24. Tyson

La tête d’Ashley sur mes genoux, je n’ose plus bouger, de peur qu’elle ne se redresse. Je sais très bien qu’il ne faut pas que je me fasse de films, que ce n’est qu’un instant volé et éphémère, mais je ne peux m’empêcher d’espérer que cela se réitère plus souvent. Nous restons silencieux quelques instants et je savoure la chaleur de son contact, même si, n’osant croiser son regard, je fais semblant d’être absorbé par un petit groupe d’élèves à l’autre bout de la cour. Mon cœur s’affole. Peut-être est-ce le moment parfait pour me déclarer ? Je respire profondément, essayant de ne pas laisser paraître mon trouble. Peut-être qu’elle dira oui ? Je lève la tête, les yeux fermés, faisant mine de profiter des quelques rayons de soleil qui percent la masse nuageuse. Mais si elle dit non, serais-je capable de le supporter ? Après tant d’années à l’aimer en secret, comment arriverais-je à l’oublier ? Suis-je prêt à prendre ce risque ? Le visage de Jeff m’apparaît soudain en mémoire. De toute évidence, je n’ai pas vraiment le choix. Soit je me déclare à ma manière, soit je le fais à la manière de calamity-Jeff, auquel cas je n’ai aucun doute sur la façon dont cette histoire finira.

— Tyson Taylor. Meilleur ami de l’un des mecs les plus cons que je connaisse, capable de résister aux avances de Paige, dont la chaleur dépasse de loin celle des enfers, faisant tourner la tête de la moitié des filles du lycée….mais également sympa et drôle. Un vrai mystère à élucider. Parle-moi un peu de toi...

Tout en reportant mon attention sur Ashley, je me mords l’intérieur de la joue. Ce petit mensonge risque de m’exploser à la figure, je le sens. Il faut absolument que je lui dise la vérité. Elle sera bien obligée de me le pardonner, non ? Après tout ce n’est pas comme si je lui devais quelque chose. Si ? Si, évidemment. Même si il ne se passe jamais rien entre nous, je ne peux lui mentir éternellement. Ne serait-ce que pour faire honneur aux sentiments que j’éprouve pour elle. Comment pourrais-je un jour clamer haut et fort que je l’aime si je trahis sa confiance alors qu’on ne sort même pas ensemble ?

— Il faut que je te dise, commencé-je en prenant mon courage à deux mains, je...suis fils unique.

Bon, pour la sincérité on repassera. Mais j’ai tellement peur qu’elle me laisse en plan. Je lui dirai, je m’en fais la promesse. Elle le saura...Bientôt. Le moment venu. Après tout, pourquoi gâcher ce moment alors qu’on est si bien ? Peut-être que quand elle me connaîtra mieux, qu’elle saura qui je suis vraiment, elle comprendra et jugera que cela n’a aucune importance. De plus, c’était avant toute cette histoire d’espionnage. Un peu plus de vingt-quatre heures plus tôt, certes, mais il peut s’en passer des choses en vingt-quatre heures. Après tout, à ce moment-là, je ne savais pas du tout que je me retrouverais à aller au cinéma avec elle, à l’emmener au lycée, à déjeuner avec elle, et encore moins l’avoir si proche de moi. Si j’avais su, j’aurais résisté aux avances de Paige. C’est clair et net. Malheureusement, je ne peux effacer ce que j’ai fais. Remarque, j’avais bien bu. Avec un peu de chance, je pourrais faire croire que je ne me rappelle de rien. C’est plausible, non ? Oui, si jamais il le faut, c’est ce que je ferais. L’esprit un peu plus léger, j’adresse un sourire à Ashley.

— Ok, je ne vois pas le souci, me répond-elle, Kyle l’est aussi. Pour ma part j’ai un frère. Mais ça tu le sais déjà. Encore désolée d’ailleurs. Un jour j’ai eu le malheur de dire à Aaron qu’il était mon héros. Je crois que depuis il a pris la grosse tête. Le problème, c’est qu’il avait six ans et moi trois. Pour ma défense, je n’avais pas vraiment d’élément de comparaison.

Je lâche un léger rire, essayant d’imaginer une Ashley miniature en adoration devant son grand frère. Non. Impossible.

