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Des bruits d'une porte qui claque et de pas sur le plancher du salon résonnèrent dans la tête de Lyssa. Elle était concentrée sur ce qu'il se passait en bas ayant bizarrement réussi à contrôler ses sens pour l'occasion. 

Angela était assise sur son lit, regardant son amie avec inquiétude. 

Qu'est-ce que Lyssa pouvait bien entendre ? 

Celle-ci était près de l'entrée de sa chambre, l'oreille tendue. Une main sur le bois robuste, elle se rassurait en maintenant une pression sur la porte fermée à clé. 

- Assieds-toi. Que puis-je te proposer à boire ? 

Lyssa distinguait pour l'instant une discussion sans intérêt, attendant patiemment de comprendre qui était cet homme.

Irène avait promis que personne n'oserait venir sur son terrain, et pourtant, elle semblait bien connaître cet Achos assis dans sa salle à manger. 

Angela se leva discrètement et laissa craquer maladroitement le parquet âgé sous ses pieds. Lyssa se retourna avec frayeur : Elle avait entendu le craquement comme un cri strident dans son oreille. Son amie se figea face à cette réaction, recevant un regard noir plein de reproches. Elle se rassit sur le lit sans un bruit, attendant patiemment que la situation évolue. 

- Pourquoi es-tu là Achos ? Tu sais bien que ta visite n'est jamais la plus agréable. 

La discussion méritait qu'on s'y attarde. Lyssa ferma les yeux toujours derrière la porte. 

- J'en suis bien attristé. Comme à son habitude, notre Sauveur m'envoie vous voir pour plusieurs raisons. 

Lyssa entendit un bruit lourd qui cogna contre la table en bois. Une légère pression suivie d'un souffle strident résonna dans sa tête. Elle en conclut qu'il devait s'agir d'un mécanisme ou d'une boîte que l'homme avait actionné. 

Irène haussa le ton : 

- Je ne sais comment le répéter, Achos. Tu n'y es pour rien directement, mais je ne prendrai plus de sérum d'Immortalité. La vieillesse et la mort donnent de la valeur à la vie, et notre esprit ne pourra jamais vivre pour toujours sans en subir les contrecoups. Nous en avons déjà fait les frais à Olympia. 

Un cliquetis métallique semblable à un mécanisme de fermeture se fit entendre, avant de laisser résonner la voix d'Achos qui releva : 

- Je vais faire semblant de ne pas avoir compris vos insinuations. Pour moins que cela, certains auraient pu subir une exécution publique. Heureusement que votre statut vous protège. 

Une pause tendue s'imposa, avant que l'homme ne poursuive : 

- Gabriel tenait à ce que je vous donne cette fiole. Libre à vous de la jeter ou de la donner à votre chien. 

Irène rétorqua sur la défensive : 

- Tu as très peu vieilli depuis la dernière fois. Est-ce que tu n'en aurais pas profité à tout hasard ? 

L'intéressé lâcha un rire étouffé : 

- Disons qu'il y a quelques avantages à être en charge du secteur Mars dans son entièreté. Je n'aurai jamais un statut Olympien, mais allonger ma courte vie n'est qu'un privilège que je savoure pour l'instant. 

L'atmosphère était lourde et pesante. La jeune fille écoutait attentivement chaque détail, chaque son qui pouvait être utile, utilisant sa concentration à son paroxysme. Elle sentait la migraine arriver mais redoubla d'efforts pour comprendre ce qu'il se passait. 

- Tu es juste passé me donner du sérum ? Si c'est le cas, tu t'es déplacé loin pour peu de choses. 

- Ne vous en faites pas pour cela. Les derniers modèles d'Hipparions sont encore plus rapides et robustes. Je n'ai mis qu'une heure depuis Phobos contre les deux habituelles. Cette ville est toujours aussi miteuse. 

Lyssa retint ce qui l'intéressait. 

Il y avait une ville non loin d'ici ? Et un moyen de locomotion des plus rapides ? 

Elle comprit qu'Achos avait terminé sa pause : 

- Mais non. Je ne suis pas venu seulement pour cela. 

Le coeur de la jeune fille se mit à battre à tout rompre. Elles étaient en danger, elle le sentait du plus profond de ses entrailles. Lyssa se tourna le regard apeuré vers son amie. Celle-ci présentait en réponse un air interrogateur et paniqué : 

Mais que se passait-il à la fin ? 

Pendant ces longues minutes d'échanges silencieux, Angela enviait le don de son amie. Cette dernière reprit sa concentration et intercepta la réponse d'Irène : 

- Pourquoi es-tu ici, Achos ? 

Celui-ci ne garda pas le suspense bien longtemps. 

- Au cas où vous ne le sauriez pas, deux sujets se sont enfuis de Vesta. Je suis activement à leur recherche, surtout de l'une d'entre elles. 

Lyssa sentit son souffle s'accélérer. Elle avait l'impression que sa poitrine allait exploser sous la pression. 

