— Franchement Jeff, la prochaine fois que t'as des idées de jeux comme ça. Abstiens-toi !

Ce dernier lève les yeux au ciel et me tapote l'épaule avant d'entrer dans une des cabines de douche. Je m'installe dans celle d'à côté en soupirant.

— Sérieusement. Je sais que t'essayes de me rapprocher d'Ashley, mais tout bien réfléchit, je pense que je peux me débrouiller tout seul. Comme un grand.

— Toi ? Si je te laisse faire, vous serez en maisons de retraite que tu hésitera encore à lui demander de sortir avec toi.

Je secoue la tête. C'est vrai que j'aurais très bien pu lui demander ce weekend, ou ce matin, mais je ne l'ai pas fais. J'attends le bon moment. Et je dois avouer que je veux profiter un peu du temps qu'elle m'accorde. Si je lui déclare ma flamme et qu'elle me jette, je peux dire adieu à ces petits moments privilégiés.

— Tu sais, on va venir plus souvent au bahut ensemble maintenant.

— Ouai, jusqu'à ce qu'elle en ait marre. Tyson, tu sais quoi, je vais faire quelque chose que je ne fais jamais d'ordinaire.

Je termine de prendre ma douche et enfile un caleçon avant de sortir. Deux minutes plus tard, mon meilleur ami me rejoint. Il a la mine grave et hoche plusieurs fois la tête. Son regard sérieux ne me dit rien qui vaille.

— Bon, tu sais que je ne fais jamais ça, mais t'es comme un frère pour moi, tu le sais ?

— Oui Jeff, je le sais, et c'est réciproque. Mais je doute que se faire des déclarations d'amour à moitié nus dans le vestiaire des hommes soit très bien vu. Alors viens en au fait.

— Tu ne peux donc jamais rien prendre au sérieux, râle-t-il avant d'ajouter devant mon regard dubitatif, oui bon d'accord, d'habitude c'est moi. Mais je suis vraiment sérieux de chez sérieux, mec ! Bon, écoute parce que je sens que ce plan va marcher du tonnerre. Vendredi soir, je vais faire une fête !

Je ne peux m'empêcher d'éclater de rire. Une fête. Évidemment que Jeff va faire une fête. Il en fait une toutes les semaines. Mais c'est bien la première fois qu'il cherche une excuse pour pouvoir en organiser une. Je me demande si Greg et Barbara ont vu le carnage de la dernière. Peut-être qu'ils ont resserrés la bride de leur fils ?

— Mec, tu fais une fête toutes les semaines ! T'as pas besoin de te trouver une excuse pour ça !

— Mais non mais t'as rien compris toi ! Faut vraiment tout t'expliquer ? Bon ok. Je vais faire une fête, mais je ne vais pas faire de fête.

Ok. Là, il m'a complètement perdu. Qu'est-ce qu'il me raconte à la fin ?

— Je vais aller voir Ashley et je vais l'inviter à une fiesta d'enfer vendredi. Sauf que je ne vais inviter personne d'autre ! Elle va donc venir et je vais lui dire que la fête est annulée et que j'ai complètement oublié de la prévenir. Elle va donc vouloir rentrer chez elle, mais comme la nuit va bientôt tomber, tu vas gentiment te proposer pour la raccompagner. Parce que oui, tu seras chez moi vendredi. Sauf que là je vais râler parce que je voulais qu'on se fasse une soirée tranquille. Et je vais inviter Ashley à rester avec nous. Et comme on aura faim, toi et Ashley vous irez chercher à manger. Sauf que je vais t'appeler pour te dire que je vois une meuf et du coup que je ne suis plus chez moi. Et boum ! T'as plus qu'à faire ta soirée avec elle ! Génial, non ?

Je le regarde bouche bée. Il est sérieux ? Sa mine radieuse répond à ma question. Oui. Il est sérieux, ce con ! Et il croit vraiment que ça va fonctionner !

— Tu regardes trop de films, Jeff ! Faut que t'arrêtes là. Bon, ok, tu sais quoi, je vais plutôt lui demander de sortir avec moi vendredi, tout simplement.

— Tu ne le feras pas !

— Si, je vais le faire, soupiré-je agacé, mais tu sais quoi, on va faire un deal. Si je ne lui ai rien demandé d'ici la fin de la journée, je marcherai dans ta combine foireuse, ça te va ?

— Ma combine est géniale ! Mais ok, je te laisse une chance de me montrer que t'en as !

Ouf. Sauvé. Nous terminons de nous préparer et sortons du vestiaire. Comme d'habitude, la cafétéria est pleine à craquer et je dois jouer des coudes pour aller m'acheter un sandwich et une boisson. Dix minutes plus tard, je jette un regard circulaire dans la cafétéria. Les tables se remplissent petit à petit. Il y a déjà Kyle et sa copine qui se font des messes basses en riant dans un coin, mais pas d'Ashley en vu. Elle a certainement dus vouloir les laisser tranquille, ce qui m'étonne tout de même vu le manège qu'elle m'a fait faire dimanche. A une table plus loin, Rose et Abigaël discutent en s'esclaffant. Elles ont certainement dus se trouver une nouvelle cible boutonneuse. Et je ne tiens vraiment pas à être mélé à ça. Jeff commence déjà à aller les rejoindre et je l'interpelle.

