tête, se tourne et part. Il essaie, en chemin vers son appartement, d'oublier en vain le visage déçu et froissé de Harry et toutes les petites lumières qui semblent d'un coup s'être éteintes dans ses yeux.


🌠


– Et tu l'as repoussé ?!

– Oui.

– Ma parole Tomlinson je ne sais pas quelles sont tes techniques de drague mais je crois que tu as besoin d'une grande mise au point.

– Pas besoin de techniques de drague étant donné que je ne compte pas en faire usage.

– Mais il te plaît non ?

– Agathe, je peux travailler un jour ou non ?

– On ne répond pas à une question par une autre !

Louis soupire et contourne son ami pour aller disposer les articles sur les portiques dehors. Déjà hier, alors qu'il ouvrait à peine la porte d'entrée, son amie voulait déjà savoir ce qu'il s'était passé. Il lui avait simplement répondu qu'il était fatigué et qu'il voulait aller dormir, ce qu'il a fait sans attendre. Mais aujourd'hui, il est bombardé de questions.

– Écoute Agathe, on a bu une bière, on a mangé une pizza, on s'est baladé sur la plage, il a voulu voir le coucher de soleil, point final. Rien à ajouter.

– Tu as oublié de dire qu'il a voulu t'embrasser, c'est important.

– Me faire la bise, ce qui est différent.

– Dans tous les cas, il voulait quelque chose de plus, un petit geste.

– Bah tant mieux pour lui, mais pas moi.

– Louis, tu peux te voiler la face autant que tu veux, mais je sais que toi aussi tu as envie d'aller plus loin.

– Agathe, tu ne vis pas dans ma tête, tu ne sais pas ce que je veux ou ce que je ressens.

– Non, c'est vrai. Mais je voudrais juste que tu sois heureux.

– A quoi ça va me servir de l'être ?

Avant que Agathe ne puisse répondre, un client arrive et leur discussion prend fin. Parce que elle a sentie tout la tristesse mêlée à la colère dans la voix et le regard de Louis avant qu'il ne s'occupe de son travail.

Et c'est ainsi quasiment tout le reste de la journée, ils s'adressent peu la parole, ils se concentrent sur leur travail et lorsqu'ils entament une conversation, Louis évite le sujet Harry. Et Agathe a compris rapidement qu'elle n'obtiendrait pas non plus de réponse de sa part ni de détails de cette soirée, elle songe un moment à demander directement le dérouler au bouclé mais ce serait une intrusion dans la vie privée de son ami et il aurait du mal à lui pardonner cet affront. Alors, elle attend qu'il fasse le premier pas pour venir aborder le sujet, quand il se sentira prêt à le faire.

Harry est arrivé à la plage aujourd'hui avec ses amis, comme d'habitude, il a fait un petit signe de la main à Louis qui lui a répondu d'un léger hochement de tête. Mais il ne vient pas le voir ni lui parler. Même l'eau ne l'attire pas alors que tout ses amis partent se baigner et se rafraîchir face à cette chaleur écrasante. Ce matin Louis a simplement revêtu un débardeur noir et se sent tout à fait à l'aise pour travailler. Finalement, ce n'est qu'à la fin de l'après-midi vers dix sept heures que le bouclé se décide à venir le voir, il entre dans le magasin et s'approche du comptoir où Louis tend un sac en plastique à une cliente et la remercie d'avoir choisi leur magasin. Quand son regard azur tombe sur Harry, il aborde un visage sérieux et Agathe lève les yeux au ciel face à son comportement. Harry ne l'a pas vu, il se pense seul avec le jeune vendeur et lui dit alors avec un sourire :

– Bonjour.

– Salut.

– Ça te dirait une glace ? Avec la chaleur qu'il fait...

– Je n'aime pas ça.

– Oh, d'accord.