Cet homme en armure lourde, le responsable de tout le secteur, avec tous ces androïdes, était à leur recherche. 

Elle regarda Angela qui commençait à comprendre ce qu'il se passait. 

Mais que pouvaient-elles bien faire à part croire Irène et attendre ? 

L'impuissance face à cette situation était insupportable. Elles ne pouvaient même pas s'enfuir par la fenêtre qui n'était rien d'autre qu'une petite embouchure de verre sans mécanisme d'ouverture. 

- C'est bien dommage, le domaine doit s'en inquiéter. Quand se sont-elles enfuies ? 

Lyssa sentit dans le temps de réponse de l'homme, qu'il essayait de rester à sa place tout en masquant son agacement. 

- Il y a trois jours. L'une d'elles représente un danger pour le Système et son harmonie. Beaucoup de nos troupes sont actuellement à sa recherche car Gabriel exige qu'on la lui apporte. 

- En quoi cette jeune fille pourrait être un danger qui remettrait en cause tout le Système ? C'est ridicule enfin, Achos. 

L'intéressé poussa un soupir las, avant de s'expliquer : 

- Disons que son origine et son sang pourraient réveiller d'anciens conflits. 

Irène ne sut quoi répondre, souhaitant simplement changer de sujet : 

- Et en quoi est-ce que je pourrais t'aider face à cet évènement bien que dérangeant ? Je ne suis qu'une vieille dame perdue dans la forêt. 

- Sauf votre respect dame Irène, votre réputation à Vesta vous précède. Disons que votre gentillesse envers les sujets est connue. Peut-être auriez-vous souhaité aider ces deux âmes perdues et sans repères ? 

Lyssa toujours à l'écoute, le coeur tambourinant dans sa poitrine, se mordait les doigts à cause du stress. Elle priait de toute son âme qu'Irène les sorte de là. 

Elle entendit une chaise se reculer brutalement en grinçant sur le parquet. Un coup de poing sur la table retentit dans sa tête, lui infligeant un pique de douleur dans les tempes.

- Achos. Je pense que j'ai été assez gentille avec toi. Il me suffit d'un signalement à Gabriel sur ton comportement et je te promets que ton statut actuel ainsi que le sérum que tu utilises encore pour étendre ta misérable vie, ne seront qu'un lointain souvenir. 

Un froid se répandit. L'aura de la vieille dame se ressentait dans toute la maison. Angela essayait d'être la plus attentive possible, mais n'avait réussi qu'à entendre le bruit sourd de l'impact sur le bois de la table à manger. 

L'homme, après un long silence de honte et de peur, répondit avec une voix beaucoup plus faible. Il avait certainement réagi en ressentant l'animosité qui émanait de cette femme. 

Qui ne serait pas terrifié face à Irène dans cet état ? 

- Je vous prie d'accepter mes excuses, dame Irène. Mes paroles et mon insolence ont dépassé mes pensées. Loin de moi l'idée de vous accuser d'un quelconque crime. Si vous avez des informations sur les fugitives, n'hésitez pas à envoyer votre androïde nous les transmettre. Sur ce, je vais me retirer. 

Irène répondit simplement : 

- Pars, Achos. Je n'accepte ta présence que parce que Gabriel me l'a ordonné, mais tu n'es jamais le bienvenu. 

Lyssa détecta des bruits métalliques cogner contre le sol du rez-de-chaussée, avant qu'un grincement de porte et des bruits de pas à l'unisson s'éloignent dans un même mouvement. 

Elle attendit quelques instants avant de pouvoir affirmer : 

Ils sont partis 

Après un long silence pesant, Lyssa entendit les marches en bois craquer, signalant qu'Irène montait les rejoindre. La vieille dame toqua à la porte, autorisant la jeune fille à tourner la clé dans la serrure pour la laisser entrer. 

Irène avait un regard fatigué et triste, semblant bouleversée par la visite. Elle regarda Lyssa dans les yeux, et comprit très rapidement que la jeune fille avait tout entendu : son regard parlait pour elle. 

- Je suis désolée mes chéries. Ça a dû vous faire peur, mais ils sont partis. 

Angela était encore sous le choc de l'incompréhension. Elle n'avait pas les informations que son amie avait réussi à entendre : 

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Je n'osais rien faire. Tu semblais écouter attentivement, Lili. Tu as réussi à entendre ce qu'il se passait en bas ?

- Oui. On dirait bien que mon éveil a accompagné quelques nouveaux sens. Je ne sais pas vraiment comment les contrôler efficacement, mais pour le coup, ça m'est bien utile. 

La jeune fille se tourna vers Irène. Sa fragilité des derniers jours et ses séquelles psychologiques laissèrent place à un sentiment de colère envers la vieille dame, qui se jouait d'elles depuis le début : 

- J'espère que vous avez de bonnes explications. J'ai absolument tout entendu : cet Achos qui vient chez vous, qui se dit responsable de tout le secteur. En plus de ça, vous êtes une Immortelle ? Vous connaissez bien Gabriel ? J'avoue que j'ai du mal à vous comprendre. Tout vous accuse, mais vous ne nous avez pas dénoncées. Pourquoi ? 