— Heu mec, je vais manger dans la cour.

Jeff fronce les sourcils avant de m'adresser un large sourire. Il a compris que j'allais essayer de trouver Ashley. Je fais demi-tour, me demandant ce que je vais bien pouvoir lui dire. Mon cœur s'affole rien qu'à l'idée de lui demander de sortir avec moi. Vais-je vraiment y arriver ?

Il y a du monde dans la cour et je passe plusieurs minutes à dévisager ceux qui s'y trouvent avant de me rendre à l'évidence. Non. Elle n'est pas là. Peut-être est-elle aux toilettes ? Honnêtement, je ne me vois pas faire le pied de grue devant chaque toilette du lycée. C'est un coup à me faire passer pour un pervers, et je n'y tiens vraiment pas. A tout hasard, je retourne vers les vestiaires. Peut-être qu'elle a voulu être tranquille ? Et il faut avouer que rester là-bas après le cours est le meilleur moyen d'avoir la paix.

— Y'a quelqu'un ? Demandé-je en passant la tête dans le vestiaire des filles, A...Ashley ?

Pas de réponse. Je m'apprête à faire demi-tour quand j'entends un gros bruit en provenance des douches. Je me précipite et me stoppe direct en entendant sa voix.

— N'entrez pas ! Je...hum...c'est assez délicat. Mes vêtements ne seraient pas dans les parages par hasard ?

Je toque à la cabine de douche dont semble provenir la voix.

— Ashley, tout va bien ?

— Oui, oui..enfin pas vraiment. Qui est-là ?

Oups, mauvaise porte. Je me décale de deux portes et essaye de l'ouvrir, mais elle est verrouillée. Je commence sérieusement à m'inquiéter.

— C'est Tyson. Qu'est-ce qui se passe ? Tu veux que j'aille chercher un prof ?

Ce serait même la meilleure solution.

— Non ! Hum, je n'ai pas vraiment envie d'avoir encore plus la honte. Est-ce que...est-ce que tu veux bien aller me chercher ma tenue de sport dans mon casier s'il te plaît ? Le code c'est 1710.

— Où sont tes vêtements ?

— Si je le savais, je les aurais déjà sur moi. Tyson, s'il te plaît ! Tu me feras un interrogatoire plus tard. C'est un sac noir, tu peux pas le louper c'est le seul qui y est.

Je fais demi-tour au pas de course. Je ne comprends pas très bien ce qui se passe, mais si elle a besoin de moi, je ne vais pas faire le difficile. Je récupère ses affaires et jette un coup d'oeil à son casier. Je remarque parmi les diverses décorations dans son casier une photo d'elle dans les bras d'un garçon un peu plus âgé. Ils rient ensemble et semblent très complices. Avec un pincement au cœur, je referme la porte.

— Tiens, heu je te le fais passer comment ? Lui demandé-je de retour dans les vestiaires.

La porte s'ouvre et je détourne le regard, par réflexe. Mais seul son bras sort de la cabine et je lui donne le sac.

— Merci, tu me sauves ! Soupire-t-elle

Un silence s'installe quelques secondes. J'hésite. Mais d'une minute à l'autre, elle va sortir et je ne me vois pas lui poser cette question en face à face. Je prends une grande inspiration et lui dis donc d'un air détaché :

— Sympa la déco de ton casier. Désolé, j'ai pas pu m'empêcher de regarder. J'ai vu la photo avec ton copain, vous avez l'air très...complices.

— Mon copain ? Quel copain ?

— La photo, heu, le mec diplômé qui, heu...

— Haaa ! La remise de diplôme de mon frère tu veux dire ? C'est vrai qu'il n'était pas là dimanche.

Le poids qui m'opprimait la poitrine s'allège considérablement et c'est avec un peu plus d'assurance que je l'accueille à sa sortie. Ashley m'adresse un sourire.

— Merci ! Tu m'as sauvé de la honte éternelle.

— Quand tu veux. Hum Ashley, je voudrais te demander...je...qu'est-ce que tu fais vendredi soir ?

— Vendredi ? Je vais mettre la raclée à mon frère ! C'est soirée jeux vidéos, m'informe-t-elle, pourquoi ?

— Non pour rien, t'en fais pas, je voulais juste...oublie.

— Tyson ?

Je me passe une main dans les cheveux tandis qu'elle me regarde avec ses yeux. Ses yeux qui me perturbent tellement que je cafouille comme un enfant de deux ans. Et le pire c'est qu'elle en a deux ! Bon comme tout le monde oui. Mais ces deux billes cornalines me donnent envie de l'embrasser fougueusement.

— Je...Je voulais simplement si...enfin...si tu voulais qu'on se fasse un truc...genre juste tous les deux ? Mais si t'es prise c'est pas grave, je comprends.

Mon coeur tambourine tellement que je me demande si elle l'entend. J'essaye d'avoir l'air cool, mais mes mains tremblent et je les plonge dans mes poches pour les dissimuler. Je sens le rouge me monter aux joues et je prie pour que cela ne se voit pas. Je dois vraiment avoir l'air con avec mon allure et ma proposition bafouillante.