26. Tyson
Au moins, c'est clair. Le peu que madame Bercley a lu ne laisse aucun doute sur les sentiments d'Ashley. Elle n'est pas amoureuse. Je suis mitigé entre le soulagement et la déception. Si elle n'est pas amoureuse, c'est que son coeur est libre. Si son coeur est libre, j'ai une chance d'y faire ma place. Pour ça, il va falloir que je joue le grand jeu. Mais comment ? Qu'est-ce qui lui plairait au point de tomber folle amoureuse de moi ? Toutefois, le reste du mot me revient en tête. Mais quoi alors ? Et de qui parlait-elle ? Ces deux questions viennent obscurcir ma nouvelle détermination. Mais bien que ma curiosité soit au maximum, que mon coeur hurle à la mort, je me retiens de l'interroger. Nous traversons le lycée jusqu'au parking en silence et montons dans la voiture.
— Tout va bien, Ashley ? Lui demandé-je en démarrant, à la fois pour m'en assurer et pour combler ce silence qui commence à me peser.
— Oui, ça va, je me remets de l'humiliation suprême que je viens de ressentir, ricane-t-elle en se passant une main dans les cheveux.
— Tu sais, les profs, si ils n'ont pas au moins un bouc émissaire dans la journée, ils considèrent que cette dernière est raté, lancé-je pour détendre l'atmosphère tout en gardant les yeux rivés sur la route.
Ashley pose sa main sur mon bras en riant franchement. Et si ce contact me donne des frissons, Je suis surtout heureux de voir qu'elle n'a pas perdu sa bonne humeur. Je pourrai rester là, à conduire et l'écouter durant des heures, malheureusement la circulation est inexistante en ce milieu d'après-midi, et je distingue déjà sa rue à quelques mètres. Il va falloir que je la quitte. Déjà. Et nous n'avons même pas eu le temps de discuter plus que ça. Si seulement le temps pouvait s'arrêter. Si seulement un miracle pouvait se produire. Cela dit, n'étant jamais allé à la messe, je doute que si Dieu il y a, il m'accorde le moindre miracle. Ma mère l'était, d'après ce qu'elle m'a dit. Elle faisait partie d'une paroisse durant son enfance et son adolescence. Mais cette dernière l'a rejeté, elle et sa famille quand elle est tombée enceinte. Je n'ai jamais cherché à en savoir plus. La douleur que je lisais dans ses yeux était amplement suffisante pour m'empêcher de creuser plus loin.
Un panneau d'affichage attire mon attention, me sortant de mes pensées, et je prends un virage serré, une idée en tête.
— Heu, Tyson, ma maison est de l'autre coté, me lance Ashley avec inquiétude.
— Je sais. Je ne te raccompagne pas chez toi. Pas maintenant, l'informé-je en la regardant du coin de l'oeil et incapable de dissimuler mon sourire de conspirateur.
— Quoi ? Tu te la joues tueur en série ? Tu vas m'emmener dans les bois et m'enterrer vivante ? On retrouvera mon cadavre quelques semaines plus tard à moitié mangé par les sangliers ? Et je reviendrais à la vie ! Je serais le premier zombie. Le patient 0. Le commencement de la fin ! Termine-t-elle avec une intonation de tragédie grecque.
— Non, je ne pense pas avoir le temps de faire tout ça, réponds-je tentant de garder mon sérieux, je dois être rentré pour vingt et une heure et tu sais, enterrer quelqu'un d'aussi bavard, ça peut prendre bien plus que cinq malheureuses heures.
— Hum, mais tu sais, on peut en faire des choses en cinq heures.
Mes mains se crispent sur le volant et je sens, plus que je ne le vois, son regard posé sur moi. Oui, on peut en faire des choses. Et bon sang ce que j'aimerais ! Des pensées que je ne révélerai jamais défilent dans ma tête tandis que mes mains se font moites. L'espace d'un instant, je songe à faire demi-tour jusqu'à chez moi pour... Mais je n'en fais rien. Ce n'est pas ce à quoi je pensais. Enfin, pas jusqu'à maintenant. Mais peut-être que... ? Est-elle en train de sous-entendre qu'elle serait attiré par moi ? Amoureuse ? Non, n'exagérons pas. Je suis bien placé pour savoir que l'Amour n'est pas un facteur indispensable pour coucher avec quelqu'un. Et puis, c'est Ashley. Elle aime taquiner les autres. Oui, mais jamais je ne l'ai entendu dire ce genre de choses avec un tel sérieux.
— Du...hum, on peut regarder le premier film du seigneur des anneaux ainsi que le premier Harry Potter, reprend-elle.
— Erreur, tu ne pourras pas voir les trente dernières minutes d'Harry Potter si tu fais ça, réponds-je par automatisme tout en soupirant intérieurement.
