Mayri passa les jours suivants à ignorer Aramis. Elle avait besoin de comprendre ce qui lui arrivait. Cette histoire d'amour magique lui donnait la chair de poule... Et lorsqu'elle était avec lui, elle n'arrivait pas à se contrôler.

À la fin de la semaine, M. Dubois décida qu'elle était prête à passer à l'étape supérieure. Lorsqu'elle arriva dans la salle d'entraînement, elle le trouva assis sur ses genoux, le dos droit, le menton levé, les épaules en arrière... Même dans cette position il était au garde-à-vous. D'un signe de tête, il lui ordonna de le rejoindre. Elle s'installa face à lui.

– Je vais te faire travailler l'invocation des alliages aujourd'hui.

M. Dubois était ainsi, il ne perdait jamais de temps en salutations inutiles et autres mondanités conventionnelles. Fitz, bien que sauvage, était moins abrupte. Mayri le soupçonnait d'avoir grandi dans une famille aristocratique anglaise, cela expliquerait ses travers distingués qui dénaturaient quelque peu sa barbe hirsute et ses muscles puissants.

– L'invocation des alliages ?

– Un alliage est le nom que l'on donne aux éléments magiques créés à partir de deux éléments ou plus.

– Créer de la glace avec de l'air et de l'eau par exemple ?

Il secoua la tête d'un air désapprobateur.

– Oublie tes contes pour enfants humains Mayri. La glace est un élément de type 2, il n'est pas créé par un alliage, mais par lui-même, au même titre que les éléments primaires. Mais il est vrai que tu peux contrer un sort d'eau en utilisant de l'air, ce qui n'est pas considéré comme un alliage.

– Attendez, revenez en arrière et parlez-moi des éléments de type 2.

Il hocha la tête. Il n'y avait aucun jugement dans son regard, c'est ce qu'elle appréciait chez lui. Aramis, lui, se pinçait les lèvres chaque fois qu'elle lui demandait des explications qui lui semblaient évidentes, comme s'il oubliait qu'elle avait grandi chez les humains.

– L'ordre dans lequel je vais te citer les éléments est important, car il correspond respectivement aux différentes formes de ces mêmes éléments.

Elle prit une petite inspiration pour se concentrer sur ses paroles.

– Les éléments primaires sont l'air, le feu, la terre et l'eau. Les éléments secondaires (de type 2) sont l'espace, le sang, le métal et la glace. Les éléments primaires et secondaires sont les éléments de classe 1.

Elle hocha la tête pour lui montrer qu'elle suivait toujours.

– Ensuite viennent les éléments de classe 2 que nous nommons surtout principes et contre-principes, car ils ne sont pas palpables. Les quatre principes psychiques sont l'esprit, la vie, la croissance et la continuité. Les quatre contre-principes : le vide, la destruction, l'enfermement et l'ordre. Les principes et contre-principes sont respectivement liés aux notions d'illusion, de poison, de temps et d'ombre.

Cela commençait à se compliquer, mais elle maîtrisait encore la situation.

– Enfin, nous avons les éléments supérieurs, qui sont à la base des éléments de classe 1 et 2 : la lumière, l'antimatière, la matière, et l'obscurité.

Il lui laissa intégrer et reprit :

– Ne confonds pas les éléments et les alliages. Un élément agit par la magie, un alliage est construit par la magie, mais n'a pas de magie intrinsèque. Je vais te faire une démonstration.

Il se positionna de façon à rendre son dos encore plus droit qu'il ne l'était déjà, et leva ses deux mains l'une sur l'autre au niveau de sa poitrine.

– À ton avis, que donne un alliage entre l'élément terre, et l'élément feu ?

Défaitiste, Mayri secoua la tête de droite à gauche pour lui montrer les limites de ses piètres connaissances magiques. Il impulsa alors une légère pression sur ses mains et elle sentit son énergie magique parcourir son corps jusqu'à ses paumes. Il ouvrit alors ses mains, dans lesquelles était apparu un morceau de charbon.

– La terre et le feu, portés à équilibre, donnent du charbon. Tu vois que ce n'est pas un élément, mais un matériau.

Elle hocha la tête, captivée par le bloc noir présent au creux de ses mains. Il l'avait fait apparaître avec une telle facilité !

