Chapitre 35 - Mayri
« 26,3 % des prisonniers de camps de Travails ont été condamné pour homosexualité. La Tryade devrait apprendre à accepter toute forme d'amour. Personne ne mérite de vivre dans la peur d'être puni simplement par amour. »
Aleksander Clyme, Les droits fondamentaux de l'existence magique.
La respiration en feu et le corps dégoulinant de sueur, Mayri frappa dans le sac de sable face à elle. Elle mit toute sa force dans ce coup, mais le regard intense de M. Fitz la fit puiser plus profondément en elle.
Sans savoir comment cela était possible, elle donna un nouveau coup encore plus puissant. Elle venait d'enchaîner plusieurs heures de renforcement musculaire, qui avaient mis son corps à rude épreuve. Ses poings étaient rouges et irrités. Elle étouffait dans son ensemble turquoise qu'elle avait emprunté à Carla. Elle avait toujours eu une forme physique relativement dans la norme, mais son professeur la faisait tellement repousser ses limites qu'elle avait l'impression d'être une parfaite novice.
– Bien, déclara le sorcier en saisissant le sac de sable en plein vol. L'échauffement est terminé, on peut commencer maintenant.
Mayri se plia en deux, les poings sur les hanches, pour reprendre son souffle.
– L'échauffement ? s'écria-t-elle d'une voix rauque. Sérieusement ?
Fitz pouffa d'amusement, ce qui la fit lever les yeux au ciel.
– Je vous avais prévenue milady.
Malgré tout, la jeune femme souriait. Elle trouvait quelque chose de plaisant à cette torture. Peut-être que cela l'aidait à se vider la tête. Peut-être était-ce simplement la présence de son professeur, si différent des autres Tryadiens.
Elle se redressa et se dirigea vers sa bouteille qu'elle vida presque entièrement avant d'essuyer la sueur sur son visage avec une serviette. Fitz était déjà en position de combat. Il l'attendait.
Elle reposa sa bouteille et vint se placer face à lui.
Le combat commença avant même qu'elle ne s'en soit rendue compte.
Avec une agilité déconcertante, M. Fitz la fit tomber au sol. Elle tenta d'en profiter en lui faisant un croche-pied. Son corps ne bougea pas d'un millimètre. Il était musclé, mais n'avait rien d'une armoire à glace. S'il n'avait pas bougé, c'était parce qu'il se protégeait avec un bouclier magique.
Un combat déloyal, donc, très bien.
Mayri se releva en plaçant ses mains devant son visage, comme il le lui avait appris. Elle évita un premier coup, puis un deuxième et un troisième. Le quatrième lui coupa le souffle. Elle se plia en deux en reculant. Son professeur avança, déterminé à ne pas lui laisser de répit. Il savait comment l'attaquer sans la blesser, et il pouvait continuer à l'infini. Il cherchait manifestement à l'endurcir.
Il s'approcha encore et lança son poing vers son élève avec nonchalance. Elle retint son bras et usa de sa force pour lui faire perdre l'équilibre. Encore une fois, il ne bougea pas. À la place, il tourna sur lui-même, l'emportant au passage, et la fit valser de l'autre côté de la pièce. Le tatami amortit sa chute.
– Vous n'avez vraiment aucune technique milady.
Il s'avança vers la jeune fée et lui tendit la main en signe de trêve. Elle la saisit, mais au lieu de l'aider à se relever, il la fit rouler sur le sol.
– Vous devriez vous méfier, les choses ne sont jamais ce qu'elles sont.
Mayri était à bout. Elle voyait bien qu'il ne prenait aucun plaisir malsain à l'épuiser et la frapper. Il l'entraînait, et il savait le faire sans être envahi par ses émotions. Il mit fin à son supplice et lui tendit une bouteille d'eau glacée qu'elle but d'une traite.
– La prochaine fois, je vous enseignerai des mouvements d'attaque. On travaillera aussi vos appuis, ils sont terriblement mauvais.
