Chapitre 11 - Lydia
Lydia avait froid. Elle tremblait. Elle avait tremblé toute la journée, où en tout cas, depuis que les lumières des cellules s’étaient allumées. Elle ne pouvait pas savoir si Agatha calquait ces lumières sur le jour et la nuit ou si elle avait complètement décalé leur cycle.
Mais le corps de la sorcière était épuisé au point que trembler lui faisait mal. Et ce n’était pas le froid qui la mettait dans cet état, mais la peur. Les cris de douleur, les supplications, et les pleurs avaient commencé dès les premières lueurs artificielles des LED. Lydia, tapie dans le coin de sa cellule, les avait écoutés sans savoir si son tour viendrait, ni quand.
Mais elle en avait assez de trembler. Elle rassembla toutes ses forces pour se redresser, se mettre en tailleur, et méditer. Sa magie était peut-être inutilisable, mais son âme pouvait atteindre des mondes qui dépassaient son enveloppe charnelle. Alors elle pria. Elle pria la magie de l’aider. Elle pria toutes les anciennes déesses qu’elle connaissait, tous les dieux qu’elle avait oubliés et toutes les âmes défuntes dont la compassion pouvait parfois se révéler salvatrice.
De l’autre côté de la paroi transparente, dans la cellule voisine, un petit rire mélangé à un soupir résonna.
– Profite de l’espoir tant que tu le peux.
Lydia ouvrit les yeux et tourna la tête vers Vallie.
– Tu crois vraiment que personne ne viendra nous aider ? Je suis certaine qu’ils sont en train de nous chercher !
La vampire aux yeux bleus assise contre le mur de sa propre cellule fixa la sorcière.
– Lydia, ces gens n’en ont rien à faire de nous. Je suis ici depuis des mois et des mois et personne n’est venu me sauver, tout simplement, car je ne suis personne. Ne fais pas comme si tu pensais vraiment que la Tryade était miséricordieuse et prête à tout pour sauver quelques adolescents.
Le cœur de Lydia se serra, et elle ne put s’empêcher de regarder autour d’elle pour vérifier que personne ne les écoutait. Mais il n’y avait rien d’autre que des murs gris et vides.
– Tu ne devrais pas dire ce genre de chose…
– Quoi ? gloussa amèrement Vallie. Tu as peur qu’ils me retrouvent, m’attrapent, m’enferment et me tuent ?
Elle croisa ses bras derrière sa tête comme pour se prélasser sur une plage ensoleillée.
– Au moins ici, je peux penser ce que je veux.
Lydia croisa les bras et se replia sur elle-même en observant la vampire.
– Tu n’as pas de famille que tu veux retrouver ?
– Ma famille a été condamnée aux camps. Ils sont sûrement tous morts aujourd’hui.
La magie de la sorcière sursauta dans son sang.
– Tu n’as pas eu une vie facile…
Sa constatation était inutile, mais Lydia n’avait pas pu s’en empêcher. Elle avait grandi dans un milieu privilégié, sans jamais remettre en question l’ordre établi. Sa famille, si elle n’était pas vraiment conservatrice, n’avait jamais été très réformiste. Ils s’étaient toujours contentés de soutenir les causes qui leur étaient chères, et leur Coven, sans se mettre en danger.
Aujourd’hui, elle le regrettait. Peut-être que si elle avait été plus impliquée en politique, et moins effrayée à l’idée d’assumer ses pensées, elle se serait rendu compte plus tôt de la situation et du retour de l’Hécatombe. Car Vallie avait raison, personne ne les cherchait. La Tryade n’alarmerait jamais toute sa population pour quelques enfants disparus, pas tant que ces enfants ne les concernaient pas directement. Même elle, élève de la conseillère Clyme, ne représentait rien pour eux.
– Les gens comme toi souffrent en secret, pendant que les gens comme moi vivent dans l’opulence, mais finalement, aucun de nous n’est en sécurité, souffla la sorcière.
Le regard océan de la vampire se fit plus dur.
– Qu’est-ce que tu croyais ? Qu’en étant élève d’une conseillère de l’Honorifique, tu pourrais t’absoudre du contrôle de la pensée ?
Son ton était tout autant accusateur que réconfortant. Vallie parlait avec un recul et un courage que Lydia ne possédait pas, car, contrairement à elle, la vampire avait appris à penser.
– Ils sont partout, reprit-elle en se penchant vers la paroi transparente. À chaque coin de rue, à chaque fenêtre, ils attendent que tu dises le mot de trop, que tu gardes le silence au mauvais moment, que tu penses l’impensable.
Lydia déglutit, car elle ne voulait pas l’admettre. Elle refusait encore de penser l’impensable. Elle était peut-être loin des agents de la Tryade en ce moment, mais si elle sortait d’ici un jour, et que quelqu’un trouvait ce souvenir dans son esprit, elle finirait dans un camp, ou sur l’échafaud.
– Ils ne sont pas tous aussi… radicaux, murmura-t-elle en cherchant ses mots. Le Grand Clyme, lui…
La vampire ricana.
– M. Clyme avait peut-être de grandes idées, mais il n’a fait que disparaître. Et si tu veux mon avis, je suis certaine que ce n’est pas une coïncidence. La Tryade avait tout intérêt de s’en débarrasser.
Lydia regarda encore une fois autour d’elle pour vérifier que personne ne les écoutait. Le coin de ses lèvres trembla face aux murs de sa cellule. Un cri de douleur résonna dans le laboratoire d’Agatha et la sorcière se replia sur elle-même.
Dictature ou pas, liberté ou pas, elle ne pouvait pas imaginer que personne ne la cherchait, que personne ne viendrait.
– Ne t’inquiète pas, murmura Vallie d’une voix beaucoup plus douce. Elle est bien trop occupée avec les loups et les penseurs en ce moment. Elle te garde surtout parce qu’elle trouvait que te tuer avec la conseillère Clyme aurait été du gâchis. Tu es plus âgée que les autres, ta magie n’est plus aussi pure.
Si elle essayait de la rassurer, sa tentative avait échoué. Lydia s’entoura de ses bras et serra son propre corps.
– Tu l’écoutes souvent ?
– Tout le temps. Elle n’a pas insonorisé les cellules pour qu’on puisse s’entendre souffrir, ça fait partie de ses expériences psychologiques, alors autant en profiter.
– C'est aussi pour ça qu’on peut se voir alors…
La sorcière enfonça ses ongles dans la peau de ses cuisses. La douleur qu’elle ressentit lui assura qu’elle était en vie.
– On pourrait jouer à un jeu ? demanda-t-elle en regardant la vampire.
Ses longs cheveux noirs étaient emmêlés et enroulés en dreadlocks.
– À quoi ? On a ni carte ni galet ensorcelé.
Lydia se pinça les lèvres.
– Tu aimes jouer aux cartes ?
Si elles ne pouvaient pas jouer, elles pouvaient au moins parler. Vallie regarda le plafond.
– Je jouais beaucoup à la bataille des runes avant, avec mon père.
– Il te laissait gagner, j’imagine.
– Non. Je perdais toujours. La vampire sourit avec nostalgie. Il me disait qu’à chaque fois que je perdrais, il m’expliquerait pourquoi, et que c'était ça, la vraie bataille.
Elle ferma les yeux et Lydia ressentit sa tristesse.
– S’il n’était pas mort dans un camp, il serait déjà venu me sauver.
Sa voix se brisa sur son dernier mot et elle se retourna. La sorcière eut à peine le temps de voir les larmes déferler comme des vagues de ses yeux océan lorsque la lumière s’éteignit.
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