— J’imagine bien la scène oui, ricanné-je.
— Ho non, pitié ! Bon ok, ta série préférée ? Me demande-t-elle rapidement entre deux rire.
— Hum...stargate SG1.
— C’est vieux ça, me répond-elle en haussant les sourcils.
— Oui, mais c’est vachement bien! Rétorqué-je avec conviction, et toi ?
— Walking dead, me répond-elle du tac-o-tac.
— Je ne sais pas pourquoi, mais je ne m’en serais pas douté dis-donc ! Ricanné-je, d’ailleurs j’adorerais lire ta version de Roméo et Juliette.

Ashley se redresse soudainement, le regard pétillant. J’ouvre la bouche pour lui demander ce qu’il lui arrive mais elle fouille rapidement dans son sac et me pose une pochette sur les genoux.

— Tu me diras ce que t’en penses, ok ? Me demande-t-elle avec un grand sourire.

J’acquiesce en secouant la tête et range précieusement le dossier dans mon sac. J’en profite également pour replier un peu mes jambes qui commencent à s’engourdir.

— Je t’ai fais mal, désolée, grimace-t-elle tandis que je secoue la tête.

J’adore ce tic chez elle. Cette légère torsion de sa bouche qui lui donne un petit air angélique. Mon téléphone vibre et je remarque que Jeff m’a laissé un message. Je le range sans ouvrir. Je n’ai pas envie de lire ses bêtises de suite.

— Et si on en profitait pour jouer notre texte ? Juste les scènes que l’on a ensemble, me propose-t-elle en maltraitant le coin de son exemplaire.
— Hum, oui, si tu veux, réponds-je en sortant fébrilement le mien.

Dans Roméo et Juliette, il y a bien une scène de baiser, non ? Je me frotte les yeux, essayant de me concentrer tandis que nous nous mettons d’accord pour ne jouer que les scènes où Roméo et Juliette sont seuls sur scène.

—  Ô Roméo ! Roméo ! pourquoi es-tu Roméro ? Renie ton père et abdique ton nom. Ou, si tu ne le veux pas, jure de m'aimer, et je ne serai plus une Capulet.
— Dois-je l'écouter encore ou lui répondre ?
— Ton nom est mon ennemi. Tu n'es pas un Montague, tu es toi-même. Qu'est-ce qu'un Montague ? Ce n'est ni une main, ni un pied, ni un bras, ni un visage, ni rien qui fasse partie d'un homme... Oh ! sois quelque autre nom ! Qu'y a-t-il dans un nom ? Ce que nous appelons une rose embaumerait autant sous un autre nom. Ainsi, quand Roméo ne s'appellerait plus Roméo, il conserverait encore les chères perfections qu'il possède... Roméo, renonce à ton nom, et, à la place de ce nom qui ne fait pas partie de toi, prends-moi tout entière.

C’est vraiment étrange de parler comme une fille, même si ce n’est qu’un rôle. Nous faisons défiler rapidement le texte, ne récitant que les parties qui nous intéressent pour le moment, c’est à dire les duos Roméo/Juliette. Bizarrement, plus on avance, moins je me sens gêné. Peut-être parce que justement, je joue un rôle. Les mots que je lis, bien que certains passages fassent échos à mon coeur, ne sont pas destinés à Ashley, mais à Roméo. Ainsi, je peux lui dire que je l’aime sans vraiment lui dire. Une sorte d’entraînement sans conséquence avant de me lancer véritablement.

Nous nous regardons un moment en silence. La brise fait doucement danser les cheveux d’Ashley tandis que sa bouche s’entrouvre légèrement. Je me rapproche d’elle, imperceptiblement tandis que mon coeur tente de se frayer un passage à travers ma cage thoracique. Je pourrais l’embrasser. Là. Maintenant. Je vais l’embrasser. Oui. Je vais le faire. Franchir ce cap et advienne que pourra. Ma main frôle la sienne. Nos auriculaires s’enlacent, me provoquant un frisson tout le long du bras. Nos épaules se touchent, ses cheveux chatouillent mon nez. Son souffle me caresse le visage. Je déglutis. Prends mon courage à deux mains. Mon coeur n’est plus qu’une boule de feu furieuse lancée au quadruple galop. Plus que quelques centimètres. Il me suffit d’avancer encore un peu. Juste un peu.

— On se fait une répét’ tous les trois ?

Je sursaute et fait un bond en arrière tandis que Jeff se glisse entre nous deux, son texte en main. Nous attrapant chacun d’un bras, il se met à crier ses répliques avec un air dramatique surjoué. Jetant un coup d’oeil à Ashley, je la vois me sourire avant de baisser les yeux sur son propre texte. C’est décidé, ce soir, j’achève Jeff à coup de pelle.

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