Chapitre 26 - Mayri

" La Bourse Clyme n'est rien en comparaison à tout ce qui doit être fait, mais au moins, elle existe. Je me suis battu pour, et je me battrais encore. Le taux d'illettrisme dans la Tryade s'élève à 78 %. C'est simple, il n'existe aucune école publique. Les membres du gouvernement font appel à des tuteurs jusqu'à l'entrée de leurs enfants à l'Académie Nationale. Les classes bourgeoises et moyennes peuvent parfois se payer une entrée à l'Académie, mais le plus souvent, leurs enfants sont envoyés dans d'autres instituts privés, moins coûteux. Pour ce qui est du reste de la population, très peu sont ceux qui reçoivent une éducation lettrée. En ce qui concerne l'apprentissage de leur magie, cela ne dépasse généralement pas les compétences qui leurs seront nécessaires pour leur travail d'usine, ou agricole. "

Aleksander Clyme, Justice Sociale, Réforme gouvernementale.

Quand Mayri rentra de son entraînement, la chambre était vide. Elle balança son sac sur son lit dans un soupir excédé et se précipita dans la salle de bain. Après une douche beaucoup trop chaude, dont l'eau brûlante avait laissé des plaques rouges sur son corps, mais atténué ses courbatures, elle enfila le premier t-shirt qu'elle trouva dans son armoire.

Les cheveux encore humides et seulement à moitié habillée, elle se laissa tomber sur son lit. Elle était épuisée. Cette école, le manoir des Clyme, Aramis... Sans parler de sa magie qui semblait puiser de l'énergie dans les maigres ressources de son corps.

Elle devait parler à Aramis. Elle devait mettre les choses au clair.

Mayri ne pouvait pas – ne voulait pas – s'engager dans une quelconque relation. Aramis était beau, il l'attirait sans aucun doute, mais il n'était pas le premier, et ne serait certainement pas le dernier. Elle ne comprenait pas comment elle avait pu perdre autant la tête dans le Temple.

« Dis-moi que tu le sens. Je t'en supplie »

Elle frissonna au souvenir de sa voix suppliante qui résultait d'un mélange entre la peur et le désir.

Sa magie hurla dans ses veines en réponse. Les voix se déchainèrent, comme un tourbillon de feu qui consumait son cœur. Au fond d'elle, Mayri connaissait la vérité, mais elle ne voulait pas l'admettre.

La porte s'ouvrit. La jeune fée se redressa en rabattant ses cheveux sur son épaule, au moment où Carla refermait la porte. Mayri s'apprêtait à lui demander comment sa journée s'était passée, mais n'en fit rien.

Quelque chose n'allait pas.

La louve avait encore la main sur la poignée. Elle s'y agrippait, le front collé contre le bois de la porte, les épaules voûtées, le dos affaissé.

– Qu'est-ce qui ne va pas ?

Lentement, Carla se retourna. Son regard était vide, sa mâchoire tremblante. Elle se laissa glisser le long de la porte, et ramena ses genoux contre sa poitrine une fois à terre. Mayri se leva de son lit et se précipita vers elle, le cœur battant à tout rompre.

– LA ? Tu vas bien ? Tu es blessée ?

Mayri s'accroupit à sa droite en posant sa main sur son genoux. La louve resta silencieuse.

– Il y a eu une explosion, souffla-t-elle finalement, comme si elle ne voulait pas y croire.

La main de la jeune fée se mit à trembler sur le genoux de son amie.

– Quand ?

– Ce week-end, dans un centre commercial Tryadien. Il a eu des dizaines de morts.

Elle ferma les yeux, et mit sa main sur sa bouche pour étouffer ses sanglots. Mayri se laissa tomber à côté d'elle, contre la porte, et serra plus fort son genou.

– Qui a fait ça ?

Les sanglots de Carla cessèrent brusquement. Elle échangea un regard avec la fée, avant de coller son oreille contre la porte et d'écouter les bruits du couloirs. Mayri la regarda faire, les sourcils froncés.

– Il y a trop de gens dans les parages, chuchota-t-elle finalement, et certains sauteraient sur l'occasion pour me dénoncer.

