14. Tyson
—Tyson ! Tu vas être en retard au lycée !
Prenant une grande inspiration, j'ouvre la porte de la salle de bain. Ma mère me regarde avec de grands yeux étonnés. Il est vrai que je n'ai pas pour habitude de faire de gros efforts vestimentaires, préférant rester classique et sobre. Les effets de mode, les allures de playboy.. je laisse généralement tout ça à Jeff. Oui. Sauf aujourd'hui. Parce que je veux lui plaire.
— Wahou, tu vas à l'école ou à un mariage ? Se moque gentiment ma mère en lissant le col de ma chemise.
— Maman ! J'ai seize ans. Je ne vais plus à l'école depuis que j'ai terminé mon cinquième grade. Je suis presque un adulte maintenant, va falloir t'y faire la vieille !
J'étouffe un rire tandis qu'elle me tape gentiment l'épaule en râlant. J'adore taquiner ma mère sur son âge, bien qu'à trente-deux ans, elle fasse partie des plus jeunes mères de l'assemblée des parents d'élèves.
— Allez file, fils ingrat, tu vas être en retard ! Ha ! Et avant que j'oublie, je risque de finir très tard ce soir, donc ne m'attends pas. Si jamais tu décides de dormir ailleurs...
— ... Je te laisse un mot sur le frigo, je sais.
— Je t'aime mon poussin.
Je lui adresse un sourire et, attrapant mon sac, commence à descendre les escaliers. Je me stoppe au beau milieu, entendant ma mère toussoter et lui jette un regard interrogateur.
— J'ai dis, je t'aime mon poussin.
Je fronce les sourcils tandis qu'elle hausse les sourcils avec insistance. Non. Elle n'est pas sérieuse quand m^même. Et puis, elle le sait bien depuis le temps.
— Maman, j'ai seize ans tu sais...pas six.
— Je ne vois pas le rapport. A ce soir mon poussin, je t'aime.
Devant l'insistance de son ton face à ces trois petits mots, je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel en soupirant. Pourquoi s'amuse-t-elle toujours à m'infantiliser dans les moments où je me sens le plus adulte possible ? En plus, elle sait très bien ce que je ressens pour elle. Elle est ma mère. Je lui dois tout. Et je lui dis souvent que je l'aime. Enfin, disais. C'est vrai ça, quand lui ai-je dis pour la dernière fois ? Hier ? La semaine dernière ? Le mois dernier ? Non...Cela remonte à bien plus longtemps, tellement que je ne m'en rappelle pas moi-même. Pourtant, elle est ce qui m'est le plus cher dans mon coeur. Bien au-dessus d'Ashley, bien que cela ne soit pas comparable. Non. Vraiment, je ne peux pas comparer ce que je ressens pour ma mère et ce que je ressens pour Ashley. Je ne suis pas un Lannister. Beurk ! Chassant les images étranges et dégoûtantes, pures inventions de mes plus noires pensées, là où naissent aussi mes pires cauchemars, qui ont tentés de s'immiscer dans mon cerveau, j'adresse un regard plein de tendresse à ma mère. Je ne l'avais pas remarqué jusque là, ne faisant peut-être pas assez attention à elle, mais ses cernes sont plus sombres qu'autrefois, ses rides plus prononcés, ses joues plus creuses. Quand a-t-elle pu autant vieillir ? Ma petite maman, si pimpante, si dynamique. Comment n'ai-je pas pu m'en apercevoir avant ? Chaque sillon parcheminant sa peau halé marque les sacrifices qu'elle fait chaque jour pour nous offrir une vie meilleure. Grâce à elle, je n'ai jamais manqué de rien, et aujourd'hui encore, je peux me permettre de me reposer entièrement sur elle, de vivre mon adolescence dans l'insouciance et dans la joie. Combien de personnes peuvent en dire autant ? Combien de personnes ont la chance d'avoir une mère aussi exceptionnelle que la mienne ? Qui a tout sacrifié, sa jeunesse, ses amours, son avenir, juste pour son enfant ? Une bouffée d'amour éclate dans mon coeur et c'est avec émotion et sincérité que je lui déclare avant de me faufiler en vitesse hors de la maison :
— Je t'aime aussi maman, plus que tout.
Ce petit moment de mièvrerie a également eu le mérite de me conditionner pour retrouver Ashley. Mon coeur, fragilisé par la brèche que ma mère a ouverte, en profite pour s'octroyer plusieurs tours de montagnes russes. L'empressement et le stress rend ma conduite chaotique et je me fais klaxonner plusieurs fois. Il faut que je me concentre ! Je ne tiens pas à finir sous les roues d'un camion à quelques minutes de chez Ashley...Et d'ailleurs je ne tiens àas à y finir tout court !
Arrivant devant sa maison, je retire mon casque et utilise mon rétroviseur pour me recoiffer. Si Jeff me voyait faire, il ricannerait en me traitant de gonzesse. Quel enfoiré ! Je secoue la tête, pris d'un fou rire en imaginant mon meilleur ami se foutre de moi, ce qui achève de me persuader que je suis un masochiste né, puis j'enclanche la béquille et me dirige vers la maison d'Ashley.
Mon coeur, lancé au triple galop me fait mal. Une douleur que je ne veux oublier pour rien au monde. Fébrile, je sonne et attend patiemment qu'Ashley vienne m'ouvrir. Un homme d'âge mûr, les cheveux grisonnant m'accueille en plissant les yeux.