Angela était totalement abasourdie par le désordre de révélations que présentait son amie. Elle suivait du regard Lyssa puis Irène qui se fixèrent avec affront.

La vieille dame soupira un grand coup, avant d'admettre : 

- J'avoue que l'arrivée d'Achos était prévisible, mais cela faisait cinq terracycles que je ne l'avais pas vu. J'ai cru qu'il ne mettrait plus les pieds ici. 

Elle marqua une pause. 

- Je n'ai pas vraiment de raisons précises à vous donner, mais êtes-vous aptes à discuter à nouveau ? 

Les deux jeunes filles se regardèrent. Lyssa avait les bras croisés, le regard tendu. Son amie était encore perdue : Elle n'avait bien sûr pas tous les éléments pour réagir. 

Lyssa se dirigea vers le lit de son amie qui lui laissa une place, faisant signe de la main à Irène de s'asseoir sur celui d'en face. La vieille femme s'exécuta. 

De longues secondes s'écoulèrent, pendant lesquelles Irène gênée, semblait dérangée à l'idée de prendre la parole. Elle osa enfin : 

- Je ne sais pas tellement par où commencer... 

Lyssa commença à détecter le malaise ressenti par la vieille dame, qui se mordait les lèvres avec inquiétude. Elle la guida : 

- Pour commencer, précisez-nous qui était cet homme qui nous recherchait, et surtout comment vous le connaissez. 

Irène leva les yeux avec reconnaissance, elle sentait que la colère de la jeune fille avait diminuée : 

- L'homme avec qui j'ai conversé s'appelle Achos. Il est Paladin. C'est le grade le plus élevé que peut obtenir un Sacrifié. 

Lyssa sentit un frisson de peur lui parcourir la nuque. Cet homme était réellement dangereux. 

- Il est également en charge de par son statut de la gestion du secteur Mars dans son entièreté. En tant que guerrier haut gradé, il est le mieux placé pour mener à bien sa mission. Donc je le connais en grande partie car je suis sous sa protection directe. Comme c'est lui qui gère le secteur, il a connaissance de ma vie entre ces murs. 

Lyssa secoua la tête. Elle n'était pas satisfaite. 

- Vous ne dites pas tout. Je vous ai entendu parler de Gabriel avec lui. Que nous cachez-vous exactement ? 

La vieille dame fixait le parquet avec tristesse et nostalgie. Elle semblait attaquée par un flot de souvenirs désagréables, de honte, et un profond désespoir. 

- Comme vous le savez sans doute, le Système a actuellement cent-six terracycles. Au cours de ma longue vie, j'ai eu la chance de voir sa naissance, sa croissance et sa décadence. J'ai également pu créer de beaux projets, comme Vesta, qui aujourd'hui n'est plus que l'ombre de lui-même. 

Angela arrêta la vieille dame : 

- Attendez, comment ça "sa naissance" ? Vous auriez plus de cent-six terracycles ? Et vous êtes à l'origine de Vesta ? 

Lyssa connaissait le statut Immortelle de la vieille dame, mais n'avait en aucun cas connaissance de son rôle dans la mise en place de la prison dans laquelle elle avait grandi. 

Elle laissa l'intéressée continuer : 

- Et bien, disons que mon rôle dans la guerre aux ressources a été plus qu'apprécié. J'ai donc été choisie pour faire partie du Conseil d'Olympia, me permettant d'acquérir un statut reconnu donnant accès à l'Immortalité. Ou du moins, au sérum qui la permet si on le prend régulièrement. J'ai également pu construire des centres d'accueil pour les enfants qui en avaient besoin. 

Les deux jeunes filles étaient abasourdies. La femme face à elles avait connu l'Avant, et avait eu un rôle important au sein du Système. Lyssa sentit un profond dégoût l'envahir : 

- Donc vous êtes comme lui. Vous êtes comme Gabriel. Vous avez participé au contrôle du monde par un culte malsain, à la formation de résidences comme Vesta pour maltraiter les Dioscures...  Alors que vous en êtes une ? 

Elle se tourna vers Angela qui arborait désormais un regard de colère et de déception. Les deux amies firent mine de se lever, avant d'entendre Irène les interrompre : 

- Non les filles ! Laissez-moi terminer. Vous vous trompez à mon sujet, et sur beaucoup de choses. Le Système n'a pas toujours souffert comme maintenant. Au départ, c'était un beau projet mis en place par Gabriel. Son adulation a été une conséquence de ses actes bienveillants ; Il la subissait. 

Angela était mitigée, elle demanda : 

- Désolée, Irène. Mais comment pouvons-nous vous croire à présent ? 

Celle-ci répondit, affolée par la tournure que prenaient les choses. 

- Attendez que je finisse mon histoire, et je vous laisserai partir sans un mot si vous le souhaitez. 

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