27. Ashley

Je ne comprends pas vraiment pourquoi je me sens si perturbée. Mais je n'ai pas vraiment envie d'en chercher la raison, de mettre au clair ce que je ressens ou non. Du moins pas maintenant. J'ai simplement envie de profiter. De prendre les choses comme elles viennent sans chercher plus loin. Ou bien je me voile la face ? J'ai peut-être simplement peur qu'énoncer même intérieurement que je...que cela devienne réel et que je ne puisse plus faire machine arrière. Pourtant, il va bien falloir que je sorte de ce brouillard un jour ou l'autre. Et le plus tôt sera le mieux. Je déteste être dans le flou, et c'est encore pire quand j'instaure ce flou moi-même et malgré-moi. Il n'y a qu'une seule solution à ce problème. C'est évident pourtant. Le seul moyen d'être fixée est de succomber à la tentation. J'en suis convaincue. Un peu comme quand on veut absolument une robe. On l'essaye, on l'achète, et finalement elle n'a plus aucun intérêt pour nous et on la laisse moisir dans le fond du placard jusqu'au jour où, triant nos vêtements, on s'en débarrasse définitivement. J'en viens donc à la conclusion que je devrais peut-être essayer Tyson ? Oui. C'est décidé. Ce soir, je couche avec Tyson. Il faut simplement que je trouve le moyen de nous mettre dans cette situation. Et pour l'heure, je n'ai pas la moindre idée de la façon dont je vais m'y prendre. Mais le fait de nous trouver ici va certainement aider. Il y a tellement d'attractions que je trouverais bien une façon de me comporter pour lui faire comprendre ce que je veux l'air de rien, non ? Et ce sans devenir la copie de Paige. L'horreur ! Je frémis de dégoût rien qu'à l'idée de me comporter comme elle.

— Tu as froid ? Me demande Tyson en lâchant ma main.

— N...Oui, me rattrapé-je en le voyant retirer son blouson, oui un peu. Merci.

Le jeune homme me le pose doucement sur les épaules tandis que mon coeur fait un looping. Je sens mes joues brûler et lui adresse un sourire timide en enfilant les manches. La veste, bien trop grande pour moi, m'arrive au niveau des fesses. Bien que je commence déjà à avoir trop chaud et que je doive relever les manches pour faire apparaître mes mains, je me sens à l'aise avec. Elle a quelque chose de réconfortant. Son odeur. Enivrante. Qui me donne légèrement le vertige. Mais pas un mauvais vertige. Un vertige apaisant et doux, dans lequel on aimerait bien passer plus de temps, le savourant et priant pour qu'il continue indéfiniment.

— Par quoi on commence ? Me demande Tyson en glissant ses doigts entre les miens tout en ajoutant avec un clin d'oeil, pour pas se perdre.

— Hum...la...la...la maison hanté ! Balbutié-je stupidement en apercevant cette dernière à quelques mètres de nous.

En réalité, la maison n'est qu'un long tuyau dont l'entrée est surplombé d'une photographie XXL d'un lugubre manoir. Et, accessoirement, ce que je viens d'appeler la maison se révèle être plutôt un train. A mon grand soulagement, Tyson ne fait aucune remarque sur mon erreur et m'entraîne jusqu'à un wagonnet. Un aimable vampire nous installe, et je me demande si il ne s'est pas trompé de métier. Ne devrait-il pas plutôt tenter de nous effrayer afin de nous mettre dans l'ambiance? Si cela devait être le cas, c'est bien raté. Et si l'on rajoute les cinq enfants d'une dizaine d'années gloussant dans le wagon précédant le notre à peine le train démarré, on peut légitimement dire que c'est un fiasco total. Faisant un tour d'horizon, je remarque qu'hormis le petit groupe, il n'y a que nous dans le train. Mais je ne dois pas me laisser distraire par des stupidités. Tentant de profiter un maximum du moment, je tourne la tête dans tous les sens afin de ne manquer aucune décoration. Mais rapidement, mon attention se reporte sur les passagers du train. Deux wagons derrière nous, il y a un homme, à la carrure bosselée, un monocle à l'oeil gauche et la moitié du visage cachée sous une tignasse d'un blond sale qui me fait penser à Alastor Maugrey. Je me penche vers Tyson et glousse à son oreille.