— Bonjour jeune homme.
— Heu..B...Bonjour heu...
Mince ! Quel est le nom de famille d'Ashley déjà ? Je le sais pourtant ! Je me le répète depuis des années...En y associant le mien bien évidemment. Mais face à la montagne de muscles face à moi, je ne sais plus vraiment comment me comporter. Je toussote, essayant de me reprendre.
— Bonjour monsieur. Je viens chercher votre fille, heu Ashley, pour heu...Enfin, on est ensemble. Heu pas ensemble mais on va au lycée ensemble et...
La bouche de l'homme face à moi se transforme en un rictus étrange. Ai-je dis quelque chose de mal ? Oui j'ai certainement dus dire quelque chose de mal. Je vais me faire tabasser. J'en suis sûr ! Pourtant, j'essaye d'être le plus correct et naturel possible. Mais si j'ai toujours réussi à avoir une certaine aisance avec les mères de mes amis, je ne peux pas en dire autant des figures paternelles. Je n'ai jamais su comment me comporter avec eux. Cela doit venir du fait que je n'ai jamais connu le mien. Un truc enfoui, ou une connerie dans le genre. Peu importe, le fait est que je me trouve actuellement face au père d'Ashley et que j'ai complètement foiré la première image que j'ai donné de moi-même.
Le père d'Ashley, impassible, me détaille de la tête aux pieds avant de tourner la tête et de s'adresser à quelqu'un :
— Daryl ! Hé Daryl ! Tu veux entendre un truc drôle ?
Le dénommé Daryl, copie conforme de l'homme face à moi, les muscles en moins, passe la tête par la porte de ce que je devine être la cuisine.
— Bruce, qu'est-ce que tu fous ? C'est qui ?
— Le petit copain de ta fille. T'aurais vu sa tête !
Intimidé par le regard critique des deux hommes, je n'ose plus faire un mouvement, ni même respirer. Detends-toi Tyson ! Ce n'est pas comme si tu jouais ta vie ! Tu viens juste chercher une amie...Oui, tu viens juste chercher une amie pour aller au lycée, rien de plus. Tu ne viens pas la demander en mariage. Pas encore.
Si l'idée de faire une déclaration d'amour enflammée à Ashley est déjà en soi quelque chose de spectaculaire dans mon esprit, ne serait-ce qu'effleurer l'idée de demander sa main à ces deux gaillards me fait court-circuiter le cerveau. Un nœud immense me tord les boyaux et je me mords la langue pour ne pas flancher. Oui, si Jeff voyait ça, il aurait toutes les raisons du monde de se moquer de moi. J'aurais fais la même chose si les situations étaient inversés.
— Papa ! Oncle Bruce! Qu'est-ce qui vous fais rire ainsi ?
Ashley descend rapidement les escaliers, scrutant ses aines avec incompréhension jusqu'à ce que son regard se pose sur moi. Une moue boudeuse se dessine sur ses lèvres, me donnant encore plus envie de l'embrasser que d'ordinaire. Le rire de l'oncle Bruce me ramène toutefois à la réalité. Se risquer à des rêveries ici n'est peut-être pas la chose la plus intelligente que je puisse faire.
— Allez viens, on y va avant d'avoir droit à l'interrogatoire du commissaire Evans. A ce soir papa, à ce soir tonton Brucette !
— Brucette ?! Ho non Ashou ! Pas devant ton copain ! J'essayais d'avoir l'air effrayant ! Tu vas ruiner tout mes efforts !
— Tatie t'attend dans la cuisine. Plutôt que d'effrayer mon...ami, je te conseille d'aller dompter la dinde.
— Chérie ! Ne parle pas de ta tante comme ça voyons ! Lance monsieur Evans hilare.
— Les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures papa, réplique Ashley en levant les yeux au ciel, à ce soir.
Sur ces mots, Ashley m'entraîne rapidement dehors et claque la porte derrière elle. Je la regarde passer une main dans ses cheveux, visiblement gênée par la situation. Mais de mon côté, même si j'ai eu ma dose d'émotions fortes pour le mois, sitôt la porte refermée, j'ai déjà tout oublié. Mon regard s'attarde sur ses yeux qu'elle a légèrement habillé de noir, son cou délicieusement attirant.
— Je suis vraiment désolée pour tout ça, soupire-t-elle en me prenant la main, la prochaine fois je t'enverrai un message pour t'éviter d'avoir à subir tout ça, t'auras qu'à juste me faire sonner et j'arriverai.
— C'était une rencontre assez...atypique. Ne t'en fais pas pour ça. Allons-y avant d'être en retard.
Elle m'adresse un sourire et je lui tends un casque. Quelques minutes après, nous quittons la rue, direction le lycée. Ashley se cramponne à moi avec force et je savoure cette proximité. Il faudrait que je pense à installer des micros dans les casques pour que nous puissions communiquer durant le trajet. Mais voudra-t-elle seulement remonter en moto avec moi ? Après tout, si elle a accepté, c'est parce qu'en un sens, je lui ai tendu un piège. Pourtant, je n'en suis pas désolé pour un sou. J'aimerai que cet instant dure éternellement. Malheureusement, j'aperçois déjà le parking du lycée et, bien que je sois tenté de continuer ma route sans jamais plus m'arrêter, je ralenti et me stoppe dans la première place libre que je trouve.
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