– Ce n'est pas difficile, une simple question de dosage. Regarde.

Il referma ses mains et donna une autre impulsion magique.

– Tu dois connaître les niveaux d'invocation de ta magie pour créer l'alliage que tu désires. Invoque plus de terre que de feu, et tu construiras une roche.

Il rouvrit ses mains, le charbon noir était maintenant une pierre grise aux parois lisses et régulières. Il referma immédiatement ses mains.

– Invoque plus de feu que de terre, et tu obtiendras de la cendre.

Cette fois, la roche s'était transformée en une fine poussière ambrée. Mayri était subjuguée.

– Mais ne fais pas d'alliage en vain. Ton invocation doit être utile, ou doit retourner à la magie.

Dans une lumière blanche, il fit se décomposer la cendre, qui s'envola en une traînée dorée au-dessus de nous avant de se transformer en filaments blancs qui se dispersèrent dans l'atmosphère. Elle avait l'impression qu'ils la transcendaient, qu'ils faisaient partie intégrante d'elle.

– Ces filaments que tu as vus sont de la magie primaire. De la magie à son état le plus brut. Tu t'entraîneras uniquement avec les éléments primaires pour le moment. Nous passerons aux éléments secondaires quand tu seras capable de fabriquer l'alliage parfait.

Intriguée, elle l'incita à continuer. Il leva alors les mains devant lui et réveilla sa magie.

– L'eau forme.

Il agita gracieusement ses doigts dans un geste circulaire. Des gouttes d'eau traversèrent sa peau, et, défiant la gravité, se rassemblèrent petit à petit en une seule sphère.

– La terre donne.

Il posa délicatement ses doigts sur les parois de la sphère aquatique et y répandit une énergie dorée. L'énergie se transforma en une sorte de sable au contact de l'eau.

– Le feu forge.

Il entoura la sphère avec ses mains et la chauffa. Elle prit la couleur du métal incandescent, sans jamais se déformer. Mayri ne pouvait le quitter des yeux. Il était concentré sur sa tâche, mais cela paraissait lui être d'une facilité déconcertante.

– L'air transforme.

Il invoqua le vent qui refroidit le métal. La sphère était à présent parfaitement lisse, et tellement transparente qu'elle se confondait avec l'air. Bientôt, elle ne pu même plus la distinguer. Elle était là, mais naturellement transparente. Elle faisait partie intégrante de l'atmosphère.

Mayri observa la sphère se décomposer en magie primaire entre ses doigts, et lorsqu'elle fut totalement disparue, son professeur croisa les bras sur sa poitrine en lui faisant un signe de tête.

– À ton tour maintenant.

– À mon tour ?

– Oui.

Son ton était sans appel. Elle prit une grande inspiration avant de reproduire la position de son professeur avec ses mains.

– Concentre-toi sur ce que tu veux, et non sur comment tu le veux. Canalise ton énergie, un élément dans chaque main. Trouve l'équilibre pour créer un charbon.

Le feu traversa aisément son bras gauche. La chaleur dans son sang était des plus délectables, et elle dut se retenir de ne pas la faire exploser dans sa main. Une fois certaine qu'il était bien en sécurité au niveau de son poignet, elle réveilla la vie de la terre dans son bras droit. Le pétillement addictif se propagea dans son sang, et courut jusqu'à son autre poignet. Puis, elle insuffla le feu et la terre dans ses mains.

Mayri imagina les deux forces se mélanger, se lier l'une à l'autre pour former un morceau de charbon noir. Le feu s'entrelaçait à la terre, à droite, à gauche... Non ! Elle devait se concentrer sur le charbon, pas se perdre dans la magie. Il lui était plus difficile de canaliser sa magie sans la pierre.

Elle prit une petite inspiration et visualisa le bloc noir, les stries de sa surface, sa forme irrégulière... Un courant électrique la parcourut et elle ouvrit les yeux, excitée de découvrir son alliage.

Mais le résultat fut quelque peu décevant. La forme qu'elle avait imaginée pour son charbon était parfaite, à l'exception près que ce n'était pas un charbon noir, mais une roche grisâtre qui se trouvait entre ses mains.

La tâche serait manifestement plus difficile à réaliser que ne le laissait entendre son professeur...