– Te dénoncer ?

Elle hocha la tête avant de reprendre sa place en soupirant.

– Tu sais qui a fait ça, répondit simplement Carla. Je ne peux pas prononcer ce mot, pas dans une accusation directe alors que le gouvernement ne l'a pas reconnu... Je... Je ferais mieux de me taire.

– Mais...

– Non Mayri. La bourse que ton père m'a donnée est une chance de sortir de la pauvreté, je ne veux pas tout gâcher. Je ne veux pas prendre le risque d'être envoyée dans un camp.

La jeune fée glissa sa main dans celle de Carla.

– D'accord. Excuse-moi.

Elles se serrèrent l'une contre l'autre en silence. Mayri pouvait sentir la louve trembler à côté d'elle, hantée par des souvenirs dont elle ne pouvait qu'imaginer l'horreur.

Quand elle réussit à se lever, la nuit était tombée. Après s'être habillées, les deux jeunes femmes allèrent dîner. Le réfectoire était plongé dans le silence. Elles s'assirent à la table d'Adam mais aucun d'eux ne put vraiment manger.

Mayri avait la nausée en pensant à tous ces gens qui étaient morts.

Au milieu du repas, Aricrius ouvrit les grandes portes vitrées du réfectoire d'un seul mouvement sec. Son manteau noir était aussi rigide que son corps. Et son visage... Ces deux yeux noirs étaient comme le portail des abysses : profonds et glacés.

Il traversa la salle. Les élèves le suivaient du regard. Mayri pouvait presque sentir la magie du penseur battre autour de lui. Il s'arrêta devant un jeune garçon en première année et son visage s'adoucit légèrement.

– Puisse la magie protéger ceux qu'elle a rappelé à elle, déclara-t-il

Aricrius tendit sa main et le jeune garçon y posa son poignet gauche. Le grand-prêtre dessina une forme géométrique sur sa peau avec son pouce. De là où elle était, Mayri pouvait voir les contours du symbole qui brillaient d'une lumière bleutée.

– La Tryade te présente ses sincères excuses pour la perte de ta grand-mère. La sous-conseillère Marlonne était dévouée à son gouvernement.

– Merci, bredouilla le jeune garçon.

Le sang de Mayri se glaça. Le visage de cet élève était blême, mais à part ça, aucune émotion qui transparaissait.

Aricrius hocha la tête et sortit sans rien ajouter.

– Qu'est-ce que c'était que ça ? chuchota Mayri.

– Une rune de deuil pour les fées.

Elle hocha la tête et le dîner reprit dans le même silence qu'au départ.

Aramis entra quelques minutes plus tard, accompagné de Néra. Mayri détourna immédiatement le regard. Son cœur s'accéléra dans sa poitrine, mais elle l'ignora. Quand il s'assit à une table quelques mètres plus loin, juste en face d'elle, la jeune fée fit mine de manger, le regard baissé sur la table.

Elle en était à sa deuxième bouchée quand le bois de la table s'assombrit. Son cœur rata un battement à l'idée d'avoir perdu le contrôle sans s'en apercevoir, mais elle soupira en constatant qu'il n'en était rien.

Les marques foncées s'agencèrent en boucles et en ondulations, si bien qu'elles formèrent un mot puis deux. Mayri avala de travers en lisant ce qui était inscrit sur la table comme de la pyrogravure.

« Jolie fée ? »

Elle toussa puis releva la tête. Aramis la fixait, le front plissé, les sourcils froncés, l'air inquiet. Une boule se formait au creux de son ventre. Elle n'aimait pas ça. Elle n'aimait pas savoir qu'il s'inquiétait pour elle.

Cela voulait dire qu'il pensait à elle, et elle ne voulait pas qu'on pense à elle. Pas comme ça. Il ne devait pas s'attacher. Elle ne devait pas le laisser faire. Elle l'avait déjà laissé faire bon sang !

Aramis tapa sa table avec son index et les lettres changèrent.

« Tu vas bien ? » lu-t-elle sur le bois.

Mayri serra les dents, prit son plateau et sortit du réfectoire sans accorder aucun regard au penseur. 

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