— J'espère que tu n'es pas un mangemort car y'a Fol Oeil qui nous suit.

Tyson se retourne si vivement qu'il manque de peu de me décoller le nez. Je retiens mon souffle tandis que ses lèvres sont à seulement quelques centimètres des miennes. Son regard s'accroche au mien, et finalement, je me fiche pas mal d'être dans le même train que le sosie d'un personnage de fiction ou d'un groupe de dindons qui gloussent à chaque toile d'araignée qu'ils croisent. Tyson replace doucement une mèche rebelle derrière mon oreille. Sa main, légèrement tremblante, est chaude et son contact me fait frissonner jusqu'au bout des doigts. Je me rapproche de lui de quelques millimètres et relève légèrement la tête. Mon coeur bat bizarrement, faisant écho aux frissons qui me parcourent. C'est la deuxième fois en moins de vingt-quatre heures que l'on se retrouve dans cette situation. Et j'adore ça. Mes joues s'empourprent à cette pensée. Ma bouche s'assèche et mon coeur cogne furieusement contre ma poitrine. Les cris des volailles devant nous deviennent des murmures. Les décorations un patchwork de couleurs indistinctes, flous, fusionnées. Je ferme les yeux, sentant le souffle de Tyson de plus en plus proche de ma bouche entrouverte.

-Mouhahahaha !

Je sursaute en ouvrant les yeux. Le sommet de mon crâne heurte quelque chose et j'entends Tyson grogner. Devant lui, un énorme gorille se confond en excuse tout en lui donnant plusieurs mouchoirs en papier avant de filer vers les autres clients. Je ferme les yeux et les rouvre, une migraine passagère commençant à pointer le bout de son nez à cause du choc.

— Tyson...je suis désolée, montre-moi.

Je me relève et me penche sur lui pour voir les dégâts. Son nez a légèrement saigné, mais apparemment c'est terminé. Évidemment, c'est difficile de savoir tant que nous sommes dans le noir, mais ce qui est sur, c'est que rien ne semble couler. J'éponge doucement le dessous de son nez, mais le côté du mouchoir que j'utilise reste blanc. C'est rassurant, au moins ce n'était pas un choc trop grave.

L'espace d'un instant, j'imagine la rubrique du journal de demain dans les faits divers insolites. « Foire : un adolescent contraint d'aller aux urgences pour une fracture du nez après que sa petite amie lui ait donné un violent coup de boule alors qu'ils allaient s'embrasser » Oui. On allait s'embrasser. Encore. Mais une fois de plus, cela ne s'est pas fait. Peut-être est-ce un signe, après tout ?

— T'en fais pas pour ça, ce sont des choses qui arrivent, me répond-il en me prenant le mouchoir des mains.

— Dans les films peut-être, grommelé-je excédée, Tyson, je suis vraiment....

— C'est bon, t'en fais pas, me coupe-t-il en se redressant et en se prenant la tête dans les mains.

Une brûlure désagréable se diffuse dans ma poitrine tandis que mon cœur se met à battre douloureusement. Je reste silencieuse, mal à l'aise et culpabilisant. Il m'en veut, cela se voit. Comment est-ce possible d'être aussi empotée dans les pires moments possible ? A tout les coups, si on était dans un film d'horreur, je serais celle qui meurt en premier. Non pas parce que j'irais voir qui joue du xylophone avec une machette dans la cave, munie pour me défendre d'une simple boite d'allumettes humides, mais parce qu'en voulant à tout prix faire preuve de prudence, je me prendrais les pieds dans un câble branché à une prise défectueuse sur laquelle coulerait l'eau de la baignoire trouée de la salle de bain se trouvant juste au-dessus et dont le sol serait à moitié rongé par les termites au point d'avoir créé un trou suffisamment large pour que l'eau se déverse à l'étage inférieur. La prise aurait un sursaut d'énergie sortie d'on ne sait où, et je mourrais ainsi, électrocutée à cause d'une flaque d'eau à l'aspect douteuse qui aurait mis des années à se former.