M. Fitz ne mâchait jamais ses mots, et cela lui plaisait. Elle avait passé cet entraînement à souffrir, mais lui, il l'avait passé à observer. Il avait scruté chacun de ses muscles, chacun de ses mouvements, et chacune de ses respirations, pour connaître ses défauts et ses qualités.
Mayri eut besoin de se tenir à la rampe des escaliers pour atteindre sa chambre, tellement ses jambes tremblaient. Elle salua à peine Carla, et se précipita dans la salle de bain pour prendre une douche brûlante.
Après le dîner, la jeune fée se glissa dans son lit en soupirant de soulagement. Son corps n'était que courbatures et douleur. Et pourtant, le pire était encore à venir ! Dans deux jours, quand ses muscles auront refroidi, ils seront tellement rigides que Mayri savait qu'elle serait sûrement incapable de mettre un pied devant l'autre.
Mais en se tournant, elle découvrit Carla, appuyé à l'encadrement de la porte de la salle de bain, qui la fixait de son regard inquisiteur, un sourire moqueur aux lèvres.
– Tu comptes me parler du baiser torride que tu as échangé avec Aramis hier ? susurra-t-elle.
Mayri leva les yeux au ciel avant de se cacher sous sa couverture.
– Personne n'a de secrets pour personne ici ? grogna-t-elle, la voix étouffée par ses draps.
La louve éclata de rire.
– Tout le monde n'est pas réfractaire. Il suffit qu'un penseur lise dans les souvenirs d'Aramis pour que l'information se diffuse. Alors ? insista-t-elle.
Mayri grogna. Elle aimait bien Carla, mais elle n'avait pas envie de s'épancher sur sa vie sentimentale maintenant.
– Et toi ? Tu n'as personne avec qui échanger de torrides baisers ?
Elle sortit de la couverture pour la regarder. La louve décroisa les bras et entra dans la salle de bain sans fermer la porte. Elle entreprit de séparer ses cheveux pour les tresser pour la nuit.
– Non, elle fit la moue à travers son reflet dans le miroir. De toute façon, j'ai bien peur de ne pas vraiment en avoir le droit.
Elle se figea, comme si elle en avait trop dit, et que ses mots lui avaient échappé. Recroquevillée ainsi, elle ressemblait à un loup apeuré qui baissait les oreilles.
– De quoi parles-tu ?
– Je...
Elle fronça les sourcils, lâcha ses cheveux et se précipita vers la porte pour y coller son oreille. Elle écouta quelques secondes les bruits du couloirs avant de hocher la tête.
– Je préfère les femmes. Ce qui n'est pas du goût de la Tryade, déclara-t-elle en retournant dans la salle de bain.
– Je vois.
Mayri n'était pas étonnée de cette nouvelle. Les mœurs de ce gouvernement étaient bien trop conservatrices pour qu'il en soit autrement.
– Ça t'a déjà posé problème ?
– Non. Heureusement ils n'arrêtent pas les homosexuels tant qu'ils restent discrets. Mais si je me mettais à le crier sur tous les toits, je finirais ma scolarité dans un camp.
Mayri déglutit de travers.
– La Tryade n'envoie quand même pas des gens en camp de travail pour ça ?
– Si.
Carla regarda par-dessus son épaule comme-ci quelqu'un pouvait l'entendre.
– On devrait éviter d'en parler.
Son humeur changea radicalement. Elle n'imaginait pas à quel point il devait être difficile pour elle de savoir qu'elle ne pouvait pas aimer librement.
Carla se coucha, sans insister sur le baiser qu'Aramis et Mayri avaient échangé. La jeune fée resta de longues heures à regarder le plafond, incapable de dormir, et ce n'est qu'en entendant les sanglots étouffés de la louve, qu'elle comprit quel rôle elle jouait dans son mal-être ; et quel rôle elle devait jouer pour y mettre fin.
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