— Pardon ? Me demande-t-elle avec un air surpris tandis que je risque un coup d'oeil sur elle.
— Le seigneur des anneaux fait deux heures cinquante-huit, et Harry Potter deux heures trente-deux, expliqué-je en essayant d'avoir l'air décontracté, soit un total de cinq heure et trente-deux minutes. Donc on ne pourra pas voir les trente dernières minutes de Harry Potter. Et cela, c'est si on ne fait aucune pause entre les deux films et qu'on s'y met de suite, en passant les génériques évidemment.
Un silence s'installe, durant un peu trop longtemps à mon sens. Je crois que j'ai tout gâché. Elle doit me prendre pour un mec bizarre maintenant. Tout en me giflant intérieurement, j'essaye de trouver comment rattraper le coup.
— Tu as calculé tout ça de tête ? En quelques minutes ? Vous êtes surprenant monsieur Taylor ! Un véritable mystère.
Profitant d'un feu rouge, je tourne la tête vers elle, prêt à la voir se moquer de moi, mais Ashley me regarde avec douceur, un petit sourire aux lèvres qui me retourne le coeur. Une douce chaleur s'immisce en moi tandis que mes craintes s'évaporent. Le feu passe au vert et je reprends la route, plus léger, avec l'impression que quoi que je dise, elle ne s'enfuira pas à toutes jambes. Nous arrivons sur le parking et, le temps de garer la voiture et d'en sortir, j'entends Ashley pousser une exclamation surexcitée.
— Bon sang ! s'exclame-t-elle en se tapant le front, comment ai-je pu oublier que la foire ouvrait aujourd'hui ? Par contre, il faut que je retrouve ma carte parce que je....
— C'est bon, je te l'offre, réponds-je sentant le stress me gagner tout en essayant d'éloigner de mes pensées les mots...
— C'est un rencard ?
Voilà, ce sont ces mots-là auxquels j'essayais de ne pas penser. La jeune fille me rejoint, sans se départir de son sourire. Mon coeur s'accélère et je balbutie un incompréhensible mélange de oui et de non, le coeur lancé au triple galop et la barre de stress prèt à exploser.
— Un rencard, ça me plaît bien, souffle-t-elle à demi-mot comme si elle était...timide ?
Ashley ? Timide ? Je cligne plusieurs fois des yeux, me demandant si tout cela est réel avant d'acquiescer.
— Ok. Ce...c'est un rencard.
Un rencard ! J'ai un rencard avec Ashley Evans ! Un nouveau sourire se forme sur mon visage, mais se transforme rapidement en grimace devant le prix d'entrée. Un détail auquel je n'ai évidemment pas pensé sur le coup. Malgré tout, je paye sans faire de commentaire. L'avantage, c'est que nous allons pouvoir faire toutes les attractions sans repayer à chaque fois. Seuls la nourriture et les boissons seront à rajouter à la note. L'inconvénient, c'est qu'il est fort possible que ce soit ma seule sortie jusqu'à ma mort. Ce qui devrait arriver dans quelques jours quand ma mère découvrira que j'ai atteint la moitié du plafond de ma carte en une journée, qui plus est en plein milieu de la semaine en période scolaire. J'essaye de ne pas songer à la tête qu'elle fera quand elle verra cette dépense et prépare rapidement quelques arguments irréfutables à lui mettre sous le nez. Et puis, après tout, c'est un cas de force majeur, non ? Ashley glisse sa main dans la mienne et je la regarde, surpris, ne m'attendant pas du tout à ce contact si soudain.
— Pour ne pas se perdre, me dit-elle précipitamment, ce serait dommage de devoir passer le peu de temps que l'on a à se chercher, non ?
— Se chercher. Dommage. Non. Oui. Bien sur.
Ashley étouffe un rire et m'entraîne à sa suite. Je prends une grande inspiration, essayant de me calmer. Tu as un cerveau Tyson, sers-t-en et maîtrise-toi avant de passer pour un complet décérébré. Mon portable vibre dans ma poche et, ma mère étant toujours au travail, je devine qu'il s'agit de Jeff. Il veut certainement savoir ce qu'il s'est passé quand j'ai raccompagné Ahsley. Quand il saura il...En fait non, il ne fera rien du tout car je ne lui dirai rien. Pour une fois, je n'ai aucune envie de lui raconter quoi que ce soit. Ces quelques heures n'appartiennent à personne d'autre qu'à nous.
En la regardant, si heureuse d'être ici, je me décide enfin à faire une folie qui changera complètement le reste de mon existence. J'ai ma petite idée sur la réponse, mais je ne pourrais pas en avoir la certitude sans lui demander. Le choc sera dur, mais il faut tirer le pansement d'un coup sec pour s'en débarrasser facilement. Et j'ai cinq heures pour le faire.
Aujourd'hui, je me déclare à Ashley.
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