Le train s'arrête et je cligne plusieurs fois des yeux pour me réhabituée à la lumière. Une fois descendu du train, j'attrape Tyson par le bras, bien décidée à au moins réussir à le soigner correctement. C'est le moins que je puisse faire pour me faire pardonner ma maladresse. Je l'entraîne vers une table libre devant le stand de barbe à papa se trouvant face au train fantôme et l'aide à s'asseoir sur une chaise. M'installant face à lui, je m'apprête à examiner son nez malgré ses râleries quand une voix me coupe dans mon élan.

— Hé ! Si vous vous asseyez, il faut consommer, crie une voix côté personnel du stand.

— Ho la ferme ! Lui lancé-je plus pour sortir ma frustration que pour déclencher des hostilités.

— On va prendre une barbe à papa, merci, commande Tyson en sortant un billet de son porte-feuille.

La femme hausse les épaules et se tourne pour préparer la commande. J'en profite pour souffler un bon coup et examine les dégâts sur le visage du jeune homme.

— Ok, ça a l'air de ne plus saigner. Tu as encore mal ?

— Non, ça va, t'en fais pas, c'est..Aie, me répond-il alors que j'appuie sur son nez.

— Ouai, t'as plus mal. Bien sur.

Je me renfrogne sur ma chaise devant le regard perdu de Tyson. Le contrecoup doit lui avoir fait oublié ce qui allait se passer, à moins qu'il soit soulagé que ce ne soit pas arrivé ? Quoi qu'il en soit, son manque de réaction ne fait qu'accenter ma mauvaise humeur.

— Et une barbe à papa, une ! Nous lance le commerçant en nous tendant une énorme sucrerie retenue par un bâton dont le bout est si petit qu'il en est presque invisible.

Tyson le remercie et me fait signe de le suivre. Tout en marchant devant les stands, nous dégustons notre friandise en silence. La promenade a au moins l'effet de me calmer les nerfs, et je me retrouve rapidement sans énergie et quelque peu lassée et fatiguée. Je suis prête à abandonner l'idée de finir bien la soirée quand Tyson m'attrape par les épaules et me tourne dos à lui.

— Et si on allait faire ça ? Me propose-t-il en me montrant la grande roue.

J'acquiesce machinalement, perturbée par son torse si proche de moi et nous nous frayons un chemin à travers les stands pour arriver plus rapidement à notre destination. Au fond de moi, je suis soulagée qu'il ne m'ait pas demandé d'écourter notre sortie, qu'il veuille encore que l'on s'amuse ensemble, qu'il ne me fuit pas. Et puis, au moins, puisque nous serons bien sagement assis, aucun incident ne risque d'arriver dans la grande roue. La soirée, tournant à la catastrophe, aura enfin droit à un moment d'accalmie. C'est un point extrêmement important que je tiens à lui faire partager une fois que l'on sera tranquillement installé dans la nacelle. Il faut positiver ! Toujours. Peu importe la situation. C'est un principe que je me suis fixée il y a quelques temps déjà. Et même si il m'arrive d'avoir des baisses de moral, de pleurer, de voir la vie en noire, j'essaye malgré tout de m'y tenir la plupart du temps. Me penchant pour évaluer la distance entre nous et l'entrée de l'attraction, je suis forcée de constater qu'il y a pas mal de monde. Ainsi, je doute que l'on puisse prendre le prochain tour de manège. Il va donc falloir patienter un long moment. J'adresse une moue à Tyson avant de focaliser mon regard sur les gens présents devant nous.

— Je t'aime.

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