Sa voix rocailleuse se fait basse et discrète, il semble complètement déçu, son sourire s'éteind. C'est vrai, Louis a toujours détesté les glaces. Il trouve ça trop lourd, trop crémeux et trop froid pour ses dents. Il tourne son regard vers son amie qui, de sa place près de la réserve, pousse un soupire et lui fait un signe de tête pour lui dire de répondre quelque chose. En y repensant, il se rend compte que son ton a été pour le moins glacial et dur. Peut-être qu'il ne veut pas et ne peut pas se rapprocher de lui, mais il peut au moins essayer de ne pas le blesser totalement et écraser son coeur. Si la situation serait inversée, il n'aurait pas du tout aimé qu'on le traite ainsi. Alors, il repose son regard sur Harry, dont la tête est encore légèrement baissée, et ajoute :

– Mais j'aime bien les gaufres. On peut aller se manger quelque chose, si tu veux ?

Le visage du bouclé se relève et s'illumine d'un sourire à en rendre jaloux le soleil, sans parler de ses yeux où des milliers d'étoiles se sont mit à briller. Et dire qu'hier il les avait vu mourir dans ses pupilles lorsqu'il l'a repoussé. Sa petite tête bouclée opine doucement tandis qu'il murmure que ça lui ferait très plaisir et Louis descend de son tabouret pour faire le tour du comptoir.

– Je préviens Agathe et je te rejoins.

Harry l'attend donc devant les vitrines du magasin, à l'ombre, et Louis va rejoindre son ami derrière une étagère. Elle lui adresse un sourire victorieux et presque aussi éblouissant que celui du bouclé, le jeune vendeur sait ce qui se cache derrière le retroussement de ses lèvres et lève les yeux au ciel. Il lui marmonne de ne rien dire de plus et prend son porte monnaie sur la table de la réserve. Son amie lui dit de ne pas s'en faire, qu'elle peut gérer seule les clients et qu'il peut surtout prendre tout son temps. Après avoir émit un énième grognement, Louis rejoint le jeune homme de la plage dehors. Quand ils passent devant les amis de Harry, il se sent un peu mal à l'aise de sentir tout ces regards curieux sur lui. Mais Harry n'a pas l'air d'y porter une quelconque attention, ils remontent tout les deux le quai pour se rendre au petit bar de snacks qui sert différentes friandises, viennoiseries, collations. Ils s'installent à la terrasse, face à la mer, à l'ombre d'un parasol. Caché derrière le menu, Louis examine les différents choix qui lui sont offerts. Ses lunettes posées sur son nez, Harry le regarde et se pince les lèvres, ayant encore du mal à croire que Louis ait accepté de venir si facilement.

Une fois que le serveur prend leur commande, Louis n'a plus aucun prétexte pour se cacher et s'occuper avec autre chose. Cela ne l'empêche pas de s'allumer une cigarette et de remettre en place sa casquette sur sa tête. A l'ombre, la chaleur semble un peu moins insupportable, mais l'atmosphère est encore étouffante. Ils ne parlent pas jusqu'à ce que leur commande arrive à table. Pourtant, Harry aimerait parler, peut-être un peu d'hier, mais il souhaiterait entendre sa voix rien qu'un petit peu. Pour se dire que Louis ne l'a pas suivi sous contraintes ou par pitié. Le serveur dépose l'assiette avec la crêpe à la confiture de fruits rouges devant Louis et la coupe de glace à la violette devant Harry.

– Pourquoi tu fais ça Harry ?

Finit par demander Louis quand ils ont presque mangé la moitié de leur commande, en silence, dans une ambiance de malaise et timidité. Le bouclé pose sa cuillère, passe sa langue entre ses lèvres et fronce les sourcils.

– De quoi tu parles ?

– Pourquoi tu t'accroches à moi ? Pourquoi tu restes ?

– Je te l'ai déjà dis.

– Oui, mais je ne comprends pas... Je fais absolument pour te repousser, te dégoûter de moi et tu continues de revenir me voir. Avec ce qui s'est passé hier... N'importe qui aurait baissé les bras.

– A moins que tu me dises que tu as déjà quelqu'un dans ta vie, sinon je ne compte pas abandonner.

Louis ne répond pas, il tire sur sa cigarette et pour une fois n'a pas peur de fixer le visage de Harry et ce qu'il imagine être ses yeux derrière ses lunettes. De son côté, le bouclé prend son absence de réponse comme une affirmation de son célibat et un léger sourire se dessine sur le coin de sa bouche. Rien n'est gagné, il le sait, mais c'est déjà un petit pas en avant. Peut-être qu'au final, Louis n'est pas aussi dur qu'il le laisse paraître. Sinon, pourquoi aurait-il lui même proposé qu'il prenne un morceau ensemble ? Au fond de lui, il ne peut s'empêcher de ressentir un minimum d'espoir. L'espoir que le jeune vendeur ne lui fermera pas toutes ses barrières et qu'il lui laissera un accès à sa lumière.

En attendant, Louis aimerait savoir, comprendre ses motivations. N'importe quel être humain décent aurait abandonné à le conquérir depuis longtemps, mais Harry n'est pas prêt de lâcher sa prise, et même à la resserrer plus fort encore. Et Louis a de la peine, parce qu'il sait que dans tous les cas, peu importe ce que leur réserve l'avenir, peu importe où ils seront dans deux semaines, Harry souffrira. Avec ou sans lui, qu'il le repousse encore plus loin ou non. Il souffrira d'être avec lui ou d'être sans lui. Donc, quelque soit l'issu de leur future, ou non, relation ce ne sera qu'un échec. C'est pourquoi précisément, à cet instant, il se dit tant pis et se jette dans la fosse aux lions. Après tout, ce n'est que le temps d'un été.

– Imaginons que je te laisse m'embrasser, et ensuite ?

– Ensuite ? Je t'embrasserais encore, si tu le veux bien.

Sa réaction le surprend lui-même. Contre toute attente et tout contrôle, Louis se met à rire. Un son clair et cristallin, empli de candeur et de réalité. Ce n'est pas forcé, ça ne sonne pas faux. Certes, c'est quelque chose de léger et discret, mais Harry ne laisse pas se moment lui échapper. Il l'attrape, il le coince dans ses pupilles, dans sa poitrine pour laisser cet instant y gésir et réchauffer le creux de son coeur. Depuis des jours qu'il souhaite voir un vrai sourire sur le visage de Louis, il ne s'attend pas à déclencher son rire et l'entendre être bercé par le vent lent et chaud de l'été jusqu'à ses oreilles. Là, Harry se croit réellement dans un autre monde. Un monde où Louis serait heureux, souriant et l'aimerait en retour. Mais au fond, ce monde n'est peut-être pas si loin... Il en est convaincu.

Louis écrase les mégots de sa cigarette dans son cendrier, son rire se transformant en un sourire mesuré sur ses lèvres tandis qu'il secoue lentement la tête. Ses yeux se plissent doucement, un rayon de soleil éclaire quelques boucles de Harry et un bout de son bras nu. Maintenant, il a envie de le voir sourire à son tour et ne plus se retrouver à chaque fois devant son air déçu et triste. Il a envie de retrouver le Harry souriant, riant et amusé sur la plage, celui qui se baigne comme si c'est la dernière fois et joue au handball même si ses amis sont plus forts que lui, celui dont l'étincelle de la vie ne quitte jamais ses yeux.

– Tu es sacrément spécial toi aussi.

C'est tout ce que Louis finit par trouver à dire. Mais ça a l'effet attendu. Harry ne parvient pas à retenir son sourire et il baisse son visage vers sa glace tandis que ses joues prennent une légère teinte rosée. Louis repense aux paroles de Agathe « Il ne reviendra peut-être pas demain... Vois la réalité en face, il est vraiment beau, tu ne dois pas être le seul à baver dessus. Alors, tu devrais te dépêcher d'aller lui parler avant que quelqu'un d'autre ne lui mette le grappin dessus. » et il se dit qu'on ne doit pas laisser filer entre ses doigts un homme comme Harry. Que peut-être demain, il en aura assez de s'accrocher pour n'avoir aucun résultat et qu'il abandonnera pour trouver les bras de quelqu'un d'autre qui voudra bien de lui. Alors, même si son avis n'a pas changé, même s'il ne veut rien tenter, même s'il ne veut pas s'engager dans une quelconque relation avec lui, et que rien ne dépassera le stade de l'amitié, il peut au moins essayer de ne pas en faire son ennemi. 

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